Vu les procédures suivantes :
1° Sous le n° 471435, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 16 février et 15 mai 2023 et 14 février 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société anonyme coopérative d'intérêt collectif d'habitation à loyer modéré (SCIC HLM) A... demande au Conseil d'Etat :
1°) à titre principal, d'annuler la décision du 14 novembre 2022 par laquelle le ministre chargé du logement a prononcé à son encontre une sanction pécuniaire d'un montant de 530 000 euros ;
2°) à titre subsidiaire, de réformer cette décision ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
2° Sous le n° 471437, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 16 février et 15 mai 2023 et 14 février 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société HLM A... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler le titre de recettes émis à son encontre le 5 janvier 2023 par la Caisse de garantie du logement locatif social et de la décharger de l'obligation de payer la somme correspondante ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule ;
- le code de la construction et de l'habitation ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 ;
- le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Coralie Albumazard, maîtresse des requêtes,
- les conclusions de M. Florian Roussel, rapporteur public.
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Guérin - Gougeon, avocat de l'Office public de l'habitat Gennevilliers.
Considérant ce qui suit :
1. Il résulte de l'instruction que l'office public de l'habitat de Gennevilliers, qui s'est transformé le 1er janvier 2020 en société anonyme coopérative d'intérêt collectif d'habitations à loyer modéré (SCIC HLM) sous le nom de A..., a fait l'objet d'un contrôle diligenté par l'Agence nationale de contrôle du logement social (ANCOLS) sur le fondement des articles L. 342-2 et suivants du code de la construction et de l'habitation. A l'issue de ce contrôle et sur proposition du conseil d'administration de l'agence adoptée le 6 octobre 2021, le ministre délégué auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé de la ville et du logement, lui a infligé, par une décision du 14 novembre 2022, une sanction pécuniaire d'un montant de 530 000 euros, en raison d'abattements illégalement pratiqués sur le supplément de loyer de solidarité dû par les locataires qui y sont soumis. Le 5 janvier 2023, l'agent comptable de la Caisse de garantie du logement locatif social (CGLLS) lui a adressé un titre exécutoire aux fins de recouvrer cette somme. A... demande l'annulation de ces deux décisions par deux requêtes qu'il y a lieu de joindre pour statuer par une seule décision.
Sur la sanction pécuniaire prononcée par le ministre chargé du logement :
En ce qui concerne la régularité de la sanction attaquée :
2. En premier lieu, il ne résulte pas de l'instruction que le délai d'environ treize mois qui s'est écoulé entre la proposition de sanction, formulée par le conseil d'administration de l'ANCOLS le 6 octobre 2021, et la décision du ministre du 14 novembre 2022, aurait revêtu, dans les circonstances de l'espèce, un caractère déraisonnable de nature à entacher d'irrégularité la procédure au terme de laquelle la sanction litigieuse a été prononcée.
3. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : / (...) 2° Infligent une sanction ".
4. Il résulte des termes de la décision attaquée, qui vise les dispositions du code de la construction et de l'habitation sur lesquelles elle se fonde, que celle-ci précise les considérations de fait qui justifient la sanction, à savoir les abattements pratiqués sur les suppléments de loyer de solidarité dus par les locataires en méconnaissance des textes applicables, ainsi que l'assiette et le taux de la pénalité mise à la charge de A.... Le moyen tiré de ce que cette décision serait insuffisamment motivée ne peut, par suite, qu'être écarté.
En ce qui concerne le bien-fondé de la sanction attaquée :
5. Aux termes de l'article L. 342-14 du code de la construction et de l'habitation : " I. Après que la personne ou l'organisme a été mis en demeure de présenter ses observations en application de l'article L. 342-12 ou, en cas de mise en demeure, à l'issue du délai mentionné à ce même article, l'agence peut proposer au ministre chargé du logement de prononcer les sanctions suivantes : / 1° Une sanction pécuniaire, qui ne peut excéder deux millions d'euros. Toutefois : / (...) b) En cas de non-respect des règles d'application du supplément de loyer de solidarité prévu à l'article L. 441-3, elle est prononcée dans les limites prévues par la convention conclue avec l'Etat et des montants mentionnés à l'article L. 441-11 ; (...) ". Aux termes de l'article L. 441-11 dudit code, dans sa version antérieure à la loi du 30 décembre 2017 de finances pour 2018 : " L'organisme d'habitations à loyer modéré qui n'a pas exigé le paiement du supplément de loyer ou qui n'a pas procédé aux diligences lui incombant pour son recouvrement, à l'exclusion de celles relevant de la responsabilité propre d'un comptable public, est passible d'une pénalité dont le montant est égal à 50 % des sommes exigibles et non mises en recouvrement ". L'article 126 de la loi 30 décembre 2017 qui est entré en vigueur le 31 décembre 2017, a porté ce plafond à 100 % des sommes exigibles et non mises en recouvrement.
6. Le montant de cette sanction pécuniaire doit être fixé en tenant compte, non seulement du manque à gagner qui en résulte pour l'organisme concerné, mais également de l'ampleur de cette pratique, des raisons pour lesquelles elle a été décidée et mise en œuvre, de ses conséquences sur les objectifs fixés par les articles L. 441 et L. 441-1 du code de la construction et de l'habitation, de la taille de l'organisme ou de sa situation financière et, le cas échéant, des mesures qu'il a prises pour les faire cesser.
7. En premier lieu, il résulte des termes mêmes de la décision de sanction attaquée qu'en infligeant à A... une sanction pécuniaire d'un montant de 530 000 euros, le ministre chargé du logement a entendu lui appliquer, pour les années 2016, 2017 et 2018, une pénalité correspondant, sous réserve de leur arrondissement, à 100 % des sommes qu'il avait évaluées comme exigibles au titre du supplément de loyer de solidarité et non mises en recouvrement durant ces années. En se prononçant ainsi, alors qu'en application du principe de non-rétroactivité des lois répressives plus sévères découlant de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 applicable à toute sanction ayant le caractère d'une punition, et compte tenu des dispositions citées au point 5 alors en vigueur, le montant de la pénalité ne pouvait excéder 50 % des sommes exigibles et non mises en recouvrement durant les années 2016 et 2017, le ministre chargé du logement a commis une erreur de droit.
8. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction, et notamment du rapport provisoire et du rapport définitif de l'ANCOLS, que l'assiette de cette pénalité a été fixée sur la base d'une extrapolation, sur les trois années considérées, de l'évaluation faite par les contrôleurs de l'ANCOLS des sommes exigibles au titre du supplément de loyer de solidarité et non mises en recouvrement pour la seule année 2018, à partir de " 1 100 ménages enquêtés ", soit une somme représentant trois fois 179 331 euros, arrondie à 530 000 euros. A... produit, à l'appui de sa contestation de cette évaluation, des tableaux nominatifs répertoriant, pour chacune des trois années, les montant annuels des suppléments de loyer de solidarité facturables et facturés, lesquels ne mettent en évidence qu'un solde de 48 053,17 euros en 2016, 59 038,33 euros en 2017 et 66 469 euros en 2018. Le ministre qui se borne à faire valoir que A... n'avait pas jusque-là apporté des justificatifs ou des correctifs à l'évaluation à laquelle il avait procédé, n'oppose aucune critique circonstanciée aux éléments ainsi produits par la requérante. Il en résulte, compte tenu des principes rappelés au point 7, que la pénalité infligée à A... ne saurait excéder le montant maximal de 24 026,58 euros pour l'année 2016, 29 519,16 euros pour l'année 2017 et 66 469 euros pour l'année 2018, soit 120 014,74 euros pour l'ensemble de ces trois années.
9. Enfin, il résulte de l'instruction que, par une délibération du 22 septembre 2011, le conseil d'administration de l'office public de l'habitat de Gennevilliers a décidé d'appliquer un abattement temporaire sur la quittance de loyer des locataires assujettis au supplément de loyer de solidarité, afin de préserver la mixité sociale, dans l'attente qu'un nombre suffisant de logements intermédiaires adaptés au parcours résidentiel puisse être proposé aux locataires concernés. Si cette pratique a perduré pendant plusieurs années, il résulte néanmoins de l'instruction qu'elle n'a concerné qu'environ 1 % des locataires du parc géré par l'organisme requérant et que ce dernier y a mis un terme à l'issue du contrôle effectué par l'ANCOLS. Par suite, en fixant le montant de la sanction pécuniaire infligée à A... au maximum encouru en application du I de l'article L. 342-14 du code de la construction et de l'habitation sans tenir compte de ces circonstances, le ministre a méconnu les principes mentionnés au point 6.
10. Il résulte de tout ce qui vient d'être dit que A... est fondée à soutenir le ministre chargé du logement ne pouvait légalement lui infliger une sanction pécuniaire de 530 000 euros.
11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, au regard de la gravité des faits reprochés telle qu'elle résulte de l'ensemble des considérations qui viennent d'être mentionnées et compte tenu de la situation financière et de la taille de l'organisme, de fixer le montant de la sanction pécuniaire infligée à A... à la somme de 50 000 euros.
Sur le titre exécutoire :
12. En premier lieu, aux termes de l'article 11 du décret du du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique : " Les ordonnateurs constatent les droits et les obligations, liquident les recettes et émettent les ordres de recouvrer ". Aux termes de l'article 28 du même décret : " L'ordre de recouvrer fonde l'action de recouvrement. Il a force exécutoire dans les conditions prévues par l'article L. 252 A du livre des procédures fiscales. / Le comptable public muni d'un titre exécutoire peut poursuivre l'exécution forcée de la créance correspondante auprès du redevable, dans les conditions propres à chaque mesure d'exécution ". Enfin, aux termes de l'article 192 dudit décret : " L'ordre de recouvrer émis dans les conditions prévues à l'article 28 est adressé aux redevables sous pli simple ou, le cas échéant, par voie électronique, soit par l'ordonnateur, soit par l'agent comptable ".
13. La requérante ne peut utilement se prévaloir, pour contester la compétence de l'auteur du titre exécutoire n° 2022000112 émis à son encontre le 31 décembre 2022 pour obtenir le recouvrement de la somme de 530 000 euros, de la circonstance que l'avis des sommes à payer qui lui a été adressé a été signé par l'agent comptable de la Caisse de garantie du logement locatif social qui a pris en charge le recouvrement de cette créance, lequel avait compétence, en application de l'article 192 du décret du 7 novembre 2012, pour adresser l'ordre de recouvrer au débiteur.
14. En second lieu, il résulte de ce qui a été dit au point 11 qu'il y a lieu de décharger A... de l'obligation de payer la somme de 530 000 euros résultant de ce titre exécutoire, à hauteur de 480 000 euros.
Sur les frais de l'instance :
15. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : Le montant de la sanction pécuniaire infligée à A... pour les abattements illégalement pratiqués sur le supplément de loyer de solidarité en 2016, 2017 et 2018 est fixé à 50 000 euros.
Article 2 : A... est déchargée de l'obligation de payer la somme de 530 000 euros résultant du titre exécutoire n° 2022000112 émis à son encontre le 31 décembre 2022, à hauteur de 480 000 euros.
Article 3 : L'Etat versera à A... la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de A... est rejeté.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la société A..., au ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation, à la ministre chargée des comptes publics et à la Caisse de garantie du logement locatif social.
Copie en sera adressée à l'Agence nationale de contrôle du logement social.
Délibéré à l'issue de la séance du 29 avril 2025 où siégeaient : M. Jean-Philippe Mochon, président de chambre, présidant ; Mme Laurence Helmlinger, conseillère d'Etat et Mme Coralie Albumazard, maîtresse des requêtes-rapporteure.
Rendu le 23 mai 2025.
Le président :
Signé : M. Jean-Philippe Mochon
La rapporteure :
Signé : Mme Coralie Albumazard
Le secrétaire :
Signé : M. Bernard Longieras