Vu la procédure suivante :
La commune de Lenoncourt a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Nancy, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, d'ordonner la suspension de l'exécution, d'une part, de la décision du 6 février 2024 par laquelle le directeur académique des services de l'éducation nationale de Meurthe-et-Moselle a arrêté les implantations et retraits d'emplois d'enseignants du premier degré pour la rentrée scolaire 2024-2025 dans le département, en tant qu'elle a supprimé un poste d'enseignant au sein de l'école élémentaire publique de Lenoncourt et, d'autre part, de la décision du 9 juillet 2024 par laquelle il a maintenu cette suppression. Par une ordonnance n° 2403129 du 30 octobre 2024, la juge des référés du tribunal administratif a fait droit à cette demande.
Par un pourvoi, enregistré le 15 novembre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cette ordonnance ;
2°) statuant en référé, de rejeter la demande de la commune de Lenoncourt.
La ministre soutient que l'ordonnance attaquée est entachée :
- d'insuffisance de motivation, d'erreur de droit et de dénaturation des pièces du dossier en ce que la juge des référés, pour considérer que l'urgence justifiait la suspension demandée, se fonde sur la seule circonstance qu'à la suite à la décision de retrait d'un poste d'enseignant au sein de l'école élémentaire publique de Lenoncourt, cette école comportera désormais une unique classe composée de 28 élèves de cinq niveaux différents sans prendre en compte les effets d'une éventuelle suspension sur les autres écoles du département ;
- d'erreur de droit et de dénaturation des pièces du dossier en ce qu'elle juge qu'en retirant un poste d'enseignant au sein de l'école élémentaire publique de Lenoncourt, le directeur académique des services de l'éducation nationale de Meurthe-et-Moselle a entaché sa décision d'erreur manifeste d'appréciation.
Par un mémoire en défense, enregistré le 5 mars 2025, la commune de Lenoncourt conclut au rejet du pourvoi et à ce que la somme de 4 500 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle soutient que les moyens soulevés par la ministre ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'éducation ;
- l'arrêté du 28 avril 2022 portant création de comités sociaux d'administration ministériels, de l'administration centrale, des services déconcentrés et des établissements publics des ministères chargés de l'éducation nationale, de la jeunesse, des sports, de l'enseignement supérieur et de la recherche ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Cécile Fraval, maîtresse des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Cyrille Beaufils, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Gatineau, Fattaccini, Rebeyrol, avocat de la commune de Lenoncourt ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis à la juge des référés du tribunal administratif de Nancy que la commune de Lenoncourt a demandé que soit suspendue l'exécution, d'une part, de la décision du 6 février 2024 par laquelle le directeur académique des services de l'éducation nationale de Meurthe-et-Moselle a arrêté les implantations et retraits d'emplois d'enseignants du premier degré pour la rentrée scolaire 2024-2025 dans le département, en tant qu'elle a supprimé un poste d'enseignant au sein de l'école élémentaire publique de Lenoncourt et, d'autre part, de la décision du 9 juillet 2024 par laquelle il a maintenu cette suppression. Par une ordonnance du 30 octobre 2024, contre laquelle la ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche se pourvoit en cassation, la juge des référés du tribunal administratif a prononcé les suspensions sollicitées.
Sur le bien-fondé de l'ordonnance attaquée :
2. Aux termes de l'article L. 211-1 du code de l'éducation : " L'éducation est un service public national, dont l'organisation et le fonctionnement sont assurés par l'Etat, sous réserve des compétences attribuées par le présent code aux collectivités territoriales pour les associer au développement de ce service public. / L'Etat assume, dans le cadre de ses compétences, des missions qui comprennent : (...) / 3° Le recrutement et la gestion des personnels qui relèvent de sa responsabilité / 4° La répartition des moyens qu'il consacre à l'éducation, afin d'assurer en particulier l'égalité d'accès au service public (...) ". Aux termes de l'article D. 211-9 du même code, relatif à " la carte scolaire du premier degré " : " Le nombre moyen d'élèves accueillis par classe et le nombre des emplois par école sont définis annuellement par le directeur académique des services de l'éducation nationale agissant sur délégation du recteur d'académie, compte tenu des orientations générales fixées par le ministre chargé de l'éducation, en fonction des caractéristiques des classes, des effectifs et des postes budgétaires qui lui sont délégués, et après avis du comité technique départemental. " Aux termes de l'article R. 235-11 de ce code : " Le conseil départemental de l'éducation est notamment consulté : / 1° Au titre des compétences de l'Etat : / (...) / e) Sur les modalités générales d'attribution des moyens en emplois et des dotations financières, ou en nature, pour les dépenses pédagogiques des collèges du département (...) ".
3. Il résulte de ces dispositions qu'il appartient au directeur académique des services de l'éducation nationale agissant sur délégation du recteur d'académie de définir, après avis du comité social d'administration spécial départemental - qui a succédé au comité technique départemental - et avis du conseil départemental de l'éducation, le nombre d'emplois d'enseignant par école du premier degré du département en tenant compte des orientations générales fixées par le ministre chargé de l'éducation nationale et en prenant en considération, notamment, le nombre d'élèves par école du premier degré et son évolution, tant au niveau de chaque école qu'à celui du département, les caractéristiques de l'ensemble des classes de chaque école et les postes budgétaires délégués.
4. Il résulte des énonciations de l'ordonnance attaquée qu'alors qu'il était soutenu devant elle par le recteur de l'académie de Nancy-Metz que les décisions litigieuses procédaient de la prise en compte de divers éléments, tels les caractéristiques de l'école élémentaire, l'effectif moyen des autres écoles du département et la réduction à hauteur de 54 équivalent temps plein de la dotation d'emplois d'enseignants allouée au département de Meurthe-et-Moselle pour l'année scolaire 2024-2025, la juge des référés du tribunal administratif de Nancy, pour estimer que le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation entachant les décisions supprimant un poste d'enseignant au sein de l'école élémentaire publique de Lenoncourt et confirmant cette suppression était de nature à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de ces décisions, s'est fondée sur la seule circonstance qu'à la suite de cette suppression, l'école élémentaire publique de Lenoncourt comporterait une classe unique composée de 28 élèves relevant de cinq niveaux différents. En statuant ainsi, alors qu'il lui appartenait, ainsi qu'il a été dit au point 3, de prendre en compte l'ensemble des circonstances relatives à l'école de Lenoncourt, aux autres écoles du département et aux moyens disponibles alloués à ces écoles, la juge des référés du tribunal administratif a, eu égard à son office, entaché son ordonnance d'erreur de droit.
5. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, que l'ordonnance attaquée doit être annulée.
6. Il y a lieu pour le Conseil d'Etat, en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l'affaire au titre de la procédure de référé engagée.
Sur la demande présentée en référé par la commune de Lenoncourt :
7. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision. "
8. L'urgence justifie que soit prononcée la suspension d'un acte administratif lorsque l'exécution de celui-ci porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. Il appartient au juge des référés, saisi de conclusions tendant à la suspension d'un acte administratif, d'apprécier concrètement et objectivement, compte tenu des justifications fournies par le requérant et de l'ensemble des circonstances de l'espèce, si les effets de l'acte litigieux sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue.
9. Il résulte de l'instruction que la ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche a, dans ses écritures devant le Conseil d'Etat, pris l'engagement de ne pas retirer le poste supplémentaire d'enseignant attribué à l'école de Lenoncourt pour l'année scolaire 2024-2025 en exécution de l'ordonnance de la juge des référés du 30 octobre 2024, même si le Conseil d'Etat, après avoir annulé cette ordonnance, rejetait la demande présentée à cette juge. Dans ces conditions, la condition d'urgence prévue à l'article L. 521-1 du code de justice administrative n'est pas satisfaite.
10. Il s'ensuit que sa demande en référé ne peut qu'être rejetée, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'existence d'un moyen de nature à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité des décisions contestées.
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme demandée sur son fondement, tant en première instance qu'en cassation, par la commune de Lenoncourt.
D E C I D E :
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Article 1er : L'ordonnance du 30 octobre 2024 de la juge des référés du tribunal administratif de Nancy est annulée.
Article 2 : La demande présentée devant la juge des référés du tribunal administratif de Nancy par la commune de Lenoncourt est rejetée.
Article 3 : Les conclusions présentées devant le Conseil d'Etat par la commune de Lenoncourt au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la ministre d'Etat, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche et à la commune de Lenoncourt.