Vu la procédure suivante :
Par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 18 mars et 28 mai 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme A... B... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 3 mars 2025 par laquelle le ministre d'Etat, garde des sceaux, ministre de la justice a refusé de l'autoriser à participer aux épreuves du concours professionnel pour le recrutement de magistrats du second grade de la hiérarchie judiciaire en vue de la session 2025 ;
2°) d'enjoindre au ministre d'Etat, garde des sceaux, ministre de la justice de l'autoriser à participer à ce concours ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule ;
- l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 ;
- la loi organique n° 2023-1058 du 20 novembre 2023 ;
- le décret n° 72-355 du 4 mai 1972 ;
- le décret n° 2024-772 du 7 juillet 2024 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Nathalie Destais, conseillère d'Etat,
- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, Rameix, avocat de Mme B... ;
Considérant ce qui suit :
1. La loi organique du 20 novembre 2023 relative à l'ouverture, à la modernisation et à la responsabilité du corps judiciaire a réformé les voies d'accès à ce corps en créant, à compter du 1er octobre 2024, un concours professionnel pour le recrutement de magistrats aux second et premier grades de la hiérarchie judiciaire, qui se substitue, à la fois, à l'intégration directe par recrutement sur titres et au concours dit complémentaire, prévus respectivement aux anciens articles 22 et 23 et à l'ancien article 21-1 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature. Aux termes de l'article 22 de cette ordonnance, dans sa rédaction issue de la loi organique du 20 novembre 2023 : " Un concours professionnel est ouvert pour le recrutement de magistrats des second et premier grades de la hiérarchie judiciaire. / Les candidats au concours professionnel doivent remplir les conditions prévues à l'article 16. / Les conditions prévues au deuxième alinéa du présent article et aux articles 23 et 24 sont remplies au plus tard à la date de la première épreuve du concours. (...) ". L'article 23 de cette ordonnance, dans la rédaction issue de cette loi organique, précise que ce concours professionnel est ouvert, notamment, aux personnes qui, outre la condition de diplôme prévue au 1° de l'article 17, justifient, pour le recrutement au second grade du corps judiciaire, d'au moins sept années " d'exercice professionnel dans le domaine juridique, administratif, économique ou social les qualifiant particulièrement pour exercer des fonctions judiciaires ". Enfin, les articles 25-1, 25-2 et 25-3 de cette même ordonnance prévoient que les lauréats du concours professionnel suivent, en qualité de stagiaires, une formation probatoire organisée par l'Ecole nationale de la magistrature comportant un stage en juridiction, à l'issue de laquelle un jury se prononce sur l'aptitude des stagiaires à exercer les fonctions judiciaires, ceux qui ont été déclarés aptes suivant ensuite une formation complémentaire jusqu'à leur nomination. Aux termes de l'article 39-3 du décret du 4 mai 1972 relatif à l'Ecole nationale de la magistrature, modifié par le décret du 7 juillet 2024 tirant les conséquences de la réforme des voies d'accès à la magistrature issue de la loi organique du 20 novembre 2023, les épreuves de ce concours comprennent une épreuve d'admissibilité consistant en une note de synthèse et une épreuve d'admission consistant en un entretien avec le jury. L'article 40 de ce décret fixe la durée de formation en qualité de stagiaire auprès de l'Ecole nationale de la magistrature à douze mois.
2. Il résulte de ces dispositions que la participation aux épreuves du concours professionnel, qui participe de l'ouverture du corps judiciaire, est subordonnée, pour le recrutement au second grade de ce corps, à la condition que, outre les diplômes requis, les intéressés justifient de sept années au moins d'exercice professionnel dans le domaine juridique, administratif, économique ou social les qualifiant particulièrement pour exercer, à l'issue d'une formation de douze mois, des fonctions judiciaires. Si l'administration dispose d'un pouvoir d'appréciation pour évaluer si l'expérience professionnelle d'un candidat le qualifie particulièrement pour exercer des fonctions judiciaires, cette condition implique nécessairement, compte tenu de la nature des épreuves du concours et de la durée de formation des lauréats, que soient strictement appréciées, outre la qualification juridique des intéressés, leur aptitude à juger, afin de garantir la qualité des décisions rendues, l'égalité devant la justice et le bon fonctionnement du service public de la justice. Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi d'un moyen en ce sens, d'apprécier si le garde des sceaux, ministre de la justice a pu légalement refuser l'admission à concourir d'un candidat au motif du caractère non particulièrement qualifiant de son expérience professionnelle.
3. Il ressort des pièces du dossier que, par une décision du 3 mars 2025, le ministre d'Etat, garde des sceaux, ministre de la justice a refusé d'autoriser Mme B... à participer aux épreuves de la session 2025 du concours professionnel ouvert pour le recrutement des magistrats du second grade de la hiérarchie judiciaire, au motif qu'elle ne justifiait pas remplir la condition d'exercice professionnel dans le domaine juridique, administratif, économique ou social la qualifiant particulièrement pour exercer des fonctions judiciaires. Mme B... demande l'annulation pour excès de pouvoir de cette décision.
4. En premier lieu, la décision attaquée, qui vise les dispositions applicables au concours en cause ainsi que le dossier de candidature de l'intéressée, énonce les considérations de droit et de fait sur lesquelles elle se fonde.
5. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que Mme B... fait valoir qu'elle a exercé, pour une durée totale de sept années et un mois, successivement et pour des durées parfois de quelques mois, les fonctions d'assistante en gestion des ressources humaines dans une société de transport, de chargée de mission au tribunal des affaires de sécurité sociale, de juriste au sein d'une fédération départementale des syndicats d'exploitants agricoles, d'assistante juridique dans un cabinet d'avocats, de conseillère en droit social dans un cabinet de conseil et d'expertise comptable, et enfin de technicienne des affaires juridiques et du contentieux pour un régime de garantie des salaires. Si une partie de cette expérience comporte une dimension juridique, il ne ressort pas des pièces du dossier, eu égard à la teneur et au positionnement hiérarchique de ces fonctions, qu'elles puissent être regardées comme particulièrement qualifiantes pour l'exercice des fonctions judiciaires. Dès lors, c'est sans erreur de droit et sans erreur d'appréciation que le ministre d'Etat, garde des sceaux, ministre de la justice a retenu que l'intéressée ne satisfaisait pas à la condition d'exercice professionnel dans le domaine juridique, administratif, économique ou social la qualifiant particulièrement pour exercer des fonctions judiciaires, et lui a refusé, pour ce motif, l'autorisation de concourir.
6. En troisième lieu, la requérante ne peut utilement se prévaloir, à l'encontre de la décision en litige, du profil des candidats admis à participer, au cours des années précédentes, à d'autres voies de recrutement de la magistrature. Par suite, le moyen tiré d'une méconnaissance du principe d'égalité entre candidats ne peut qu'être écarté.
7. Il résulte de ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à demander l'annulation de la décision du ministre d'Etat, garde des sceaux, ministre de la justice lui ayant refusé l'admission à concourir pour le recrutement des magistrats du second grade de la hiérarchie judiciaire. Ses conclusions à fin d'injonction et au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, en conséquence, qu'être rejetées.
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à Mme A... B... et au ministre d'Etat, garde des sceaux, ministre de la justice.
Délibéré à l'issue de la séance du 3 juillet 2025 où siégeaient : Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre, présidant ; M. Christophe Pourreau, conseiller d'Etat et Mme Nathalie Destais, conseillère d'Etat-rapporteure.
Rendu le 4 août 2025.
La présidente :
Signé : Mme Isabelle de Silva
La rapporteure :
Signé : Mme Nathalie Destais
La secrétaire :
Signé : Mme Angélique Rajaonarivelo