Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
La SARL Société d'investissement Bettex a demandé au tribunal administratif de Grenoble de prononcer la décharge des cotisations d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices 2014, 2015 et 2016 ainsi que des pénalités correspondantes.
Par un jugement n° 1807966 du 15 octobre 2021, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour
Par une requête et des mémoires, enregistrés le 12 décembre 2021, le 10 novembre 2022 et le 31 mai 2023, la SARL Société d'investissement Bettex, représentée par Me Dal Vecchio, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de prononcer la décharge de ces impositions et pénalités ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le tribunal a commis des erreurs de droit entachant d'irrégularités le jugement attaqué ;
- le principe de neutralité au cours de la procédure d'imposition a été méconnu ;
- elle n'a pu disposer d'un interprète et d'un traducteur ;
- l'absence de déclaration résulte d'un cas de force majeure ;
- l'administration ne rapporte pas la preuve, qui lui incombe en l'absence d'acceptation des redressements, d'une distribution, en se fondant sur la lettre de la gérante, en l'absence de mise en œuvre de l'article 117 du code général des impôts, de décision de distribution de dividendes et de désinvestissement des sommes distribuées ;
- la méthode de reconstitution des résultats des exercices est viciée dans son principe ;
- le coefficient de 15 % appliqué est arbitraire et n'est pas justifié ;
- l'ancienne gérante doit être regardée comme la bénéficiaire des revenus distribués ;
- la majoration de 40 % n'est pas justifiée dès lors que l'absence de déclaration de résultats dans le délai imparti par la mise en demeure résulte d'un cas de force majeure ;
- la pénalité méconnaît les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ;
- elle méconnaît l'article 49 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- elle méconnaît l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentale ;
- elle méconnait le principe de personnalité des peines ainsi que le droit de garder le silence et le principe de non auto-incrimination en méconnaissance de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, du pacte international relatif aux droits civils et politiques et de l'article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par des mémoires, enregistrés le 10 octobre 2022 et le 14 mars 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens invoqués ne sont pas fondés ;
Par ordonnance du 31 juillet 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 17 août 2023.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales
- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le pacte international sur les droits civils et politiques ;
- la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Laval, premier conseiller,
- et les conclusions de Mme Lesieux, rapporteure publique ;
Considérant ce qui suit :
1. La SARL Société d'investissement Bettex, ayant pour objet social la prise de participations dans d'autres entreprises, leur gestion et leur mise en valeur qui avait pour unique filiale, la SASU Arbois Bettex, détenue à 100 %, laquelle exploitait un hôtel-restaurant à Saint-Gervais-les-Bains (Haute-Savoie), a fait l'objet d'un contrôle sur pièces portant sur les exercices clos en 2014, 2015 et 2016 à l'issue duquel l'administration, après avoir reconstitué ses résultats, l'a taxée d'office à l'impôt sur les sociétés sur le fondement de l'article L. 66-2° du livre des procédures fiscales au titre des exercices contrôlés. Elle relève appel du jugement du 15 octobre 2021 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande de décharge de ces impositions et de la majoration de 40 % pour défaut de déclaration dont elles ont été assorties sur le fondement du b de l'article 1728-1 du code général des impôts.
Sur la régularité de la procédure d'imposition :
2. Aux termes de l'article L. 66 du livre des procédures fiscales : " Sont taxés d'office : / (...) / 2° à l'impôt sur les sociétés, les personnes morales passibles de cet impôt qui n'ont pas déposé dans le délai légal leur déclaration, sous réserve de la procédure de régularisation prévue à l'article L. 68 (...) ". Aux termes de l'article L. 68 du même livre : " La procédure de taxation d'office prévue aux 2° et 5° de l'article L. 66 n'est applicable que si le contribuable n'a pas régularisé sa situation dans les trente jours de la notification d'une mise en demeure (...) ".
3. Il est constant que la SARL Société d'investissement Bettex n'a souscrit dans le délai légal aucune déclaration de résultats au titre des exercices clos en 2014, 2015 et 2016 et qu'elle n'a pas déféré, dans le délai de trente jours prévu par l'article L. 68 précité du livre des procédures fiscales, à la mise en demeure du 15 juin 2017 parvenue, le 24 juin 2017 à l'adresse connue de l'administration fiscale. Elle n'établit pas, comme il lui incombe, que le signataire de l'avis de réception du pli recommandé portant notification de la mise en demeure n'avait pas qualité pour le recevoir. Elle ne peut utilement invoquer l'absence de délégation de signature de l'auteur de la mise en demeure dès lors que cet acte n'entre pas dans le champ du I de l'article 350 terdecies de l'annexe III au code général des impôts. Si la société requérante met en cause le comportement de son ancienne gérante, la prétendue malveillance ou incompétence imputée à sa dirigeante ne saurait être regardée comme un évènement extérieur, imprévisible et irrésistible caractérisant un cas de force majeure justifiant les omissions de déclarations après mise en demeure alors, au demeurant, qu'elle n'était plus en fonction depuis octobre 2016. Il suit de là que les impositions à l'impôt sur les sociétés en litige ont été régulièrement établies sur le fondement de la procédure d'office prévue à l'article L. 66-2° précité du livre des procédures fiscales.
4. La SARL Société d'investissement Bettex ne peut utilement se prévaloir de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales prescrivant la motivation des propositions de rectification effectuées selon la procédure contradictoire alors qu'elle a fait l'objet d'une procédure d'office excluant les garanties propres à la procédure contradictoire. Au demeurant, la proposition de rectification du 25 août 2017 qui détaille avec une précision suffisante les bases et éléments ayant servi au calcul des impositions établies au titre des distributions de la SASU Arbois Bettex et les modalités de détermination des résultats de chaque exercice et justifie, en particulier, le coefficient appliqué par la progression de l'activité au cours de la période contrôlée, satisfait aux exigences de l'article L. 76 du livre des procédures fiscales selon lequel : " Les bases ou éléments servant au calcul des impositions d'office et leurs modalités de détermination sont portées à la connaissance du contribuable trente jours au moins avant la mise en recouvrement des impositions ". Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de la proposition de rectification ne peut, en tout état de cause, qu'être écarté.
5. La proposition de rectification indique que les impositions sont établies selon la procédure de taxation d'office au motif que la société n'a pas souscrit de déclarations de résultats malgré les mises en demeure qui lui ont été adressées. Elle comporte le prénom, le nom et la qualité du signataire ainsi que l'indication du service dans lequel il était affecté, la circonstance que sa signature serait difficilement lisible étant sans incidence.
6. Si la SARL Société d'investissement Bettex soutient que l'administration aurait dû proposer l'assistance d'un interprète à sa gérante de nationalité russe, elle n'invoque la méconnaissance d'aucune disposition ni d'aucun droit de sorte que ce moyen ne peut qu'être écarté comme n'étant pas assorti des précisions permettant d'en apprécier la portée alors, au demeurant, que les impositions en litige font suite à un contrôle sur pièces et qu'il n'est, en tout état de cause, pas établi que l'intéressée, qui a dirigé une société en France pendant plusieurs années, ne comprenait ni ne parlait le français.
7. Enfin, il ne résulte pas de l'instruction que l'administration a manqué à son devoir de neutralité.
Sur le bien-fondé des impositions :
8. La SARL Société d'investissement Bettex, qui a fait l'objet d'une procédure d'imposition d'office, supporte, en vertu de l'article L. 193 du livre des procédures fiscales, la charge de la preuve du caractère exagéré des bases d'imposition fixées par l'administration.
9. Pour arrêter les bases imposables à l'impôt sur les sociétés de la SARL Société d'investissement Bettex à raison des bénéfices distribués par sa filiale, la SASU Arboix Bettex, l'administration a retenu la moyenne des distributions versées en 2012 (97 984 euros) et en 2013 (223 370 euros), soit un montant de 160 677 euros, qu'elle a majoré de 15 %, sur chaque exercice, pour tenir compte de l'évolution favorable de l'activité. Les produits d'exploitation de la SARL Société d'investissement Bettex ont ainsi été fixés à 184 779 euros pour l'exercice clos en 2014, 212 495 euros pour l'exercice clos en 2015 et 244 370 euros pour l'exercice clos en 2016, montants dont il a été déduit, par réalisme, un forfait de charges égal à 10 % des produits pour parvenir aux résultats imposables. Cette méthode de reconstitution par extrapolation n'est pas critiquable en soi, l'administration, comme d'ailleurs le contribuable, pouvant se référer aux données de l'activité d'exercices antérieurs ou postérieurs, pourvu que les conditions d'exploitation n'aient pas varié ou qu'elles puissent être ajustées pour tenir compte de leur évolution, faute de données fiables permettant de déterminer les conditions d'exploitation d'exercices vérifiés, comme c'est le cas en l'espèce. Si la SARL Société d'investissement Bettex conteste le coefficient de progression de 15 % appliqué par l'administration, elle ne donne aucune indication sur l'évolution de ses conditions d'exploitation au cours de la période vérifiée alors que ce coefficient, pour forfaitaire qu'il soit, n'apparaît pas manifestement infondé au regard de l'augmentation importante, de 128 %, des produits financiers de la filiale entre 2012 et 2013. En se bornant à invoquer la situation d'entreprises similaires, à faire valoir que les charges n'ont pas été correctement évaluées et que les sommes n'ont pas été désinvesties, elle ne peut être regardée comme rapportant la preuve de l'exagération des bases d'imposition procédant de la reconstitution opérée à laquelle elle est tenue. Enfin, en relevant que l'administration n'a pas mis en œuvre la procédure de désignation des bénéficiaires des distributions irrégulières prévue à l'article 117 du code général des impôts, qu'aucune décision de distribution de dividendes sur le fondement de l'article L. 232-13 du code de commerce n'a été prise par la SASU Arboix Bettex et que celle-ci a versé des sommes à sa gérante en 2016, la SARL Société d'investissement Bettex ne critique pas utilement les bases arrêtées d'office.
Sur les pénalités :
10. Aux termes de l'article 1728 du code général des impôts :" 1. Le défaut de production dans les délais prescrits d'une déclaration ou d'un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt entraîne l'application, sur le montant des droits mis à la charge du contribuable ou résultant de la déclaration ou de l'acte déposé tardivement, d'une majoration de (...) / b. 40 % lorsque la déclaration ou l'acte n'a pas été déposé dans les trente jours suivant la réception d'une mise en demeure, notifiée par pli recommandé, d'avoir à le produire dans ce délai ".
11. Eu égard à ce qui a été dit au point 4 ci-dessus, c'est par une exacte application de ces dispositions que les impositions en litige ont été assorties de la majoration de 40 % prévue au b de l'article 1728-1 du code général des impôts en l'absence de dépôt de déclarations de résultats dans le délai de trente jours suivant la mise en demeure adressée à la SARL Société d'investissement Bettex.
12. Celle-ci n'est pas fondée à soutenir que les majorations pour défaut de déclaration prévues à l'article 1728-1 du code général des impôts, qui sont au nombre des sanctions administratives constituant des " accusations en matière pénale ", sont incompatibles avec les stipulations de l'article 6, paragraphe 1, de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
13. Si la société invoque la méconnaissance des articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, elle n'assortit pas, en tout état de cause, ces moyens des précisions permettant d'en apprécier la portée.
14. Quant au principe de responsabilité personnelle et au principe de personnalité des peines, qui s'opposent à ce que des pénalités fiscales, qui présentent le caractère d'une punition tendant à empêcher la réitération des agissements qu'elles visent, puissent être prononcées à l'encontre de contribuables lorsque ceux-ci n'ont pas participé aux agissements que ces pénalités répriment, ils n'ont pas été méconnus dès lors que la SARL Société d'investissement Bettex, à qui il incombait de souscrire les déclarations de résultats auxquelles elle était tenue en tant que personne morale imposable à l'impôt sur les sociétés, ne peut être regardée que comme ayant participé aux agissements que cette pénalité sanctionne en s'abstenant de le faire.
15. Enfin, elle ne saurait utilement soutenir que ces pénalités méconnaissent la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne dès lors que les impositions et pénalités dont elle est l'objet ne peuvent être considérées, en tant que telles, comme mettant en œuvre le droit de l'Union au sens de l'article 51 de ladite Charte. Le paragraphe 3 de l'article 14 du pacte international relatif aux droits civils et politiques ayant pour objet de protéger les droits des personnes accusées d'une infraction pénale ne peut être utilement invoqué à l'encontre d'une sanction fiscale qui, alors même qu'elle présente le caractère d'une accusation en matière pénale, ne sanctionne pas une infraction pénale de sorte que le moyen tiré de la méconnaissance de ces stipulations ne peut qu'être écarté comme étant inopérant.
16. Il résulte tout ce qui précède que SARL Société d'investissement Bettex n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande. Ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées par voie de conséquence.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la SARL Société d'investissement Bettex est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL Société d'investissement Bettex et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré après l'audience du 12 octobre 2023, à laquelle siégeaient :
M. Pruvost, président de chambre,
Mme Courbon, présidente-assesseure,
M. Laval premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 23 novembre 2023.
Le rapporteur,
J.-S. Laval
Le président,
D. Pruvost
La greffière,
N. Lecouey
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
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N° 21LY04050