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21/11/2023 | FRANCE | N°23DA00186

France | France, Cour administrative d'appel, 3ème chambre, 21 novembre 2023, 23DA00186


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... A... a demandé au tribunal administratif d'Amiens, d'une part, d'annuler l'arrêté du 21 décembre 2020 par lequel la ministre de la culture l'a révoqué, d'autre part, d'annuler l'arrêté du 22 décembre 2020 par lequel la ministre de la culture l'a radié des cadres



Par un jugement n° 2100600 du 30 novembre 2022, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté cette demande.



Procédure devant la cour :



Par

une requête et un mémoire, enregistrés les 1er février et 20 juin 2023, dont le dernier n'a pas été communiqué, M. A..., r...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif d'Amiens, d'une part, d'annuler l'arrêté du 21 décembre 2020 par lequel la ministre de la culture l'a révoqué, d'autre part, d'annuler l'arrêté du 22 décembre 2020 par lequel la ministre de la culture l'a radié des cadres

Par un jugement n° 2100600 du 30 novembre 2022, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 1er février et 20 juin 2023, dont le dernier n'a pas été communiqué, M. A..., représenté par Me Schoellkopf, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler les décisions des 21 et 22 décembre 2020 ;

3°) d'enjoindre à la ministre de la culture de le réintégrer dans ses fonctions et de reconstituer sa carrière et ses droits sociaux, dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

5°) de mettre les dépens à charge de l'Etat.

Il soutient que :

- le jugement contesté est irrégulier, dès lors que son mémoire complémentaire n'a pas été communiqué à la ministre ;

- il est entaché d'une insuffisance de motivation, dès lors qu'il n'a pas répondu à ses arguments ; il a en outre écarté trois moyens jugés inopérants sans motivation ;

- la décision du 21 décembre 2020 méconnaît l'article 4 du décret n° 84-961 du 25 octobre 1984 relatif à la procédure disciplinaire concernant les fonctionnaires de l'Etat, dès lors que la séance du conseil de discipline a été reportée une seconde fois à l'initiative de l'administration en méconnaissance de ces dispositions après un premier report obtenu à sa demande ;

- le conseil de discipline a excédé le délai d'un mois imparti par les prescriptions de l'article 9 du décret précité du 25 octobre 1984 pour se prononcer ;

- plus généralement, la décision du 21 décembre 2020 est entachée d'un vice de procédure tiré de la durée excessive de la procédure disciplinaire ;

- les décisions litigieuses sont illégales dès lors que la mesure de suspension prise à son encontre antérieurement a été irrégulièrement prolongée ;

- la demande de congé de longue maladie, préconisée par son médecin traitant et un spécialiste, n'a pas été prise en compte dans le cadre de l'organisation de la procédure disciplinaire ; la décision de révocation ne pouvait légalement prendre effet avant que le comité médical ne se prononce sur sa situation ;

- l'avis du conseil de discipline sur la sanction qui lui a été appliquée est irrégulier dès lors qu'il n'a pu être représenté par les personnes de son choix, en méconnaissance de l'article 19 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ;

- les décisions litigieuses ont été prises sans qu'il ait pu obtenir, au préalable, la communication complète de son dossier et des éléments sur lesquels ces décisions sont fondées, en particulier les procès-verbaux d'audition dressés dans le cadre de l'enquête administrative, en méconnaissance du respect des droits de la défense ;

- l'enquête administrative a été conduite de manière partiale par la directrice des ressources humaines ;

- les faits qui lui sont reprochés sont matériellement inexacts, dès lors notamment que les témoignages qui les établissent ne sont pas signés, qu'ils ne sont pas corroborés par des preuves matérielles, qu'ils sont contredits par les attestations d'autres collègues et qu'il n'est pas démontré que ces accusations, dont certaines sont uniquement rapportées, ne résulteraient pas d'une collusion entre les plaignantes. En outre, l'existence de propos à caractère raciste a été définitivement écarté dans le cadre de l'enquête pénale en cours ;

- la sanction qui lui a été infligée est en tout état de cause disproportionnée au regard des faits qui lui sont reprochés.

Par un mémoire en défense enregistré le 24 avril 2023, la ministre de la culture conclut au rejet de la requête.

Par une ordonnance du 3 mai 2023, la clôture de l'instruction a été fixée en dernier lieu au 20 juin 2023 à 12 heures.

Un mémoire, présenté pour M. A..., a été enregistré le 6 novembre 2023, après la clôture de l'instruction, et non communiqué.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

- le décret n° 84-961 du 25 octobre 1984 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Marie-Pierre Viard, présidente de chambre,

- les conclusions de M. Nil Carpentier-Daubresse, rapporteur public,

- et les observations de Me Schoellkopf pour M. A....

Considérant ce qui suit :

1. M. B... A..., adjoint technique d'accueil, de surveillance et de magasinage du ministère de la culture, est affecté sur le site du centre des monuments nationaux (CMN) de la cathédrale d'Amiens. Il a fait l'objet, par une décision du 20 janvier 2020, d'une suspension de fonctions d'une durée de quatre mois, qui a été prorogée par des décisions des 28 avril et 10 juin 2020, et de poursuites disciplinaires en raison de comportements et de propos déplacés envers des agents de sexe féminin. Par un avis du 16 décembre 2020, le conseil de discipline s'est prononcé en faveur de la sanction de révocation de M. A.... Par des arrêtés des 21 et 22 décembre 2020, la ministre de la culture lui a, d'une part, infligé cette sanction et l'a, d'autre part, radié des cadres. L'intéressé relève appel du jugement du 30 novembre 2022 par lequel le tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces décisions.

Sur la régularité du jugement :

2. En premier lieu, aux termes de l'article R. 611-1 du code de justice administrative : " (...) La requête, le mémoire complémentaire annoncé dans la requête et le premier mémoire de chaque défendeur sont communiqués aux parties avec les pièces jointes dans les conditions prévues aux articles R. 611-3, R. 611-5 et R. 611-6. / Les répliques, autres mémoires et pièces sont communiqués s'ils contiennent des éléments nouveaux. ". Il résulte de ces dispositions, destinées à garantir le caractère contradictoire de l'instruction, que la méconnaissance de l'obligation de communiquer un mémoire ou une pièce contenant des éléments nouveaux est en principe de nature à entacher la procédure d'irrégularité. Il n'en va autrement que dans le cas où il ressort des pièces du dossier que, dans les circonstances de l'espèce, cette méconnaissance n'a pu préjudicier aux droits des parties.

3. Il ressort des pièces du dossier de première instance que M. A... a présenté un mémoire, enregistré au greffe du tribunal le 19 avril 2022, soit avant la clôture de l'instruction qui est intervenue le 29 avril suivant, qui n'a pas été communiqué à la ministre. Toutefois l'absence de communication au ministre des propres écritures de M. A... n'a pas pu préjudicier aux droits de ce dernier au regard du caractère contradictoire de la procédure.

4. En second lieu, aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ". Et en vertu de l'article R. 741-2 du même code, les jugements contiennent l'analyse des conclusions et mémoires ainsi que les visas des dispositions législatives ou réglementaires dont ils font application.

5. Il ressort des énonciations du jugement attaqué que les premiers juges ont répondu, par une motivation qui rappelle tant les textes applicables que les faits de l'espèce, à l'ensemble des conclusions et des moyens opérants qui leur étaient présentés. En particulier, le tribunal, qui n'était pas tenu de répondre à tous les arguments avancés par M. A..., a, respectivement, aux points 4, 6, 7 et 10 du jugement, énoncé les motifs pour lesquels il a écarté les moyens tirés de la méconnaissance des principes d'impartialité et du contradictoire de la procédure disciplinaire, du caractère irrégulier de la procédure du fait de la non-transmission des procès-verbaux d'audition de certaines personnes entendues dans le cadre de l'enquête administrative, de la durée excessive de la procédure disciplinaire et, enfin, du défaut d'examen individuel de sa situation pour le choix du quantum de la sanction. Ils ont, ce faisant, suffisamment motivé leur jugement au regard des exigences posées par les dispositions rappelées au point précédent. Par ailleurs, dans le cadre d'un recours pour excès de pouvoir, le juge administratif n'est pas tenu de répondre aux moyens inopérants articulés à l'encontre de la décision litigieuse. Par suite, le moyen tiré de ce que le jugement attaqué est insuffisamment motivé ne peut être accueilli.

Sur le bien-fondé du jugement :

En ce qui concerne la régularité de la procédure devant le conseil de discipline :

6. En premier lieu, aux termes de l'article 4 du décret du 25 octobre 1984 relatif à la procédure disciplinaire concernant les fonctionnaires de l'Etat : " Le fonctionnaire poursuivi est convoqué par le président du conseil de discipline quinze jours au moins avant la date de réunion, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception. / Ce conseil peut décider, à la majorité des membres présents, de renvoyer à la demande du fonctionnaire ou de son ou de ses défenseurs l'examen de l'affaire à une nouvelle réunion. Un tel report n'est possible qu'une seule fois ". Ces dispositions, qui permettent au fonctionnaire poursuivi d'obtenir une fois le report de la séance du conseil de discipline à laquelle il a été convoqué, n'interdisent nullement à l'autorité qui a déclenché la procédure disciplinaire et qui conduit cette procédure, de modifier la date à laquelle le conseil de discipline est appelé à se réunir. Au demeurant, l'appelant, qui avait préalablement sollicité un premier report, n'établit ni même ne soutient que le renvoi de l'affaire, à le supposer irrégulier, l'aurait privé d'une garantie ou aurait été susceptible d'exercer une influence sur le sens de la décision prise. Par suite, le moyen tiré de ce que cette réunion a été reportée une seconde fois à l'initiative de l'administration en violation des dispositions précitées doit être écarté.

7. En deuxième lieu, aux termes de l'article 9 du décret du 25 octobre 1984 susvisé : " Le conseil de discipline doit se prononcer dans le délai d'un mois à compter du jour où il a été saisi par le rapport de l'autorité ayant pouvoir disciplinaire. Ce délai est porté à deux mois lorsqu'il est procédé à une enquête. Les délais susindiqués sont prolongés d'une durée égale à celle des reports des réunions du conseil intervenus en application du deuxième alinéa de l'article 4 du présent décret ou du deuxième alinéa de l'article 41 du décret n° 82-451 du 28 mai 1982 susvisé. Lorsque le fonctionnaire fait l'objet de poursuites devant un tribunal répressif, le conseil de discipline peut, à la majorité des membres présents, proposer de suspendre la procédure disciplinaire jusqu'à l'intervention de la décision du tribunal. Si, néanmoins, l'autorité investie du pouvoir disciplinaire décide de poursuivre cette procédure, le conseil doit se prononcer dans les délais précités à compter de la notification de cette décision. ".

8. Si, en vertu des dispositions précitées de l'article 9 du décret du 25 octobre 1984, le conseil de discipline doit se prononcer dans le délai d'un mois à compter du jour où il a été saisi par le rapport de l'autorité ayant pouvoir disciplinaire, ce délai n'est pas édicté à peine de nullité des avis émis par le conseil de discipline après son expiration. Par suite, le moyen tiré de ce que le conseil de discipline aurait excédé le délai imparti par les prescriptions citées doit être écarté.

9. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier que les faits au vu desquels la ministre de la culture a décidé la sanction en litige ont été portés à la connaissance de l'administration à l'automne 2019 et que l'intéressé a été suspendu de l'exercice de ses fonctions dès le 20 janvier 2020. Il a ensuite été informé, à l'issue de l'enquête administrative, de l'engagement d'une procédure disciplinaire par courrier du 28 juillet 2020. Il résulte en outre de ce qui a été exposé précédemment que l'administration pouvait légalement reporter la réunion du conseil de discipline, initialement prévue le 25 septembre 2020, au 16 décembre suivant après un premier report obtenu par M. A.... Enfin, la sanction de révocation est intervenue le 21 décembre 2020, soit cinq jours seulement après la réunion du conseil de discipline. Il suit de là que le moyen, à le supposer opérant, tiré de la durée anormalement longue de la procédure disciplinaire, doit en tout état de cause être écarté.

10. En quatrième lieu, si M. A... soutient que la mesure de suspension prise à son encontre a été prolongée au-delà du délai de quatre mois en méconnaissance des dispositions de l'article 30 de la loi du 13 juillet 1983, le plaçant ainsi dans une position non prévue par son statut, ces circonstances sont sans incidence sur la légalité de la révocation en litige, qui constitue un acte distinct de la mesure de suspension, laquelle n'en constitue pas davantage la base légale.

11. En cinquième lieu, la procédure disciplinaire et la procédure de mise en congé de maladie sont des procédures distinctes et indépendantes, et la circonstance qu'un agent soit placé en congé de maladie ne fait pas obstacle à l'exercice de l'action disciplinaire à son égard, ni, le cas échéant, à l'entrée en vigueur d'une décision de sanction. En outre, aucune disposition législative ou règlementaire n'oblige l'administration, en cas de demande de congé longue maladie en cours d'examen, à différer la date de prise d'effet de la sanction disciplinaire dans l'attente de l'avis du conseil médical. Dans ces conditions, la circonstance que la demande de congé de longue maladie de M. A... du 29 octobre 2020, reçue par la direction des ressources humaines du CMN le 12 novembre 2020, était en cours d'examen ne faisait pas obstacle à l'exercice de l'action disciplinaire à son égard ni à l'entrée en vigueur de la décision de sanction. Ce moyen ne peut, dès lors, qu'être écarté.

12. En sixième lieu, aux termes de l'article 19 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " (...) Le fonctionnaire à l'encontre duquel une procédure disciplinaire est engagée a droit à la communication de l'intégralité de son dossier individuel et de tous les documents annexes et à l'assistance de défenseurs de son choix. L'administration doit informer le fonctionnaire de son droit à communication du dossier (...) ". Aux termes de l'article 3 du décret du 25 octobre 1984 relatif à la procédure disciplinaire concernant les fonctionnaires de l'Etat : " Le fonctionnaire poursuivi peut présenter devant le Conseil de discipline des observations écrites ou orales, citer des témoins et se faire assister par un ou plusieurs défenseurs de son choix. Le droit de citer des témoins appartient également à l'administration. (...) ". Si M. A... indique avoir formulé oralement une demande de représentation auprès d'un délégué syndical qui aurait finalement refusé de l'assister en raison de représailles qu'il aurait pu subir de la part de l'administration, il n'établit pas le bien-fondé de cette allégation. En tout état de cause, comme l'ont relevé les premiers juges, il a pu être assisté lors du conseil de discipline par le défenseur de son choix, en l'occurrence un autre agent également affecté au centre des monuments nationaux qu'il a désigné par courriel du 15 décembre 2020. Par suite, le moyen tiré du caractère irrégulier de l'avis du conseil de discipline doit être écarté.

13. En septième lieu, aux termes de l'article 65 de la loi du 22 avril 1905 : " Tous les fonctionnaires civils et militaires, tous les employés et ouvriers de toutes administrations publiques ont droit à la communication personnelle et confidentielle de toutes les notes, feuilles signalétiques et tous autres documents composant leur dossier, soit avant d'être l'objet d'une mesure disciplinaire ou d'un déplacement d'office, soit avant d'être retardés dans leur avancement à l'ancienneté ". Aux termes de l'article 1er du décret du 25 octobre 1984 visé ci-dessus : " L'administration doit dans le cas où une procédure disciplinaire est engagée à l'encontre d'un fonctionnaire informer l'intéressé qu'il a le droit d'obtenir la communication intégrale de son dossier individuel et de tous les documents annexes et la possibilité de se faire assister par un ou plusieurs défenseurs de son choix. Les pièces du dossier et les documents annexes doivent être numérotés. ".

14. En vertu de ces dispositions, un agent public faisant l'objet d'une mesure prise en considération de sa personne, qu'elle soit ou non justifiée par l'intérêt du service, doit être mis à même de demander la communication de son dossier, en étant averti en temps utile de l'intention de l'autorité administrative de prendre la mesure en cause.

15. Par ailleurs, lorsqu'une enquête administrative a été diligentée sur le comportement d'un agent public ou porte sur des faits qui, s'ils sont établis, sont susceptibles de recevoir une qualification disciplinaire ou de justifier que soit prise une mesure en considération de la personne d'un tel agent, le rapport établi à l'issue de cette enquête, y compris lorsqu'elle a été confiée à des corps d'inspection, ainsi que, lorsqu'ils existent, les procès-verbaux des auditions des personnes entendues sur le comportement de l'agent faisant l'objet de l'enquête font partie des pièces dont ce dernier doit recevoir communication en application de l'article 19 de la loi du 13 juillet 1983, sauf si la communication de ces procès-verbaux serait de nature à porter gravement préjudice aux personnes qui ont témoigné.

16. M. A... soutient que la procédure disciplinaire a méconnu les garanties qu'il tient des textes précités dès lors que les décisions litigieuses ont été prises sans qu'il ait pu obtenir au préalable la communication complète de son dossier et des éléments sur lesquels ces décisions sont fondées, en particulier les témoignages de certaines personnes auditionnées dans le cadre de l'enquête administrative. Il ressort des pièces du dossier que la décision d'engager une procédure disciplinaire à l'encontre de M. A... a été prise au vu, notamment, d'un rapport de l'autorité ayant le pouvoir disciplinaire auquel était annexé le témoignage du 5 juin 2020 de la directrice des ressources humaines du CMN, ainsi que les témoignages nominatifs de trois jeunes agents, précédemment affectées à la cathédrale d'Amiens en qualité de stagiaires ou de vacataires, recueillis au cours du mois de novembre 2019 dans le cadre de l'enquête administrative diligentée par le CMN. M. A... a été informé, par un courrier du 28 juillet 2020, remis en main propre le 30 juillet suivant et auquel étaient annexés ces documents, de la possibilité de consulter son dossier administratif. S'il ressort du témoignage de la directrice des ressources humaines que l'enquête administrative a consisté, outre la rédaction de comptes-rendus d'entretiens, en l'audition d'autres femmes ayant travaillé de près ou de loin avec M. A... et de la mère d'une ancienne stagiaire, il ne ressort pas des pièces du dossier que ces auditions auraient donné lieu à l'établissement de procès-verbaux d'audition dès lors que, selon les termes mêmes de ce document, aucune n'a souhaité produire d'attestations écrites. En outre, il ne ressort pas de pièces du dossier que M. A..., qui a été régulièrement informé de la possibilité d'accéder à son dossier, n'aurait pu contester utilement les faits qui lui ont été reprochés dans le cadre de la procédure disciplinaire contrairement à ce qu'il prétend. De même, s'il est constant que la plupart des collègues de M. A... affectés sur le site du CMN de la cathédrale d'Amiens, dont son épouse dont il est aujourd'hui séparé, ont été auditionnés par la directrice des ressources humaines dans le cadre de l'enquête administrative, il ne ressort pas des pièces du dossier que ces auditions auraient, elles aussi, donné lieu à la rédaction de procès-verbaux. Au surplus, M. A..., qui avait la faculté de produire des témoignages utiles à sa défense, en a d'ailleurs produit au cours de la procédure disciplinaire comme le révèle le procès-verbal de la réunion du 16 décembre 2020. Dans ces conditions, et alors que M. A... a été mis à même de présenter ses observations sur les faits qui lui étaient reprochés, le moyen tiré du non-respect des droits de la défense doit être écarté.

17. En dernier lieu, les conditions dans lesquelles une enquête administrative est diligentée au sujet de faits susceptibles de donner ultérieurement lieu à l'engagement d'une procédure disciplinaire sont, par elles-mêmes, sans incidence sur la régularité de cette procédure. Au demeurant, il ne ressort d'aucune des pièces du dossier, non plus que des témoignages transmis par M. A... à l'appui de sa requête, que l'enquête aurait été diligentée à charge par la directrice des ressources humaines du CMN. Par suite, le moyen tiré de ce que l'enquête administrative aurait été conduite de manière partiale, à le supposer soulevé, doit être écarté.

En ce qui concerne la légalité interne de la décision de sanction :

18. Aux termes de l'article 6 bis de la loi du 13 juillet 1983, alors en vigueur : " (...) Aucun fonctionnaire ne doit subir d'agissement sexiste, défini comme tout agissement lié au sexe d'une personne, ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant. (...) ". Aux termes de l'article 25 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, alors applicable : " Le fonctionnaire exerce ses fonctions avec dignité, impartialité, intégrité et probité. (...) ".

19. Il résulte de cette disposition que des propos, ou des comportements à connotation sexuelle, répétés ou même, lorsqu'ils atteignent un certain degré de gravité, non répétés, tenus dans le cadre ou à l'occasion du service, non désirés par celui ou celle qui en est le destinataire et ayant pour objet ou pour effet soit de porter atteinte à sa dignité, soit, notamment lorsqu'ils sont le fait d'un supérieur hiérarchique ou d'une personne qu'elle pense susceptible d'avoir une influence sur ses conditions de travail ou le déroulement de sa carrière, de créer à l'encontre de la victime, une situation intimidante, hostile ou offensante sont constitutifs de harcèlement sexuel et, comme tels, passibles d'une sanction disciplinaire.

20. Par ailleurs, il incombe à l'autorité investie du pouvoir disciplinaire d'apporter la preuve qui lui incombe de l'exactitude matérielle des griefs sur le fondement desquels elle inflige une sanction à un agent public. Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes.

21. Pour prononcer, à l'encontre de M. A..., la sanction de révocation, la ministre de la culture s'est fondée sur les motifs tirés de ce que le requérant avait, dans l'exercice de ses fonctions, d'une part, adopté un comportement inapproprié et tenu des propos à connotation sexuelle à l'égard de plusieurs collègues de sexe féminin, faits susceptibles de relever du harcèlement sexuel, et, d'autre part, tenu des propos racistes. M. A... conteste la matérialité des faits qui lui sont reprochés et soutient que la ministre a également commis une erreur de qualification juridique de ces faits en prononçant la sanction de révocation, laquelle présente un caractère disproportionné au regard de ses états de service exempts d'antécédents disciplinaires.

22. D'une part, il ressort des pièces du dossier qu'à la suite d'un signalement du technicien des services encadrant l'équipe d'accueil survenu à l'autonome 2019 rapportant le témoignage d'une jeune femme vacataire, l'administrateur des tours de la cathédrale d'Amiens, a alerté la direction des ressources humaines du CMN sur des faits supposés de harcèlement sexuel. A cet égard, il ressort des témoignages nominatifs de trois agents féminins, dont deux étaient placés sous la responsabilité de son épouse, responsable de la boutique, que M. A... a, de manière répétée, tenu des propos à connotation sexuelle et a adopté des gestes déplacés à leur égard durant la période 2017-2019. Il résulte en effet de ces témoignages précis, cohérents et circonstanciés contrairement aux allégations du requérant, que l'intéressé a tenu des propos et des commentaires sur leur physique ou leur tenue vestimentaire, consistant notamment en des compliments inadaptés, et s'est montré de plus en plus insistant et entreprenant avec elles, en les contactant notamment en dehors des heures de travail ou en se livrant régulièrement à des confidences sur sa vie intime et sexuelle. Il ressort également de ces témoignages un comportement de l'intéressé emportant des contacts physiques non consentis notamment lorsque, commentant le maquillage d'une collègue, il " lui donne une bise sur la joue, qu'il tente de dévier vers la bouche ". Ces faits relèvent de comportements à connotation sexuelle, répétés, intervenant dans le cadre et en dehors du service, non désirés par celles qui en ont été les destinataires et ont eu pour effet de porter atteinte à leur dignité. Ces collègues soulignent d'ailleurs qu'en raison de ce comportement, elles ont dû soit changer leurs habitudes vestimentaires, soit mettre en œuvre des stratégies d'évitement afin de ne pas travailler avec M. A..., créant ainsi un réel sentiment de malaise et de peur au travail. En outre, deux des plaignantes relèvent également qu'après avoir pris leurs distances avec M. A..., son comportement à leur égard avait évolué, prenant alors la forme de propos calomnieux afin de les discréditer auprès de sa hiérarchie ou de menaces sur leurs emplois. L'une d'entre elles, dont les déclarations ont été constantes durant toute la procédure, notamment sur les contacts physiques non consentis, a d'ailleurs déposé plainte le 11 août 2021 dans le cadre de l'enquête préliminaire diligentée à la suite du signalement effectué le 18 février 2020 par le président du CMN en application de l'article 40 du code de procédure pénale. Ses divers témoignages sont également corroborés par celui établi le 5 juin 2020 par la directrice des ressources humaines du CMN qui indique avoir recueilli, au cours du 1er trimestre 2020, les confidences de la mère d'une stagiaire de 3e et d'autres femmes ayant travaillé avec M. A... relatant des faits similaires. La circonstance que ces déclarations orales, qui font état de faits suffisamment concordants au regard des trois principaux témoignages versés au dossier, ont été rapportées sous couvert de l'anonymat à la demande des personnes concernées en raison des craintes de représailles exprimées ou par peur de blesser l'épouse de M. A... et que les nombreux messages transmis par l'intéressé n'ont pas été produits par l'administration ne permet pas de remettre en cause la réalité des faits reprochés. De même, la valeur probante des trois témoignages nominatifs ne saurait être sérieusement contestée au motif qu'ils n'ont pas été signés par leurs auteures, dès lors qu'il ressort des pièces du dossier et n'est pas contesté qu'ils émanent effectivement d'agents parfaitement identifiés, qui travaillaient sur le même site que M. A....

23. Si M. A... produit de son côté plusieurs témoignages de collègues ou de personnes l'ayant fréquenté pour des raisons professionnelles, dont certains établis par des agents féminins, indiquant qu'ils n'ont pas été témoins de comportements déplacés ou visant à décrédibiliser les propos des principales plaignantes, ceux-ci ne sont pas de nature à remettre en cause la sincérité des témoignages rapportés et à établir que les jeunes femmes concernées auraient inventé les faits dénoncés par solidarité avec un autre agent ou, au contraire, que ces agissements auraient été admis par ces dernières. En outre, M. A..., qui a formellement contesté les faits reprochés lors de la réunion de la CAP, a toutefois reconnu avoir eu une attitude inconvenante, n'ayant pas " su fixer de limites entre les aspects personnels et professionnels ". Par ailleurs, s'il n'est pas contesté par l'administration qu'il ne pouvait modifier les emplois du temps sur le logiciel afin de nuire ou de favoriser une vacataire sans l'accord de sa hiérarchie, ces faits n'ont finalement pas été retenus parmi les motifs de la décision de sanction. Enfin, si l'intention délibérée de M. A... de mettre la main dans le décolleté de sa collègue sous prétexte de chasser un insecte ne peut être regardée comme étant clairement établie eu égard à l'attestation de la caissière-vendeuse présente lors des faits, il résulte de l'instruction que la ministre aurait en tout état de cause pris la même décision au regard des faits précédemment exposés.

24. D'autre part, les accusations exprimées en des termes particulièrement circonstanciés par l'une des plaignantes font état des propos racistes tenus par le requérant tant à son égard, à travers notamment des plaisanteries douteuses sur sa couleur de peau, lesquelles sont confirmées par un second témoignage, qu'à l'égard de visiteurs de la cathédrale ou de passants. Ainsi, et à supposer même qu'aucune poursuite pénale n'ait finalement été engagée à son encontre pour ces faits, ils peuvent être tenus pour établis.

25. Au vu des pièces du dossier, l'ensemble des agissements reprochés à l'intéressé, dont la réalité n'est pas sérieusement contestable compte tenu des témoignages concordants, clairs et précis les dénonçant, sont constitutifs d'une faute de nature à justifier une sanction.

26. Aux termes de l'article 66 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'État : " Les sanctions disciplinaires sont réparties en quatre groupes. / (...) Quatrième groupe : / (...) la révocation. (...) ".

27. Les faits, qui sont établis par l'administration selon ce qui a été dit précédemment, ont eu notamment pour effet de porter atteinte à la dignité de plusieurs jeunes femmes placées dans une situation de vulnérabilité professionnelle du fait de leur jeune âge, de leur arrivée récente dans le service et de leur statut de stagiaire ou de vacataire et sur lesquelles M. A... avait, au surplus, un ascendant du fait de son ancienneté au sein du service et de sa qualité d'agent titulaire. Eu égard à leur gravité, à leur récurrence et aux conséquences qu'ils ont eu pour ces agents, la sanction de révocation prononcée à l'encontre du requérant par la ministre de la culture, après avis favorable de la commission administrative paritaire siégeant en formation disciplinaire à 6 voix pour, 0 contre et 2 abstentions, ne peut être regardée comme disproportionnée, quand bien même l'intéressé ne présente pas d'antécédents disciplinaires et peut se prévaloir de ses compétences professionnelles reconnues. Par suite, le moyen tiré de l'erreur d'appréciation dans le choix de la sanction doit être écarté.

28. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande aux fins d'annulation des décisions des 21 et 22 décembre 2020. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction ainsi que celles présentées au titre des articles R. 761-1 et L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et à la ministre de la culture.

Délibéré après l'audience publique du 7 novembre 2023 à laquelle siégeaient :

- Mme Marie-Pierre Viard, présidente de chambre,

- M. Jean-Marc Guérin-Lebacq, président-assesseur,

- M. Frédéric Malfoy, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 novembre 2023.

Le président-assesseur,

Signé : J.-M. Guérin-Lebacq

La présidente de chambre,

présidente-rapporteure,

Signé : M.-P. Viard

La greffière,

Signé : N. Roméro

La République mande et ordonne à la ministre de la culture en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme

La greffière,

N. Roméro

N° 23DA00186 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23DA00186
Date de la décision : 21/11/2023
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme Viard
Rapporteur ?: Mme Marie-Pierre Viard
Rapporteur public ?: M. Carpentier-Daubresse
Avocat(s) : SCHOELLKOPF

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-11-21;23da00186 ?
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