Vu la procédure suivante :
Mme B... A... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Montpellier, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, d'une part, de suspendre l'exécution de l'arrêté du 21 mai 2024 par lequel le maire d'Espira-de-l'Agly a refusé de la titulariser à l'issue de sa période de stage le 1er juin 2024 et l'a rayée des effectifs de la collectivité, d'autre part, d'enjoindre à cette commune de procéder à sa titularisation, en ce compris la reconstitution de ses droits sociaux et, notamment, de ses droits à pension de retraite, et ce, sous astreinte de 100 euros par jour de retard. Par une ordonnance n° 2404015 du 9 août 2024, le juge des référés de ce tribunal administratif a rejeté sa demande.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 29 août et 12 septembre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme A... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cette ordonnance ;
2°) statuant en référé, de faire droit à sa demande ;
3°) de mettre à la charge de la commune d'Espira-de-l'Agly la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général de la fonction publique ;
- le décret n° 92-1194 du 4 novembre 1992 ;
- le décret n° 2006-1693 du 22 décembre 2006 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Paul Levasseur, auditeur,
- les conclusions de M. Thomas Pez-Lavergne, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Buk Lament - Robillot, avocat de Mme B... A... et à la SARL Le Prado - Gilbert, avocat de la commune d'Espira de l'Agly ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés qu'après avoir exercé à plusieurs reprises des fonctions d'agent contractuel au sein du service Enfance-Jeunesse de la commune d'Espira-de-l'Agly (Pyrénées-Orientales), Mme B... A... a été recrutée par un arrêté du 8 décembre 2020 du maire de cette commune, sur un emploi d'adjoint territorial d'animation à compter du 1er janvier 2021, avec une période de stage probatoire d'un an. Son stage ayant été interrompu du 9 avril 2021 au 31 mai 2023, période durant laquelle elle était placée en congé de longue durée, il a été renouvelé pour la même durée par un arrêté du maire du 1er juin 2023. Les difficultés de santé de Mme A... ayant conduit le médecin du pôle santé-travail à recommander un changement de poste, celle-ci a été affectée à son retour de congé sur un poste de cantinière et d'agent d'entretien. Après avis de la commission administrative paritaire du 14 mai 2024, par un arrêté du 21 mai 2024, le maire d'Espira-de-l'Agly a refusé de titulariser Mme A... à l'issue de son stage et l'a rayée des effectifs de la collectivité à compter du 1er juin 2024. Mme A... se pourvoit en cassation contre l'ordonnance du 9 août 2024 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande tendant à la suspension de l'exécution de cet arrêté.
2. Le premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative dispose que " quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".
3. Aux termes de l'article 1er du décret du 4 novembre 1992 fixant les dispositions communes applicables aux fonctionnaires stagiaires de la fonction publique territoriale : " Est fonctionnaire territorial stagiaire la personne qui, nommée dans un emploi permanent de la hiérarchie administrative des communes, (...) accomplit les fonctions afférentes audit emploi et a vocation à être titularisée dans le grade correspondant à cet emploi ". L'article 4 de ce décret prévoit que " la durée normale du stage et les conditions dans lesquelles elle peut éventuellement être prorogée sont fixées par les statuts particuliers des cadres d'emplois. / Sous réserve de dispositions contraires prévues par ces statuts et de celles résultant des articles 7 et 9 du présent décret, la durée normale du stage est fixée à un an (...) ". Le premier alinéa de l'article 9 du même décret dispose que " quand, du fait de congés successifs de toute nature autres que le congé annuel, le stage a été interrompu pendant une durée supérieure à un an, l'intéressé pourra être invité à l'issue de son dernier congé à accomplir à nouveau l'intégralité du stage ; cette disposition ne s'applique pas dans le cas où la partie de stage effectuée antérieurement à l'interruption est d'une durée au moins égale à la moitié de la durée statutaire du stage ".
4. Il résulte de ces dispositions qu'un fonctionnaire stagiaire ne peut être nommé, pour effectuer son stage, que dans un emploi permanent du cadre d'emplois dans lequel, à l'issue de ce stage, sa titularisation pourra, éventuellement, être prononcée.
5. L'article 3 du décret du 22 décembre 2006 portant statut particulier du cadre d'emplois des adjoints territoriaux d'animation prévoit que les membres de ce cadre d'emplois " (...) interviennent dans le secteur périscolaire et dans les domaines de l'animation des quartiers, de la médiation sociale, du développement rural, de la politique du développement social urbain et de l'organisation d'activités de loisirs. (...) / Les adjoints territoriaux d'animation (...) participent à la mise en œuvre des activités d'animation ". L'article 7 de ce décret dispose que " les candidats recrutés en qualité d'adjoint territorial d'animation sur un emploi d'une collectivité territoriale (...) sont nommés stagiaires par l'autorité territoriale investie du pouvoir de nomination pour une durée d'un an ".
6. Ainsi qu'il a été dit au point 1, Mme A... a été affectée, à son retour de congé de longue durée, et à l'occasion du renouvellement de sa période de stage probatoire, sur un poste de cantinière et d'agent d'entretien. Une telle affectation, qui, ainsi que le soutient la requérante sans être sérieusement contredite sur ce point par la commune d'Espira-de-l'Agly, ne la faisait intervenir dans aucun des domaines mentionnés à l'article 3 du décret du 22 décembre 2006 cité au point précédent et ne lui permettait pas de participer " à la mise en œuvre des activités d'animation ", ne correspond donc manifestement pas à un emploi relevant du cadre d'emplois des adjoints territoriaux d'animation. Mme A... n'était donc pas placée, pendant cette période probatoire, dans des conditions lui permettant d'acquérir une expérience professionnelle et de faire la preuve de ses capacités pour les fonctions auxquelles elle était destinée.
7. Il s'ensuit qu'en ne retenant pas qu'une telle circonstance était de nature à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision de refus de titularisation de Mme A..., le juge des référés du tribunal administratif de Montpellier a commis une erreur de droit. Dès lors, la requérante est fondée à demander l'annulation de son ordonnance.
8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au titre de la procédure de référé engagée par Mme A..., en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.
9. La condition d'urgence à laquelle est subordonné le prononcé, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, d'une mesure de suspension de l'exécution d'un acte administratif doit être regardée comme remplie lorsque l'exécution de la décision contestée préjudicie de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. Une mesure prise à l'égard d'un agent public ayant pour effet de le priver de la totalité de sa rémunération doit, en principe, être regardée, dès lors que la durée de cette privation excède un mois, comme portant une atteinte grave et immédiate à la situation de cet agent, de sorte que la condition d'urgence doit être regardée comme remplie, sauf dans le cas où son employeur justifie de circonstances particulières tenant aux ressources de l'agent, aux nécessités du service ou à un autre intérêt public, qu'il appartient au juge des référés de prendre en considération en procédant à une appréciation globale des circonstances de l'espèce.
10. D'une part, l'administration ne fait état, à l'encontre de la demande de suspension de l'exécution de l'arrêté portant refus de titularisation en cause, se traduisant par une privation totale de rémunération, d'aucune circonstance particulière ni d'aucun intérêt public de nature à s'opposer à ce que la condition d'urgence soit regardée comme étant remplie.
11. D'autre part, le moyen soulevé par Mme A..., tiré de ce qu'en refusant de la titulariser à l'issue de son stage, le maire d'Espira-de-l'Agly a commis une erreur manifeste d'appréciation et méconnu les dispositions du statut particulier du cadre d'emplois des adjoints territoriaux d'animation, paraît, en l'état de l'instruction, de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de l'arrêté attaqué.
12. Il résulte de ce qui précède que Mme A... est fondée à demander la suspension de l'exécution de l'arrêté du 21 mai 2024 du maire d'Espira-de-l'Agly portant refus de titularisation en fin de stage.
13. La suspension de l'exécution de cet arrêté implique nécessairement qu'il soit enjoint au maire d'Espira-de-l'Agly, dans l'attente de l'intervention du jugement du tribunal administratif de Montpellier sur le recours pour excès de pouvoir qu'elle a formé contre l'arrêté du 21 mai 2024, de réintégrer provisoirement Mme A... dans des conditions permettant une appréciation régulière de ses aptitudes. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu d'enjoindre à cette commune de procéder à cette réintégration dans un délai d'un mois à compter de la notification de la présente décision, sans qu'il y ait lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
14. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune d'Espira-de-l'Agly la somme de 3 000 euros à verser à Mme A..., au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les mêmes dispositions font obstacle à ce que soit mis à la charge de Mme A..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme demandée par la commune d'Espira-de-l'Agly.
D E C I D E :
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Article 1er : L'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Montpellier du 9 août 2024 est annulée.
Article 2 : L'exécution de l'arrêté du 21 mai 2024 du maire d'Espira-de-l'Agly portant refus de titularisation en fin de stage de Mme A... est suspendue.
Article 3 : Il est enjoint au maire d'Espira-de-l'Agly de réintégrer provisoirement Mme A... dans des conditions permettant une appréciation régulière de ses aptitudes, dans l'attente de l'intervention du jugement du tribunal administratif de Montpellier sur le recours pour excès de pourvoir qu'elle a formé contre l'arrêté du 21 mai 2024, dans un délai d'un mois à compter de la notification de la présente décision.
Article 4 : La commune d'Espira-de-l'Agly versera à Mme A... une somme de 3 000 euros, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Les conclusions présentées par la commune d'Espira-de-l'Agly au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : La présente décision sera notifiée à Mme B... A... et à la commune d'Espira-de-l'Agly.
Copie en sera adressée à la section des études, de la prospective et de la coopération.
Délibéré à l'issue de la séance du 22 mai 2025 où siégeaient : M. Stéphane Verclytte, président de chambre, présidant ; Mme Sylvie Pellissier, conseillère d'Etat et M. Paul Levasseur, auditeur-rapporteur.
Rendu le 20 juin 2025.
Le président :
Signé : M. Stéphane Verclytte
Le rapporteur :
Signé : M. Paul Levasseur
La secrétaire :
Signé : Mme Elisabeth Ravanne