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19/10/2023 | FRANCE | N°21LY03187

France | France, Cour administrative d'appel, 2ème chambre, 19 octobre 2023, 21LY03187


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure



M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner l'Etat à lui verser une indemnité de 100 000 euros en réparation des préjudices qu'il soutient avoir subis à raison de la violation par l'administration fiscale du secret fiscal et du secret de l'instruction.



Par un jugement n° 1806230 du 17 septembre 2021, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.



Procédure devant la cour



Par une requ

ête et des mémoires complémentaires enregistrés le 1er octobre 2021 et les 14 juin et 11 août 2022, M. A... B..., repré...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner l'Etat à lui verser une indemnité de 100 000 euros en réparation des préjudices qu'il soutient avoir subis à raison de la violation par l'administration fiscale du secret fiscal et du secret de l'instruction.

Par un jugement n° 1806230 du 17 septembre 2021, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour

Par une requête et des mémoires complémentaires enregistrés le 1er octobre 2021 et les 14 juin et 11 août 2022, M. A... B..., représenté par Me Tournoud demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser une indemnité de 100 000 euros en réparation des préjudices qu'il soutient avoir subis à raison de la violation par l'administration fiscale du secret fiscal et du secret de l'instruction ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 400 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- l'administration a commis une faute de nature à engager sa responsabilité en portant à sa connaissance, par l'intermédiaire de la proposition de rectification adressée au foyer fiscal, des informations relatives à la nature de l'activité professionnelle de son épouse couvertes par le secret professionnel, d'une part, et par le secret de l'instruction, d'autre part ;

- l'administration a méconnu les dispositions de l'article L. 54 du livre des procédures fiscales en procédant de la sorte ;

- la dénonciation d'activités imputées à son épouse qu'il ignorait est à l'origine de troubles dans les conditions d'existence et d'une souffrance morale qu'il y a lieu de réparer.

Par des mémoires, enregistrés les 9 mai et 1er aout 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens invoqués ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 13 mars 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 28 mars 2023.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée ;

- le code de procédure pénale ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Laval, premier conseiller,

- les conclusions de Mme Lesieux, rapporteure publique,

- et les observations de Me Tournoud, représentant M. B... ;

Une note en délibéré, présentée pour M. B..., a été enregistrée le 29 septembre 2023.

Considérant ce qui suit :

1. Mme B... a fait l'objet, à partir de novembre 2016, d'un examen contradictoire de situation fiscale personnelle portant sur les années 2013 à 2015 après que l'administration fiscale a été informée, le 29 avril 2016, par le tribunal de grande instance de Chambéry, sur le fondement de l'article L. 101 du livre des procédures fiscales, de l'ouverture à son encontre d'une procédure pour abus de faiblesse sur personne vulnérable. Le vérificateur a considéré, au vu des pièces de la procédure pénale auxquelles il a eu accès, le 22 juin 2016 et le 18 mai 2017, que Mme B... avait exercé de manière habituelle une activité d'escort au cours de la période vérifiée. Faisant application du délai spécial de reprise prévu à l'article L. 188 C du livre des procédures fiscales, le service a également procédé à un contrôle sur pièces des déclarations de revenus souscrites par M. et Mme B... au titre des années 2007 à 2012. A l'issue de ces contrôles, l'administration a notifié à Mme B... une proposition de rectification du 30 novembre 2017 portant évaluation d'office de ses bénéfices non commerciaux des années 2007 à 2015 et à M. et Mme B... une proposition de rectification, datée du même jour, portant rattachement des revenus non commerciaux de Mme B... au revenu global du foyer fiscal des années 2007 à 2012. M. et Mme B... ont ainsi été assujettis, au titre des années 2007 à 2012 et au titre des années 2013 à 2015 à des compléments d'impôt sur le revenu assortis de pénalités mis en recouvrement, respectivement, le 31 juillet 2019 et le 30 avril 2019. M. B... relève appel du jugement du 17 septembre 2021 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande indemnitaire tendant à la réparation du préjudice qu'il prétend avoir subi à raison de la violation par l'administration fiscale du secret professionnel, d'une part, et du secret de l'instruction, d'autre part.

2. Une faute commise par l'administration lors de l'exécution d'opérations se rattachant aux procédures d'établissement et de recouvrement de l'impôt est de nature à engager la responsabilité de l'Etat à l'égard du contribuable ou de toute autre personne si elle leur a directement causé un préjudice. Un tel préjudice, qui ne saurait résulter du seul paiement de l'impôt, peut être constitué des conséquences matérielles des décisions prises par l'administration et, le cas échéant, des divers troubles dans ses conditions d'existence dont le contribuable justifie.

3. M. B... soutient que le vérificateur a commis une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat en portant à sa connaissance, par l'intermédiaire de la proposition de rectification adressée au foyer fiscal, des informations relatives à la nature de l'activité professionnelle de son épouse couvertes par le secret professionnel et le secret de l'instruction.

4. Aux termes, d'une part, de l'article L. 103 du livre des procédures fiscales : " L'obligation du secret professionnel, telle qu'elle est définie aux articles 226-13 et 226-14 du code pénal, s'applique à toutes les personnes appelées à l'occasion de leurs fonctions ou attributions à intervenir dans l'assiette, le contrôle, le recouvrement ou le contentieux des impôts, droits, taxes et redevances prévus au code général des impôts. / Le secret s'étend à toutes les informations recueillies à l'occasion de ces opérations. Pour les informations recueillies à l'occasion d'un examen contradictoire de la situation fiscale personnelle, l'obligation du secret professionnel nécessaire au respect de la vie privée s'impose au vérificateur à l'égard de toutes personnes autres que celles ayant, par leurs fonctions, à connaître du dossier. ". Aux termes, d'autre part, de l'article 11 du code de procédure pénale : " Sauf dans le cas où la loi en dispose autrement et sans préjudice des droits de la défense, la procédure au cours de l'enquête et de l'instruction est secrète (...). Toute personne qui concourt à cette procédure est tenue au secret professionnel dans les conditions et sous les peines des articles 226-13 et 226-14 du code pénal (...) ". L'article 226-13 du code pénal auquel renvoient les dispositions précitées dispose que : " La révélation d'une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d'une fonction ou d'une mission temporaire, est punie d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende ". L'article 226-14 de ce code dispose enfin que : " l'article 226-13 n'est pas applicable dans les cas où la loi impose ou autorise la révélation du secret " et dans des situations particulières que ces dispositions énumèrent.

5. En premier lieu, aux termes de l'article L. 54 A du livre des procédures fiscales : " Sous réserve des dispositions des articles L. 9 et L. 54, chacun des époux a qualité pour suivre les procédures relatives à l'impôt dû à raison de l'ensemble des revenus du foyer. Les déclarations, les réponses, les actes de procédure faits par l'un des conjoints ou notifiés à l'un d'eux sont opposables de plein droit à l'autre ".

6. Si la communication à un tiers d'informations recueillies à l'occasion d'opérations de contrôle fiscal, en violation du secret professionnel auquel sont soumis les agents de l'administration fiscale dans l'exercice de leurs fonctions, constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat, il résulte de l'article L. 54 A précité du livre des procédures fiscales que les personnes mariées soumises à une imposition commune sur les revenus perçus par chacune d'entre elles, en application du 1 de l'article 6 du code général des impôts, ne peuvent être regardées comme des tiers l'une envers l'autre, pour les actes de la procédure d'établissement d'impositions établies au nom des époux.

7. Il résulte de l'instruction que M. et Mme B..., qui étaient mariés au cours des années 2007 à 2015, étaient soumis, pour l'imposition des revenus de ces années, à une imposition commune conformément aux déclarations qu'ils ont souscrites et que les compléments d'impôt sur le revenu auxquels ils ont été assujettis à raison de l'imposition de l'activité occulte de Mme B... ont été établis au nom des époux. Eu égard à ce qui a été dit au point 6, le vérificateur n'a pas méconnu l'obligation de secret professionnel à laquelle il est tenu en vertu de l'article L. 103 du livre des procédures fiscales en reproduisant, dans la proposition de rectification adressée à M. et Mme B... portant rattachement au foyer fiscal du revenu non commercial de Mme B..., des extraits de la proposition de rectification adressée à l'intéressée pour l'imposition de ses revenus propres comportant des informations recueillies à l'occasion des opérations de contrôle de son activité professionnelle.

8. En deuxième lieu, les dispositions de l'article 11 précité du code de procédure pénale, qui posent le principe du secret de l'instruction, ne créent, au cas où l'administration fiscale exerce son droit de communication et prend ainsi connaissance d'informations recueillies dans le cadre d'une procédure d'instruction, aucune obligation dans le chef des agents de l'administration fiscale, lesquels ne concourent pas à la procédure pénale, qui viendrait s'ajouter à celles qui résultent des dispositions précitées de l'article L. 103 du livre des procédures fiscales. Il en résulte que le secret de l'instruction ne saurait avoir été méconnu du fait de la transmission de ces informations à M. B....

9. En troisième lieu, contrairement à ce que soutient M. B..., l'article L. 54 du livre des procédures fiscales, selon lequel la procédure d'imposition des revenus propres de chacun des époux doit être suivie avec son titulaire et produit directement des effets pour la détermination du revenu global du foyer auquel il appartient, ne fait pas obstacle à ce que l'administration, pourvu qu'elle se conforme à l'obligation de notifier la proposition de rectification au titulaire des revenus propres, reprenne, dans la proposition de rectification portant rattachement des revenus propres au foyer fiscal, des éléments issus du contrôle de l'activité professionnelle du titulaire des revenus propres. Il s'ensuit que la procédure d'imposition suivie pour imposer le foyer fiscal n'est, en tout état de cause, pas entachée d'irrégularité.

10. En quatrième lieu, enfin, si M. B... invoque la violation des droits de la défense et le respect de la vie privé de son épouse, il ne donne aucune précision sur la nature des fautes qui auraient été commises à ce titre.

11. Il résulte de ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande indemnitaire. Par voie de conséquence, ses conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de M. B... tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Délibéré après l'audience du 28 septembre 2023, à laquelle siégeaient :

M. Pruvost président de chambre,

Mme Courbon, présidente-assesseure,

M. Laval, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 19 octobre 2023.

Le rapporteur,

J.-S. Laval

Le président,

D. Pruvost

La greffière,

N. Lecouey

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

2

N° 21LY03187


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de LYON
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 21LY03187
Date de la décision : 19/10/2023
Type de recours : Fiscal

Analyses

60-02-02-01 (1) La communication à un tiers d'informations recueillies à l'occasion d'opérations de contrôle fiscal, en violation du secret professionnel auquel sont soumis les agents de l'administration fiscale dans l'exercice de leurs fonctions en vertu de l'article L. 103 du livre des procédures fiscales constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat. Il résulte toutefois des dispositions de l'article L. 54 A du livre des procédures fiscales, selon lesquelles « chacun des époux a qualité pour suivre les procédures relatives à l'impôt dû à raison de l'ensemble des revenus du foyer » et « Les déclarations, les réponses, les actes de procédure faits par l'un des conjoints ou notifiés à l'un d'eux sont opposables de plein droit à l'autre » que les personnes mariées soumises à une imposition commune sur les revenus perçus par chacune d'entre elles, en application du 1 de l'article 6 du code général des impôts, ne peuvent être regardées comme des tiers l'une envers l'autre pour les actes de la procédure d'établissement d'impositions établies au nom des époux. Les dispositions de l'article L. 54 du livre des procédures fiscales, selon lesquelles la procédure d'imposition des revenus propres de chacun des époux doit être suivie avec son titulaire et produit directement des effets pour la détermination du revenu global du foyer auquel il appartient, ne fait pas obstacle à ce que l'administration, pourvu qu'elle se conforme à l'obligation de notifier la proposition de rectification au titulaire des revenus propres, reprenne, dans la proposition de rectification portant rattachement des revenus propres au foyer fiscal, des éléments issus du contrôle de l'activité professionnelle du titulaire des revenus propres. Ne méconnaît pas l'obligation du secret professionnel et ne commet donc pas de faute l'agent qui reproduit, dans la proposition de rectification adressée aux personnes soumises à imposition commune portant rattachement au foyer fiscal du revenu non commercial de l'une d'entre elles, des extraits de la proposition de rectification adressée à l'autre pour l'imposition de ses revenus propres comportant des informations recueillies à l'occasion des opérations de contrôle de son activité professionnelle.......(2) Les dispositions de l'article 11 du code de procédure pénale, qui posent le principe du secret de l'instruction, ne créent, au cas où l'administration fiscale exerce son droit de communication et prend ainsi connaissance d'informations recueillies dans le cadre d'une procédure d'instruction, aucune obligation dans le chef des agents de l'administration fiscale, lesquels ne concourent pas à la procédure pénale, qui viendrait s'ajouter à celles qui résultent des dispositions précitées de l'article L. 103 du livre des procédures fiscales.


Composition du Tribunal
Président : M. PRUVOST
Rapporteur ?: M. Jean-Simon LAVAL
Rapporteur public ?: Mme LESIEUX
Avocat(s) : ARBOR TOURNOUD PIGNIER WOLF

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-10-19;21ly03187 ?
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