Vu la procédure suivante :
Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 30 août 2019 par laquelle l'inspectrice du travail de l'unité de contrôle Paris 9 a autorisé son licenciement. Par un jugement n° 1923347/3-2 du 7 septembre 2020, le tribunal administratif a rejeté sa demande.
Par un arrêt n° 20PA03832 du 19 octobre 2021, la cour administrative d'appel de Paris a, sur appel de Mme A..., annulé ce jugement, puis, statuant par la voie de l'évocation, rejeté sa demande.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et deux mémoires en réplique, enregistrés les 16 mai et 16 août 2022 et les 26 mars et 29 avril 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme A... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) de mettre à la charge de la Banque de France la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que l'arrêt qu'elle attaque est entaché :
- d'erreur de droit en ce qu'il méconnaît l'article L. 1226-9 du code du travail aux termes duquel l'employeur ne peut rompre un contrat de travail faisant l'objet d'une suspension que s'il justifie soit d'une faute grave de l'intéressé, soit de son impossibilité de maintenir ce contrat pour un motif étranger à l'accident ou à la maladie ;
- d'insuffisance de motivation, d'inexacte qualification juridique des faits et de dénaturation des pièces du dossier en ce qu'il retient que les faits qui lui sont reprochés présentent une gravité suffisante pour justifier son licenciement ;
- d'erreur de droit au regard de l'article R. 2421-4 du code du travail et de dénaturation des pièces du dossier en ce qu'il juge que le caractère contradictoire de l'enquête menée par l'inspectrice du travail n'a pas été méconnu ;
- de défaut de réponse à un moyen, d'erreur de droit et de dénaturation des pièces du dossier en ce qu'il retient que la procédure disciplinaire était régulière alors qu'elle soutenait que sa convocation devant la commission de discipline ne respectait pas les dispositions fixées par le règlement intérieur de la Banque de France dès lors qu'elle n'avait pas été invitée à consulter son dossier avant la séance de cette commission.
Par un mémoire en défense, enregistré le 9 janvier 2024, la Banque de France conclut au rejet du pourvoi et à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge de Mme A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle soutient que les moyens soulevés par le pourvoi ne sont pas fondés.
Le pourvoi a été communiqué au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion, qui n'a pas produit de mémoire.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code monétaire et financier, notamment son article L. 142-9 ;
- le code du travail ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Cécile Fraval, maîtresse des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Cyrille Beaufils, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Waquet, Farge, Hazan, Feliers, avocat de Mme A... et à la SCP Célice, Texidor, Perier, avocat de la Banque de France ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme B... A... a été recrutée le 15 juillet 2014 par la Banque de France, par contrat à durée indéterminée, en qualité de contrôleuse bancaire affectée au secrétariat général de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution et qu'elle a été inscrite le 14 février 2019 sur la liste des candidats à l'élection des membres de la délégation du personnel du comité social et économique du secrétariat général de cette autorité. Par un courrier du 5 juillet 2019, l'employeur de Mme A... a sollicité auprès de l'inspection du travail l'autorisation de la licencier pour motif disciplinaire. Par une décision du 30 août 2019, l'inspectrice du travail a accordé cette autorisation. Par un jugement du 7 septembre 2020, le tribunal administratif de Paris a rejeté la demande de Mme A... tendant à l'annulation de cette décision. Mme A... se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 19 octobre 2021 par lequel la cour administrative d'appel de Paris, après avoir annulé ce jugement, a rejeté sa demande.
2. En vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés légalement investis de fonctions représentatives, qui bénéficient d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail. Lorsque leur licenciement est envisagé, celui-ci ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou avec leur appartenance syndicale. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail saisi et, le cas échéant, au ministre compétent, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier le licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi. Un agissement du salarié intervenu en dehors de l'exécution de son contrat de travail ne peut motiver un licenciement pour faute, sauf s'il traduit la méconnaissance par l'intéressé d'une obligation découlant de ce contrat.
3. En premier lieu, le caractère contradictoire de l'enquête menée conformément aux dispositions de l'article R. 2421-11 du code du travail impose à l'inspecteur du travail, saisi d'une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé fondée sur un motif disciplinaire, de mettre à même l'employeur et le salarié de prendre connaissance de l'ensemble des éléments déterminants qu'il a pu recueillir, y compris les témoignages, et qui sont de nature à établir ou non la matérialité des faits allégués à l'appui de la demande d'autorisation de licenciement.
4. Si Mme A... soutient que le caractère contradictoire de l'enquête prévue par les dispositions mentionnées au point précédent a été méconnu dès lors que l'inspecteur du travail ne lui a pas communiqué des éléments transmis par son employeur le 28 août 2019, soit deux jours avant l'édiction de la décision autorisant son licenciement, il ressort toutefois des pièces du dossier soumis aux juges du fond que ces éléments se bornaient à confirmer la date de réception du rapport d'enquête par Mme A... et la date de sa candidature à l'élection des membres de la délégation du personnel du comité social et économique. Par suite, en estimant que ces dernières observations écrites produites par l'employeur de Mme A... ne contenaient aucun élément nouveau ou déterminant et en en déduisant que le caractère contradictoire de l'enquête conduite par l'inspecteur du travail n'a pas été méconnu, la cour administrative d'appel n'a ni commis d'erreur de droit, ni dénaturé les pièces du dossier.
5. En deuxième lieu, Mme A... soutient que la procédure disciplinaire suivie avant la saisine de l'inspecteur du travail était entachée d'irrégularité dès lors qu'en méconnaissance des stipulations du règlement intérieur de la Banque de France, sa convocation à la séance de la commission disciplinaire du 13 juin 2019 ne mentionnait pas qu'elle pouvait consulter les pièces de son dossier préalablement à cette séance. Il ressort toutefois des énonciations de l'arrêt attaqué que la cour administrative d'appel a relevé que Mme A... avait été invitée par courrier du 27 mars 2019 présenté le 30 mars 2019 à prendre connaissance du rapport d'inspection issu de l'enquête conduite par l'inspection générale de la Banque de France ainsi que de son dossier administratif. La cour administrative d'appel, qui n'a pas entaché son arrêt de défaut de réponse à un moyen, a pu en déduire, par une appréciation souveraine exempte de dénaturation et sans commettre d'erreur de droit, que la procédure suivie devant la commission disciplinaire préalablement à la saisine de l'inspecteur du travail n'était pas entachée d'irrégularité.
6. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 1226-9 du code du travail, qui se trouve dans la section 3 " Accident du travail ou maladie professionnelle " du chapitre VI du titre II du livre II de la première partie du code du travail : " Au cours des périodes de suspension du contrat de travail, l'employeur ne peut rompre ce dernier que s'il justifie soit d'une faute grave de l'intéressé, soit de son impossibilité de maintenir ce contrat pour un motif étranger à l'accident ou à la maladie ". Ces dispositions ne s'appliquent que lorsque le contrat de travail du salarié est suspendu à la suite d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond et il n'est pas contesté que le contrat de travail de Mme A... a fait l'objet d'une suspension en raison de son placement en congé de maladie à raison d'une maladie non professionnelle. Par suite, le moyen tiré de ce que la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit en se bornant à rechercher si la faute qui était reprochée à Mme A... était d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, et non si son employeur justifiait d'une faute grave au sens des dispositions de l'article L. 1226-9 du code du travail, ne peut qu'être écarté.
7. En quatrième et dernier lieu, la cour administrative d'appel a relevé qu'alors qu'elle était placée en congé de maladie depuis plusieurs années, Mme A... s'est rendue le 29 janvier 2019 au forum " Paris Fintech " en compagnie d'un proche non salarié de la Banque de France, qu'elle a insisté pour accéder avec lui à ce forum en prétendant qu'ils étaient membres du cabinet du Gouverneur de la Banque de France et qu'ils accompagnaient le Gouverneur à cet événement, et qu'elle a pu ainsi y assister, avec la personne l'accompagnant, sans acquitter les droits d'entrée de 1 320 euros par personne, le paiement de ceux-ci ayant été, par la suite, demandé au cabinet du Gouverneur de la Banque de France. En jugeant que de tels faits, lesquels ont consisté pour l'intéressée, alors qu'elle exerçait les fonctions de contrôleur bancaire au sein de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, à usurper la qualité de membre de cabinet du Gouverneur de la Banque de France et ont de plus porté atteinte à la réputation et à l'image de la Banque de France, devaient être regardés comme une méconnaissance de l'obligation de loyauté découlant du contrat de travail à laquelle elle restait tenue même durant la suspension de son contrat, et en en déduisant que les faits reprochés à Mme A... présentaient une gravité suffisante pour justifier son licenciement, la cour, qui a suffisamment motivé son arrêt, n'a pas dénaturé les pièces du dossier, ni inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis.
8. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque.
9. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par la Banque de France au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les mêmes dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la Banque de France qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de Mme A... est rejeté.
Article 2 : Les conclusions présentées par la Banque de France au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à Mme B... A..., à la Banque de France et à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles.