Vu la procédure suivante :
Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler l'arrêté du 25 octobre 2021 par lequel le préfet du Nord a mis en demeure les occupants sans droit ni titre installés avec leurs véhicules et habitations mobiles sur un terrain situé au droit de l'avenue de l'Harmonie et d'un terrain contigu à Sainghin-en-Mélantois (Nord) de quitter ce site dans un délai de vingt-quatre heures. Par un jugement n° 2108414 du 28 octobre 2021, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif a rejeté sa demande.
Par une ordonnance n° 22DA00425 du 29 mars 2023, le président de la première chambre de la cour administrative d'appel de Douai a rejeté l'appel formé par Mme A... contre ce jugement.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 23 août et 23 novembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme A... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cette ordonnance ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 400 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale des droits de l'enfant ;
- la loi n° 2000-614 du 5 juillet 2000 ;
- le décret n° 2019-1478 du 26 décembre 2019 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Coralie Albumazard, maîtresse des requêtes,
- les conclusions de M. Maxime Boutron, rapporteur public.
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Sevaux, Mathonnet, avocat de Mme A... et de l'association Avocats pour la défense des étrangers.
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par un arrêté du 25 octobre 2021, le préfet du Nord, faisant application de la loi du 5 juillet 2000 relative à l'accueil et à l'habitat des gens du voyage, a mis en demeure les occupants sans droit ni titre installés avec leurs véhicules et habitations mobiles sur la voirie au droit de l'avenue de l'Harmonie et d'un terrain contigu à Sainghin-en-Mélantois (Nord), de quitter les lieux dans un délai de 24 heures. Mme B... A..., qui figurait parmi ces occupants, se pourvoit en cassation contre l'ordonnance du 29 mars 2023 par laquelle le président de la première chambre de la cour administrative d'appel de Douai a rejeté l'appel qu'elle a formé contre le jugement du tribunal administratif de Lille du 28 octobre 2021 ayant rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur l'intervention de l'association Avocats pour la défense des droits des étrangers (ADDE) :
2. L'association Avocats pour la défense des droits des étrangers (ADDE), qui a notamment pour objet social de soutenir et d'assister toute personne qui s'engage pour la défense des droits des étrangers et de soutenir l'action des étrangers en vue de la reconnaissance et du respect de leurs droits, justifie d'un intérêt suffisant à l'annulation de l'ordonnance attaquée. Ainsi, son intervention est recevable.
Sur la régularité de l'ordonnance attaquée :
3. Aux termes du dernier alinéa de l'article R. 222-1 du code de justice administrative : " Les présidents des cours administratives d'appel, (...) et les présidents des formations de jugement des cours (...) peuvent, en outre, par ordonnance, rejeter (...), après l'expiration du délai de recours ou, lorsqu'un mémoire complémentaire a été annoncé, après la production de ce mémoire les requêtes d'appel manifestement dépourvues de fondement. (...) ". L'article R. 742-2 du même code dispose : " Les ordonnances mentionnent le nom des parties, l'analyse des conclusions ainsi que les visas des dispositions législatives ou réglementaires dont elles font application. (...) ". Il résulte de ces dernières dispositions qu'elles n'ont pas pour effet d'imposer au juge statuant par ordonnance d'analyser ou de mentionner dans les visas de son ordonnance les moyens développés par les parties à l'appui de leurs conclusions, auxquels il doit toutefois être répondu, en tant que de besoin, dans les motifs de l'ordonnance.
4. Pour demander l'annulation du jugement du tribunal administratif de Lille, Mme A... soutenait notamment que la décision attaquée méconnaissait le premier paragraphe de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant du 26 janvier 1990. La cour administrative d'appel ne s'est pas prononcée sur ce moyen, qui n'était pas inopérant. Par suite, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, Mme A... est fondée à demander l'annulation de l'ordonnance qu'elle attaque.
5. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond par application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.
Sur le règlement du litige au fond :
6. La loi du 5 juillet 2000 relative à l'accueil et à l'habitat des gens du voyage impose aux communes ou, le cas échéant, aux établissements publics de coopération intercommunale auxquels cette compétence a été transférée, de participer, selon les modalités qu'elle définit, " à l'accueil des personnes dites gens du voyage et dont l'habitat traditionnel est constitué de résidences mobiles installées sur des aires d'accueil ou des terrains prévus à cet effet ". Elle met notamment à leur charge l'obligation de réaliser et d'assurer la gestion d'aires permanentes d'accueil, de terrains familiaux locatifs ou d'aires de grand passage, ou, le cas échéant, de contribuer à leur financement, conformément aux prévisions définies par le schéma départemental d'accueil des gens du voyage qui leur est applicable. Son article 9 prévoit que, dès lors qu'une commune a satisfait, soit directement, soit par l'intermédiaire de l'établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre auquel elle a transféré sa compétence en la matière, aux obligations qui lui incombent en application du schéma départemental, d'une part, son maire peut interdire, sur l'ensemble de son territoire, le stationnement des résidences mobiles appartenant à des gens du voyage en dehors des aires d'accueil aménagées à cet effet et, d'autre part, en cas de méconnaissance d'une telle interdiction, et dans la mesure où il est porté atteinte à la salubrité, la sécurité ou la tranquillité publiques, le préfet du département peut mettre en demeure les personnes concernées de quitter les lieux et faire procéder en tant que de besoin à leur évacuation forcée. Aux termes de l'article 9-1 de la même loi, cette procédure de mise en demeure et d'évacuation peut également être mise en œuvre dans les communes non inscrites au schéma départemental et non mentionnées à l'article 9, à la demande du maire, du propriétaire ou du titulaire du droit d'usage du terrain, en vue de mettre fin au stationnement non autorisé de résidences mobiles de nature à porter atteinte à la salubrité, la sécurité ou la tranquillité publiques.
7. Entrent dans le champ d'application de la loi du 5 juillet 2000 les personnes dites " gens du voyage ", quelle que soit leur origine, dont l'habitat est constitué de résidences mobiles et qui ont choisi un mode de vie itinérant.
8. Pour l'appréciation du caractère mobile de la résidence, l'article 1er du décret du 26 décembre 2019, relatif aux aires permanentes d'accueil et aux terrains familiaux locatifs destinés aux gens du voyage et pris pour l'application de l'article 149 de la loi du 27 janvier 2017 relative à l'égalité et la citoyenneté, définit les résidences mobiles comme " des véhicules terrestres habitables qui conservent des moyens de mobilité et que le code de la route n'interdit pas de faire circuler ". Le préfet peut ainsi, dans les communes visées par les dispositions de la loi du 5 juillet 2000 et en cas d'atteinte à la salubrité, à la sécurité ou la tranquillité publiques, mettre en œuvre la procédure d'évacuation forcée prévue par le II de l'article 9 ou par l'article 9-1 de cette loi à l'égard de personnes dont il est constaté que les résidences qu'elles occupent sont effectivement mobiles, qu'elles disposent de véhicules propres à les déplacer et que leur installation ne traduit pas de sédentarisation, notamment du fait de l'adjonction de constructions, de telle sorte que ces personnes soient effectivement en mesure de quitter les lieux avec leurs effets personnels et par leurs propres moyens.
9. S'agissant du choix du mode de vie, il appartient aux intéressés qui, revendiquant un mode de vie sédentaire, invoquent un établissement local de nature à faire obstacle à ce que l'évacuation puisse, en dépit d'une apparente mobilité, être ordonnée sur le fondement de la loi du 5 juillet 2000, de justifier de la pérennité de leur établissement depuis une durée significative, notamment par des éléments relatifs aux activités qu'ils exercent, à la scolarisation, le cas échéant, de leurs enfants et aux liens de toute nature susceptibles de les attacher au territoire dans lequel ils déclarent être fixés de façon sédentaire.
10. Il ressort des pièces du dossier, notamment du rapport de gendarmerie établi le 19 octobre 2021, et il n'est, du reste, pas contesté, que Mme A... occupait avec d'autres personnes, depuis la veille, un terrain situé au droit de l'avenue de l'Harmonie et d'un terrain contigu à Sainghin-en-Mélantois, à l'aide de caravanes et de véhicules dont le caractère roulant a ainsi été constaté. Si la requérante soutient qu'elle appartient à la communauté rom, qu'elle n'a pas choisi de vivre de façon itinérante et qu'elle résidait jusqu'alors dans un habitat fixe, la seule note d'information d'une association qu'elle produit ne saurait suffire à établir la pérennité de son établissement sur le territoire de l'agglomération lilloise et, en particulier, la réalité du domicile qu'elle aurait eu sur ce territoire. Par suite, le préfet du Nord a pu légalement appliquer aux occupants sans droit ni titre de ce terrain, dont Mme A..., les dispositions de l'article 9 de la loi du 5 juillet 2000, sans qu'y fasse obstacle la circonstance qu'ils sont de nationalité roumaine et membres de la " communauté rom ".
11. En deuxième lieu, il résulte de ce qui a été dit au point 7 que le préfet ne peut faire usage des pouvoirs de mise en demeure et d'évacuation forcée que lui reconnaissent les articles 9 et 9-1 de la loi du 5 juillet 2000 que dans la mesure où le stationnement des résidences mobiles en dehors des aires d'accueil aménagées à cet effet porte atteinte à la salubrité, la sécurité ou la tranquillité publiques.
12. Il ressort du rapport de gendarmerie mentionné au point 10 que le terrain occupé ne comportait pas d'accès à l'eau ou à l'électricité et, au surplus, que son occupation provoquait des nuisances pour les entreprises riveraines, la clôture d'un terrain contigu ayant notamment été dégradée. Par suite, le préfet a pu légalement estimer qu'une atteinte à la salubrité, à la sécurité et à la tranquillité publiques justifiait la mise en œuvre des pouvoirs que lui reconnaît l'article 9 de la loi du 5 juillet 2000.
13. En dernier lieu, le moyen tiré de la méconnaissance du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant du 26 janvier 1990, qui n'est pas assorti des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé, ne peut qu'être écarté.
14. Il résulte de ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à demander l'annulation du jugement du tribunal administratif de Lille du 28 octobre 2021 qu'elle attaque. Sa requête d'appel doit, par suite, être rejetée, y compris les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative
15. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées, à ce titre, par Mme A... dans l'instance de cassation.
D E C I D E :
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Article 1er : L'intervention de l'association Avocats pour la défense des droits des étrangers (ADDE) est admise.
Article 2 : L'ordonnance du président de la première chambre de la cour administrative d'appel de Douai du 29 mars 2023 est annulée.
Article 3 : La requête présentée par Mme A... devant la cour administrative d'appel de Douai est rejetée ainsi que le surplus des conclusions de son pourvoi.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à Mme B... A..., au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur ainsi qu'à l'association Avocats pour la défense des droits des étrangers.
Délibéré à l'issue de la séance du 7 juillet 2025 où siégeaient : M. Alain Seban, assesseur, présidant ; Mme Laurence Helmlinger, conseillère d'Etat et Mme Coralie Albumazard, maîtresse des requêtes-rapporteure.
Rendu le 19 août 2025.
Le président :
Signé : M. Alain Seban
La rapporteure :
Signé : Mme Coralie Albumazard
Le secrétaire :
Signé : M. Bernard Longieras