Vu la procédure suivante :
Par une requête, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 22 avril et 9 octobre 2024 et le 17 janvier 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, les sociétés de droit autrichien Kayser Berndorf et iSi demandent au Conseil d'Etat :
1°) à titre principal, d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2023-1224 du 20 décembre 2023 relatif à l'apposition d'une mention sur chaque unité de conditionnement des produits contenant uniquement du protoxyde d'azote ;
2°) à titre subsidiaire, avant dire droit, de saisir la Cour de justice de l'Union européenne à titre préjudiciel ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule ;
- le règlement (CE) n° 1272/2008 du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 ;
- le règlement (CE) n° 1333/2008 du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 ;
- le règlement (UE) n° 1169/2011 du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2011 ;
- la directive (UE) 2015/1535 du Parlement européen et du Conseil du 9 septembre 2015 ;
- la décision d'exécution (UE) 2024/2797 de la Commission du
31 octobre 2024 ;
- le code de la santé publique ;
- la loi n° 2021-695 du 1er juin 2021 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Julien Barel, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de Mme Céline Guibé, rapporteure publique ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP L. Poulet, Odent, avocat des sociétés Kayser Berndorf et iSi ;
Considérant ce qui suit :
1. A... termes de l'article L. 3621-1 du code de la santé publique, résultant de la loi du 1er juin 2021 tendant à prévenir les usages dangereux du protoxyde d'azote : " Une mention indiquant la dangerosité de l'usage détourné du protoxyde d'azote est, selon des modalités fixées par décret, apposée sur chaque unité de conditionnement des produits contenant ce gaz, qui ne peuvent être commercialisés sans cette mention ".
2. Il ressort des pièces du dossier que, en vue de l'application de ces dispositions législatives, les autorités françaises, qui avaient, le 17 janvier 2022, présenté à l'Agence européenne des produits chimiques une proposition de classification et d'étiquetage harmonisés du protoxyde d'azote au titre de l'article 37 du règlement (CE) n° 1272/2008 du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relatif à la classification, à l'étiquetage et à l'emballage des substances et des mélanges, ont également, le 8 février 2022, notifié à la Commission européenne, dans le cadre de la procédure prévue par la directive (UE) 2015/1535 du 9 septembre 2015 prévoyant une procédure d'information dans le domaine des réglementations techniques et des règles relatives aux services de la société de l'information, un projet de décret " relatif à l'apposition d'une mention sur chaque unité de conditionnement des produits contenant du protoxyde d'azote ". La Commission a émis le 20 mai 2022 un avis circonstancié, par lequel elle a estimé que si ce projet n'était pas, en l'état, compatible avec la clause de libre circulation figurant à l'article 51 du règlement (CE) n° 1272/2008 du
16 décembre 2008, les autorités françaises pouvaient envisager de recourir à la clause de sauvegarde prévue à l'article 52 du même règlement. La Commission a également estimé que la mesure projetée relevait aussi de l'article 39 du règlement (UE) n° 1169/2011 du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2011 concernant l'information des consommateurs sur les denrées alimentaires et nécessitait, de ce fait, en application de l'article 45 du même règlement, une communication préalable à la Commission au titre de ces dispositions, à laquelle les autorités françaises ont procédé le 23 juin 2023.
3. Après la publication au Journal officiel de la République française, le
21 décembre 2023, du décret du 20 décembre 2023 relatif à l'apposition d'une mention sur chaque unité de conditionnement des produits contenant uniquement du protoxyde d'azote, les autorités françaises en ont communiqué le texte définitif à la Commission, dans le cadre de la procédure prévue par la directive (UE) 2015/1535 du 9 septembre 2015, le 3 janvier 2024. Puis, par note du 16 janvier 2024, elles ont informé la Commission de la mise en œuvre, par l'adoption de ce décret, de la clause de sauvegarde prévue à l'article 52 du règlement (CE) n° 1272/2008 du 16 décembre 2008. Par une décision d'exécution (UE) 2024/2797 du 31 octobre 2024, la Commission européenne a autorisé la mesure prévue par le décret du 20 décembre 2023 en ce qui concerne l'étiquetage des produits contenant uniquement du protoxyde d'azote pour une période de trente-six mois à compter de la publication de cette décision, le 4 novembre 2024, au Journal officiel de l'Union européenne ou jusqu'à l'entrée en application d'un règlement délégué de la Commission établissant la classification et l'étiquetage harmonisés du protoxyde d'azote en tant que substance de la catégorie " STOT RE 1 ", la date la plus proche étant retenue. Les sociétés requérantes demandent l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 20 décembre 2023.
Sur les moyens relatifs aux notifications à la Commission européenne :
4. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que le projet de décret a fait l'objet, ainsi qu'il a été dit au point 2, d'une notification à la Commission européenne au titre de l'article 45 du règlement (UE) n° 1169/2011 du 25 octobre 2011. Par suite, le moyen tiré du défaut de notification à ce titre ne peut qu'être écarté.
5. En deuxième lieu, d'une part, aux termes de l'article 5 de la directive (UE) 2015/1535 du 9 septembre 2015 mentionnée au point 2 : " 1. Sous réserve de l'article 7, les Etats membres communiquent immédiatement à la Commission tout projet de règle technique, sauf s'il s'agit d'une simple transposition intégrale d'une norme internationale ou européenne, auquel cas une simple information quant à la norme concernée suffit ; ils adressent également à la Commission une notification concernant les raisons pour lesquelles l'établissement d'une telle règle technique est nécessaire, à moins que ces raisons ne ressortent déjà du projet. / (...) / Les Etats membres procèdent à une nouvelle communication du projet de règle technique à la Commission, dans les conditions énoncées au premier et deuxième alinéas du présent paragraphe, s'ils apportent à ce projet, d'une manière significative, des changements qui auront pour effet de modifier son champ d'application, d'en raccourcir le calendrier d'application initialement prévu, d'ajouter des spécifications ou des exigences, ou de rendre celles-ci plus strictes (...) ". A... termes de l'article 7 de la même directive : " 1. Les articles 5 et 6 ne s'appliquent pas aux dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membres ou aux accords volontaires par lesquels ces derniers : / (...) / c) font usage des clauses de sauvegarde prévues dans des actes contraignants de l'Union (...) ". D'autre part, il résulte des dispositions du 5 de l'article 45 du règlement (UE) n° 1169/2011 du 25 octobre 2011 que cette directive ne s'applique pas aux mesures relevant de la procédure de notification prévue par cet article du règlement.
6. Si les sociétés requérantes soutiennent que le décret attaqué aurait été pris en méconnaissance de l'obligation de nouvelle communication préalable résultant des dispositions de l'article 5 de la directive (UE) 2015/1535 du 9 septembre 2015 en raison des modifications apportées par ce décret au projet notifié à la Commission européenne le 8 février 2022, il résulte de ce qui vient d'être dit au point 5 que ces dispositions ne s'appliquent au décret attaqué ni en tant que les mesures qu'il comporte s'appliquent aux produits contenant uniquement du protoxyde d'azote à usage alimentaire et relevant, par suite, du règlement (UE) n° 1169/2011 du 25 octobre 2011 au titre duquel les autorités françaises ont mis en œuvre la procédure de notification prévue à l'article 45 de ce règlement, ni en tant qu'il met en œuvre, pour les autres produits contenant uniquement du protoxyde d'azote, la clause de sauvegarde prévue à l'article 52 du règlement (CE) n° 1272/2008 du 16 décembre 2008. Ce moyen ne peut donc qu'être écarté comme inopérant.
7. En troisième lieu, les sociétés requérantes ne sauraient utilement invoquer, à l'appui de conclusions qui tendent à l'annulation du décret attaqué, le moyen tiré d'une méconnaissance des dispositions du 1 de l'article 52 du règlement (CE) n° 1272/2008 du
16 décembre 2008, selon lesquelles l'Etat qui fait usage de la clause de sauvegarde qu'elles prévoient en informe immédiatement la Commission. Il ressort au demeurant des pièces du dossier, ainsi qu'il a été dit au point 3, que les autorités françaises ont procédé à cette information dès le 16 janvier 2024, alors que les dispositions de l'article 2 du décret attaqué autorisent la commercialisation des produits non conformes à ses dispositions pendant un délai de sept mois suivant sa publication le 21 décembre 2023.
Sur la légalité interne du décret attaqué :
8. A... termes de l'article D. 3621-1 du code de la santé publique, créé par le décret attaqué : " La mention " Risque avéré d'effets graves pour le système nerveux à la suite d'expositions répétées ou d'une exposition prolongée par inhalation ", conforme au modèle et aux caractéristiques figurant en annexe au présent article, est apposée sur l'emballage des produits contenant uniquement du protoxyde d'azote ou, lorsque ceux-ci sont vendus à l'unité, sur leur conditionnement primaire. / La mention est présentée dans un encadré rouge sur fond blanc comprenant le message " Risque avéré d'effets graves pour le système nerveux à la suite d'expositions répétées ou d'une exposition prolongée par inhalation ". / L'encadré et son contenu ne sont ni cachés, ni dissimulés et doivent être regroupés dans le même champ visuel que celui où figure la dénomination de vente ". A... termes de l'article D. 3621-2 du même code, issu du même décret : " Les dispositions de l'article D. 3621-1 ne font pas obstacle à la commercialisation des produits contenant uniquement du protoxyde d'azote également fabriqués ou commercialisés dans un autre Etat membre de l'Union européenne ou en Turquie, ou légalement fabriqués dans un Etat partie à l'accord instituant l'Espace économique européen, assurant un niveau de sécurité équivalent à celui exigé par le même article ". A... termes de l'annexe à l'article D. 3621-1 : " I.- La mention suivante est apposée sur l'emballage des produits mentionnés à l'article D. 3621-1 du code de la santé publique. / (...) / II.- Elle est présentée dans un encadré rouge sur fond blanc, en caractères rouges et police Arial, dont la hauteur de corps est : / 1° D'au moins 0,9 mm pour les emballages dont la face la plus grande a une surface inférieure ou égale à 80 cm2 ; / 2° D'au moins 1,2 mm pour les emballages dont la face la plus grande a une surface supérieure à 80 cm2. / Elle est illustrée par un losange rouge sur fond blanc d'au moins un centimètre de côté dans lequel se trouve une silhouette noire ".
9. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier, ainsi que l'admettent d'ailleurs les sociétés requérantes, que l'usage détourné du protoxyde d'azote présente un danger pour la santé. En particulier, par un avis du 31 janvier 2022, dont la teneur n'est pas sérieusement contestée, l'Agence nationale de sécurité sanitaire, de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) a notamment proposé, eu égard aux effets observés du protoxyde d'azote, un classement de cette substance dans la catégorie " H372 " de la nomenclature annexée au règlement (CE) n° 1272/2008 du 16 décembre 2008, en raison d'un " risque avéré d'effets graves pour les organes du système nerveux à la suite d'expositions répétées ou d'une exposition prolongée ". Par suite, le moyen tiré de ce que l'obligation d'apposer sur l'emballage ou le conditionnement primaire des produits contenant uniquement du protoxyde d'azote une mention rédigée dans des termes identiques, qui résulte des dispositions, citées au point 8, de l'article D. 3621-1 du code de la santé publique, créé par le décret attaqué, reposerait sur une erreur de fait, au motif qu'aucun consensus scientifique ne ferait état d'un tel risque avéré pour la santé, ne peut qu'être écarté.
10. En deuxième lieu, les sociétés requérantes ne sauraient sérieusement soutenir que l'obligation d'apposer cette mention relative aux risques de l'exposition au protoxyde d'azote attirerait l'attention et l'intérêt du public sur l'effet psychoactif de ce produit, en contradiction avec l'objectif de cette mesure, et procèderait par suite d'une erreur manifeste d'appréciation.
11. En troisième lieu, si les sociétés requérantes soutiennent que les mesures imposées par le décret attaqué portent atteinte à la liberté d'entreprendre, qui découle de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, il ne ressort pas des pièces du dossier que les limitations à cette liberté résultant des dispositions de ce décret y porteraient une atteinte disproportionnée, au regard de l'objectif de protection de la santé publique qu'elles poursuivent.
En ce qui concerne la méconnaissance alléguée du règlement (UE) n° 1169/2011 du 25 octobre 2011 :
12. A... termes de l'article 9 du règlement (UE) n° 1169/2011 du
25 octobre 2011 : " 1. Conformément aux articles 10 à 35, et sous réserve des exceptions prévues dans le présent chapitre, les mentions suivantes sont obligatoires : (...) g) les conditions particulières de conservation et/ou d'utilisation (...) ". A... termes de l'article 13 de ce même règlement : " (...) 2. Sans préjudice de dispositions particulières de l'Union applicables à certaines denrées alimentaires, les mentions obligatoires énumérées à l'article 9, paragraphe 1, qui figurent sur l'emballage ou l'étiquette jointe à celui-ci sont imprimées de manière clairement lisible dans un corps de caractère dont la hauteur de x, telle que définie à l'annexe IV, est égale ou supérieure à 1,2 mm. / 3. Dans le cas d'emballages ou de récipients dont la face la plus grande a une surface inférieure à 80 cm², la hauteur de x du corps de caractère visée au paragraphe 2 est égale ou supérieure à 0,9 mm ". A... termes de l'article 39 de ce même règlement : " 1. Outre les mentions obligatoires visées à l'article 9, paragraphe 1, et à l'article 10, les États membres peuvent, conformément à la procédure établie à l'article 45, adopter des mesures exigeant des mentions obligatoires complémentaires, pour des types ou catégories spécifiques de denrées alimentaires, justifiées par au moins une des raisons suivantes : / a) protection de la santé publique (...) ".
13. En se bornant à soutenir que les dispositions, citées au point 8, de l'annexe à l'article D. 3261-1 du code de la santé publique, créée par le décret attaqué, ne permettraient pas d'adapter la taille des mentions prescrites par cet article à celle des emballages ou conditionnements primaires des produits contenant uniquement du protoxyde d'azote, les sociétés requérantes n'apportent pas d'éléments de nature à établir que ces dispositions méconnaîtraient celles des 2 et 3 de l'article 13 du règlement (UE) n° 1169/2011 du
25 octobre 2011 citées au point précédent, à les supposer applicables à la mention obligatoire instituée par le décret litigieux, et qu'au demeurant elles reproduisent, ni un principe de " proportionnalité " qui en découlerait.
En ce qui concerne la méconnaissance alléguée du règlement (CE) n° 1272/2008 du 16 décembre 2008 :
14. D'une part, aux termes du paragraphe 5 de l'article 1er du règlement (CE) n° 1272/2008 du 16 décembre 2008 : " 5. Le présent règlement n'est pas applicable aux substances et aux mélanges sous les formes suivantes, à l'état fini, destinés à l'utilisateur final : (...) e) les denrées alimentaires ou les aliments pour animaux, tels que définis dans le règlement (CE) n° 178/2002, même quand ils sont utilisés : / i) comme additifs dans les denrées alimentaires relevant du champ d'application de la directive 89/107/CEE (...) ". D'autre part, aux termes de l'article 4 du règlement (CE) n° 1333/2008 du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 sur les additifs alimentaires, dont l'article 33 a abrogé la directive 89/107/CEE : " 1. Seuls les additifs alimentaires figurant sur la liste communautaire de l'annexe II peuvent être mis sur le marché en tant que tels et utilisés dans les denrées alimentaires selon les conditions d'emploi fixées dans cette annexe. (...) ". En vertu de l'annexe II de ce même règlement, le protoxyde d'azote est un additif alimentaire autorisé au sens de ce règlement, référencé sous le numéro E 942.
15. Il résulte des dispositions citées au point 14 que le protoxyde d'azote, utilisé en tant qu'additif alimentaire, n'entre pas dans le champ du règlement (CE) n° 1272/2008 du 16 décembre 2008. Il ressort toutefois des pièces du dossier, notamment d'une communication de la Commission européenne du 6 décembre 2024, dont se prévalent les sociétés requérantes, que des contenants pouvant contenir plus de 500 grammes de protoxyde d'azote, en vente libre sur le marché, ne peuvent être utilisés à des fins culinaires dès lors qu'aucun dispositif culinaire existant ne peut y être connecté, et que le protoxyde d'azote contenu dans de tels contenants, ou tout autre contenant qui ne serait pas approprié pour un usage culinaire, ne pouvant, par suite, être utilisé comme additif alimentaire, n'est, dès lors, pas exclu du champ d'application du règlement (CE) n° 1272/2008 du 16 décembre 2008.
16. A... termes de l'article 51 du règlement (CE) n° 1272/2008 du
16 décembre 2008 : " Les Etats membres s'abstiennent d'interdire, de restreindre ou d'entraver la mise sur le marché de substances ou de mélanges qui sont conformes aux dispositions du présent règlement et, le cas échéant, à des actes communautaires adoptés en application de celui-ci, pour des motifs liés à la classification, à l'étiquetage et à l'emballage des substances et des mélanges au sens du présent règlement ". A... termes de l'article 52 du même règlement : " 1. Lorsqu'un Etat membre est fondé à estimer que, bien que satisfaisant aux prescriptions du présent règlement, une substance ou un mélange présente un grave danger pour la santé humaine ou pour l'environnement pour des motifs liés à la classification, à l'étiquetage ou à l'emballage, il peut prendre des mesures provisoires appropriées. Il en informe immédiatement la Commission, l'Agence et les autres Etats membres, en précisant les motifs justifiant sa décision. / 2. Dans les soixante jours suivant la réception des informations communiquées par l'Etat membre, la Commission, conformément à la procédure de réglementation visée à l'article 54, paragraphe 2, soit autorise la mesure provisoire pour une période définie dans la décision, soit invite l'État membre à annuler la mesure provisoire (...) ".
17. Il ressort des pièces du dossier, ainsi qu'il a été dit au point 3, que les autorités françaises ont, le 16 janvier 2024, notifié à la Commission européenne le décret attaqué, sur le fondement des dispositions de l'article 52 du règlement (CE) n° 1272/2008 du
16 décembre 2008 citées au point 16, et que, par la décision d'exécution (UE) 2024/2797 du
31 octobre 2024, la Commission européenne a autorisé la mesure prévue par le décret attaqué, pour une période de trente-six mois ou jusqu'à l'entrée en application d'un règlement délégué établissant la classification et l'étiquetage harmonisés du protoxyde d'azote en tant que substance de la catégorie " STOT RE 1 " conformément à l'article 37, paragraphe 5, du règlement (CE) n° 1272/2008, la date la plus proche étant retenue.
18. D'une part, dès lors que le décret attaqué a été pris, ainsi qu'il a été dit aux points 3 et 17, dans le cadre de la clause de sauvegarde prévue par l'article 52 du règlement (CE) n° 1272/2008, le moyen tiré de la méconnaissance de la clause de libre circulation instituée par l'article 51 de ce règlement est inopérant et ne peut qu'être écarté.
19. D'autre part, la décision d'exécution de la Commission, intervenue le
31 octobre 2024 dans les conditions précisées aux points 2 et 15, fait obstacle à ce que soient contestés, autrement que selon les voies de droit propres du droit de l'Union européenne, la nécessité et l'adéquation aux dangers identifiés des mesures provisoires prises. Si les sociétés requérantes contestent, à cet égard, la validité de la décision d'exécution de la Commission, il appartient en tout état de cause au juge administratif, saisi d'un tel moyen, de l'écarter s'il ne présente pas de difficulté sérieuse ou lorsque la partie qui l'invoque avait sans aucun doute la possibilité d'introduire un recours en annulation, sur le fondement de l'article 263 du traité, contre l'acte prétendument invalide.
20. Or, en premier lieu, si les sociétés requérantes soutiennent que la Commission ne pouvait prendre une telle décision au-delà du champ d'application du règlement (CE) n° 1272/2008 du 16 décembre 2008, notamment en ce qui concerne le protoxyde d'azote utilisé comme additif alimentaire, il ressort des termes mêmes de cette décision que son propre champ d'application est limité aux substances et mélanges relevant de ce règlement et qu'elle ne s'applique, par suite, qu'aux produits contenant uniquement du protoxyde d'azote qui ne présentent pas le caractère d'un additif alimentaire et d'une denrée alimentaire.
21. En deuxième lieu, la gravité du danger pour la santé au regard duquel la Commission a pris la décision contestée est suffisamment établie, contrairement à ce que soutiennent les sociétés requérantes, par les données relatives au nombre d'intoxications déclarées à l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, communiquées à la Commission par les autorités françaises, à l'appui de l'information à laquelle elles ont procédé le 16 janvier 2024 dans le cadre de la mise en œuvre de la clause de sauvegarde, comme par l'avis émis le 16 mars 2023 par le comité d'évaluation des risques de l'Agence européenne des produits chimiques sur la proposition de classification et d'étiquetage harmonisés du protoxyde d'azote présentée par les autorités françaises à cette agence le
17 janvier 2022.
22. En troisième et dernier lieu, si les sociétés requérantes font valoir que la Commission n'a pris la décision contestée qu'au-delà du délai de soixante jours prévu à l'article 52 du règlement (CE) n° 1272/2008 du 16 décembre 2008, ce délai n'est pas prescrit à peine de nullité.
23. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il y ait lieu, en l'absence de difficulté sérieuse, de renvoyer une question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne, que la requête des sociétés Kayser Berndorf et iSi doit être rejetée, y compris ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : La requête des sociétés Kayser Berndorf et iSi est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société Kayser Berndorf, première dénommée, au Premier ministre et à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et de la famille.
Délibéré à l'issue de la séance du 28 avril 2025 où siégeaient :
M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; M. Vincent Daumas, M. Nicolas Polge, M. Olivier Yeznikian, Mme Rozen Noguellou, conseillers d'Etat ; M. Jérôme Goldenberg, conseiller d'Etat en service extraordinaire et M. Julien Barel, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.
Rendu le 19 mai 2025.
Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl
Le rapporteur :
Signé : M. Julien Barel
La secrétaire :
Signé : Mme Fehmida Ghulam
La République mande et ordonne au Premier ministre et à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et de la famille, chacun en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Pour la secrétaire du contentieux, par délégation :