Vu la procédure suivante :
Par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 6 juin et 9 septembre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le Collectif d'action contre l'enfouissement des déchets radioactifs, l'association Greenpeace France, le Réseau " Sortir du nucléaire ", le Collectif contre l'enfouissement des déchets radioactifs/Haute-Marne, l'association Solidaires, l'association Arrêt du nucléaire 26/07, l'association Stop Transport Halte au Nucléaire, le Comité pour la sauvegarde de Fessenheim et de la plaine du Rhin, l'association Global Chance, l'association Stop Fessenheim, Mme E... R..., M. J... O..., M. M... S..., Mme AC... F..., M. AA... W..., M. AD... L..., Mme AC... Z..., M. G... P..., Mme V... D..., M. U... C..., M. AK... AB..., Mme AF... N..., M. B... AG..., Mme AE... K..., M. AH... T..., M. X... H..., M. Q... AI..., Mme I... Y... et M. AJ... A... demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2024-323 du 8 avril 2024 portant autorisation d'un traitement automatisé de données à caractère personnel relatif à la sécurité des établissements, ouvrages, installations et activités nucléaires dénommé " traitement d'optimisation des données et informations d'intérêt nucléaire " ;
2°) de mettre à la charge de l'État la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 ;
- le décret n° 2017-588 du 20 avril 2017 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Sophie Delaporte, conseillère d'Etat,
- les conclusions de M. Frédéric Puigserver, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Zribi et Texier, avocat du Collectif d'action contre l'enfouissement des déchets radioactifs et autres ;
Considérant ce qui suit :
1. Le décret du 8 avril 2024 attaqué crée un traitement automatisé de données à caractère personnel relatif à la sécurité des établissements, ouvrages, installations et activités nucléaires dénommé " traitement d'optimisation des données et informations d'intérêt nucléaire " (ODIINuc) mis en œuvre par la direction générale de la gendarmerie nationale du ministère de l'intérieur. Ce traitement comprend des informations relatives à l'identification des personnes impliquées dans des événements révélant un risque d'atteinte à la sécurité nucléaire, des personnes demandant une autorisation d'accès aux établissements, ouvrages, installations et activités nucléaires ainsi que des personnes demandant une habilitation mentionnée à l'article R. 2311-7 du code de la défense réalisée au titre de la protection du secret de la défense nationale dans le domaine du nucléaire. Les requérants demandent l'annulation pour excès de pouvoir de ce décret en tant qu'il prévoit le traitement des données des personnes impliquées dans des événements révélant un risque d'atteinte à la sécurité nucléaire.
Sur la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et des articles 7 et 8 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne :
2. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Aux termes de l'article 7 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de ses communications. ". Aux termes de l'article 8 de cette même charte : " 1. Toute personne a droit à la protection des données à caractère personnel la concernant. / 2. Ces données doivent être traitées loyalement, à des fins déterminées et sur la base du consentement de la personne concernée ou en vertu d'un autre fondement légitime prévu par la loi. Toute personne a le droit d'accéder aux données collectées la concernant et d'en obtenir la rectification. / 3. Le respect de ces règles est soumis au contrôle d'une autorité indépendante ".
3. L'ingérence dans l'exercice du droit de toute personne au respect de sa vie privée que constituent la collecte, la conservation et le traitement, par une autorité publique, d'informations personnelles nominatives, ne peut être légalement autorisée que si elle répond à des finalités légitimes et que le choix, la collecte et le traitement des données sont effectués de manière adéquate et proportionnée au regard de ces finalités.
4. En premier lieu, conformément au 1° de l'article 1er du décret attaqué, le traitement ODIINuc a pour finalité de " faciliter la collecte et l'analyse des informations relatives aux personnes impliquées dans des évènements révélant un risque d'atteinte à la sécurité nucléaire en vue, le cas échéant, de leur diffusion aux autorités compétentes. " Les catégories de données à caractère personnel pouvant être enregistrées dans le traitement à ce titre, définies à l'article 2 du décret, comprennent les motifs de l'enregistrement de la personne, les éléments d'indentification, les coordonnées, la situation, les événements révélant un risque d'atteinte à la sécurité nucléaire, les facteurs de dangerosité et l'indication de l'enregistrement ou non de la personne dans plusieurs traitements de données à caractère personnel.
5. Il ressort des pièces du dossier que ce traitement est mis en œuvre par le ministère de l'intérieur dans le cadre des missions du commandement spécialisé pour la sécurité nucléaire (CoSSeN), chargé de collecter, centraliser, exploiter, analyser, synthétiser et diffuser le renseignement relatif aux menaces à la sécurité nucléaire, en lien avec les services mentionnés aux articles L. 811-2 et L. 811-4 du code de la sécurité intérieure, conformément à l'article 2 du décret du 20 avril 2017 portant création d'un service à compétence nationale dénommé " Commandement spécialisé pour la sécurité nucléaire ", aux fins de prévenir les atteintes à la sécurité nucléaire, le cas échéant en rapprochant des informations pour la production de notes de renseignement à destination des services ayant à en connaître. Le traitement ODIINuc a notamment pour objet d'assurer un suivi des personnes impliquées dans des événements révélant un risque d'atteinte à la sécurité nucléaire, une telle implication pouvant être déduite d'une participation active ou passive à un tel événement, y compris en qualité de victime, à l'exclusion des personnes se trouvant fortuitement sur les lieux, les motifs de l'enregistrement, et donc le lien entre la personne et l'évènement en cause, devant être renseignés. Ainsi, la définition du champ des personnes physiques concernées par le traitement et les données traitées sur le fondement des dispositions du décret citées au point précédent sont en adéquation avec les finalités légitimes de protection de la sécurité publique assignées au traitement.
6. En deuxième lieu, la circonstance que d'autres traitements automatisés de données à caractère personnel, qui ont au demeurant des périmètres distincts, ont également pour objet les atteintes à la sécurité publique est sans incidence sur la légalité d'un décret autorisant un nouveau traitement dans ce domaine.
7. En troisième lieu, le décret attaqué prévoit que les données à caractère personnel et informations sont conservées, s'agissant des données relatives aux personnes physiques impliquées dans des événements susceptibles de porter atteinte à la sécurité nucléaire, au maximum cinq ans à compter de la date du dernier événement ayant donné lieu à un enregistrement. Une telle durée, y compris dans l'hypothèse où l'implication de la personne concernée dans un nouvel événement conduirait à la prolonger, n'excède pas ce qui est nécessaire au regard des finalités du traitement. La durée durant laquelle sont conservées les informations relatives aux opérations de consultation et de communication, qui est de trois ans, est dépourvue d'incidence à cet égard.
8. En quatrième lieu et dernier lieu, aux termes de l'article 117 de la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés : " Toute personne physique a le droit de s'opposer, pour des motifs légitimes, à ce que des données à caractère personnel la concernant fassent l'objet d'un traitement. / Les dispositions du premier alinéa ne s'appliquent pas lorsque le traitement répond à une obligation légale ou lorsque l'application de ces dispositions a été écartée par une disposition expresse de l'acte autorisant le traitement. " Il ressort des pièces du dossier qu'en excluant l'application du droit d'opposition pour le traitement qu'il a créé, l'article 8 du décret attaqué entend assurer l'effectivité du traitement en cause, qui suppose, s'agissant des personnes physiques impliquées dans des événements révélant un risque d'atteinte à la sécurité nucléaire, que celles-ci ne puissent pas s'opposer à la collecte de données personnelles et informations les concernant.
9. Il résulte de ce qui précède, au vu des enjeux de sécurité nationale, de souveraineté industrielle et de protection de l'environnement qui s'attachent à la préservation de la sécurité nucléaire, et compte tenu des garanties qui entourent ce traitement, que le moyen tiré ce que le décret attaqué porte une atteinte disproportionnée aux dispositions citées au point 2 doit être écarté.
Sur l'atteinte à la liberté d'expression et à la liberté de manifester :
10. S'il n'est pas contesté que peuvent constituer des événements révélant un risque d'atteinte à la sécurité nucléaire des actions relevant, à titre principal, de la liberté d'expression ou de la liberté de manifester, garanties par les articles 10 et 11 de la convention européenne et de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et par l'article 11 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, le fait que des données à caractère personnel de certains participants à de tels événements soient collectées dans un traitement, ne constitue, en tout état de cause, et au regard de l'objectif de sécurité publique poursuivi, pas une entrave excessive à ces libertés.
11. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir opposée en défense, que le Collectif d'action contre l'enfouissement des déchets radioactifs et autres ne sont pas fondés à demander l'annulation pour excès de pouvoir du décret qu'ils attaquent. Dès lors, leurs conclusions doivent être rejetées, y compris celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : La requête du Collectif d'action contre l'enfouissement des déchets radioactifs et autres est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée au Collectif d'action contre l'enfouissement des déchets radioactifs, premier dénommé, pour l'ensemble des requérants, au Premier ministre et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.
Délibéré à l'issue de la séance du 19 juin 2025 où siégeaient : Mme Rozen Noguellou, conseillère d'Etat, présidant ; M. Olivier Yeznikian, conseiller d'Etat et Mme Sophie Delaporte, conseillère d'Etat-rapporteure.
Rendu le 23 juillet 2025.
La présidente :
Signé : Mme Rozen Noguellou
La rapporteure :
Signé : Mme Sophie Delaporte
La secrétaire :
Signé : Mme Sylvie Leporcq