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21/05/2025 | FRANCE | N°464769

France | France, Conseil d'État, 3ème - 8ème chambres réunies, 21 mai 2025, 464769


Vu la procédure suivante :



La société par actions simplifiée (SAS) Pigeon Granulats Ouest a demandé au tribunal administratif de Rennes de prononcer la décharge des suppléments de taxe foncière sur les propriétés bâties et de cotisation foncière des entreprises auxquels elle a été assujettie au titre, respectivement, des années 2016 et 2017 et des années 2014 à 2017 dans les rôles de la commune de Vieux-Vy-sur-Couesnon (Ille-et-Vilaine), ainsi que des majorations correspondantes. Par un jugement nos 1900172, 1900216, 1904686 et 1904698 du 30 septe

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Vu la procédure suivante :

La société par actions simplifiée (SAS) Pigeon Granulats Ouest a demandé au tribunal administratif de Rennes de prononcer la décharge des suppléments de taxe foncière sur les propriétés bâties et de cotisation foncière des entreprises auxquels elle a été assujettie au titre, respectivement, des années 2016 et 2017 et des années 2014 à 2017 dans les rôles de la commune de Vieux-Vy-sur-Couesnon (Ille-et-Vilaine), ainsi que des majorations correspondantes. Par un jugement nos 1900172, 1900216, 1904686 et 1904698 du 30 septembre 2020, ce tribunal, après avoir prononcé un non-lieu à statuer à hauteur de dégrèvements intervenus en cours d'instance, a rejeté le surplus de ses demandes.

Par un arrêt n° 20NT03365 du 15 avril 2022, la cour administrative d'appel de Nantes a, d'une part, renvoyé au Conseil d'Etat le pourvoi formé par la société Pigeon Granulats Ouest contre ce jugement, en tant qu'il a statué sur sa demande en décharge des suppléments de taxe foncière sur les propriétés bâties et, d'autre part, statuant sur l'appel formé par cette société contre ce jugement en tant qu'il a statué sur sa demande en décharge des suppléments de cotisation foncière des entreprises, a exclu la prise en compte, pour la détermination des bases d'imposition, des divisions B des parcelles cadastrées 706P, 707P et 708P ainsi que, pour les années 2014 à 2016, du gisement et des frais de découverte et, pour l'ensemble des années, des clôtures et portails, prononcé la décharge correspondante, réformé le jugement du tribunal en ce qu'il avait de contraire et rejeté le surplus des conclusions de la requête.

Par un pourvoi et un mémoire en réplique, enregistrés les 8 juin 2022 et 13 février 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt en tant qu'il exclut des bases de la cotisation foncière des entreprises en litige la valeur locative du gisement et des frais de découverte pour les années 2014 à 2016 et des clôtures et portails pour l'ensemble des années ;

2°) réglant l'affaire au fond dans cette mesure, de rejeter l'appel de la société Pigeon Granulats Ouest et de remettre à la charge de la société par actions simplifiée (SAS) Pigeon Carrières, venant aux droits de cette dernière, les montants de cotisation foncière des entreprises dont elle a obtenu la décharge au titre du gisement, des frais de découverte, ainsi que des clôtures et portails.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Muriel Deroc, maîtresse des requêtes,

- les conclusions de Mme Marie-Gabrielle Merloz, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SAS Hannotin avocats, avocat de la société Pigeon carrières ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces des dossiers soumis aux juges du fond qu'au regard d'informations recueillies dans le cadre d'une vérification de comptabilité de la société Pigeon Carrières, société ayant absorbé au 1er novembre 2019 la société Pigeon Granulats Ouest qui exploitait un site d'extraction à Vieux-Vy-sur-Couesnon (Ille-et-Vilaine), l'administration fiscale a assujetti l'intéressée à des cotisations supplémentaires de taxe foncière sur les propriétés bâties au titre des années 2016 et 2017 et à des suppléments de cotisation foncière des entreprises au titre des années 2014 à 2017, à raison de l'inclusion des carrières dans le champ d'application de la taxe foncière sur les propriétés bâties et de la réévaluation des biens passibles de cette taxe en conséquence de l'application de la méthode comptable pour déterminer leur valeur locative. Par un jugement du 30 septembre 2020, le tribunal administratif de Rennes, après avoir constaté un non-lieu à statuer à concurrence de dégrèvements intervenus en cours d'instance, a rejeté la demande de la société Pigeon Carrières tendant à la décharge de ces suppléments d'impôt. Par un arrêt du 15 avril 2022, la cour administrative d'appel de Nantes a, d'une part, renvoyé au Conseil d'Etat le pourvoi en cassation formé par la société Pigeon Carrières contre le rejet de ses conclusions relatives à la taxe foncière sur les propriétés bâties (article 1er), d'autre part, exclu des bases de la cotisation foncière des entreprises la valeur locative des divisions B des parcelles cadastrées 706P, 707P et 708P ainsi que, pour les années 2014 à 2016, celle du gisement, y compris les frais exposés pour sa découverte, et, pour l'ensemble des années, celle des clôtures et des portails, prononcé la décharge des suppléments d'imposition correspondants et réformé en ce sens le jugement du tribunal administratif de Rennes (articles 2 à 5), et, enfin, rejeté le surplus des conclusions de la requête de la société Pigeon Carrières (article 6). Le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique demande l'annulation des articles 2 à 5 de cet arrêt en tant qu'ils excluent des bases de la cotisation foncière des entreprises en litige la valeur locative du gisement, des frais de découverte et des clôtures et portails. La société Pigeon Carrières demande, par la voie du pourvoi incident, l'annulation de l'article 6 de cet arrêt.

Sur le pourvoi du ministre :

2. D'une part, aux termes de l'article 1380 du code général des impôts : " La taxe foncière est établie annuellement sur les propriétés bâties sises en France à l'exception de celles qui en sont expressément exonérées par les dispositions du présent code. " Selon l'article 1381 du même code : " Sont également soumis à la taxe foncière sur les propriétés bâties : / 1° Les installations destinées à abriter des personnes ou des biens ou à stocker des produits ainsi que les ouvrages en maçonnerie présentant le caractère de véritables constructions tels que, notamment, les cheminées d'usine, les réfrigérants atmosphériques, les formes de radoub, les ouvrages servant de support aux moyens matériels d'exploitation ; / 2° Les ouvrages d'art et les voies de communication (...) ". Selon l'article 1382 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable aux impositions en litige : " Sont exonérés de la taxe foncière sur les propriétés bâties : / (...) / 11° Les outillages et autres installations et moyens matériels d'exploitation des établissements industriels à l'exclusion de ceux visés à l'article 1381 1° et 2°( ...) ". Aux termes du premier alinéa de l'article 1495 de ce code : " Chaque propriété ou fraction de propriété est appréciée d'après sa consistance, son affectation, sa situation et son état, à la date de l'évaluation." Aux termes du II de l'article 324 B de l'annexe III au même code : " Pour l'appréciation de la consistance il est tenu compte de tous les travaux équipements ou éléments d'équipement existant au jour de l'évaluation. " D'autre part, aux termes de l'article 1467 du code général des impôts : " La cotisation foncière des entreprises a pour base la valeur locative des biens passibles d'une taxe foncière situés en France, à l'exclusion des biens exonérés de taxe foncière sur les propriétés bâties en vertu des 11° et 12° de l'article 1382, dont le redevable a disposé pour les besoins de son activité professionnelle pendant la période de référence définie aux articles 1467 A et 1478, à l'exception de ceux qui ont été détruits ou cédés au cours de la même période. (...) La valeur locative des biens passibles d'une taxe foncière est calculée suivant les règles fixées pour l'établissement de cette taxe (...) ". Aux termes de l'article 1467 A du même code : " Sous réserve des II, III IV et VI de l'article 1478 la période de référence retenue pour déterminer les bases de cotisation foncière des entreprises est l'avant-dernière année précédant celle de l'imposition ou le dernier exercice de douze mois clos au cours de cette même année lorsque cet exercice ne coïncide pas avec l'année civile. "

3. En premier lieu, aux termes de l'article 1499 du code général des impôts : " La valeur locative des immobilisations industrielles passibles de la taxe foncière sur les propriétés bâties est déterminée en appliquant au prix de revient de leurs différents éléments (...) des taux d'intérêt fixés par décret en Conseil d'Etat (...) ". Aux termes du premier alinéa de l'article 324 AE de l'annexe III au code général des impôts : " Le prix de revient visé à l'article 1499 du code général des impôts s'entend de la valeur d'origine pour laquelle les immobilisations doivent être inscrites au bilan en conformité de l'article 38 quinquies. " Aux termes de l'article 38 quater de la même annexe : " Les entreprises doivent respecter les définitions édictées par le plan comptable général, sous réserve que celles-ci ne soient pas incompatibles avec les règles applicables pour l'assiette de l'impôt. " Enfin, aux termes de l'articles 38 quinquies de la même annexe : " 1. Les immobilisations sont inscrites au bilan pour leur valeur d'origine. / Cette valeur d'origine s'entend : / a. Pour les immobilisations acquises à titre onéreux, du coût d'acquisition, c'est-à-dire du prix d'achat minoré des remises, rabais commerciaux et escomptes de règlement obtenus et majoré des coûts directement engagés pour la mise en état d'utilisation du bien et des coûts d'emprunt dans les conditions prévues à l'article 38 undecies. (...) ". Il résulte de ces dispositions que les immobilisations industrielles passibles de la taxe foncière doivent être évaluées d'après leur prix de revient, qui est celui inscrit à l'actif du bilan. Sauf pour le contribuable à démontrer que des dépenses inscrites au registre de ses immobilisations constitueraient en réalité des charges déductibles, l'administration fiscale peut se fonder sur les écritures comptables du contribuable, qui lui sont opposables, pour établir, selon la méthode comptable prévue par l'article 1499 du code général des impôts, la valeur locative des immobilisations.

4. Le règlement n° 2014-05 du 2 octobre 2014 de l'autorité des normes comptables prévoit la comptabilisation des gisements composant les terrains de carrières, non plus en tant qu'immobilisations, comme le prévoyait antérieurement le règlement n° 2004-06 du 23 novembre 2004, mais en tant qu'éléments de stock, exclus par suite des bases imposables à la cotisation foncière des entreprises. Il résulte cependant de l'article 3 de ce règlement n° 2014-05 que ses dispositions sont applicables aux exercices ouverts à compter du 1er janvier 2015 et peuvent être appliquées par anticipation aux exercices en cours à la date de sa publication. Or, il était constant devant les juges du fond que la société Pigeon Granulats Ouest clôturait ses exercices sociaux au 31 octobre de chaque année, d'une part, et qu'elle s'était abstenue de mettre en œuvre, de façon anticipée, les normes comptables issues du règlement n° 2014-05 du 2 octobre 2014 au titre de son exercice clos le 31 octobre 2015, d'autre part, de sorte que les nouvelles normes issues de ce règlement lui étaient applicables seulement à compter de l'exercice ouvert le 1er novembre 2015. Par suite, et dès lors que les périodes de référence pour la détermination des bases d'imposition de la cotisation foncière des entreprises due au titre des années 2015 et 2016 correspondaient aux exercices clos en 2013 et 2014, en jugeant qu'il convenait, pour les impositions dues au titre de 2015 et 2016, de faire application des règles comptables prévues par le règlement n° 2014-15 du 2 octobre 2014 pour en déduire que le gisement et les frais de découverte ne présentaient pas, pour ces années, le caractère d'immobilisations à prendre en compte dans les bases imposables, la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit.

5. En second lieu, pour apprécier, en application de l'article 1495 du code général des impôts et de l'article 324 B de son annexe III, la consistance des propriétés qui entrent, en vertu de ses articles 1380 et 1381, dans le champ de la taxe foncière sur les propriétés bâties, il est tenu compte, non seulement de tous les éléments d'assiette mentionnés par ces deux derniers articles mais également des biens faisant corps avec eux. Sont toutefois exonérés de cette taxe, en application du 11° de l'article 1382 du même code, ceux de ces biens qui font partie des outillages, autres installations et moyens matériels d'exploitation d'un établissement industriel, c'est-à-dire ceux de ces biens qui relèvent d'un établissement qualifié d'industriel au sens de l'article 1499, qui sont spécifiquement adaptés aux activités susceptibles d'être exercées dans un tel établissement et qui ne sont pas au nombre des éléments mentionnés aux 1° et 2° de l'article 1381.

6. D'une part, ni une carrière, ni ses frais de découverte ne sont au nombre des " outillages et autres installations et moyens matériels d'exploitation des établissements industriels " mentionnés au 11° de l'article 1382 du code général des impôts. Par suite, en jugeant s'agissant des impositions en litige au titre de l'année 2014, qu'un gisement et de tels frais étaient exonérés de taxe foncière sur les propriétés bâties sur le fondement de ces dispositions et, par suite, exclus de la base imposable à la cotisation foncière des entreprises, conformément à l'article 1467 du même code, la cour a commis une erreur de droit.

7. D'autre part, en jugeant que l'ensemble des clôtures implantées autour du site et son portail d'accès devaient être regardés comme étant spécifiquement adaptés à une activité industrielle au seul motif que l'arrêté préfectoral autorisant l'exploitation afférente prévoit, sur la base des prescriptions énoncées par l'arrêté du 22 septembre 1994 relatif aux exploitations de carrières et aux installations de premier traitement des matériaux de carrière, qu'une clôture doit être mise en place sur l'ensemble des espaces présentant des risques de chute, qu'une clôture solide et efficace doit également être mise en place sur toute la périphérie du périmètre de l'autorisation de carrière et que les entrées de la carrière doivent être matérialisées par un dispositif interdisant l'accès en dehors des heures d'exploitation, la cour a commis une erreur de droit.

8. Par suite, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique est fondé à demander, pour ces motifs, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur le dernier moyen de son pourvoi, l'annulation des articles 2 à 4 de l'arrêt qu'il attaque en tant qu'ils excluent des bases de la cotisation foncière des entreprises en litige, pour les années 2014 à 2016, la valeur locative du gisement et des frais de découverte et, pour l'ensemble des années, la valeur locative des clôtures et portails, ainsi que son article 5.

Sur le pourvoi incident de la société Pigeon Carrières :

9. Comme rappelé au point 2, en vertu de l'article 1467 du code général des impôts, pour le calcul de la cotisation foncière des entreprises, la valeur locative des biens passibles d'une taxe foncière est calculée suivant les règles fixées pour l'établissement de cette taxe. Les règles suivant lesquelles est déterminée la valeur locative des biens passibles de la taxe foncière sur les propriétés bâties sont définies à l'article 1499 du même code, cité au point 3, pour les " immobilisations industrielles ". Revêtent un caractère industriel, au sens de cet article, les établissements dont l'activité nécessite d'importants moyens techniques, non seulement lorsque cette activité consiste dans la fabrication ou la transformation de biens corporels mobiliers, mais aussi lorsque le rôle des installations techniques, matériels et outillages mis en œuvre, fût-ce pour les besoins d'une autre activité, est prépondérant.

10. Pour juger que la valeur cadastrale du site de Vieux-Vy-sur-Couesnon devait être évaluée selon la méthode comptable prévue à l'article 1499 du code général des impôts pour les établissements industriels, la cour s'est bornée à relever qu'eu égard à la superficie du site de carrières exploité par la société requérante sur la base de décisions préfectorales portant autorisation d'exploiter des installations classées et aux moyens matériels mis en œuvre, la carrière en litige devait être regardée comme faisant l'objet d'une exploitation de caractère industriel. En se fondant ainsi exclusivement sur l'importance des moyens techniques mis en œuvre, sans rechercher si l'activité déployée par la société consistait dans la fabrication ou la transformation de biens corporels mobiliers, ou si, à défaut, le rôle de ces moyens revêtait un caractère prépondérant, la cour a commis une erreur de droit.

11. Par suite, la société Pigeon Carrières est fondée à demander, pour ce motif, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de son pourvoi incident, l'annulation de l'article 6 de l'arrêt qu'elle attaque.

12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond dans la mesure de la cassation prononcée aux points 8 et 11 en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

13. En premier lieu, d'une part, la société requérante ne peut utilement soutenir que l'administration fiscale aurait méconnu les dispositions de l'article L. 48 du livre des procédures fiscales en s'abstenant de lui indiquer les conséquences financières des rectifications auxquelles elle a procédé, dès lors que la garantie prévue par celles-ci ne trouve à s'appliquer que dans les hypothèses où l'administration a recours aux procédures de rectification prévues par les articles L. 55 et L. 65 du même livre, lesquelles ne sont pas applicables en matière d'impositions directes locales.

14. D'autre part, si le principe général des droits de la défense imposait à l'administration fiscale de mettre la société Pigeon Granulats Ouest à même de présenter ses observations dès lors qu'elle entendait établir des droits excédant le montant de ceux résultant des éléments déclarés par l'intéressée, les rectifications envisagées reposant notamment sur la remise en cause de l'affectation des terrains déclarée par cette dernière, l'administration a satisfait à cette obligation dès lors que, par courriers des 18 et 19 juillet 2017, elle l'a informée de ces rectifications, de leurs motifs et du détail des bases d'imposition telles que rectifiées. Par ailleurs, et contrairement à ce que soutient la société requérante, le principe général des droits de la défense n'imposait pas que l'administration informe la société Pigeon Granulats Ouest, préalablement à la mise en recouvrement des impositions contestées, du montant en droits et pénalités des rectifications envisagées. Enfin, la seule circonstance que les bases d'imposition mentionnées sur les avis d'imposition aient été réduites par rapport à celles figurant sur les courriers des 18 et 19 juillet 2017 n'imposait pas à l'administration de procéder à une autre information du contribuable que celle initialement effectuée. Par suite, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que les impositions en litige auraient été établies en méconnaissance du principe général des droits de la défense.

15. En deuxième lieu, aux termes de l'article 1393 du code général des impôts dans sa rédaction applicable aux années d'imposition en litige : " La taxe foncière est établie annuellement sur les propriétés non bâties de toute nature sises en France, à l'exception de celles qui en sont expressément exonérées par les dispositions du présent code. / Elle est notamment due pour les terrains occupés par les chemins de fer, les carrières, mines et tourbières, les étangs, les salines et marais salants ainsi que pour ceux occupés par les serres affectées à une exploitation agricole. " Aux termes du 5° de l'article 1381 du même code, dans sa rédaction applicable aux années d'imposition en litige, sont soumis à la taxe foncière sur les propriétés bâties : " Les terrains non cultivés employés à un usage commercial ou industriel, tels que chantiers, lieux de dépôt de marchandises et autres emplacements de même nature, soit que le propriétaire les occupe, soit qu'il les fasse occuper par d'autres à titre gratuit ou onéreux ". Il résulte de la combinaison de ces dispositions que les terrains non cultivés affectés à un usage commercial ou industriel sont imposés à la taxe foncière sur les propriétés bâties, du moment qu'ils n'ont pas été rendus disponibles à d'autres usages. Tel est notamment le cas des carrières qui font l'objet d'une exploitation à caractère industriel et n'ont pas été rendues disponibles à d'autres usages.

16. Il résulte de l'instruction que, au titre des périodes de référence en cause, la société Pigeon Granulats Ouest exerçait son activité de carrier sur le site de Vieux-Vy-en-Couesnon au moyen d'importantes installations permettant l'exploitation d'une carrière à ciel ouvert de cornéennes. Selon l'autorisation préfectorale délivrée à cet effet, cette exploitation suppose, premièrement, l'extraction, deuxièmement, le broyage, le concassage, le criblage, l'ensachage, la pulvérisation, le nettoyage, le tamisage et le mélange au moyen d'installations fixes et mobiles, troisièmement, une station de transit de produits et déchets, quatrièmement, un stockage en réservoirs manufacturés de liquides, cinquièmement, une station-service et, sixièmement, des ateliers de réparation et entretien. Le ministre fait valoir, sans être contesté, que les terrains du site supportent notamment des installations de criblage, de concassage et des tapis de transport de matériaux. Dans ces conditions et compte tenu du rôle prépondérant pour les besoins de l'activité de carrier, en règle générale et sans que cela soit sérieusement contesté en l'espèce, des installations techniques, matériels et outillages ainsi mis en œuvre, c'est à bon droit que le service a estimé que le site en cause devait, en principe, être soumis à la taxe foncière sur les propriétés bâties et sa valeur locative déterminée, en application de l'article 1499 du même code, selon la méthode comptable définie à cet article.

17. En troisième lieu, d'une part, il résulte des dispositions de l'article 1467 du code général des impôts, citées au point 2, qu'entre dans l'assiette de la cotisation foncière des entreprises la valeur locative de toute immobilisation corporelle placée sous le contrôle du redevable, utilisable matériellement pour la réalisation des opérations qu'il effectue, et dont il dispose au terme de la période de référence, qu'il en fasse ou non, alors, effectivement usage, sauf à ce que cette utilisation ait été exclue, pendant cette période, par une mesure ou injonction de l'autorité publique.

18. D'autre part, aux termes de l'article 1467 A du même code : " Sous réserve des II, III, IV et VI de l'article 1478, la période de référence retenue pour déterminer les bases de cotisation foncière des entreprises est l'avant-dernière année précédant celle de l'imposition ou le dernier exercice de douze mois clos au cours de cette même année lorsque cet exercice ne coïncide pas avec l'année civile. " Aux termes de l'article 1380 de ce code : " La taxe foncière est établie annuellement sur les propriétés bâties sises en France à l'exception de celles qui en sont expressément exonérées par les dispositions du présent code " Aux termes de l'article 1415 du même code : " La taxe foncière sur les propriétés bâties, la taxe foncière sur les propriétés non bâties et la taxe d'habitation sont établies pour l'année entière d'après les faits existants au 1er janvier de l'année de l'imposition. " La circonstance que la taxe foncière soit établie pour l'année entière d'après les faits existants au 1er janvier de l'année de l'imposition ne fait pas obstacle à ce que les biens dont le redevable disposait au terme de la période de référence sans en disposer au début de celle-ci soient intégrés dans l'assiette de la cotisation foncière des entreprises.

19. Il résulte de l'instruction que la société Pigeon Granulats Ouest a été autorisée à exploiter, dans le cadre de son activité de carrier, le site de Vieux-Vy-sur-Couesnon par un arrêté du préfet d'Ille-et-Vilaine du 18 mars 2014, vers l'est et le nord, selon des " plans de phasage d'extraction et de remise en état " définissant, pour chaque phase temporelle, l'usage qui peut être fait des différentes parcelles. Si l'intéressée peut être regardée comme utilisant matériellement, pour la réalisation des opérations qu'elle effectue, les parcelles ouvertes à l'extraction ou comportant des installations, au terme de la période de référence, tel n'est pas le cas des parcelles pour lesquelles, compte tenu des prescriptions du plan de phasage, aucun usage particulier concourant à l'activité de carrier n'est défini et donc autorisé. Dans ces conditions, il résulte de ce qui a été dit au point 17 que c'est à tort que l'administration fiscale a inclus la valeur locative de ces dernières dans les bases d'imposition à la cotisation foncière des entreprises de la société.

20. En quatrième lieu, il résulte des dispositions du règlement du Comité de la réglementation comptable n° 2004-06 du 23 novembre 2004 relatif à la définition, la comptabilisation et l'évaluation des actifs, homologué par arrêté du 24 décembre 2004, applicables, ainsi qu'il a été dit au point 4, aux exercices clos les 31 octobre 2012 à 2015, d'une part, que les terrains de gisement tels que les carrières constituent des immobilisations corporelles, enregistrées au compte 211 " terrains " et, d'autre part, que si les frais d'extraction des couches dites stériles exposés en cours d'exploitation de la carrière afin de maintenir le gisement dans un état tel que l'exploitation normale de la carrière puisse continuer constituent des charges d'exploitation, les frais de préparation du terrain en vue de l'exploitation du gisement, dès lors qu'ils sont nécessaires à la mise en état d'exploitation de la carrière, doivent en revanche être inclus dans le coût d'acquisition de celle-ci.

21. Par suite, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que les gisements devaient, contrairement à la comptabilisation retenue, être regardés comme des stocks, ni, dès lors qu'elle ne conteste pas que les frais de découverte qu'elle a inscrits à l'actif de son bilan en tant qu'immobilisations corporelles correspondaient à des frais de préparation des terrains en vue de l'exploitation des gisements, que ces frais devaient être regardés comme des charges d'exploitation, et que l'administration fiscale les aurait à tort inclus dans le prix de revient des immobilisations dont la valeur locative sert de base d'imposition à la cotisation foncière des entreprises due au titre des années 2014 à 2016.

22. En cinquième lieu, comme rappelé au point 6, ni une carrière, ni ses frais de découverte ne sont au nombre des " outillages et autres installations et moyens matériels d'exploitation des établissements industriels " mentionnés au 11° de l'article 1382 du code général des impôts. Par suite, la société requérante n'est pas fondée à soutenir qu'ils entreraient dans le champ de l'exonération prévue par ces dispositions et celles de l'article 1467 du même code.

23. En sixième lieu, d'une part, il ne résulte pas de l'instruction que les clôtures et portails de l'entreprise soient spécifiquement adaptés à une activité industrielle, et, comme il a été rappelé au point 7, la circonstance qu'ils soient destinés à empêcher l'accès à certaines zones d'un site industriel et imposés par la réglementation applicable à l'exploitation ne permet pas, à elle seule, de les regarder comme tels. D'autre part, s'agissant des plots en béton assurant la signalisation du site, de la citerne, de la climatisation des bureaux, du coffret informatique ainsi que des câblages, la société requérante n'apporte aucun élément permettant d'apprécier la consistance des équipements auxquels ces libellés d'immobilisations se rapportent, ni, par suite, de déterminer s'ils peuvent être regardés comme spécifiquement adaptés à une activité industrielle. Dans ces conditions, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que ces immobilisations devaient bénéficier de l'exonération prévue par les dispositions du 11° de l'article 1382 du code général des impôts et qu'elles ne devaient, par conséquent, pas être prises en compte pour la détermination de l'assiette de la cotisation foncière des entreprises.

24. En septième lieu, la société requérante n'est pas fondée à se prévaloir, sur le fondement de l'article L. 80 B du livre des procédures fiscales, de ce que l'administration fiscale aurait, dans des instances relatives à d'autres sites, retenu une définition de l'exonération prévue au 11° de l'article 1382 du code général des impôts incluant certaines clôtures, les frais de découverte et les gisements, et prononcé des dégrèvements correspondants, faute, en tout état de cause, de justifier de décisions de l'administration fiscale motivées en ce sens.

25. Il résulte de tout ce qui précède que la société Pigeon Carrières est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté les conclusions de sa demande tendant à ce que soit exclue de l'assiette de la cotisation foncière des entreprises à laquelle elle a été assujettie, la valeur locative des parcelles des sites pour lesquelles les plans de phasage ne définissent, au titre de la période de référence, aucun usage particulier concourant à son activité.

26. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à la société Pigeon Carrières au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

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Article 1er : Les articles 2 à 4 de l'arrêt du 15 avril 2022 de la cour administrative d'appel de Nantes sont annulés en tant qu'ils excluent, pour la détermination des bases imposables à la cotisation foncière des entreprises au titre des années 2014 à 2016, le gisement et les frais de découverte, et, pour la détermination des bases imposables à la cotisation foncière des entreprises au titre des années 2014 à 2017, les clôtures et portails, prononcent la décharge des impositions correspondantes et réforment le jugement du tribunal administratif en ce qu'il a de contraire.

Article 2 : Les articles 5 et 6 de l'arrêt du 15 avril 2022 de la cour administrative d'appel de Nantes sont annulés.

Article 3 : La société Pigeon Carrières est déchargée des cotisations supplémentaires de cotisation foncière des entreprises auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2014 à 2017 dans la mesure indiquée au point 25 de la présente décision.

Article 4 : Le jugement du tribunal administratif de Rennes du 30 septembre 2020 est réformé en ce qu'il a de contraire à la présente décision.

Article 5 : l'Etat versera à la société Pigeon Carrières une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 6 : Le surplus des conclusions de la requête de la société Pigeon Carrières est rejeté.

Article 7 : La présente décision sera notifiée à la société par actions simplifiée (SAS) Pigeon Carrières et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Délibéré à l'issue de la séance du 28 avril 2025 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Stéphane Verclytte, M. Thomas Andrieu, présidents de chambre ; M. Pierre Boussaroque, M. Jonathan Bosredon, M. Philippe Ranquet, Mme Sylvie Pellissier, Mme Emilie Bokdam-Tognetti conseillers d'Etat et Mme Muriel Deroc, maîtresse des requêtes-rapporteure.

Rendu le 21 mai 2025.

Le président :

Signé : M. Pierre Collin

La rapporteure :

Signé : Mme Muriel Deroc

La secrétaire :

Signé : Mme Elsa Sarrazin


Synthèse
Formation : 3ème - 8ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 464769
Date de la décision : 21/05/2025
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

CONTRIBUTIONS ET TAXES - GÉNÉRALITÉS - RÈGLES GÉNÉRALES D'ÉTABLISSEMENT DE L'IMPÔT - RECTIFICATION (OU REDRESSEMENT) - GÉNÉRALITÉS - APPLICABILITÉ [RJ1] – EXISTENCE – CFE – RECTIFICATION REPOSANT SUR LA REMISE EN CAUSE DE L’AFFECTATION DES TERRAINS DÉCLARÉE PAR LE CONTRIBUABLE - CONDUISANT À ÉTABLIR DES DROITS SUPÉRIEURS À CEUX RÉSULTANT DES DÉCLARATIONS DU CONTRIBUABLE.

19-01-03-02-01-01 Le principe général des droits de la défense impose à l’administration fiscale de mettre le contribuable à même de présenter ses observations dès lors qu’elle entend établir des droits excédant le montant de ceux résultant des éléments déclarés par l’intéressé. Il en va ainsi pour des rectifications en matière de cotisation foncière des entreprises (CFE) qui reposent [notamment] sur la remise en cause de l’affectation des terrains déclarée par le contribuable.

CONTRIBUTIONS ET TAXES - GÉNÉRALITÉS - RÈGLES GÉNÉRALES D'ÉTABLISSEMENT DE L'IMPÔT - RECTIFICATION (OU REDRESSEMENT) - PROPOSITION DE RECTIFICATION (OU NOTIFICATION DE REDRESSEMENT) - GARANTIE TENANT À L’INDICATION DU MONTANT DES CONSÉQUENCES FINANCIÈRES DES RECTIFICATIONS PROPOSÉES (ART - L - 48 DU LPF) – APPLICABILITÉ – ABSENCE.

19-01-03-02-02 La garantie prévue par les dispositions de l’article L. 48 du livre des procédures fiscales (LPF) ne trouve à s’appliquer que dans les hypothèses où l’administration a recours aux procédures de rectification prévues par les articles L. 55 et L. 65 du même livre, lesquelles ne sont pas applicables en matière d’impositions directes locales.

CONTRIBUTIONS ET TAXES - IMPOSITIONS LOCALES AINSI QUE TAXES ASSIMILÉES ET REDEVANCES - QUESTIONS COMMUNES - GARANTIE TENANT À L’INDICATION DU MONTANT DES CONSÉQUENCES FINANCIÈRES DES RECTIFICATIONS PROPOSÉES (ART - L - 48 DU LPF) – APPLICABILITÉ – ABSENCE.

19-03-01 La garantie prévue par les dispositions de l’article L. 48 du livre des procédures fiscales (LPF) ne trouve à s’appliquer que dans les hypothèses où l’administration a recours aux procédures de rectification prévues par les articles L. 55 et L. 65 du même livre, lesquelles ne sont pas applicables en matière d’impositions directes locales.

CONTRIBUTIONS ET TAXES - IMPOSITIONS LOCALES AINSI QUE TAXES ASSIMILÉES ET REDEVANCES - 1) PROCÉDURE – ETABLISSEMENT D'UNE IMPOSITION SUR UNE BASE SUPÉRIEURE À CELLE DÉCLARÉE – OBLIGATION DE METTRE LE CONTRIBUABLE À MÊME DE PRÉSENTER SES OBSERVATIONS [RJ1] – CHAMP – INCLUSION – RECTIFICATION REPOSANT SUR LA REMISE EN CAUSE DE L’AFFECTATION DES TERRAINS DÉCLARÉE PAR LE CONTRIBUABLE – 2) DÉTERMINATION DE LA VALEUR LOCATIVE – BIENS À LA DISPOSITION DU REDEVABLE – EXCLUSION – BIEN DONT L’UTILISATION EST EXCLUE PAR UNE MESURE OU INJONCTION DE L’AUTORITÉ PUBLIQUE – ILLUSTRATION – PARCELLES DONT L’EXPLOITATION AU TITRE D’UNE CARRIÈRE N’EST PAS AUTORISÉE POUR LA PÉRIODE DE RÉFÉRENCE [RJ2].

19-03-045-03-01 1) Le principe général des droits de la défense impose à l’administration fiscale de mettre le contribuable à même de présenter ses observations dès lors qu’elle entend établir des droits excédant le montant de ceux résultant des éléments déclarés par l’intéressé. Il en va ainsi pour des rectifications en matière de cotisation foncière des entreprises (CFE) qui reposent notamment sur la remise en cause de l’affectation des terrains déclarée par le contribuable....2) Il résulte des dispositions de l’article 1467 du code général des impôts (CGI) qu’entre dans l’assiette de la CFE la valeur locative de toute immobilisation corporelle placée sous le contrôle du redevable, utilisable matériellement pour la réalisation des opérations qu’il effectue, et dont il dispose au terme de la période de référence, qu’il en fasse ou non, alors, effectivement usage, sauf à ce que cette utilisation ait été exclue, pendant cette période, par une mesure ou injonction de l’autorité publique. ...Société ayant été autorisée par le préfet à exploiter une carrière selon des « plans de phasage d’extraction et de remise en état » définissant, pour chaque phase temporelle, l’usage qui peut être fait des différentes parcelles. ...Si l’intéressée peut être regardée comme utilisant matériellement, pour la réalisation des opérations qu’elle effectue, les parcelles ouvertes à l’extraction ou comportant des installations, au terme de la période de référence, tel n’est pas le cas des parcelles pour lesquelles, compte tenu des prescriptions du plan de phasage, aucun usage particulier concourant à l’activité de carrier n’est défini et donc autorisé. La valeur locative de ces dernières parcelles ne peut être incluse dans les bases d’imposition à la CFE de la société.


Publications
Proposition de citation : CE, 21 mai. 2025, n° 464769
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Muriel Deroc
Rapporteur public ?: Mme Marie-Gabrielle Merloz
Avocat(s) : SAS HANNOTIN AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 23/05/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2025:464769.20250521
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