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04/08/2025 | FRANCE | N°502472

France | France, Conseil d'État, 6ème chambre, 04 août 2025, 502472


Vu la procédure suivante :



Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 17 mars, 15 et 22 juin 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme A... B... demande au Conseil d'Etat :



1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 3 mars 2025 par laquelle le ministre d'Etat, garde des sceaux, ministre de la justice a refusé de l'autoriser à participer aux épreuves du concours professionnel ouvert pour le recrutement des magistrats du second grade de la hiérarchi

e judiciaire pour la session 2025 ;



2°) d'enjoindre au ministre d'Eta...

Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 17 mars, 15 et 22 juin 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme A... B... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 3 mars 2025 par laquelle le ministre d'Etat, garde des sceaux, ministre de la justice a refusé de l'autoriser à participer aux épreuves du concours professionnel ouvert pour le recrutement des magistrats du second grade de la hiérarchie judiciaire pour la session 2025 ;

2°) d'enjoindre au ministre d'Etat, garde des sceaux, ministre de la justice de l'autoriser à participer à ce concours ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa candidature dans les meilleurs délais.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 ;

- la loi organique n° 2023-1058 du 20 novembre 2023 ;

- le décret n° 72-355 du 4 mai 1972 ;

- le décret n° 2024-772 du 7 juillet 2024 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Nathalie Destais, conseillère d'Etat,

- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, Rameix, avocat de Mme B... ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 15 juillet 2025, présentée pour Mme B... ;

Considérant ce qui suit :

Sur le cadre juridique du litige :

1. La loi organique du 20 novembre 2023 relative à l'ouverture, à la modernisation et à la responsabilité du corps judiciaire a réformé les voies d'accès à ce corps en créant, à compter du 1er octobre 2024, un concours professionnel pour le recrutement de magistrats aux second et premier grades de la hiérarchie judiciaire, qui se substitue, à la fois, à l'intégration directe par recrutement sur titres et au concours dit complémentaire, prévus respectivement aux anciens articles 22 et 23 et à l'ancien article 21-1 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature. Aux termes de l'article 22 de cette ordonnance, dans sa rédaction issue de la loi organique du 20 novembre 2023 : " Un concours professionnel est ouvert pour le recrutement de magistrats des second et premier grades de la hiérarchie judiciaire. / Les candidats au concours professionnel doivent remplir les conditions prévues à l'article 16. / Les conditions prévues au deuxième alinéa du présent article et aux articles 23 et 24 sont remplies au plus tard à la date de la première épreuve du concours. (...) ". L'article 23 de cette ordonnance, dans la rédaction issue de cette loi organique, précise que ce concours professionnel est ouvert, notamment, aux personnes qui, outre la condition de diplôme prévue au 1° de l'article 17, justifient, pour le recrutement au second grade du corps judiciaire, d'au moins sept années " d'exercice professionnel dans le domaine juridique, administratif, économique ou social les qualifiant particulièrement pour exercer des fonctions judiciaires ". Enfin, les articles 25-1, 25-2 et 25-3 de cette même ordonnance prévoient que les lauréats du concours professionnel suivent, en qualité de stagiaires, une formation probatoire organisée par l'Ecole nationale de la magistrature comportant un stage en juridiction, à l'issue de laquelle un jury se prononce sur l'aptitude des stagiaires à exercer les fonctions judiciaires, ceux qui ont été déclarés aptes suivant ensuite une formation complémentaire jusqu'à leur nomination. Aux termes de l'article 39-3 du décret du 4 mai 1972 relatif à l'Ecole nationale de la magistrature, modifié par le décret du 7 juillet 2024 tirant les conséquences de la réforme des voies d'accès à la magistrature issue de la loi organique du 20 novembre 2023, les épreuves de ce concours comprennent une épreuve d'admissibilité consistant en une note de synthèse et une épreuve d'admission consistant en un entretien avec le jury. L'article 40 de ce décret fixe la durée de formation en qualité de stagiaire auprès de l'Ecole nationale de la magistrature à douze mois.

2. Il résulte de ces dispositions que la participation aux épreuves du concours professionnel, qui participe de l'ouverture du corps judiciaire, est subordonnée, pour le recrutement au second grade de ce corps, à la condition que, outre les diplômes requis, les intéressés justifient de sept années au moins d'exercice professionnel dans le domaine juridique, administratif, économique ou social les qualifiant particulièrement pour exercer, à l'issue d'une formation de douze mois, des fonctions judiciaires. Si l'administration dispose d'un pouvoir d'appréciation pour évaluer si l'expérience professionnelle d'un candidat le qualifie particulièrement pour exercer des fonctions judiciaires, cette condition implique nécessairement, compte tenu de la nature des épreuves du concours et de la durée de formation des lauréats, que soient strictement appréciées, outre la qualification juridique des intéressés, leur aptitude à juger, afin de garantir la qualité des décisions rendues, l'égalité devant la justice et le bon fonctionnement du service public de la justice. Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi d'un moyen en ce sens, d'apprécier si le garde des sceaux, ministre de la justice a pu légalement refuser l'admission à concourir d'un candidat au motif du caractère non particulièrement qualifiant de son expérience professionnelle.

Sur la légalité de la décision attaquée :

3. Il ressort des pièces du dossier que, par une décision du 3 mars 2025, le ministre d'Etat, garde des sceaux, ministre de la justice a refusé d'autoriser Mme B... à participer aux épreuves de la session 2025 du concours professionnel ouvert pour le recrutement des magistrats du second grade de la hiérarchie judiciaire, au motif qu'elle ne justifiait pas remplir la condition d'exercice professionnel dans le domaine juridique, administratif, économique ou social la qualifiant particulièrement pour exercer des fonctions judiciaires. Par une ordonnance du 29 mars 2025, le juge des référés du Conseil d'Etat a suspendu l'exécution de cette décision de refus et enjoint au ministre de réexaminer sa situation dans un délai de 24 heures, permettant ainsi à Mme B... de participer à l'épreuve d'admissibilité de ce concours, qui s'est tenue le 2 avril 2025, à l'issue de laquelle elle a été déclarée admissible. Mme B... demande l'annulation pour excès de pouvoir de la décision de refus du ministre du 3 mars 2025.

4. Il ressort des pièces du dossier que Mme B..., titulaire d'une maîtrise en droit-économie-gestion - mention droit privé - spécialité droit pénal et criminologie, délivrée par l'université de Pau, fait état d'expériences variées dans les secteurs public et privé, pour une durée totale d'un peu plus de sept ans, en tant que rédactrice à la direction de la protection judiciaire de la jeunesse du ministère de la justice, puis inspectrice de l'aide sociale à l'enfance dans le département des Pyrénées-Atlantiques, puis responsable des " unités d'accueil pédiatriques pour enfants en danger " gérées par l'association La Voix de l'Enfant et organisant, dans un cadre médico-psychologique et médico-légal spécifique, le recueil de la parole des mineurs victimes de violences, en lien avec les enquêtes judiciaires. L'intéressée fait valoir enfin qu'elle exerce depuis novembre 2021 auprès de la Défenseure des droits, en tant que juriste chargée des droits de l'enfant, au sein de la direction " Protection des droits - affaires judiciaires ". Eu égard aux missions particulières exercées dans ces différentes fonctions, détaillées dans son dossier de candidature, qui ont amené l'intéressée à développer, dans des contextes institutionnels variés, une expertise juridique, à avoir des relations fréquentes avec l'institution judiciaire, et à formuler, de manière autonome, des préconisations relatives à des situations délicates, le ministre de la justice a commis une erreur d'appréciation en estimant que Mme B... ne justifiait pas d'au moins sept années d'exercice professionnel dans le domaine juridique, administratif, économique ou social la qualifiant particulièrement pour exercer des fonctions judiciaires.

5. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'autre moyen de la requête, que Mme B... est fondée à demander l'annulation de la décision du ministre d'Etat, garde des sceaux, ministre de la justice lui ayant refusé l'admission à concourir pour le recrutement des magistrats du second grade de la hiérarchie judiciaire. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'enjoindre au ministre de procéder au réexamen de la situation de Mme B... et de prendre une nouvelle décision.

D E C I D E :

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Article 1er : La décision du ministre d'Etat, garde des sceaux, ministre de la justice du 3 mars 2025 refusant d'autoriser Mme B... à participer au concours professionnel de recrutement au second grade de la hiérarchie judiciaire pour la session 2025 est annulée.

Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à Mme A... B... et au ministre d'Etat, garde des sceaux, ministre de la justice.

Délibéré à l'issue de la séance du 3 juillet 2025 où siégeaient : Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre, présidant ; M. Christophe Pourreau, conseiller d'Etat et Mme Nathalie Destais, conseillère d'Etat-rapporteure.

Rendu le 4 août 2025.

La présidente :

Signé : Mme Isabelle de Silva

La rapporteure :

Signé : Mme Nathalie Destais

La secrétaire :

Signé : Mme Angélique Rajaonarivelo


Synthèse
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 502472
Date de la décision : 04/08/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 04 aoû. 2025, n° 502472
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Nathalie Destais
Rapporteur public ?: M. Nicolas Agnoux
Avocat(s) : SARL MATUCHANSKY, POUPOT, VALDELIEVRE, RAMEIX

Origine de la décision
Date de l'import : 18/08/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2025:502472.20250804
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