Vu la procédure suivante :
La société civile immobilière (SCI) Ana Flamands a demandé au tribunal administratif de Saint-Barthélemy d'annuler pour excès de pouvoir les délibérations n° 2019-333 CE du 11 avril 2019 et n° 2021-269 CE du 4 mars 2021, par lesquelles le conseil exécutif de la collectivité de Saint-Barthélemy a délivré un permis de construire et un permis modificatif à la société The Collection Flamands pour la construction d'un ensemble immobilier de villas, ainsi que la décision implicite de rejet de son recours gracieux contre la première délibération. Par un jugement n° 1900023 du 26 mai 2021, le tribunal administratif de Saint-Barthélemy a rejeté sa demande.
Par un premier arrêt n° 21BX03280 du 2 novembre 2023, la cour administrative d'appel de Bordeaux a, sur le fondement de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme, sursis à statuer sur la requête d'appel de la société Ana Flamands jusqu'à l'expiration d'un délai de six mois à compter de la notification de l'arrêt, imparti à la société The Collection Flamands pour lui notifier un permis de construire régularisant les illégalités tirées de la méconnaissance par le permis modificatif des dispositions des articles U7 et U10 du règlement de la nouvelle carte d'urbanisme de Saint-Barthélemy adoptée le 4 décembre 2020.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 2 janvier et 26 mars 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société The Collection Flamands doit être regardée comme demandant au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt, en tant qu'il a retenu l'existence d'une illégalité dans son projet modifié, tiré de la méconnaissance par le permis modificatif des dispositions de l'article U10 du règlement de la nouvelle carte d'urbanisme de Saint-Barthélemy ;
2°) de renvoyer l'affaire à la cour administrative d'appel de Bordeaux dans cette mesure ;
3°) de mettre à la charge de la société Ana Flamands la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le code de l'urbanisme, de l'habitation et de la construction de Saint-Barthélemy ;
- le code de justice administrative.
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Sophie Delaporte, conseillère d'Etat,
- les conclusions de Mme Esther de Moustier, rapporteure publique ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Célice, Texidor, Perier, avocat de la société The Collection Flamands, à la SCP Marlange, de la Burgade, avocat du Conseil territorial de la collectivité de Saint-Barthélemy et à la SAS Hannotin Avocats, avocat de la société Ana Flamands ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que par deux délibérations n° 2019-333 CE du 11 avril 2019 et n° 2021-269 du 4 mars 2021, le conseil exécutif de la collectivité de Saint-Barthélemy a délivré à la société The Collection Flamands un permis de construire et un permis modificatif portant sur la réalisation d'un ensemble immobilier de villas sur la commune de Flamands. La SCI Ana Flamands, voisine du projet, a demandé leur annulation au tribunal administratif de Saint-Barthélemy, qui a rejeté sa demande. Par un arrêt du 2 novembre 2023, la cour administrative d'appel de Bordeaux a, sur le fondement de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme, sursis à statuer sur la requête d'appel de la société Ana Flamands et imparti à la société The Collection Flamands un délai de six mois pour lui notifier un permis de construire régularisant les illégalités tirées de la méconnaissance par le projet modifié des dispositions des articles U7 et U10 du règlement de la nouvelle carte d'urbanisme de Saint-Barthélemy, adopté par la délibération n° 2020-73 CT du 4 décembre 2020, relatives respectivement à la hauteur à l'égout des constructions et aux surfaces végétalisées. La société The Collection Flamands se pourvoit en cassation contre cet arrêt, en tant qu'il a retenu que son projet modifié méconnaissait les dispositions de l'article U10 du règlement de la nouvelle carte d'urbanisme.
Sur le pourvoi incident :
En ce qui concerne le moyen tiré du caractère frauduleux du permis initial :
2. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que la cour administrative d'appel de Bordeaux a relevé, d'une part, que le permis de construire initial mentionnait une destination à usage d'habitation pour l'ensemble des constructions mais, d'autre part, que la notice du projet indiquait que l'opération devait être considérée, au sens de la réglementation en matière d'accessibilité, comme un projet d'hôtel. En en déduisant que le caractère erroné de la destination annoncée ne suffisait pas à caractériser des manœuvres intentionnelles de la part de la pétitionnaire, destinées à tromper l'administration pour échapper aux règles d'accessibilité et de sécurité incendie des établissements recevant du public, la cour a porté une appréciation souveraine sur les pièces du dossier, exempte de dénaturation. Le moyen tiré de ce que la cour aurait commis une erreur de droit en ne retenant pas la complicité de la collectivité de Saint-Barthélemy dans cette fraude doit également être écarté.
En ce qui concerne le moyen tiré de ce que les modifications apportées au projet devaient faire l'objet d'un nouveau permis :
3. L'autorité compétente, saisie d'une demande en ce sens, peut délivrer au titulaire d'un permis de construire en cours de validité un permis modificatif, tant que la construction que ce permis autorise n'est pas achevée, dès lors que les modifications envisagées n'apportent pas à ce projet un bouleversement tel qu'il en changerait la nature même.
4. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué qu'après avoir listé les évolutions apportées par le permis modificatif au permis initial, la cour a estimé que ces évolutions, y compris le changement de destination opéré, ne modifiaient pas substantiellement le programme des constructions, notamment le nombre de villas et les dimensions d'ensemble du projet. En jugeant que ces modifications n'emportaient pas un bouleversement du projet tel qu'il en changerait la nature même, la cour, qui a porté une appréciation souveraine sur les pièces du dossier exempte de dénaturation, n'a pas commis d'erreur de droit.
Sur le pourvoi principal :
5. Aux termes de l'article 133-52 du code de l'urbanisme, de l'habitation et de la construction de Saint-Barthélemy, relatif à la modification d'un permis en cours de validité : " Un permis de construire en cours de validité peut être modifié, sur demande de son bénéficiaire ou de ses bénéficiaires, quelle que soit l'importance des modifications projetées, si la carte d'urbanisme et les servitudes administratives de tous ordres auxquelles est soumis le projet n'ont pas évolué de façon défavorable. / Dans le cas contraire, le permis ne peut être modifié que si les modifications demandées ont pour effet de rendre le projet plus conforme aux nouvelles dispositions, ou bien sont étrangères à ces dispositions. / (...) ".
6. L'article 2 de la délibération n° 2019-012 CT du 13 mars 2019 du conseil territorial de la collectivité de Saint-Barthélemy, rectifiée par l'article 6 de la délibération n° 2019-044 CT du 13 juin 2019 d'une erreur matérielle relative aux numéros des articles cités, dispose que : " Le livre I et le livre II de la première partie (urbanisme) du futur code de l'urbanisme, de l'habitation et de la construction de Saint-Barthélemy, à l'exception de l'article 112-10, et les articles 133-52 à 133-55 entreront en vigueur le 1er avril 2019. (...) ". Aux termes de l'article 5 de la même délibération : " Les dispositions du code de l'urbanisme de Saint-Barthélemy demeurent applicables aux autorisations d'urbanisme déposées avant le 1er juillet 2019. Toutefois, les articles 133-52 à 133-55 de la première partie (urbanisme) du futur code de l'urbanisme, de l'habitation et de la construction de Saint-Barthélemy sont applicables, à compter du 1er avril 2019, aux demandes de modifications d'un permis en cours de validité et aux demandes de prorogation du délai de validité d'un permis ou d'une déclaration de travaux ".
7. Il résulte des dispositions citées aux points 5 et 6 que, la demande de permis modificatif ayant été présentée par la société The Collection Flamands le 1er décembre 2020, l'article 133-52 du code de l'urbanisme, de l'habitation et de la construction de Saint-Barthélemy lui est applicable.
8. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond, d'une part, qu'à la date à laquelle le permis initial a été délivré, le règlement de la carte d'urbanisme de Saint-Barthélemy ne comprenait aucune prescription relative aux surfaces végétalisées dans un projet d'urbanisme. D'autre part, entre la date de délivrance du permis initial et celle du permis modificatif, la carte d'urbanisme a évolué de façon défavorable, en imposant une part minimale de surfaces végétalisées, que le permis initial ne respectait pas.
9. Pour accueillir le moyen tiré de la méconnaissance, par le projet, de l'article U10 du règlement de la nouvelle carte d'urbanisme, au motif que le permis modificatif ne respectait pas la surface végétalisée minimale exigée, la cour a écarté le moyen présenté en défense, tiré de ce que le permis modificatif avait, comme le prévoit l'article 133-52 du code de l'urbanisme, de l'habitation et de la construction, pour effet de rendre le projet plus conforme aux exigences du règlement de la nouvelle carte d'urbanisme. Elle a ce faisant commis une erreur de droit. Par suite, la société The Collection Flamands est fondée à demander l'annulation de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux en tant qu'il a retenu l'existence d'une illégalité tirée de la méconnaissance par le projet modifié des dispositions de l'article U10 du règlement de la nouvelle carte d'urbanisme relatives aux surfaces végétalisées.
Sur les conclusions de la collectivité de Saint-Barthélemy tendant à la suppression de certains passages du mémoire de la société Ana Flamands :
10. Il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées par la collectivité de Saint-Barthélemy au titre des dispositions de l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, reproduites à l'article L. 741-2 du code de justice administrative, dès lors que les passages litigieux figurant dans les écritures de la SCI Ana Flamands n'excèdent pas les limites de la controverse entre parties dans le cadre d'une procédure contentieuse et ne présentent pas un caractère injurieux, outrageant ou diffamatoire.
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de la société The Collection Flamands et de la collectivité de Saint-Barthélemy, qui ne sont pas les parties perdantes de la présente instance. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Ana Flamands la somme de 3 000 euros à verser à la société The Collection Flamands au titre de ces mêmes dispositions.
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt n° 21BX03280 du 2 novembre 2023 de la cour administrative d'appel de Bordeaux est annulé en tant qu'il a retenu l'existence d'une illégalité tirée de la méconnaissance par le projet modifié des dispositions de l'article U10 du règlement de la carte d'urbanisme de Saint-Barthélemy adoptée par la délibération n° 2020-73 CT du 4 décembre 2020.
Article 2 : Les conclusions incidentes présentées par la société Ana Flamands sont rejetées.
Article 3 : Les conclusions de la collectivité de Saint-Barthélemy sont rejetées.
Article 4 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Bordeaux dans cette mesure.
Article 5 : La société Ana Flamands versera à la société The Collection Flamands la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 6 : Les conclusions de la société Ana Flamands au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 7 : La présente décision sera notifiée à la société The Collection Flamands, à la société civile immobilière Ana Flamands et à la collectivité de Saint-Barthélemy.
Délibéré à l'issue de la séance du 2 juillet 2025 où siégeaient : M. Christophe Chantepy, président de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; M. Olivier Yeznikian, Mme Rozen Noguellou, M. Nicolas Polge, M. Vincent Daumas, M. Jérôme Goldenberg, conseillers d'Etat et Mme Sophie Delaporte, conseillère d'Etat-rapporteure.
Rendu le 31 juillet 2025.
Le président :
Signé : M. Christophe Chantepy
La rapporteure :
Signé : Mme Sophie Delaporte
La secrétaire :
Signé : Mme Magali Méaulle