Vu la procédure suivante :
Par une décision du 12 juillet 2021, la chambre de discipline du conseil régional de l'ordre des pharmaciens d'Ile-de-France, statuant sur la plainte du directeur général de l'Agence régionale de santé (ARS) d'Ile-de-France, a prononcé à l'encontre de Mme A... C..., pharmacienne titulaire d'officine à ... (Essonne), la sanction de l'interdiction temporaire d'exercer la pharmacie pendant une durée de dix-huit mois, dont six mois avec sursis.
Par une décision n° AD/05882-2/CN du 28 avril 2023, la chambre de discipline du Conseil national de l'ordre des pharmaciens, statuant sur l'appel de Mme B..., a annulé cette décision, et, statuant par voie d'évocation, prononcé à l'encontre de l'intéressée la sanction de l'interdiction d'exercer la pharmacie pendant une durée d'un an, dont trois mois avec sursis.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 28 juin et 13 septembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme B... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cette décision ;
2°) de mettre à la charge de l'ARS d'Ile-de-France et de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Coralie Albumazard, maîtresse des requêtes,
- les conclusions de M. Maxime Boutron, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, au Cabinet Rousseau, Tapie, avocat de Mme C... et à la SCP Celice, Texidor, Périer, avocat du Conseil national de l'ordre des pharmaciens ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier qu'à la suite d'une inspection réalisée les 5 et 14 décembre 2016 au sein de l'officine ... située à ... (Essonne), au cours de laquelle ont été relevés des dysfonctionnements concernant notamment des délivrances de médicaments par un membre du personnel non qualifié pour ce faire, les conditions de conservation des médicaments thermolabiles et le contrôle pharmaceutique des tâches accomplies par les apprenties, le directeur général de l'Agence régionale de santé (ARS) d'Ile-de-France a porté plainte contre Mme A... C..., pharmacienne titulaire de cette officine, auprès du conseil régional de l'ordre des pharmaciens d'Ile-de-France. Par une décision du 12 juillet 2021, la chambre de discipline du conseil régional de l'ordre des pharmaciens a prononcé à son encontre la sanction de l'interdiction temporaire d'exercer la pharmacie pendant une durée de dix-huit mois, dont six mois avec sursis. Mme C... se pourvoit en cassation contre la décision du 28 avril 2023 par laquelle la chambre de discipline du Conseil national de l'ordre des pharmaciens, après avoir annulé la décision du 12 juillet 2021 et évoqué l'affaire, a prononcé à son encontre la sanction de l'interdiction d'exercer la pharmacie pendant une durée d'un an dont trois mois avec sursis.
2. En premier lieu, l'article R. 4234-16 du code de la santé publique, dans sa version applicable au litige, dispose que : " Le secrétariat-greffe accuse réception de l'appel et le notifie aux parties. Il en avise également le président du conseil de première instance et lui demande de lui adresser le dossier de l'affaire, qui doit parvenir au conseil national dans les huit jours. Le dossier comporte, cotées, toutes les pièces qui ont été en possession des premiers juges ". Aux termes de l'article R. 4234-17 du même code : " Dès réception du dossier, le président de la chambre de discipline désigne, parmi les membres du conseil national, un rapporteur qui ne peut être choisi parmi les personnes susceptibles d'être récusées en application de l'article L. 721-1 du code de justice administrative ni parmi celles qui auraient pu connaître de l'affaire en première instance ". Aux termes de l'article R. 4234-18 du même code : " Le rapporteur a qualité pour procéder à l'audition du pharmacien poursuivi et, d'une façon générale, recueillir tous témoignages et procéder ou faire procéder à toutes constatations nécessaires à la manifestation de la vérité. Lorsqu'il a achevé l'instruction, le rapporteur transmet le dossier, accompagné de son rapport, au président de la chambre de discipline. Son rapport doit constituer un exposé objectif des faits ". Aux termes de l'article R. 4234-19 du même code : " Le pharmacien poursuivi est convoqué à l'audience par lettre recommandée avec demande d'avis de réception postal. Cette convocation parvient à l'intéressé quinze jours au moins avant la date fixée pour l'audience (...). La convocation précise que, jusqu'au jour fixé pour l'audience, le pharmacien et le plaignant peuvent prendre ou faire prendre connaissance du dossier par leur défenseur ". Enfin, aux termes de l'article R. 4234-20 du même code : " Le président dirige les débats. Il donne tout d'abord la parole au rapporteur pour la lecture de son rapport. Il procède ensuite à l'interrogatoire de l'intéressé et à l'audition des témoins. Tout membre de la chambre de discipline peut poser des questions par son intermédiaire. Il donne la parole au plaignant, l'intéressé ou son défenseur parlant en dernier. Il peut la retirer à quiconque en abuse ".
3. Il résulte de ces dispositions comme des règles générales de procédure devant les juridictions administratives que la procédure applicable devant la chambre de discipline du Conseil national de l'ordre des pharmaciens est essentiellement écrite. La circonstance qu'en l'absence de l'auteur du rapport d'instruction établi en vue de l'audience du 28 mars 2023, ce rapport ait été lu lors de cette audience par un autre membre de la juridiction n'est pas de nature à entacher cette décision d'irrégularité. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision attaquée aurait été rendue à l'issue d'une procédure irrégulière doit être écarté.
4. En deuxième lieu, aux termes de l'article R. 4235-12 du code de la santé publique : " Tout acte professionnel doit être accompli avec soin et attention, selon les règles de bonnes pratiques correspondant à l'activité considérée (...) ". Aux termes de l'article R. 4235-55 du même code : " L'organisation de l'officine ou de la pharmacie à usage intérieur doit assurer la qualité de tous les actes qui y sont pratiqués (...) ".
5. Si la requérante soutient que le principe de légalité des délits et des peines s'opposait à ce que la chambre de discipline du Conseil national de l'ordre des pharmaciens lui inflige une sanction fondée sur la méconnaissance des dispositions citées au point précédent, qui n'auraient pas défini avec une précision suffisante les obligations imposées aux pharmaciens titulaires d'officine, toutefois, pour ce qui concerne les sanctions susceptibles d'être infligées aux membres des professions réglementées, y compris celles revêtant un caractère disciplinaire, le principe de légalité des délits est satisfait dès lors que les textes applicables font référence à des obligations auxquelles les intéressés sont soumis en raison de l'activité qu'ils exercent, de la profession à laquelle ils appartiennent ou de l'institution dont ils relèvent. Par suite, les moyens tirés de ce que la chambre de discipline aurait entaché sa décision d'erreur de droit et d'insuffisance de motivation en jugeant que le défaut de suivi des températures du réfrigérateur dans lequel étaient conservés des médicaments thermolabiles, d'une part, et le contrôle insuffisant des tâches accomplies par les apprenties en cas d'affluence dans l'officine, d'autre part, devaient être regardés comme des manquements aux obligations découlant des articles R. 4235-12 et R. 4235-55 du code de la santé publique doivent être écartés.
6. En troisième lieu, par la décision attaquée, la chambre de discipline du Conseil national de l'ordre des pharmaciens a jugé qu'il résultait de l'instruction, notamment du rapport d'inspection, qu'en cas d'affluence dans l'officine, le personnel qualifié était en nombre insuffisant pour contrôler le travail des deux apprenties. La circonstance que le nombre d'apprenties présentes dans l'officine respecte les conditions posées par la convention collective nationale de la pharmacie d'officine du 3 décembre 1997 est, contrairement à ce qui est soutenu, sans incidence sur la caractérisation du manquement relevé au regard des obligations qui découlent de l'article R. 4235-55 du code de la santé publique, dont il résulte notamment l'obligation d'organiser les modalités de fonctionnement de l'officine de façon à assurer la qualité de tous les actes qui y sont pratiqués, y compris en cas de présence simultanée de plusieurs clients dans cette dernière. Par suite, le moyen d'erreur de droit tiré de ce que la chambre de discipline ne pouvait qualifier de manquement le nombre insuffisant de personnel qualifié pour contrôler le travail des apprenties en cas d'affluence dans l'officine doit, en tout état de cause, être écarté.
7. En quatrième lieu, aux termes de l'article R. 4235-13 du code de la santé publique : " L'exercice personnel auquel est tenu le pharmacien consiste pour celui-ci à exécuter lui-même les actes professionnels ou à en surveiller attentivement l'exécution s'il ne les accomplit pas lui-même ".
8. Il ressort des pièces du dossier que l'équipe de l'officine " ... " comprenait, à la date de l'inspection, outre sa pharmacienne titulaire, une pharmacienne adjointe, une préparatrice en pharmacie, une rayonniste et conseillère dermo-cosmétique phytothérapie, ainsi que deux apprenties. Si la requérante fait valoir que cet effectif était suffisant pour contrôler le travail réalisé par ces deux dernières, compte tenu en outre de la surface réduite de l'officine, et qu'aucune défaillance n'a été retenue à son encontre pour ce motif, ces arguments sont sans incidence sur la caractérisation du manquement sanctionné, qui résulte, en amont d'une éventuelle défaillance, de l'absence de mise en place d'une organisation de nature à garantir une présence pharmaceutique sur l'ensemble de la plage horaire d'ouverture de la pharmacie permettant d'assurer la surveillance des tâches effectuées par le personnel non pharmacien, notamment en période d'affluence. Par suite, les moyens d'erreur de qualification juridique des faits et de dénaturation des pièces du dossier doivent, en tout état de cause, être écartés.
9. En cinquième lieu, d'une part, aux termes de l'article L. 4234-6 du code de la santé publique : " La chambre de discipline prononce, s'il y a lieu, l'une des peines suivantes : / 1° L'avertissement ; / 2° Le blâme avec inscription au dossier ; / 3° L'interdiction temporaire ou définitive de servir une ou la totalité des fournitures faites, à quelque titre que ce soit, aux établissements publics ou reconnus d'utilité publique, aux communes, aux départements ou à l'Etat ; / 4° L'interdiction, pour une durée maximum de cinq ans avec ou sans sursis, d'exercer la pharmacie ; / 5° L'interdiction définitive d'exercer la pharmacie. (...) ". D'autre part, si le choix de la sanction relève de l'appréciation des juges du fond au vu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, il appartient au juge de cassation de vérifier que la sanction retenue n'est pas hors de proportion avec la faute commise et qu'elle a pu dès lors être légalement prise.
10. Par la décision attaquée, la chambre de discipline du Conseil national de l'ordre des pharmaciens a jugé que les manquements relatifs, d'une part, à la délivrance de médicaments par une employée qui n'était ni pharmacienne, ni préparatrice en pharmacie, d'autre part, aux mauvaises conditions de conservation des médicaments thermolabiles et, enfin, au contrôle pharmaceutique insuffisant des tâches accomplies par les apprenties justifiaient une sanction disciplinaire qu'elle a fixé à une interdiction d'exercer la pharmacie pendant une durée d'un an, dont trois mois avec sursis. Eu égard aux manquements retenus à l'encontre de Mme C..., cette sanction prononcée n'est pas hors de proportion avec les manquements reprochés.
11. Il résulte de tout ce qui précède que Mme C... n'est pas fondée à demander l'annulation de la décision qu'elle attaque. Son pourvoi doit, par suite, être rejeté, y compris ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de Mme C... est rejeté.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à Mme A... C... et à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles
Copie en sera adressée au Conseil national de l'ordre des pharmaciens.
Délibéré à l'issue de la séance du 12 mai 2025 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre ; M. Jean-Philippe Mochon, président de chambre ; M. Alain Seban, Mme Laurence Helmlinger, M. Laurent Cabrera, M. Christophe Pourreau, M. Stéphane Hoynck, conseillers d'Etat et Mme Coralie Albumazard, maîtresse des requêtes-rapporteure.
Rendu le 6 juin 2025.
Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl
La rapporteure :
Signé : Mme Coralie Albumazard
Le secrétaire :
Signé : M. Bernard Longieras