Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Vent d'Ouest Vent d'Est a demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner la commune de Soulac-sur-Mer à lui verser une indemnité de 225 475,67 euros en réparation des préjudices subis en raison de l'illégalité du certificat d'urbanisme et du permis de construire délivrés par le maire le 15 février 2016 et le 18 juin 2018. La commune de Soulac-sur-Mer a formé un appel en garantie contre l'État.
Par un jugement n° 2000010 du 14 octobre 2021, le tribunal administratif de Bordeaux a condamné la commune de Soulac-sur-Mer à verser à la SCI Vent d'Ouest Vent d'Est une indemnité de 137 042,24 euros assortie des intérêts au taux légal et de la capitalisation ainsi qu'une somme de 1 500 euros au titre des frais de l'instance et a condamné l'État à garantir la commune à hauteur de 30 % de ces condamnations.
Procédure devant la cour :
Par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés le 15 décembre 2021 et le 23 septembre 2022, la ministre de la transition écologique demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 14 octobre 2021 du tribunal administratif de Bordeaux, en tant qu'il a condamné l'Etat à garantir la commune de Soulac-sur-Mer à hauteur de 30% des condamnations prononcées à son encontre ;
2°) de rejeter l'appel en garantie de la commune de Soulac-sur-Mer.
Elle soutient que :
- le jugement est insuffisamment motivé s'agissant de l'opposabilité de la loi littoral à l'autorisation préfectorale de défrichement alors que ce point était contesté dans la note en délibéré du 4 octobre 2021 ;
- le jugement est entaché d'erreur de droit en considérant que l'autorisation de défrichement était illégale au regard de l'article L. 121-8 du code de l'urbanisme alors que ces dispositions ne sont pas opposables à une autorisation de défrichement, prise en application du code forestier, qui n'est pas une autorisation de construire ; seules les dispositions de la loi littorale relatives aux espaces remarquables sont opposables aux autorisations de défricher ;
- de ce fait, la délivrance de l'autorisation de défrichement ne peut être regardée comme ayant concouru à la faute commise par le maire ; en outre le lien de causalité n'est pas établi dès lors que le maire n'était pas lié par cette autorisation de défrichement, alors qu'il avait été alerté depuis 2014 sur le risque juridique existant au regard de l'application de la loi littoral et qu'il lui appartenait d'analyser les circonstances de droit et de fait existant à la date de ses décisions intervenues plusieurs années après la délivrance de l'autorisation de défrichement.
Par un mémoire en défense enregistré le 4 juillet 2023, la commune de Soulac-sur-Mer, représentée par la Selarl HMS Atlantique Avocats, conclut au rejet de la requête et demande qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de l'État sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés et que les carences de l'État dans le contrôle de légalité ont également contribué à l'induire en erreur sur l'application de la loi littoral.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code forestier ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Christelle Brouard-Lucas,
- les conclusions de M. Romain Roussel Cera, rapporteur public,
- et les observations de Me Cazcarra, représentant la commune de Soulac-sur-Mer.
Considérant ce qui suit :
1. La SCI Vent d'Ouest Vent d'Est a demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner la commune de Soulac-sur-Mer à l'indemniser du préjudice résultant de l'annulation par la juridiction administrative du permis de construire une maison d'habitation qui lui avait été délivré le 18 juin 2018 sur un terrain cadastré BA 148 situé 72 boulevard de l'Amélie qu'elle avait acquis le 18 septembre 2017 sur la base d'un certificat d'urbanisme positif délivré le 15 février 2016 et prorogé le 26 juin 2017. Par un jugement du 14 octobre 2021 le tribunal a condamné la commune à verser à la SCI Vent d'Ouest Vent d'Est la somme de 137 042,24 euros ainsi que la somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles et faisant droit à l'appel en garantie présenté par la commune, a condamné l'Etat à la garantir à hauteur de 30% des condamnations prononcées. La ministre de la transition écologique relève appel de ce jugement en tant qu'il a condamné l'État à garantir la commune.
2. Aux termes de l'article L. 146-1 du code de l'urbanisme alors applicable, désormais repris à l'article L 121-3 du même code: " Les dispositions du présent chapitre déterminent les conditions d'utilisation des espaces terrestres, maritimes et lacustres : - dans les communes littorales définies à l'article 2 de la loi n° 86-2 du 3 janvier 1986 relative à l'aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral ; / (... ) lesdites dispositions sont applicables à toute personne publique ou privée pour l'exécution de tous travaux, constructions, défrichements, plantations, installations et travaux divers, la création de lotissements (...) ". Il résulte de ces dispositions que le préfet ne peut légalement délivrer une autorisation de défrichement contraire à la loi littoral. Aux termes de l'article L. 146-4 du même code, désormais repris à l'article L. 121-8 de ce code : " I - L'extension de l'urbanisation doit se réaliser soit en continuité avec les agglomérations et villages existants, soit en hameaux nouveaux intégrés à l'environnement (...) ".
3. Si le dernier alinéa précité de l'article L. 146-1 du code de l'urbanisme rend applicable aux autorisations de défrichement les dispositions particulières relatives au littoral prévues par le chapitre VI du livre IV du titre I de ce code, les disposition de l'article L. 146-4 régissent les décisions autorisant une urbanisation au sens du code de l'urbanisme. Dès lors, elles ne sont pas applicables à une autorisation de défrichement qui n'a pas pour objet d'autoriser la construction d'une ou plusieurs installations mais seulement d'autoriser, conformément à l'article L. 341-1 du code forestier, une " opération volontaire ayant pour effet de détruire l'état boisé d'un terrain et de mettre fin à sa destination forestière ". Ainsi, alors qu'il ne résulte pas de l'instruction que le terrain d'assiette du projet en litige présentait le caractère d'un espace protégé au titre des dispositions de l'article L. 146-6 du code de l'urbanisme, l'autorisation de défrichement délivrée par le préfet de la Gironde le 31 janvier 2013 pour la parcelle d'assiette du projet n'a pas été accordée en méconnaissance des dispositions de la loi littoral au seul motif que cette parcelle se trouvait dans un secteur qui n'était pas situé en continuité des villages et agglomérations existants et où par suite l'extension de l'urbanisation n'était pas possible, et ce quand bien même la demande de défrichement indiquait qu'elle avait pour objet la construction d'une habitation.
4. Il résulte de ce qui précède que c'est à tort que le tribunal administratif de Bordeaux s'est fondé, pour accueillir les conclusions d'appel en garantie de la commune de Soulac-sur-Mer, sur la circonstance que l'illégalité de cette autorisation de défrichement avait concouru à la faute commise par le maire en délivrant un certificat d'urbanisme puis un permis de construire illégal au regard de l'article L. 121-8 du code de l'urbanisme à la société Vent d'Ouest Vent d'Est.
5. Toutefois, il appartient à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par la commune de Soulac-sur-Mer à l'appui de ses conclusions d'appel en garantie devant le tribunal administratif de Bordeaux.
6. Aux termes de l'article L. 2131-6 du code général des collectivités territoriales : " Le représentant de l'Etat dans le département défère au tribunal administratif les actes mentionnés à l'article L. 2131-2 qu'il estime contraires à la légalité dans les deux mois suivant leur transmission. (...) ". Les carences de l'État dans l'exercice du contrôle de légalité des actes des collectivités territoriales prévu par les dispositions précitées ne sont susceptibles d'engager la responsabilité de l'État que si elles constituent une faute lourde.
7. Il est constant que les trois permis de construire ont été accordés en 2008 et 2010 dans le secteur de la commune dans lequel se situe le terrain en litige, les déclarations préalables autorisant la division en six lots à bâtir de la parcelle dont est issue ce terrain, deux permis de construire accordés en 2013 et 2015 sur deux de ces lots ainsi que les certificats d'urbanisme favorables délivrés sur deux autres de ces lots, dont celui objet du litige, n'ont pas fait l'objet de déférés préfectoraux. Il résulte toutefois de l'instruction que le préfet de la Gironde a attiré l'attention du maire de la commune de Soulac-sur-Mer, par courrier du 13 juin 2016, sur l'écart observé entre le plan local d'urbanisme approuvé en 2007 et le schéma de cohérence territoriale de la Pointe du Médoc approuvé en 2011 s'agissant des dispositions particulières au littoral, sur le risque juridique affectant les autorisations d'urbanisme du fait de cet écart, et lui a rappelé qu'au cours de l'année 2014, ses services lui avaient signalé que des projets, bien que conformes au plan local d'urbanisme, avaient été autorisés en méconnaissance de la loi littoral et du SCOT et que, après le 1er juillet 2015, des demandes de retrait de permis de construire avaient été présentées pour ce motif dans le cadre du contrôle de légalité. En outre, il résulte également de l'instruction qu'à compter du début de l'année 2018, le préfet a demandé au maire de retirer les permis de construire accordés sur les parcelles voisines pour ce même motif, avant de les déférer au tribunal administratif de Bordeaux. Dans ces conditions, ainsi que l'a jugé le tribunal, il ne peut être reproché au préfet de la Gironde d'avoir commis une faute lourde dans l'exercice du contrôle de légalité. La commune ne peut davantage se prévaloir d'un manquement du préfet à son devoir d'information dès lors qu'il résulte de ces éléments qu'elle était alertée depuis 2014 sur l'existence d'un risque juridique du fait de la contradiction existant entre son plan local d'urbanisme et les dispositions du SCOT et de la loi littoral et qu'elle a néanmoins décidé de proroger les autorisations d'urbanisme existantes, avant que n'intervienne la vente de la parcelle litigieuse, et d'en délivrer de nouvelles.
8. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner la régularité du jugement attaqué, que la ministre de la transition écologique est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Bordeaux a condamné l'État à garantir la commune de Soulac-sur-Mer à hauteur de 30% des condamnations prononcées à son encontre.
9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'État, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme que demande la commune de Soulac-sur-Mer au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : L'article 3 du jugement n° 2000010 du 14 octobre 2021 du tribunal administratif de Bordeaux est annulé.
Article 2 : Les conclusions de la commune de Soulac-sur-Mer tendant à la condamnation de l'État à la garantir des condamnations prononcées à son encontre par le jugement du 14 octobre 2021 et celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, à la commune de Soulac-sur-Mer et à la SCI Vent d'Ouest Vent d'Est.
Copie en sera adressée au préfet de la Gironde.
Délibéré après l'audience du 2 novembre 2023, à laquelle siégeaient :
M. Jean-Claude Pauziès, président,
Mme Christelle Brouard-Lucas, présidente-assesseure,
Mme Kolia Gallier, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 23 novembre 2023.
La rapporteure,
Christelle Brouard-LucasLe président,
Jean-Claude Pauziès
La greffière,
Marion Azam Marche
La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N° 21BX04523 2