Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. D... C... a demandé au tribunal administratif de Lyon de condamner l'Etat à lui verser une somme de 727 753 euros en réparation des préjudices qui lui ont été causés par l'action fautive des services fiscaux à son égard.
Par un jugement n° 1906342 du 16 mars 2021, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour
Par un arrêt n° 21LY01383 du 1er décembre 2022, la cour administrative d'appel de Lyon, après avoir constaté que la liquidation judiciaire de la SARL Rhône-Alpes Sécurité routière, prononcée le 28 novembre 2017, pour extinction de passif, devait être regardée comme directement liée aux créances de taxe sur la valeur ajoutée imputées à tort à la SARL Rhône-Alpes Sécurité routière, et par suite, à la faute commise par l'administration fiscale, a décidé qu'il serait, avant de statuer sur la requête de M. C..., procédé par un expert à une expertise tendant à l'évaluation des préjudices subis par l'intéressé, en lien direct avec la faute de l'Etat.
Le 14 juin 2023, Mme B... désignée, en sa qualité d'expert judiciaire, a déposé son rapport.
Par des mémoires enregistrés le 3 juillet 2023 et le 10 août 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet des conclusions indemnitaires de M. C... et à ce que l'intégralité des frais d'expertise ou, à tout le moins, l'essentiel des dépens, soit mis à sa charge définitive.
Il soutient que :
- eu égard aux conclusions de l'expert concernant la dégradation de la SARL Rhône-Alpes Sécurité routière, dès 2011, soit bien avant les contentieux concernés, il n'existe aucun lien de causalité entre la liquidation judiciaire de cette société et les rappels de taxe sur la valeur ajoutée ; en tout état de cause il conviendrait d'opérer un partage de responsabilité avec l'intéressé dans l'indemnisation de la perte de valeur de la société évaluée à la somme de 10 133,60 euros par l'expert ;
- les autres préjudices invoqués ne sont pas établis, ainsi que l'a reconnu l'expert.
Par un mémoire enregistré le 7 juillet 2023, M. C... demande à la cour de limiter la condamnation de l'Etat à la somme de 584 496 euros et demande de porter la somme devant être mise à la charge de l'Etat au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative, à un montant de 5 000 euros.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Dèche, présidente assesseure ;
- et les conclusions de Mme Le Frapper, rapporteure publique ;
Considérant ce qui suit :
1. Par un arrêt avant-dire droit du 1er décembre 2022, la cour, après avoir constaté que la liquidation judiciaire de la SARL Rhône-Alpes Sécurité routière, prononcée le 28 novembre 2017, pour extinction de passif, devait être regardée comme directement liée aux créances de taxe sur la valeur ajoutée imputées à tort à cette société, et par suite, à la faute commise par l'administration fiscale, a décidé qu'il serait, avant de statuer sur la requête de M. C..., procédé par un expert à une expertise tendant à l'évaluation des préjudices subis par l'intéressé, en lien direct avec la faute de l'Etat. Le rapport d'expertise a été remis à la cour le 14 juin 2023.
Sur l'indemnisation de la perte de valeur des parts détenues par M. C... dans la SARL Rhône-Alpes Sécurité routière :
2. L'actionnaire d'une société à l'égard de laquelle une personne publique a commis une faute de nature à engager sa responsabilité ne peut prétendre à une indemnisation que s'il justifie d'un préjudice personnel, distinct du préjudice dont la société pourrait obtenir réparation et directement imputable à la faute commise.
3. En admettant même que les difficultés financières rencontrées par la SARL Rhône-Alpes Sécurité routière et qui ont conduit à la liquidation judiciaire de cette dernière soient exclusivement imputables aux fautes commises par l'administration, l'atteinte portée au capital social d'une société et, par suite, la perte des apports des actionnaires, ne constitue pas un préjudice qui leur est personnel. Le préjudice dont se prévaut M. C... à ce titre n'a pu résulter que de ses liens avec la société et ne peut, dès lors, être regardé comme découlant directement des agissements fautifs de l'administration, de sorte que sa réparation, qui n'est pas dissociable de celle qui aurait été susceptible d'être allouée à SARL Rhône-Alpes Sécurité routière, ne saurait être admise dans le cadre du présent litige.
Sur l'indemnisation de la perte de revenus subie par M. C..., ainsi que les conséquences éventuelles sur ses droits à retraite :
4. Les préjudices personnels subis par un dirigeant de société en raison des fautes commises par l'Etat ayant conduit à sa déconfiture sont susceptibles d'être indemnisés s'ils présentent un lien direct avec l'illégalité en cause. Présentent en l'espèce ce lien direct la perte des rémunérations qu'aurait pu percevoir ce dirigeant en cette qualité, si l'illégalité commise n'avait pas entraîné la cessation de l'activité, ainsi que les troubles graves de toute nature apportés à ses conditions d'existence, en particulier la dégradation de son état de santé.
5. Dans le dernier état de ses écritures, M. C... demande, au titre de la perte de ses gains professionnels, la somme de 141 161,65 euros correspondant à la période des années 2016 à 2021, en se prévalant de ce qu'il souhaitait partir à la retraite à l'âge de soixante-cinq ans, soit au 1er octobre 2021. Si le ministre fait valoir qu'il est impossible de procéder à l'évaluation de ce préjudice, ainsi que l'a constaté l'expert, compte tenu de l'existence d'écarts entre les revenus déclarés et les montants comptabilisés dans les comptes de la SARL Rhône-Alpes Sécurité routière ainsi que de l'absence de déclarations de l'ensemble de ces revenus, le requérant a produit les avis d'imposition de ses revenus au titre des années concernées, permettant de calculer ce préjudice de manière suffisamment fiable, ainsi qu'il l'a fait, en reprenant la méthode de comparaison proposée par l'expert consistant à définir un revenu de référence issu de la comparaison des années 2013, 2014 et 2015 qui ont précédé la déclaration de cessation des paiements de la SARL Rhône-Alpes Sécurité routière. Il résulte toutefois de l'instruction que l'intéressé est volontairement parti à la retraite, à compter du 1er octobre 2016. Dès lors, contrairement à ce qu'il soutient, il ne peut prétendre à l'indemnisation de ce préjudice professionnel qu'au titre de l'année 2016. Ainsi, en tenant compte des avis d'imposition fournis, il y a lieu d'accorder à l'intéressé la somme de 6 943 euros en réparation du préjudice subi du fait de la perte de revenus. Enfin, pour évaluer les pertes sur ses droits à pension, le requérant ne saurait utilement se prévaloir de ce qu'il aurait pu bénéficier d'une surcote s'il avait pu continuer à exercer son activité de gérant jusqu'au 1er octobre 2021, dès lors qu'ainsi qu'il a été dit, il est volontairement parti à la retraite, le 1er octobre 2016.
Sur l'indemnisation du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence :
6. M. C... fait valoir qu'entre 2001 et 2016, s'étant consacré à la construction de la marque " I.C.S.A. FORMATION " afin de pérenniser l'activité de la société dont il avait la gérance et ainsi pouvoir à l'issue de sa carrière, être en mesure de vendre ce centre de formation, la liquidation de cette société a engendré chez lui une grande désillusion et a entraîné une perte de réputation qu'il s'était efforcé de construire. Il ajoute que cette liquidation a également entraîné une atteinte de son image auprès de ses proches ainsi que des difficultés dans sa vie familiale et personnelle, notamment liées à l'existence d'une pression permanente générant de l'angoisse et du stress, impactant sur son état de santé. Ces éléments ne sont pas sérieusement contredits par l'administration. Il sera fait une juste appréciation du préjudice moral et des troubles de toute nature dans les conditions d'existence subis par M. C... à raison des conséquences des agissements fautifs de l'administration en fixant l'assiette de leur réparation à la somme de 20 000 euros.
Sur l'indemnisation des frais de procédure :
7. En se bornant à produire des factures correspondant à des frais d'avocat, établies au nom de la SARL Rhône-Alpes Sécurité routière en vue d'assurer la défense de cette société, lors de son contrôle fiscal ainsi que devant le juge de l'impôt, le requérant n'établit pas qu'il aurait effectivement engagé ces dépenses, à titre personnel, alors au surplus qu'il appartenait à la seule société de procéder aux dépenses nécessaires à la défense de ses intérêts.
8. Il résulte de tout ce qui précède que M. C... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté ses conclusions indemnitaires. Il y a lieu par suite d'annuler ledit jugement et de condamner l'Etat à lui verser une somme de 26 943 euros.
Sur les frais d'expertise :
9. Il y a lieu de mettre à la charge définitive de l'Etat les frais et honoraires de l'expertise, taxés et liquidés à la somme de 9 840,96 euros TTC.
Sur les frais liés au litige :
10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 2 000 euros à M. C..., en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1906342 du 16 mars 2021 du tribunal administratif de Lyon est annulé.
Article 2 : L'Etat versera une somme de 26 943 euros à M. C....
Article 3 : Les frais de l'expertise, taxés et liquidés à la somme de 9 840,96 euros TTC, sont mis à la charge de l'Etat.
Article 4 : L'Etat versera une somme de 2 000 euros à M. C... en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus de la requête est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... C..., à Mme A... B... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré après l'audience du 9 novembre 2023 à laquelle siégeaient :
M. Bourrachot, président de chambre,
Mme Dèche, présidente assesseure,
Mme Rémy-Néris, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 novembre 2023.
La rapporteure,
P. Dèche
Le président,
F. Bourrachot,
La greffière,
F. Prouteau
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
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N° 21LY01383
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