La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

18/06/2025 | FRANCE | N°492318

France | France, Conseil d'État, 9ème - 10ème chambres réunies, 18 juin 2025, 492318


Vu la procédure suivante :



Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 4 mars et 4 juin 2024 et le 31 janvier 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Engie demande au Conseil d'Etat :



1°) d'annuler la décision n° 01-40-23 du 26 décembre 2023 du Comité de règlement des différends et des sanctions de la Commission de régulation de l'énergie ;



2°) à titre subsidiaire, avant dire droit, de saisir la Cour de justice

de l'Union Européenne à titre préjudiciel ;



3°) de mettre à la charge de l'Etat la somm...

Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 4 mars et 4 juin 2024 et le 31 janvier 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Engie demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision n° 01-40-23 du 26 décembre 2023 du Comité de règlement des différends et des sanctions de la Commission de régulation de l'énergie ;

2°) à titre subsidiaire, avant dire droit, de saisir la Cour de justice de l'Union Européenne à titre préjudiciel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le règlement (UE) n° 1227/2011 du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2011 ;

- le règlement (UE) n° 2024/1106 du Parlement européen et du Conseil du 11 avril 2024 ;

- le code de l'énergie ;

- la loi n° 2025-391 du 30 avril 2025 ;

- la décision du 13 février 2019 portant adoption du règlement intérieur du Comité de règlement des différends et des sanctions de la Commission de régulation de l'énergie ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Lionel Ferreira, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Céline Guibé, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Spinosi, avocat de la société Engie ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 6 juin 2025, présentée par la société Engie ;

Considérant ce qui suit :

1. Il résulte de l'instruction que la Commission de régulation de l'énergie a ouvert, le 18 mars 2021, une enquête aux fins de déterminer si, entre le 1er janvier 2019 et le 31 décembre 2020, la société Engie avait procédé à des opérations d'initiés et omis de publier des informations privilégiées, en méconnaissance des dispositions des articles 3 et 4 du règlement (UE) n° 1227/2011 du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2011 concernant l'intégrité et la transparence du marché de gros de l'énergie. A l'issue de cette enquête, un procès-verbal d'infraction a été notifié à la société Engie le 11 octobre 2022. Le 10 janvier 2023, le président de la Commission de régulation de l'énergie a saisi le Comité de règlement des différends et des sanctions de la Commission de régulation de l'énergie (" CoRDiS ") des manquements constatés. Le 3 octobre 2023, le membre du Comité chargé des fonctions de poursuite a notifié à la société Engie différents griefs consistant en la publication hors temps utile ou de manière non effective, en l'absence de publication, en la transmission et en l'utilisation d'informations privilégiées. Par la décision contestée du 26 décembre 2023, le CoRDiS a estimé que la société Engie avait manqué à 22 reprises à l'obligation de publication d'informations privilégiées prévue à l'article 4 du règlement du 25 octobre 2011, à 234 reprises aux dispositions de l'article 3 du même règlement relatives à l'interdiction des opérations d'initiés par utilisation d'une information privilégiée et à une reprise aux dispositions du même article, relatives à l'interdiction des opérations d'initiés par communication illicite d'une information privilégiée. Il a prononcé à l'encontre de la société Engie une sanction pécuniaire d'un montant de 500 000 euros et ordonné la publication de sa décision au Journal officiel de la République française et sur le site internet de la Commission de régulation de l'énergie pendant une durée d'un an à compter de sa première publication ainsi que dans le prochain communiqué financier de la société.

Sur la régularité de la procédure de sanction :

2. Aux termes de l'article L. 134-31 du code de l'énergie : " Les sanctions sont prononcées après que la personne mise en cause, qui a reçu notification des griefs par le membre désigné en application de l'article L. 134-25-1, a été mise à même, assistée par toute personne de son choix, de consulter le dossier et de présenter ses observations écrites et, lors de la séance publique, orales. " L'article 14 du règlement intérieur du CoRDiS précise que la personne à laquelle le membre désigné notifie les griefs dispose d'un délai qui ne peut pas être inférieur à quinze jours pour présenter ses observations écrites.

3. La société Engie, qui est l'un des principaux acteur français du secteur de la production et de la fourniture d'électricité et de gaz et qui dispose à ce titre d'une expertise technique reconnue, n'établit pas en quoi aurait été insuffisant le délai d'un mois qui lui a été imparti pour présenter ses observations en réponse à la notification de griefs du 3 octobre 2023 qui, ainsi qu'il résulte de l'instruction, se fondait pour une large part sur les éléments relevés dans le procès-verbal du 11 octobre 2022 établi à l'issue de l'enquête diligentée par la Commission de régulation de l'énergie et auquel la société a répondu le 7 novembre 2022, ni en quoi le refus de lui accorder un délai supplémentaire de réponse lui a porté préjudice. Par suite, contrairement à ce que soutient la société requérante qui a présenté des observations écrites en réponse à la notification de griefs et orales lors de la séance publique du CoRDiS du 11 décembre 2023, le moyen tiré de l'atteinte qui aurait été portée aux droits de la défense et de la méconnaissance du caractère contradictoire de la procédure de sanction ne peut qu'être écarté.

Sur la motivation de la décision de sanction :

4. Contrairement à ce que soutient la société Engie, la décision attaquée, dont les motifs sont exempts de contradiction, est suffisamment motivée, et, notamment, examine les circonstances propres à chacune des occurrences de manquement en litige.

Sur les manquements à l'obligation de publication des informations privilégiées prévue à l'article 4 du règlement du 25 octobre 2011 :

5. D'une part, aux termes de l'article 2 du règlement (UE) n° 1227/2011 du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2011 concernant l'intégrité et la transparence du marché de gros de l'énergie, dans sa rédaction applicable au litige, constitue une information au sens de ce règlement une " information concernant la capacité et l'utilisation des installations de production (...) d'électricité ou de gaz naturel (...) y compris l'indisponibilité prévue ou imprévue desdites installations ". Le même article précise qu'une information privilégiée est " une information de nature précise qui n'a pas été rendue publique, qui concerne, directement ou indirectement, un ou plusieurs produits énergétiques de gros et qui, si elle était rendue publique, serait susceptible d'influencer de façon sensible les prix de ces produits énergétiques de gros ". L'information est réputée " de nature précise " si " elle fait mention d'un ensemble de circonstances qui existe ou dont on peut raisonnablement penser qu'il existera, ou d'un événement qui s'est produit ou dont on peut raisonnablement penser qu'il se produira, et si elle est suffisamment précise pour que l'on puisse en tirer une conclusion quant à l'effet possible de cet ensemble de circonstances ou de cet événement sur les cours des produits énergétiques de gros ". Il résulte de ces dispositions qu'une information est qualifiée de privilégiée au sens du règlement du 25 octobre 2011 lorsqu'elle revêt un caractère précis, qu'elle n'a pas été rendue publique, qu'elle concerne, directement ou indirectement, un ou plusieurs produits énergétiques de gros et que sa publicité est susceptible d'influencer de façon sensible les prix de ces produits.

6. D'autre part, le 1 de l'article 4 du règlement du 25 octobre 2011 dispose que : " Les acteurs du marché divulguent publiquement, effectivement et en temps utile, une information privilégiée qu'ils détiennent concernant une entreprise ou des installations que l'acteur du marché concerné, ou son entreprise mère ou une entreprise liée, possède ou dirige ou dont ledit acteur ou ladite entreprise, est responsable, pour ce qui est des questions opérationnelles, en tout ou en partie. Cette divulgation contient des éléments concernant la capacité et l'utilisation des installations de production, de stockage, de consommation ou de transport d'électricité ou de gaz naturel ou des informations relatives à la capacité et à l'utilisation des installations de GNL, y compris l'indisponibilité prévue ou imprévue desdites installations ".

7. Il résulte de l'instruction que la société Engie a publié à 10 reprises des informations relatives à l'indisponibilité fortuite de ses centrales thermiques DK6 et Cycofos plus d'une heure après que ces indisponibilités se sont produites. Après avoir rappelé qu'il ressortait des orientations de l'Agence européenne de coopération des régulateurs de l'énergie qu'une information privilégiée devait être publiée le plus tôt possible, et en tout état de cause, sauf à ce qu'une réglementation en dispose autrement, au plus tard dans un délai d'une heure, le CoRDiS a indiqué que ce délai devait, en principe, courir à partir du début de l'indisponibilité, puis il a estimé que, faute pour la société Engie de justifier par des motifs objectifs en quoi le dépassement d'un tel délai était justifié, ces 10 retards constituaient des manquements à l'obligation de publication d'informations privilégiées en temps utile prévue par l'article 4 du règlement du 25 octobre 2011.

En ce qui concerne la nature précise de l'information détenue :

8. Le règlement du 25 octobre 2011 n'impose pas, pour qu'une information soit précise, que les circonstances auxquelles elle se rattache soient certaines ou définitives et pas davantage que l'effet de cette information sur les cours des produits énergétiques de gros soit déterminé avec certitude, mais exige seulement que l'information soit suffisamment concrète ou spécifique pour permettre d'évaluer, au regard de l'ensemble des circonstances ou de l'évènement qui en est l'objet, l'effet possible de l'information en cause sur les cours de ces produits. Par suite, contrairement à ce que soutient la société Engie, une information relative à une variation de disponibilité d'une unité de production présente, dès son constat, un caractère précis au sens et pour l'application des dispositions du règlement du 25 octobre 2011.

En ce qui concerne l'effet sensible sur les prix :

9. Pour retenir que les informations en litige étaient susceptibles d'avoir un effet sensible sur les cours des produits énergétiques de gros négociés sur le marché infra-journalier - marché continu fonctionnant jusqu'à cinq minutes avant le début de la livraison et qui constitue le dernier lieu d'échange permettant aux acteurs du marché d'ajuster leur position et d'optimiser leur portefeuille -, et par suite revêtait la nature d'informations privilégiées au sens et pour l'application du règlement du 25 octobre 2011, le CoRDiS a, d'une part, relevé que la tension générale sur le marché des produits énergétique de gros constatée au cours des années 2019 et 2020 accroissait la volatilité des prix sur ce marché et, d'autre part, analysé les circonstances propres à chaque occurrence d'indisponibilités en litige en se fondant sur trois indicateurs correspondant respectivement à l'écart de prix moyen entre le prix déterminé par l'enchère sur le marché journalier et le prix moyen des transactions réalisées sur le marché infra-journalier, au pourcentage de la capacité totale de l'unité de production concernée par les indisponibilités constatées par rapport au volume d'électricité produit, sur la période considérée, par les centrales françaises utilisant la même technologie que les centrales DK6 et Cycofos en cause, ainsi qu'au pourcentage du volume indisponible à raison de ces indisponibilités par rapport aux volumes achetés sur le marché infra-journalier au cours de la période considérée.

10. En premier lieu, si la société Engie soutient que le CoRDiS aurait dû apprécier l'effet de la publication des informations en cause sur les prix des produits énergétiques de gros en mettant en œuvre le test dit " de l'acteur de marché raisonnable ", il ne résulte, en tout état de cause, pas de l'instruction que l'appréciation par un tel acteur de l'incidence de ces informations pour la négociation des prix sur les marchés aurait conduit à un résultat différent de celui issu de l'analyse à laquelle a procédé l'autorité de sanction sur la base des éléments mentionnés au point 9.

11. En deuxième lieu, la société Engie soutient, en se prévalant d'une étude réalisée à sa demande pour les besoins de la cause, que, pour apprécier l'effet d'une information sur les prix des produits énergétiques de gros sur le marché infra-journalier, il y a lieu de prendre en compte " l'ordre de mérite ", correspondant à l'ordre d'activation des différentes technologies de production d'énergie électrique en fonction de leur coût, croissant, de production. Toutefois, il résulte de l'instruction que si, sur le marché journalier, l'indisponibilité d'une unité de production n'est susceptible d'avoir un effet sensible sur les prix que lorsqu'elle conduit à mobiliser une unité de production située plus haut dans l'ordre de mérite, et donc plus coûteuse, il en va différemment sur le marché infra-journalier où, compte tenu de ses caractéristiques rappelées au point 9, les prix ne sont pas nécessairement fonction de cet ordre. Par suite, le CoRDiS a procédé à une exacte appréciation des faits en estimant que l'ordre de mérite n'exerçait qu'une influence secondaire sur la formation des prix de ce marché.

12. En troisième lieu, il ne résulte pas de l'instruction que la circonstance que les réseaux d'électricité soient interconnectés suffise, à elle seule, à établir l'absence de pertinence, pour apprécier si une information relative à l'indisponibilité des centrales telles que celles en cause est susceptible d'avoir un effet sensible sur les prix du marché infra-journalier, des indicateurs retenus par le CoRDiS.

13. En dernier lieu, la société Engie ne peut utilement se prévaloir de l'étude réalisée par la Commission de régulation de l'énergie en septembre 2021 sur la sensibilité du prix de gros de l'électricité aux publications d'informations relatives aux moyens de production en France pour soutenir qu'une indisponibilité des moyens de productions inférieure à 1 gigawatt ne peut avoir un effet sensible sur le prix dès lors que cette étude indique expressément que " les résultats auxquels elle parvient ne sont pertinents que dans [son] cadre, avec des voies de généralisation limitées ", et qu'il appartient à chacun des acteurs du marché d'effectuer au cas par cas sa propre évaluation du caractère privilégié d'une information. A cet égard, la notification des griefs du 3 octobre 2023 relève que la société Engie considère elle-même, au travers de sa procédure interne, que les indisponibilités de plus de 100 mégawatts ont " par définition " un impact significatif sur la production et doivent être communiquées au marché.

14. Il résulte de ce qui précède que c'est sans erreur d'appréciation que le CoRDiS a estimé que les informations relatives aux indisponibilités constatées des centrales DK6 et Cycofos constituaient des informations privilégiées au sens de l'article 2 du règlement du 25 octobre 2011.

En ce qui concerne l'absence de publication en temps utile :

15. Il ne résulte pas de l'instruction que les contraintes organisationnelles et opérationnelles invoquées par la société Engie étaient de nature à justifier l'absence de publication en temps utile.

16. Il résulte de ce qui a été dit aux points 8 à 15 que, sans qu'il y ait lieu, en l'absence de difficulté sérieuse, de saisir la Cour de justice de l'Union européenne à titre préjudiciel, le CoRDiS a légalement estimé que la société Engie avait manqué à l'obligation de publication prévue à l'article 4 du règlement du 25 octobre 2011.

Sur les manquements à l'interdiction de transmission et d'utilisation d'informations privilégiées prévues à l'article 3 du règlement du 25 octobre 2011 :

17. Aux termes du 1 de l'article 3 du règlement du 25 octobre 2011 : " Il est interdit aux personnes qui détiennent une information privilégiée en rapport avec un produit énergétique de gros / a) d'utiliser cette information en acquérant ou en cédant, ou en tentant d'acquérir ou de céder, pour leur compte propre ou pour le compte d'un tiers, soit directement, soit indirectement, des produits énergétiques de gros auxquels se rapporte cette information ; / b) de communiquer cette information à une autre personne, si ce n'est dans le cadre normal de l'exercice de leur travail, de leur profession ou de leurs fonctions ; / (...) ". Aux termes du 2 du même article, cette interdiction s'applique aux " (...) c) personnes ayant accès à l'information du fait de leur travail, de leur profession ou de leurs fonctions ; / (...) / e) personnes qui savent, ou devraient savoir, qu'il s'agit d'une information privilégiée ". Aux termes du 5 de ce même article : " Lorsque la personne qui détient une information privilégiée en rapport avec un produit énergétique de gros est une personne morale, les interdictions prévues au paragraphe 1 s'appliquent aussi aux personnes physiques qui participent à la décision de procéder à la transaction pour le compte de la personne morale en question ".

18. Il résulte des termes de la décision attaquée qu'après qu'une information relative à la prolongation de l'indisponibilité partielle de la centrale DK6 a été rendue publique le 3 août 2019 à 14h07 pour la première tranche de production de cette centrale, dite " T1 ", et à 14h08 pour la seconde tranche de production, dite " T2 ", l'équipe au sein de la société Engie dénommée " Dispatch " - qui reçoit les informations opérationnelles des centrales et qui procède, s'il s'agit d'informations privilégiées, à leur publication avant de les communiquer, en interne, à l'équipe dénommée " Short Term Trading ", chargée de l'optimisation économique des plans de production des centrales et de la couverture de la position de la société Engie sur les marchés -, a transmis à cette seconde équipe le même jour, à 14h10, un fichier informatique, dit " de netting ", qui mentionnait, par tranche de trente minutes, diverses informations relatives aux différentes unités de production de la société, notamment en termes de capacités de production. Dans le fichier litigieux figurait, sur les lignes intitulées " DK6 T1 - OC Production " et " DK6 T2 - OC Production ", et à compter de la tranche horaire 14h30, la mention " 0 ". Le CoRDiS a estimé que cette mention matérialisait une information relative à l'indisponibilité totale, non publiée, de la centrale DK6 survenue à 14h05 et qui revêtait un caractère privilégié, ce dont il résultait, d'une part, que la transmission de cette information non publiée méconnaissait les dispositions du b) du 1 de l'article 3 du règlement du 25 octobre 2011 citées au point 17, et, d'autre part, que les 234 opérations de marché effectuées entre 14h11 et 16h47 sur différents produits énergétiques de gros auxquels se rapportait cette information privilégiée non publiée l'avaient été en méconnaissance du a) du même 1 de cet article.

19. En premier lieu, si la société Engie soutient que la mention " 0 " qui figure dans le fichier litigieux ne matérialise pas une information relative à l'indisponibilité opérationnelle des turbines à gaz de la centrale DK6 que l'équipe " Dispatch " aurait communiquée à l'équipe " Short Term Trading " mais la décision économique prise par cette dernière, au regard de la dégradation de la rentabilité de cette unité de production liée à la prolongation de l'indisponibilité de ses turbines à vapeur qui la contraignait à ne fonctionner qu'à l'aide de ses seules turbines à gaz, de mettre à l'arrêt ces dernières, et, par suite, d'arrêter de façon temporaire la production totale de cette centrale, il résulte de l'instruction et notamment du procès-verbal d'enquête du 11 octobre 2022, que l'équipe " Dispatch " a été informée de l'indisponibilité totale de la centrale au cours d'une conversation téléphonique avec les équipes opérationnelles à 14h06, soit 4 minutes avant la transmission du fichier litigieux, et qu'ainsi, contrairement à ce que soutient la société Engie, l'arrêt des turbines à gaz ne résultait pas d'une décision économique prise par l'équipe " Short Term Trading ". Par suite, le moyen tiré de ce que le fichier contenant l'information non publiée de la mise à l'arrêt complet de la centrale DK6 n'avait pas été transmis à l'équipe " Short Term Trading en méconnaissance du b) du 1 de l'article 3 du règlement du 25 octobre 2011 ne peut qu'être écarté.

20. En second lieu, il résulte de l'instruction et il n'est pas sérieusement contesté par le CoRDiS que 45 des 234 opérations en litige avaient été programmées avant l'indisponibilité de la centrale DK6 ou avaient pour objet la couverture des besoins d'autres actifs de production, ce dont il résulte qu'elles n'ont pas été passées sur la base d'une information privilégiée non publiée. Il en résulte que seules 189 des 234 opérations en litige constituent des opérations d'initiés au sens du a) du 1 de l'article 3 du règlement du 25 octobre 2011.

Sur le quantum de la sanction :

21. Aux termes de l'article 18 du règlement du 25 octobre 2011 : " Les Etats membres déterminent le régime des sanctions applicables aux violations du présent règlement et prennent toute mesure nécessaire pour en assurer la mise en œuvre. Les sanctions prévues doivent être efficaces, proportionnées et dissuasives et tenir compte de la nature, de la durée et de la gravité de l'infraction, du préjudice causé aux consommateurs et des gains potentiels tirés de la transaction sur la base d'informations privilégiées (...) ". Aux termes de l'article L. 134-27 du code de l'énergie dans sa rédaction antérieure à l'entrée en vigueur de la loi du 30 avril 2025 portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière économique, financière, environnementale, énergétique, de transport, de santé et de circulation des personnes, eu égard au principe de non rétroactivité de la loi pénale plus sévère, qui découle de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : " (...) en cas de manquement constaté dans les conditions prévues à l'article L. 135-12, et après l'envoi d'une notification des griefs à l'intéressé, le comité peut prononcer à son encontre, en fonction de la gravité du manquement : / (...)/2° Si le manquement n'est pas constitutif d'une infraction pénale, une sanction pécuniaire, dont le montant est proportionné à la gravité du manquement, à la situation de l'intéressé, à l'ampleur du dommage et aux avantages qui en sont tirés. / (...) / Dans le cas des autres manquements, il ne peut excéder 8 % du montant du chiffre d'affaires hors taxes lors du dernier exercice clos (...) ".

22. Eu égard à la nature et à la gravité des manquements tenant, d'une part, à l'obligation de publication des informations privilégiées prévue à l'article 4 du règlement du 25 octobre 2011 et, d'autre part, à l'interdiction de transmission et d'utilisation d'informations privilégiées prévues à l'article 3 du même règlement, et compte tenu, ainsi qu'il résulte de ce qui a été dit au point 20, de la réduction, limitée, du nombre d'opérations de marché réalisées, en méconnaissance de l'article 3 de ce règlement, sur la base d'informations privilégiées non publiées, il y a seulement lieu de ramener le montant de la sanction pécuniaire de 500 000 euros à 490 000 euros.

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

23. Ces dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat, lequel n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Le nombre d'opérations de marché réalisées par la société Engie en méconnaissance des dispositions du a) du 1 de l'article 3 du règlement (UE) n° 1227/2011 du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2011 est ramené de 234 à 189.

Article 2 : Le montant de la sanction pécuniaire prononcée à l'encontre de la société Engie est ramené de 500 000 à 490 000 euros.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de la société Engie est rejeté.

Article 4 : Les articles 2 et 3 de la décision du 26 décembre 2023 du Comité de règlement des différends et des sanctions sont réformés en ce qu'ils sont contraires à la présente décision.

Article 5 : La présente décision sera publiée, sous réserve des secrets protégés par la loi, au Journal officiel de la République française et sur le site internet de la Commission de régulation de l'énergie pendant une durée de quatre mois.

Article 6 : La présente décision sera notifiée à la société Engie et à la Commission de régulation de l'énergie.

Copie en sera adressée à la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche.

Délibéré à l'issue de la séance du 4 juin 2025 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; M. Vincent Daumas, M. Nicolas Polge, M. Olivier Yeznikian, Mme Rozen Noguellou, conseillers d'Etat ; M. Arnaud Skzryerbak, maître des requêtes et M. Lionel Ferreira, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 18 juin 2025.

Le président :

Signé : M. Rémy Schwartz

Le rapporteur :

Signé : M. Lionel Ferreira

La secrétaire :

Signé : Mme Nathalie Planchette

La République mande et ordonne à la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Pour la secrétaire du contentieux, par délégation :


Synthèse
Formation : 9ème - 10ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 492318
Date de la décision : 18/06/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 18 jui. 2025, n° 492318
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Lionel Ferreira
Rapporteur public ?: Mme Céline Guibé
Avocat(s) : SCP SPINOSI

Origine de la décision
Date de l'import : 22/06/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2025:492318.20250618
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award