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07/11/2023 | FRANCE | N°22NC02954

France | France, Cour administrative d'appel, 4ème chambre, 07 novembre 2023, 22NC02954


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 14 septembre 2021 par lequel le préfet de la Moselle a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays à destination duquel il pourra être renvoyé et lui a interdit de retourner sur le territoire français pour une durée d'une année.



Par un jugement n° 2107784 du 31 décembre 202

1, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.





Procédure devant la cour :



...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 14 septembre 2021 par lequel le préfet de la Moselle a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays à destination duquel il pourra être renvoyé et lui a interdit de retourner sur le territoire français pour une durée d'une année.

Par un jugement n° 2107784 du 31 décembre 2021, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 24 novembre 2022, M. A..., représenté par Me Elsaesser, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 31 décembre 2021 ;

2°) par jugement avant-dire droit d'enjoindre au préfet de la Moselle la communication de l'entier dossier médical de M. A... ;

3°) d'annuler, pour excès de pouvoir, l'arrêté du 14 septembre 2021 pris à son encontre par le préfet de la Moselle ;

4°) d'enjoindre au préfet de la Moselle de lui délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 100 euros par jour de retard ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation administrative dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et de lui délivrer pendant cet examen une autorisation provisoire de séjour, sous la même astreinte ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Elsaesser, avocat de M. A..., de la somme de 2 000 euros au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- il sollicite, par un jugement avant-dire droit, que le préfet de la Moselle se rapproche de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) afin d'obtenir la communication de l'intégralité des pièces constituant son dossier médical ;

- il y a une rupture d'égalité des armes dans le débat contradictoire puisque le préfet a accès à des informations médicales auxquelles lui-même n'a pas accès et qui ne lui ont pas été communiquées ; la cour n'est pas en capacité d'analyser la légalité de l'arrêté préfectoral en litige ; en cas de confirmation de la légalité de l'arrêté préfectoral, le principe d'égalité des armes sera méconnu par la juridiction de céans ;

s'agissant de la décision de refus de titre de séjour :

- en ne prenant pas en compte de pièces médicales postérieures à la décision contestée, le tribunal administratif a commis une erreur de droit ;

- en méconnaissance des dispositions de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet a commis une erreur dans l'appréciation de la disponibilité du traitement de sa pathologie et de l'effectivité des soins dans son pays d'origine ;

- le préfet a entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation en ne régularisant pas sa situation à titre exceptionnel ;

s'agissant de l'obligation de quitter le territoire français :

- la décision est illégale en raison de l'illégalité du refus de séjour ;

s'agissant de la décision fixant le pays de destination :

- la décision est illégale en raison de l'illégalité du refus de séjour ;

- la décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation des conséquences sur sa situation personnelle ;

s'agissant de la décision d'interdiction de retour sur le territoire français :

- la décision est illégale en raison de l'illégalité du refus de séjour ;

- le préfet n'a pas procédé à un examen de sa situation ;

- le préfet a commis une erreur dans l'appréciation des circonstances humanitaires en prononçant à son encontre une décision d'interdiction de retour ;

Par un mémoire en défense, enregistré le 13 décembre 2022, le préfet de la Moselle conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 18 octobre 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Denizot, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., ressortissant kosovar, né le 20 février 1965, est entré en France le 7 janvier 2018 en vue de solliciter la reconnaissance du statut de réfugié. Sa demande d'asile a été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) le 20 août 2018, puis par la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) le 20 janvier 2019. Le 27 février 2019, M. A... a fait l'objet d'une décision d'éloignement. Le 22 mai 2019, M. A... a sollicité son admission au séjour pour des raisons de santé. Des récépissés de demande de titres de séjour ont régulièrement été délivrés à l'intéressé et renouvelés jusqu'au 8 février 2021. Le 14 janvier 2021, M. A... a de nouveau sollicité son admission au séjour pour des raisons de santé. Par arrêté du 14 septembre 2021, le préfet de la Moselle lui a refusé la délivrance du titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de 30 jours et a fixé le Kosovo comme pays de renvoi. M. A... relève appel du jugement du 31 décembre 2021 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur la demande de sursis à statuer :

2. Si le demandeur entend contester le sens de l'avis rendu par le collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII), il appartient à lui seul de lever le secret relatif aux informations médicales qui le concernent, afin de permettre au juge de se prononcer en prenant en considération l'ensemble des éléments pertinents, notamment l'entier dossier du rapport médical au vu duquel s'est prononcé le collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration en sollicitant le cas échéant sa communication, ainsi que les éléments versés par le demandeur au débat contradictoire. Par suite, dans la mesure où l'avis du collège des médecins de l'OFII et plusieurs pièces médicales produites par la requérante figurent au dossier, il n'y a en tout état de cause pas lieu de surseoir à statuer dans l'attente de la communication de l'entier dossier médical par l'OFII.

Sur la légalité de l'arrêté contesté :

3. Aux termes de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger, résidant habituellement en France, dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qui, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable. / La décision de délivrer cette carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. / (...) Si le collège de médecins estime dans son avis que les conditions précitées sont réunies, l'autorité administrative ne peut refuser la délivrance du titre de séjour que par une décision spécialement motivée. (...) ".

4. La partie qui justifie d'un avis du médecin de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) venant au soutien de ses dires doit être regardée comme apportant des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence ou l'absence d'un état de santé de nature à justifier la délivrance ou le refus d'un titre de séjour. Dans ce cas, il appartient à l'autre partie, dans le respect des règles relatives au secret médical, de produire tous éléments permettant d'apprécier l'état de santé de l'étranger et, le cas échéant, l'existence ou l'absence d'un traitement approprié dans le pays de renvoi. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si l'état de santé d'un étranger justifie la délivrance d'un titre de séjour dans les conditions ci-dessus rappelées, se détermine au vu de ces échanges contradictoires. En cas de doute, il lui appartient de compléter ces échanges en ordonnant toute mesure d'instruction utile.

5. Pour déterminer si un étranger peut bénéficier effectivement dans le pays dont il est originaire d'un traitement médical approprié, au sens de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, il convient de s'assurer, eu égard à la pathologie de l'intéressé, de l'existence d'un traitement approprié et de sa disponibilité dans des conditions permettant d'y avoir accès, et non de rechercher si les soins dans le pays d'origine sont équivalents à ceux offerts en France ou en Europe.

6. Il ressort des pièces du dossier que, pour refuser de délivrer un titre de séjour à M. A... en raison de son état de santé, le préfet de la Moselle s'est fondé sur l'avis du 24 mars 2021 du collège de médecins du service médical de l'OFII qui a estimé que l'état de santé de M. A... nécessitait une prise en charge médicale dont le défaut peut entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qu'il pouvait bénéficier d'un traitement approprié dans son pays d'origine.

7. En l'espèce, M. A... souffre d'un déficit moteur grave de l'hémicorps droit et d'un syndrome dépressif majeur. Il ressort des différentes pièces versées au dossier, et notamment de certificats médicaux en date du 7 janvier 2021, du 12 mars 2021, du 13 août 2021, du 23 septembre 2021, du 8 octobre 2021 et d'ordonnances en date du 5 août 2021 et du 8 décembre 2021 qu'il fait l'objet d'un suivi neurologique, d'un traitement kinésithérapeutique et d'un traitement médicamenteux à base de Propranolol, de Bactofene, de Pantaprozole, de Paroxitine, de Prégabaline et de Paracétamol. Le requérant produit également un certificat du ministère de la santé du Kosovo, du 15 novembre 2021, attestant de la pénurie de certains médicaments, et notamment du Baclofène, de la Prégabaline et du Propranolol. Par sa nature et les termes de sa rédaction, une telle attestation révèle, ainsi que le souligne le requérant, l'existence d'un état de pénurie de ces médicaments à la date de la décision contestée et est de nature à remettre en cause la présomption qui s'attache à l'avis rendu par le collège des médecins de l'OFII. A cet égard, ni dans ses écritures ni dans les pièces versées au dossier, le préfet de la Moselle ne justifie qu'il existerait, pour M. A..., un traitement de substitution dans son pays d'origine ou que les principes actifs des médicaments cités dans l'attestation existeraient au Kosovo sous une autre appellation commerciale. Dès lors, en l'absence de contestation de cette attestation, le préfet de la Moselle a fait une inexacte application des dispositions précitées de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, en refusant de délivrer un titre de séjour à M. A....

8. Par voie de conséquence, M. A... est également fondé à soutenir que les décisions portant obligation de quitter le territoire français, fixant le pays de renvoi et lui interdisant de retourner sur le territoire français pour une durée d'une année sont illégales en raison de l'illégalité de la décision refusant de lui délivrer un titre de séjour.

9. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.

Sur l'injonction et l'astreinte :

10. Aux termes de l'article L. 614-16 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Si la décision portant obligation de quitter le territoire français est annulée (...) l'étranger est muni d'une autorisation provisoire de séjour jusqu'à ce que l'autorité administrative ait à nouveau statué sur son cas ".

11. L'annulation de la décision portant obligation de quitter le territoire implique que

M. A... soit immédiatement muni d'une autorisation provisoire de séjour en application de l'article L. 614-16 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Le présent arrêt, n'implique cependant pas, eu égard au motif d'annulation retenu, que le préfet de la Moselle prenne une nouvelle décision dans un sens déterminé. Par suite, les conclusions de M. A... tendant à ce que lui soit délivré un titre de séjour doivent être rejetées. Il y a seulement lieu d'enjoindre au préfet de la Moselle de réexaminer la situation administrative de M. A... et de prendre une nouvelle décision tenant compte des motifs du présent arrêt dans un délai de deux mois. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés à l'instance :

12. M. A... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du

10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Elsaesser, avocat de M. A..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Elsaesser de la somme de 1 000 euros.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 2107784 du 31 décembre 2021 du tribunal administratif de Strasbourg et l'arrêté du 14 septembre 2021 du préfet de la Moselle sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Moselle, d'une part, de délivrer immédiatement à M. A... une autorisation provisoire de séjour sur le fondement de l'article L. 614-16 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, d'autre part, de réexaminer la situation administrative de M. A... et de prendre une nouvelle décision dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera à Me Elsaesser une somme de 1 000 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Elsaesser renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., à Me Elsaesser et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée au préfet de la Moselle.

Délibéré après l'audience du 10 octobre 2023, à laquelle siégeaient :

- Mme Samson-Dye, présidente,

- Mme Roussaux, première conseillère,

- M. Denizot, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 novembre 2023.

Le rapporteur,

A. DenizotLa présidente,

A. Samson-Dye

La greffière,

N. Basso

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

N. Basso

2

N° 22NC02954


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22NC02954
Date de la décision : 07/11/2023
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme SAMSON-DYE
Rapporteur ?: M. Arthur DENIZOT
Rapporteur public ?: M. MICHEL
Avocat(s) : ELSAESSER

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-11-07;22nc02954 ?
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