Vu la procédure suivante :
Par un mémoire et un mémoire en réplique, enregistrés les 17 février et 26 mars 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, présentés en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, la société Novagraaf Technologies demande au Conseil d'État, à l'appui de sa requête tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de la décision implicite par laquelle le Premier ministre a refusé de prendre les mesures d'application des dispositions du a du II de l'article 134 de l'ordonnance n° 2023-77 du 8 février 2023 relative à l'exercice en société des professions réglementées, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du 3° de l'article 131 et du a du II de l'article 134 de la même ordonnance.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code de propriété intellectuelle ;
- l'ordonnance n° 2023-77 du 8 février 2023 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Gaspard Montbeyre, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de la société Novagraaf Technologies ;
Considérant ce qui suit :
1. La Compagnie nationale des conseils en propriété industrielle, qui est intervenue en défense dans le cadre de l'action principale, doit être regardée, en l'état du dossier, comme justifiant d'un intérêt suffisant. Son intervention au soutien de la défense présentée par le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique sur la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la société Novagraaf Technologies à l'appui de sa requête doit, dès lors, être admise pour l'examen de cette question prioritaire de constitutionnalité.
2. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.
3. Aux termes de l'article 131 de l'ordonnance du 8 février 2023 susvisée : " Sont abrogés : (...) // 3° Le deuxième alinéa de l'article L. 422-3 du code de la propriété intellectuelle ; (...) ". Selon l'article 134 de la même ordonnance : " (...) // II. - a) Les sociétés exerçant les activités mentionnées à l'article L. 422-1 du code de la propriété intellectuelle disposent d'un délai d'un an à compter de l'entrée en vigueur de la présente ordonnance pour se mettre en conformité avec les conditions édictées au 2° de l'article L. 422-7 du même code. A défaut de se mettre en conformité, ces sociétés seront radiées, par le directeur de l'Institut national de la protection industrielle, de la liste mentionnée à l'article L. 422-1 du même code. (...) ".
4. La société requérante soutient que les dispositions précitées méconnaissent le droit de propriété, la liberté d'entreprendre et la garantie des droits, garantis par les articles 2, 4 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 et qu'elles sont entachées d'une méconnaissance par le législateur de la compétence qu'il tient de l'article 34 de la Constitution affectant, par elle-même, ces droits et libertés.
5. Ces dispositions sont applicables au litige et n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel. Le grief tiré de ce qu'elles portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, notamment au droit de propriété, à la liberté d'entreprendre et à la garantie des droits, garantis par les articles 2, 4 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, et sont entachées d'une méconnaissance par le législateur de la compétence qu'il tient de l'article 34 de la Constitution affectant, par elle-même, ces droits et libertés, soulève une question qui présente un caractère sérieux. Ainsi, il y a lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité dirigée contre ces dispositions.
D E C I D E :
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Article 1er : La question de la conformité à la Constitution des dispositions du 3° de l'article 131 et du a du II de l'article 134 de l'ordonnance du 8 février 2023 est renvoyée au Conseil constitutionnel.
Article 2 : Il est sursis à statuer sur la requête de la société Novagraaf Technologies jusqu'à ce que le Conseil constitutionnel ait tranché la question de constitutionnalité ainsi soulevée.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société Novagraaf Technologies, au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et à la Compagnie nationale des conseils en propriété industrielle.
Copie en sera adressée au Premier ministre.