Vu la procédure suivante :
L'association Protégeons nos espaces pour l'avenir, l'association patrimoine environnement territoire du Pays belmontais, l'association Fédération des Grands Causses, l'association de préservation du patrimoine culturel et naturel des Monts de Lacaune et du Rougier de Camarès et l'association SOS Busards ont demandé à la cour administrative d'appel de Toulouse d'annuler l'arrêté du 24 mars 2021 par lequel le préfet de l'Aveyron a délivré à la société Parc éolien de Prinquiès une autorisation de construire et d'exploiter une installation terrestre de production d'électricité à partir de l'énergie mécanique du vent composée de cinq aérogénérateurs, sur le territoire de la commune de Tauriac-de-Camarès (Aveyron). Par un arrêt n° 21TL23819 du 18 janvier 2024, la cour administrative d'appel de Toulouse a rejeté leur requête.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 15 mars, 12 juin et 3 décembre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Protégeons nos espaces pour l'avenir, l'association Fédération des Grands Causses, l'association de préservation du patrimoine culturel et naturel des Monts de Lacaune et du Rougier de Camarès et l'association SOS Busards demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à leur requête ;
3°) de mettre à la charge solidaire de l'Etat et de la société Parc éolien de Prinquiès la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'énergie ;
- le code de l'environnement ;
- le décret n° 2023-1366 du 28 décembre 2023 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Gaspard Montbeyre, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de Mme Maïlys Lange, rapporteure publique ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Marlange, de la Burgade, avocat de l'association Protégeons nos espaces pour l'avenir et autres et à la SARL Meier-Bourdeau, Lecuyer et associés, avocat de la société Parc éolien de Prinquiès ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par un arrêté du 24 mars 2021, le préfet de l'Aveyron a délivré à la société Parc éolien de Prinquiès une autorisation de construire et d'exploiter une installation terrestre de production d'électricité à partir de l'énergie mécanique du vent composée de cinq aérogénérateurs sur le territoire de la commune de Tauriac-de-Camarès (Aveyron), tenant également lieu de dérogation " espèces protégées " pour 40 espèces d'oiseaux, 21 espèces de chiroptères et 2 espèces de reptiles. Par un arrêt du 18 janvier 2024, la cour administrative d'appel de Toulouse a rejeté la demande de l'association Protégeons nos espaces pour l'avenir et autres tendant à l'annulation de l'arrêté préfectoral du 24 mars 2021. L'association Protégeons nos espaces pour l'avenir et autres se pourvoient en cassation contre cet arrêt.
Sur la régularité de l'arrêt attaqué :
2. Aux termes de l'article R. 613-3 du code de justice administratif : " Les mémoires produits après la clôture de l'instruction ne donnent pas lieu à communication, sauf réouverture de l'instruction ". Devant les juridictions administratives et dans l'intérêt d'une bonne justice, le juge a toujours la faculté de rouvrir l'instruction, qu'il dirige, lorsqu'il est saisi d'une production postérieure à la clôture de celle-ci. Il lui appartient, dans tous les cas, de prendre connaissance de cette production avant de rendre sa décision et de la viser. S'il décide d'en tenir compte, il rouvre l'instruction et soumet au débat contradictoire les éléments contenus dans cette production qu'il doit, en outre, analyser. Dans le cas particulier où cette production contient l'exposé d'une circonstance de fait ou d'un élément de droit dont la partie qui l'invoque n'était pas en mesure de faire état avant la clôture de l'instruction et qui est susceptible d'exercer une influence sur le jugement de l'affaire, le juge doit alors en tenir compte, à peine d'irrégularité de sa décision.
3. Il ressort des pièces de la procédure devant la cour administrative d'appel de Toulouse que, dans un mémoire produit le 21 décembre 2023, soit après la clôture de l'instruction fixée le 24 mars 2023, l'association Protégeons nos espaces pour l'avenir et autres soutenaient, à l'appui du moyen tiré de l'insuffisance de l'étude d'impact, que la société pétitionnaire avait omis des espèces patrimoniales aux enjeux de conservation particulièrement élevés fréquentant la zone du projet éolien litigieux. Si les requérants soutiennent que ce mémoire contenait des circonstances de fait nouvelles susceptibles d'exercer une influence sur le jugement de l'affaire qui auraient dû conduire la cour à rouvrir l'instruction, ils ne démontrent pas avoir été dans l'incapacité d'en faire état avant la clôture de l'instruction. Par suite, le moyen tiré de ce que l'arrêt serait entaché d'irrégularité faute pour la cour d'avoir rouvert l'instruction pour tenir compte de ce mémoire doit être écarté.
Sur le bien-fondé de l'arrêt attaqué :
4. En premier lieu, aux termes de l'article R. 122-5 du code de l'environnement, dans sa rédaction applicable au litige : " I. - Le contenu de l'étude d'impact est proportionné à la sensibilité environnementale de la zone susceptible d'être affectée par le projet, à l'importance et la nature des travaux, ouvrages et aménagements projetés et à leurs incidences prévisibles sur l'environnement ou la santé humaine. / II. - L'étude d'impact présente : / (...) 4° Une analyse des effets cumulés du projet avec d'autres projets connus (...) ".
5. Les inexactitudes, omissions ou insuffisances affectant une étude d'impact ne sont susceptibles de vicier la procédure que si elles peuvent avoir pour effet de nuire à l'information complète de la population ou seraient de nature à exercer une influence sur la décision de l'autorité administrative.
6. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que pour écarter le moyen tiré du caractère insuffisant de l'étude d'impact s'agissant de l'analyse des effets cumulés du projet avec d'autres projets connus comme manquant en fait, la cour a relevé, d'une part, que l'étude d'impact faisait état de la distance et de l'absence de continuité écologique entre le projet litigieux et plusieurs parcs connus pour justifier l'absence d'analyse des effets cumulés, et, d'autre part, qu'elle comprenait une analyse des effets cumulés avec le seul parc susceptible de présenter un tel cumul avec le projet litigieux. Contrairement à ce qui est soutenu, la cour n'a ainsi pas jugé, par principe, que l'absence de continuité écologique faisait obstacle à l'analyse des effets cumulés, mais s'est livrée à une appréciation souveraine des pièces du dossier et des faits de l'espèce sur le caractère suffisant de l'étude d'impact, exempte d'erreur de droit et de dénaturation.
7. En deuxième lieu, l'article L. 411-1 du code de l'environnement prévoit, lorsque les nécessités de la préservation du patrimoine naturel justifient la conservation d'espèces animales non domestiques, l'interdiction de " 1° La destruction ou l'enlèvement des œufs ou des nids, la mutilation, la destruction, la capture ou l'enlèvement, la perturbation intentionnelle, la naturalisation d'animaux de ces espèces ou, qu'ils soient vivants ou morts, leur transport, leur colportage, leur utilisation, leur détention, leur mise en vente, leur vente ou leur achat / 2° La destruction, la coupe, la mutilation, l'arrachage, la cueillette ou l'enlèvement de végétaux de ces espèces, de leurs fructifications ou de toute autre forme prise par ces espèces au cours de leur cycle biologique, leur transport, leur colportage, leur utilisation, leur mise en vente, leur vente ou leur achat, la détention de spécimens prélevés dans le milieu naturel ; / 3° La destruction, l'altération ou la dégradation de ces habitats naturels ou de ces habitats d'espèces (...) ". Le I de l'article L. 411-2 du même code renvoie à un décret en Conseil d'Etat la détermination des conditions dans lesquelles sont fixées, notamment : " 4° La délivrance de dérogations aux interdictions mentionnées aux 1°, 2° et 3° de l'article L. 411-1, à condition qu'il n'existe pas d'autre solution satisfaisante, pouvant être évaluée par une tierce expertise menée, à la demande de l'autorité compétente, par un organisme extérieur choisi en accord avec elle, aux frais du pétitionnaire, et que la dérogation ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle : (...) / c) Dans l'intérêt de la santé et de la sécurité publiques ou pour d'autres raisons impératives d'intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique, et pour des motifs qui comporteraient des conséquences bénéfiques primordiales pour l'environnement ; (...) ".
8. Il résulte de ces dispositions que la destruction ou la perturbation des espèces animales concernées, ainsi que la destruction ou la dégradation de leurs habitats, sont interdites. Toutefois, l'autorité administrative peut déroger à ces interdictions dès lors que sont remplies trois conditions distinctes et cumulatives tenant, d'une part, à l'absence de solution alternative satisfaisante, d'autre part, à la condition de ne pas nuire au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle et, enfin, à la justification de la dérogation par l'un des cinq motifs limitativement énumérés et parmi lesquels figure le fait que le projet réponde, par sa nature et compte tenu des intérêts économiques et sociaux en jeu, à une raison impérative d'intérêt public majeur.
9. En outre, aux termes de l'article L. 411-2-1 du code de l'environnement, inséré par la loi du 10 mars 2023 relative à l'accélération de la production d'énergies renouvelables : " Sont réputés répondre à une raison impérative d'intérêt public majeur, au sens du c du 4° du I de l'article L. 411-2 du présent code, les projets d'installations de production d'énergies renouvelables ou de stockage d'énergie dans le système électrique satisfaisant aux conditions prévues à l'article L. 211-2-1 du code de l'énergie ". Selon l'article L. 211-2-1 du code de l'énergie, issu de la même loi : " Les projets d'installations de production d'énergies renouvelables au sens de l'article L. 211-2 du présent code ou de stockage d'énergie dans le système électrique, y compris leurs ouvrages de raccordement aux réseaux de transport et de distribution d'énergie, sont réputés répondre à une raison impérative d'intérêt public majeur, au sens du c du 4° du I de l'article L. 411-2 du code de l'environnement, dès lors qu'ils satisfont à des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. / Ces conditions sont fixées en tenant compte du type de source d'énergie renouvelable, de la puissance prévisionnelle totale de l'installation projetée et de la contribution globale attendue des installations de puissance similaire à la réalisation des objectifs mentionnés aux 1° et 2° du présent article : / 1° Pour le territoire métropolitain, la programmation pluriannuelle de l'énergie mentionnée à l'article L. 141-2, en particulier les mesures et les dispositions du volet relatif à la sécurité d'approvisionnement et les objectifs quantitatifs du volet relatif au développement de l'exploitation des énergies renouvelables, mentionnés aux 1° et 3° du même article L. 141-2 (...) ". L'article R. 211-2 du même code dispose : " Un projet d'installation située à terre produisant de l'électricité à partir de l'énergie mécanique du vent sur le territoire métropolitain continental satisfait aux conditions prévues à l'article L. 211-2-1 si : / 1° La puissance prévisionnelle totale de l'installation est supérieure ou égale à 9 mégawatts ; / 2° La puissance totale du parc éolien terrestre raccordé à ce territoire, à la date de la demande de dérogation aux interdictions mentionnées aux 1°, 2° et 3° de l'article L. 411-1 du code de l'environnement est inférieure à l'objectif maximal de puissance du parc éolien terrestre sur ce territoire, défini par le décret relatif à la programmation pluriannuelle de l'énergie mentionnée à l'article L. 141-1 du code de l'énergie. ". Insérées par le décret du 28 décembre 2023 susvisé, pris pour l'application, sur le territoire métropolitain continental, de l'article L. 211-2-1 du code de l'énergie et publié au Journal officiel de la République française le 30 décembre 2023, ces dispositions sont entrées en vigueur au lendemain de la publication du décret.
10. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que, pour écarter le moyen tiré de ce que le projet litigieux ne répondait pas à une raison impérative d'intérêt public majeur au sens du c) du I de l'article L. 411-2 du code de l'environnement, la cour a relevé que le paquet " énergie-climat " adopté par l'Union européenne en décembre 2008 s'est traduit pour la France par l'adoption de l'objectif, fixé par la loi du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l'environnement puis par l'article L. 100-4 du code de l'énergie, visant à porter la part des énergies renouvelables à 23 % de la consommation finale brute d'énergie en 2020, que la production du parc éolien en projet, d'une puissance de quinze mégawatts, représentait 7 % de l'objectif de l'éolien de la zone ZEOL 07 " Monts de Lacaune aveyronnais " du schéma régional éolien et qu'il permettrait de contribuer à répondre aux besoins définis dans la programmation pluriannuelle de l'énergie et à atteindre les objectifs des politiques en matière d'énergies renouvelables tant au niveau régional que national. Pour répondre au moyen tiré de ce que le projet litigieux ne répondait pas à une raison impérative d'intérêt public majeur, la cour a omis de faire application des dispositions des articles L. 411-2-1 du code de l'environnement et L. 211-2-1 et R. 211-2 du code de l'énergie citées au point 9, applicables au litige à la date de sa décision, précisant les conditions dans lesquels un parc éolien est réputé répondre à une raison impérative d'intérêt public majeur. Or, il incombe au juge de plein contentieux de l'autorisation environnementale d'apprécier le respect des règles de fond régissant le projet en cause au regard des circonstances de droit et de fait en vigueur à la date à laquelle il se prononce. Il en résulte qu'en statuant ainsi, la cour a méconnu le champ d'application de la loi. Toutefois, il est constant, ainsi qu'il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué non contestées en cassation, que les conditions fixées par l'article R. 211-2 du code de l'énergie relatives à la puissance du parc projeté ainsi qu'aux objectifs fixés par la programmation pluriannuelle de l'énergie étaient remplies à la date à laquelle la cour a statué. Par conséquent, le projet litigieux était réputé répondre à une raison impérative d'intérêt public majeur, au sens du c du 4° du I de l'article L. 411-2 du code de l'environnement, en application de l'article L. 211-2-1 du code de l'énergie. Ce motif, qui est d'ordre public et dont l'examen n'implique l'appréciation d'aucune circonstance de fait, doit être substitué au motif retenu par l'arrêt attaqué, dont il justifie le dispositif sur ce point.
11. En troisième lieu, pour juger qu'il n'existait pas d'autre solution satisfaisante, au regard des principes rappelés au point 8, la cour a relevé que la société porteuse du projet litigieux avait étudié, d'une part, plusieurs implantations dans le département de l'Aveyron, avant de retenir un emplacement à l'extrémité sud du Massif central dans l'entité paysagère des monts de Lacaune, présentant une moindre sensibilité sur l'habitat naturel et l'avifaune, et, d'autre part, plusieurs variantes, en retenant celle située en prolongement d'un parc existant, permettant d'éviter les principales zones d'habitats naturels sensibles, les principales zones de chasse des chauves-souris situées au sud et de limiter l'élargissement ou la création de pistes d'accès en réduisant l'emprise du projet. En statuant ainsi, la cour a porté sur les pièces du dossier et les faits qui lui étaient soumis une appréciation souveraine, exempte de dénaturation.
12. En dernier lieu, d'une part, en relevant que les requérants ne critiquaient pas utilement la dérogation à l'interdiction de destruction d'espèces protégées en se bornant à des allégations générales sur l'état de conservation de certaines espèces, la cour n'a pas, contrairement à ce qui est soutenu, commis d'erreur de droit au regard des principes rappelés au point 8. D'autre part, en estimant, au vu de l'état de conservation des espèces concernées par la dérogation et des mesures d'évitement, de réduction et de compensation prescrites par l'arrêté litigieux, que la dérogation accordée ne nuisait pas au maintien des populations de ces espèces dans un état de conservation favorable, la cour a porté sur les faits de l'espèce une appréciation souveraine, exempte de dénaturation.
13. Il résulte de ce qui précède que le pourvoi de l'association Protégeons nos espaces pour l'avenir et autres doit être rejeté.
14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat et de la société Parc éolien de Prinquiès qui ne sont pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'association Protégeons nos espaces pour l'avenir et autres la somme de 1 000 euros à verser à la société Parc éolien de Prinquiès, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative
D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de l'association Protégeons nos espaces pour l'avenir et autres est rejeté.
Article 2 : L'association Protégeons nos espaces pour l'avenir et autres verseront à la société Parc éolien de Prinquiès la somme de 1 000 euros, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à l'association Protégeons nos espaces pour l'avenir, première dénommée, pour l'ensemble des requérants, à la société Parc éolien de Prinquiès et à la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche.
Délibéré à l'issue de la séance du 19 mai 2025 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, M. Jean-Philippe Mochon, présidents de chambre ; Mme Sophie-Caroline de Margerie, M. Alain Seban, Mme Laurence Helmlinger, M. Stéphane Hoynck, M. Christophe Pourreau, conseillers d'Etat et M. Gaspard Montbeyre, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.
Rendu le 16 juin 2025.
Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
Le rapporteur :
Signé : M. Gaspard Montbeyre
La secrétaire :
Signé : Mme Marie-Adeline Allain