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26/10/2023 | FRANCE | N°23PA00513

France | France, Cour administrative d'appel, 3ème chambre, 26 octobre 2023, 23PA00513


Vu la procédure suivante :



La Confédération des syndicats indépendants de Polynésie (CSIP) et Mme C... ont demandé au Tribunal administratif de Polynésie française d'annuler la décision du 25 mars 2022 par laquelle l'inspectrice du travail de la direction du travail de la Polynésie française a autorisé le licenciement de Mme C... pour motif disciplinaire et d'ordonner la réintégration immédiate de Mme C... sur le poste qu'elle occupait avant sa mise à pied.



Par un jugement n° 2200182 du 6 décembre 2022, le Tribunal administratif de

la Polynésie française a rejeté leur demande.



Procédure devant la Cour :



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Vu la procédure suivante :

La Confédération des syndicats indépendants de Polynésie (CSIP) et Mme C... ont demandé au Tribunal administratif de Polynésie française d'annuler la décision du 25 mars 2022 par laquelle l'inspectrice du travail de la direction du travail de la Polynésie française a autorisé le licenciement de Mme C... pour motif disciplinaire et d'ordonner la réintégration immédiate de Mme C... sur le poste qu'elle occupait avant sa mise à pied.

Par un jugement n° 2200182 du 6 décembre 2022, le Tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté leur demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 6 février 2023, la CSIP et Mme C..., représentées par Me Usang, demandent à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2200182 du 6 décembre 2022 du Tribunal administratif de Polynésie française ;

2°) d'annuler la décision du 25 mars 2022 par laquelle l'inspectrice du travail de la direction du travail de la Polynésie française a autorisé le licenciement de Mme C... pour motif disciplinaire ;

3°) d'enjoindre à la société d'étude et de gestion commerciale Carrefour Arue de réintégrer Mme C... sur le poste qu'elle occupait avant sa mise à pied ;

4°) de mettre la somme de 4 000 euros à la charge de la société d'étude et de gestion commerciale Carrefour Arue sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que :

- la lettre de convocation du 31 décembre 2021 à un entretien en vue d'un licenciement pour faute lourde ne mentionnait pas l'ensemble des faits reprochés en méconnaissance de l'annexe V à la convention collective du commerce ;

- le délai de 19 jours séparant la décision de mise à pied à titre conservatoire et l'entretien préalable en vue d'un licenciement pour motif disciplinaire révèle le véritable caractère de sanction de la mise à pied à titre conservatoire et, partant, la violation du principe non bis in idem ;

- le délai de 27 jours entre la mise à pied à titre conservatoire et la demande d'autorisation de licenciement à l'inspectrice du travail et de 8 jours entre l'entretien préalable en vue d'un licenciement pour motif disciplinaire et la demande d'autorisation de licenciement adressée à l'inspectrice du travail sont excessifs et entachent la régularité de la procédure ;

- la direction de Carrefour Arue ne pouvait pas commander un audit interne des risques psycho-sociaux auprès de la société Fenua Prev sans en avertir le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) alors que cette même société Fenua Prev a été retenue au cours d'une réunion du CHSCT pour assurer la formation des deux référents risques psycho-sociaux au sein de l'hypermarché Carrefour Arue ;

- la procédure est viciée car l'inspectrice du travail a participé à la réunion du CHSCT du 9 novembre 2021 au cours de laquelle des signalements de certains membres du personnel du Carrefour Arue ont été portés à la connaissance de la société Fenua Prev ;

- Mme C... n'a pas été informée, préalablement à son déroulement, de l'enquête de la société Fenua Prév mise en place par la direction de Carrefour Arue, le rapport d'audit de la société Fenua Prev ne lui a été transmis que 4 jours avant son entretien, l'audit n'est ni exhaustif ni impartial ;

- le licenciement disciplinaire prononcé contre Mme C... constitue un licenciement déguisé en lien direct avec son mandat de déléguée syndicale représentant la CSIP.

Par un mémoire en défense, enregistré le 18 avril 2023, la société d'étude et de gestion commerciale Carrefour Arue, représentée par Me Piriou, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 4 000 euros soit mise à la charge conjointe et solidaire de la CSIP et de

Mme C... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés par les requérantes ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 17 juin 2023, la Polynésie française, représentée par Me Brotherson, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la CSIP et de Mme C... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés par les requérantes ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 ;

- le code du travail de la Polynésie française ;

- la convention collective du commerce ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A...,

- et les conclusions de Mme Dégardin, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme C... était salariée depuis le 1er octobre 1991 de la société exploitant l'hypermarché Carrefour situé sur le territoire de la commune d'Arue (Polynésie française). Elle occupait le poste de chef ses rayons " fromagerie/charcuterie " et " traiteur/restauration " depuis 2005 et avait été désignée comme déléguée syndicale en 2015. En novembre 2021, la direction de la société Carrefour a commandé un audit des risques psycho-sociaux (RPS) à la société Fenua Prev. Au vu des premières constatations de l'audit de cette société, la société Carrefour a convoqué, le 31 décembre 2011, Mme C... à un entretien de licenciement pour motif disciplinaire et a décidé, le même jour, de la mettre à pied à titre conservatoire. Le

24 janvier 2022, la société Carrefour d'Arue a demandé l'autorisation de l'inspectrice du travail pour licencier Mme C... pour faute grave. Par décision du 25 mars 2022, l'inspectrice du travail de la direction du travail de la Polynésie française a autorisé la société Carrefour à licencier Mme C.... La Confédération des syndicats indépendants de Polynésie française et Mme C... ont demandé au Tribunal administratif de Polynésie française d'annuler cette décision et d'enjoindre à la société Carrefour d'Arue de réintégrer Mme C... sur son poste de travail. Par un jugement du 6 décembre 2022, dont la confédération des syndicats indépendants de Polynésie et Mme C... demandent l'annulation, le Tribunal administratif de Polynésie française a rejeté leur demande.

Sur les conclusions aux fins d'annulation :

2. Aux termes, d'une part, des articles LP. 1222-4 et LP. 1222-5 du code du travail de la Polynésie française en vigueur à la date de la décision attaquée : " L'employeur qui envisage de licencier un salarié le convoque, avant toute décision, à un entretien préalable. " et " La convocation est effectuée par lettre recommandée avec avis de réception ou par lettre remise en main propre contre décharge ou devant témoin./ Cette lettre de convocation indique à l'intéressé que son licenciement est envisagé et la nature personnelle ou économique de celui-ci, ainsi que la date, l'heure et le lieu de l'entretien./ Elle précise qu'il peut se faire assister, lors de l'entretien préalable, par une personne de son choix appartenant au personnel de l'entreprise, ou, avec l'accord de l'employeur, par une personne extérieure à l'entreprise. ". Aux termes d'autre part, des stipulations de l'annexe V à l'avenant n° 2 du 25 novembre 1983 à la convention collective du commerce, est adressée au salarié " une lettre annonçant à l'employé que l'employeur envisage de le licencier, précisant le ou les motifs du licenciement ... ".

3. D'une part, il incombe à l'inspecteur du travail, saisi d'une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé, d'apprécier, sous le contrôle du juge administratif, si les règles de procédure tant légales que conventionnelles, préalables à sa saisine, ont été observées (Conseil d'Etat, 21 mai 2008, n° 304394).

4. D'autre part, il résulte des dispositions et stipulations citées plus haut que l'employeur qui envisage de licencier un salarié pour un motif de nature personnelle, notamment disciplinaire, a l'obligation d'adresser à ce dernier un courrier de convocation à un entretien préalable précisant l'ensemble des reproches ou griefs imputés au salarié.

5. En l'espèce, il ressort de la lettre datée 31 décembre 2021 de convocation à un entretien préalable adressée à Mme C... que la société Carrefour Arue a entendu engager une procédure de licenciement à l'encontre de l'intéressée à raison des propos injurieux, menaçants et/ou dégradants tenus par cette dernière à l'encontre de ses subordonnés, participant à la dégradation du climat social au sein des rayons de l'hypermarché dont elle assure la direction ainsi que des pressions qu'elle a exercées à l'encontre de ses salariés pour les décourager de signaler les pressions qu'ils subissent, et de son comportement vindicatif à l'égard tant de la direction de l'hypermarché que de ses collègues de travail faisant redouter des représailles de sa part à leur encontre.

6. Il ressort toutefois de l'autorisation de licenciement attaquée que l'inspectrice du travail a également retenu les griefs tirés du fait que Mme C... " reconnaît demander à ses salariés de faire ses courses personnelles pendant leur temps de travail et les oblige à signer des comptes rendus de briefings alors même qu'ils étaient absents lors des briefings ", le fait que les salariés ne bénéficient pas du même traitement quant à la planification de leurs horaires et que 8 salariés sur 17 n'ont jamais été concernés par la rotation soir/matin, et le fait qu'elle donne des consignes contradictoires aux salariés et parfois contraires aux consignes de la direction. Or en l'absence de mention de ces griefs dans sa convocation à un entretien de licenciement disciplinaire, Mme C... n'a pas bénéficié de la possibilité de présenter des arguments de défense à la mesure de licenciement envisagée et a donc été privée d'une garantie telle qu'elle était prévue par la règle de procédure conventionnelle précitée. Par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens soulevés par la requérante, ce vice de procédure est de nature à justifier à lui-seul l'annulation de l'autorisation de licenciement attaquée.

7. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que la requérante est fondée à soutenir que c'est à tort que le Tribunal administratif de Polynésie française a rejeté sa demande d'annulation du jugement du 6 décembre 2022 du Tribunal administratif de Polynésie française et de la décision d'autorisation de licenciement du 25 mars 2022.

Sur les conclusions aux fins d'injonction :

8. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution ".

9. Si l'annulation par la juridiction administrative de la décision administrative d'autorisation de licenciement a pour conséquence, en vertu d'une jurisprudence constante de la Cour de cassation, d'ouvrir à celui-ci le droit de solliciter sa réintégration dans l'entreprise, le prononcé d'une injonction à l'encontre d'une personne privée n'est pas au nombre des pouvoirs que la juridiction administrative tient des dispositions de l'article L. 911-1 du code de justice administrative. Les conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint à société d'étude et de gestion commerciale Carrefour Arue, de réintégrer Mme C... sur son poste de travail ne sauraient, dès lors, être accueillies.

Sur les frais de justice :

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de Mme C... et de la CSIP, qui ne sont pas les parties perdantes dans la présente instance, les sommes que la société d'étude et de gestion commerciale Carrefour Arue et la Polynésie française demandent au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge solidaire de la société d'étude et de gestion commerciale Carrefour Arue et de la Polynésie française une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par Mme C... et la CSIP, prise solidairement.

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement du 6 décembre 2022 du Tribunal administratif de Polynésie française et la décision d'autorisation de licenciement du 25 mars 2022 sont annulées.

Article 2 : La société d'étude et de gestion commerciale Carrefour Arue et la Polynésie française verseront une somme globale de 1 500 euros à Mme C... et à la CSIP.

Article 3 : Les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative par la société d'étude et de gestion commerciale Carrefour Arue et la Polynésie française sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la CSIP, à Mme B... C..., à la Société d'Etude et de Gestion Commerciale Carrefour Arue et à la Polynésie française.

Délibéré après l'audience du 12 septembre 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Ivan Luben, président de chambre,

- Mme Marie-Isabelle Labetoulle, première conseillère,

- Mme Isabelle Marion, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 26 octobre 2023.

La rapporteure,

I. A...Le président,

I. LUBEN

La greffière,

N. Dahmani

La République mande et ordonne au haut-commissaire de la République en Polynésie française, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 23PA00513


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23PA00513
Date de la décision : 26/10/2023
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LUBEN
Rapporteur ?: Mme Isabelle MARION
Rapporteur public ?: Mme DÉGARDIN
Avocat(s) : SEP USANG CERAN-JERUSALEMY

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-10-26;23pa00513 ?
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