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22/05/2025 | FRANCE | N°498537

France | France, Conseil d'État, 4ème chambre, 22 mai 2025, 498537


Vu la procédure suivante :



Par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés le 21 octobre 2024 et le 21 janvier 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme B... A... demande au Conseil d'Etat :



1°) de condamner l'Etat à lui verser une indemnité de 229 000 euros en réparation des préjudices matériel et moral qu'elle estime avoir subis du fait de la durée excessive de la procédure engagée devant le tribunal administratif de Limoges dans le cadre du litige l'opposant à l'Etat ;


r> 2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros à verser à la société C...

Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés le 21 octobre 2024 et le 21 janvier 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme B... A... demande au Conseil d'Etat :

1°) de condamner l'Etat à lui verser une indemnité de 229 000 euros en réparation des préjudices matériel et moral qu'elle estime avoir subis du fait de la durée excessive de la procédure engagée devant le tribunal administratif de Limoges dans le cadre du litige l'opposant à l'Etat ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros à verser à la société Corlay, son avocat, au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Par un mémoire en défense enregistré le 8 février 2025, le ministre d'Etat, garde des sceaux, ministre de la justice, demande que le montant de l'indemnisation accordée soit limité à 2 000 euros.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Hugo Bevort, conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Jean-François de Montgolfier, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à Me Corlay, avocat de Mme A... ;

Considérant ce qui suit :

1. Mme A... demande la condamnation de l'Etat à l'indemniser des préjudices matériel et moraux qu'elle estime avoir subis en raison de la durée excessive de la procédure qu'elle a engagée devant la juridiction administrative afin d'obtenir l'annulation pour excès de pouvoir de la décision du 29 mars 2019 par laquelle le ministre de l'intérieur a prononcé son licenciement pour insuffisance professionnelle ainsi que l'indemnisation de divers préjudices.

2. Il résulte des principes généraux qui gouvernent le fonctionnement des juridictions administratives que les justiciables ont droit à ce que leurs requêtes soient jugées dans un délai raisonnable. Si la méconnaissance de cette obligation est sans incidence sur la validité de la décision juridictionnelle prise à l'issue de la procédure, les justiciables doivent néanmoins pouvoir en faire assurer le respect. Ainsi, lorsque la méconnaissance du droit à un délai raisonnable de jugement leur a causé un préjudice, ils peuvent obtenir la réparation de l'ensemble des dommages, tant matériels que moraux, directs et certains, ainsi causés par le fonctionnement défectueux du service public de la justice. Le caractère raisonnable du délai de jugement d'une affaire doit s'apprécier de manière à la fois globale, compte tenu, notamment, de l'exercice des voies de recours, particulières à chaque instance, et concrète, en prenant en compte sa complexité, les conditions de déroulement de la procédure et, en particulier, le comportement des parties tout au long de celle-ci, mais aussi, dans la mesure où la juridiction saisie a connaissance de tels éléments, l'intérêt qu'il peut y avoir, pour l'une ou l'autre, compte tenu de sa situation particulière, des circonstances propres au litige et, le cas échéant, de sa nature même, à ce qu'il soit tranché rapidement. Lorsque la durée globale du jugement n'a pas dépassé le délai raisonnable, la responsabilité de l'Etat est néanmoins susceptible d'être engagée si la durée de l'une des instances a, par elle-même, revêtu une durée excessive.

3. Il résulte de l'instruction que Mme A... a, par une requête enregistrée le 7 juin 2019, demandé au tribunal administratif de Limoges l'annulation pour excès de pouvoir de la décision du 29 mars 2019 par laquelle le ministre de l'intérieur l'a licenciée pour insuffisance professionnelle tout en demandant le renvoi de l'affaire devant une autre juridiction pour cause de suspicion légitime. Par une ordonnance nos 1901016, 1901020 du 12 juin 2019, le tribunal administratif de Limoges a transmis cette demande à la cour administrative d'appel de Bordeaux. Par un arrêt nos 19BX01962, 19BX02273 du 5 juillet 2019, la cour administrative de Bordeaux a rejeté la demande de Mme A... tendant au renvoi de l'affaire devant une autre juridiction. Par un nouveau mémoire enregistré le 4 novembre 2019 au greffe du tribunal administratif de Limoges, Mme A... a de nouveau sollicité le dessaisissement de ce tribunal au profit d'une autre juridiction. Par un autre mémoire enregistré le 20 février 2021 au greffe de ce même tribunal, elle a réitéré cette demande. Par une ordonnance n° 1901020 du 18 janvier 2022, le président du tribunal administratif de Limoges a transmis le dossier de la requête au président de la section du contentieux du Conseil d'Etat. Par une ordonnance n° 460628 du 7 février 2022, le président de la section du contentieux du Conseil d'Etat a attribué le jugement de l'affaire au tribunal administratif de Clermont-Ferrand. Par un jugement n° 2200297 du 31 décembre 2024, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté la requête de Mme A..., qui avait adjoint des conclusions visant à la condamnation de l'Etat à l'indemniser de divers préjudices à ses conclusions tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de la décision du 29 mars 2019.

4. Il résulte de l'instruction que la procédure devant la juridiction administrative compétente pour connaitre en premier ressort de la demande de Mme A... a duré cinq ans, six mois et vingt-trois jours. Un tel délai, s'il est pour partie imputable à la requérante, excède néanmoins le délai raisonnable de jugement d'une affaire, eu égard à la nature du litige ainsi qu'à l'absence de difficultés particulières propres à cette affaire, de sorte que Mme A... est fondée demander réparation du préjudice qu'elle a subi de ce fait.

5. La durée excessive de la procédure décrite au point 4 a occasionné pour Mme A... un préjudice moral consistant en des désagréments qui vont au-delà des préoccupations habituellement causées par un procès, sans que puisse avoir une quelconque incidence sur l'appréciation de ce préjudice la perte de revenus engendrée par son licenciement pour insuffisance professionnelle, une telle perte étant sans lien avec la faute commise par le service public de la justice du fait de la durée excessive de la procédure en cause. Il sera fait, dans les circonstances de l'espèce, une juste appréciation de son préjudice moral en lui allouant la somme de 2 000 euros, tous intérêts compris au jour de la présente décision.

6. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées sur le fondement des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 par la société Corlay, avocat de Mme A....

D E C I D E :

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Article 1er : L'Etat est condamné à verser à Mme A... la somme de 2 000 euros, tous intérêts compris à la date de la présente décision.

Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme A... est rejeté.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à Mme B... A... et au ministre d'Etat, garde des sceaux, ministre de la justice.

Copie en sera adressée pour information à la présidente de la mission permanente d'inspection des juridictions administratives.


Synthèse
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 498537
Date de la décision : 22/05/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 22 mai. 2025, n° 498537
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Hugo Bevort
Rapporteur public ?: M. Jean-François de Montgolfier
Avocat(s) : CORLAY

Origine de la décision
Date de l'import : 24/05/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2025:498537.20250522
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