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12/05/2025 | FRANCE | N°476302

France | France, Conseil d'État, 6ème chambre, 12 mai 2025, 476302


Vu la procédure suivante :



Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés les 25 juillet et 25 octobre 2023, et le 5 décembre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... D... demande au Conseil d'Etat :



1°) d'annuler la décision n° FR 2022-12 S du 25 mai 2023 par laquelle la formation restreinte du Haut conseil du commissariat aux comptes lui a infligé une sanction d'interdiction d'exercer la fonction de commissaire aux comptes pour une durée de six mois, assortie d'

un sursis intégral, ainsi qu'une sanction pécuniaire d'un montant de 4 000 euros ;

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Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés les 25 juillet et 25 octobre 2023, et le 5 décembre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... D... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision n° FR 2022-12 S du 25 mai 2023 par laquelle la formation restreinte du Haut conseil du commissariat aux comptes lui a infligé une sanction d'interdiction d'exercer la fonction de commissaire aux comptes pour une durée de six mois, assortie d'un sursis intégral, ainsi qu'une sanction pécuniaire d'un montant de 4 000 euros ;

2°) à titre subsidiaire, de réduire la sanction infligée ;

3°) de mettre à la charge du Haut conseil du commissariat aux comptes une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la décision attaquée est insuffisamment motivée ;

- les dispositions de l'article 5 du code de déontologie des commissaires aux comptes, qui constituent la base légale de la décision attaquée, méconnaissent le principe de légalité des délits et des peines ;

- la décision attaquée est entachée d'une erreur de droit et d'une erreur d'appréciation en ce qu'elle le sanctionne au vu de seules apparences, sans relever aucune méconnaissance effective d'une règle déontologique de sa part ;

- la décision attaquée est entachée d'une erreur de droit et d'une erreur d'appréciation en ce qu'elle estime que la nature et l'étendue du contrôle qu'il a effectué sur les comptes de la société Garage du Beffroi au titre de l'année 2016 méconnaissaient les dispositions des articles L. 823-9 et L. 821-13 du code de commerce, ainsi que les normes d'exercice professionnel 501, 530 et 700 ;

- la décision attaquée est illégale en ce qu'elle prononce une sanction disproportionnée au regard de la gravité des manquements retenus.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code pénal ;

- le code de commerce ;

- l'ordonnance n° 2016-315 du 17 mars 2016 ;

- l'ordonnance n° 2016-1635 du 1er décembre 2016 ;

- l'ordonnance n° 2023-1142 du 6 décembre 2023 ;

- le décret n° 2020-131 du 10 février 2010 ;

- le décret n° 2017-540 du 12 avril 2017 ;

- le décret n° 2020-292 du 21 mars 2020 ;

- l'arrêté du 14 janvier 2009 relatif à la partie Arrêtés du code de commerce ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Bruno Bachini, conseiller d'Etat,

- les conclusions de Mme Maïlys Lange, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat de M. D... et à la SCP Melka-Prigent-Drusch, avocat de la Haute autorité de l'audit ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 4 avril 2025, présentée par M. D... ;

Considérant ce qui suit :

1. Il résulte de l'instruction qu'à la suite d'un contrôle de l'activité de commissariat aux comptes de M. D... au titre du programme de l'année 2017, la présidente du Haut conseil du commissariat aux comptes, devenu la Haute autorité de l'audit à compter du 1er janvier 2024 en vertu de l'article 14 de l'ordonnance du 6 décembre 2023 relative à la publication et à la certification d'informations en matière de durabilité et aux obligations environnementales, sociales et de gouvernement d'entreprise et des sociétés commerciales, a saisi le rapporteur général, le 15 novembre 2019, de faits susceptibles de caractériser des manquements de l'intéressé à ses obligations. Une enquête a été ouverte le 7 janvier 2020 et a conduit la formation statuant sur les cas individuels du Haut conseil du commissariat aux comptes à décider, le 21 avril 2022, que les faits en cause justifiaient l'engagement d'une procédure de sanction à l'encontre de M. D.... Par une lettre du 6 juillet 2022, le Haut conseil du commissariat aux comptes a notifié à ce dernier deux griefs tirés, d'une part, de la violation des règles relatives à l'indépendance et à l'impartialité et, d'autre part, de ce qu'il avait certifié les comptes de la société Garage du Beffroi pour l'exercice 2016 sans avoir eu l'assurance élevée que ces comptes ne comportaient pas d'anomalies significatives. A l'issue de sa séance du 23 mars 2023, le Haut conseil du commissariat aux comptes, statuant en formation restreinte, a, par une décision du 25 mai 2023, prononcé à l'encontre de M. D... l'interdiction d'exercer la fonction de commissaire aux comptes pendant six mois, assortie du sursis pour l'intégralité de sa durée, ainsi qu'une sanction pécuniaire d'un montant de 4 000 euros.

Sur la motivation :

2. L'article L. 824-11 du code de commerce, dans sa version applicable au litige et issue de l'ordonnance du 17 mars 2016 relative au commissariat aux comptes, dispose que la formation du Haut conseil du commissariat aux comptes compétente pour prononcer une sanction " rend une décision motivée ". La décision attaquée de la formation restreinte du Haut conseil du commissariat aux comptes comporte l'exposé des considérations de droit et de fait sur lesquelles elle se fonde, et précise notamment les éléments, tenant aux liens personnels existant entre le requérant et plusieurs membres de sa famille exerçant des fonctions en lien avec les entreprises contrôlées, de nature à caractériser un manquement à ses obligations d'indépendance. Le moyen tiré de l'insuffisance de motivation doit, dès lors, être écarté.

Sur le principe de légalité des délits et des peines :

3. Le principe de légalité des délits et des peines, lorsqu'il est appliqué à des sanctions qui n'ont pas le caractère de sanctions pénales, ne fait pas obstacle à ce que les infractions soient définies par référence aux obligations auxquelles est soumise une personne en raison de l'activité qu'elle exerce, de la profession à laquelle elle appartient ou de l'institution dont elle relève. Il suit de là que, en ce qui concerne les sanctions susceptibles d'être infligées aux membres des professions réglementées, y compris celles revêtant un caractère disciplinaire, le principe de légalité des délits et des peines est satisfait dès lors que les textes applicables font référence aux obligations auxquelles les intéressés sont soumis à ce titre.

Sur le manquement à l'indépendance :

4. Aux termes du I de l'article L. 824-1 du code de commerce, dans sa version issue de l'ordonnance du 17 mars 2016 relative au commissariat aux comptes : " I.-Sont passibles des sanctions prévues à l'article L. 824-2, les commissaires aux comptes à raison des fautes disciplinaires qu'ils commettent. / Constitue une faute disciplinaire : / 1° Tout manquement aux conditions légales d'exercice de la profession (...). Aux termes de l'article L. 822-16 du code de commerce, dans sa version issue de l'ordonnance du 17 mars 2016 précitée : " Les règles composant le code de déontologie de la profession de commissaire aux comptes sont fixées par décret en Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de l'article 5 du code de déontologie relatif à la profession de commissaire aux comptes dans leurs versions successives applicables au cours de la période de référence, issues des décrets du 10 février 2010, du 12 avril 2017 et du 21 mars 2020, que le commissaire aux comptes doit, pendant toute la durée de sa mission, être indépendant de la personne ou de l'entité auprès de laquelle il intervient, dans les faits comme en apparence.

5. Il résulte des dispositions citées au point précédent que chaque commissaire aux comptes est tenu de mettre en œuvre ses missions dans le respect de son obligation d'indépendance vis-à-vis de la personne ou de l'entité à laquelle il fournit une mission ou prestation et de s'assurer qu'il exerce ses missions de manière impartiale et indépendante. Il lui appartient notamment, à ce titre, de porter une appréciation sur les missions qu'il accepte et la manière dont il les met en œuvre afin d'éviter de se placer dans une situation qui pourrait être perçue comme de nature à compromettre l'exercice impartial de sa mission et de prendre les mesures de sauvegarde appropriées. Par suite, M. D... n'est pas fondé à soutenir, par la voie de l'exception, que les dispositions de l'article 5 du code de déontologie mentionnées au point précédent méconnaîtraient le principe de légalité des délits et des peines, faute de préciser les conséquences concrètes qu'il appartient aux commissaires aux comptes de tirer de ces obligations afin de prévenir les situations de conflit d'intérêts.

6. Il résulte de ce qui précède que c'est à bon droit que la formation restreinte du Haut conseil du commissariat aux comptes a considéré que la méconnaissance des obligations pesant sur le commissaire aux comptes au titre de son obligation d'indépendance était passible de sanction disciplinaire.

7. Il résulte de l'instruction que, ainsi que l'a relevé la formation restreinte, au cours de la période, allant de 2014 à 2021, prise en compte dans le cadre des poursuites, M. D... a été le commissaire aux comptes de trois sociétés - les sociétés Garage Catteau, Garage du Beffroi et Autoleader - dont son beau-frère, M. E... C..., puis sa nièce, Mme B... C..., contribuaient à établir les comptes et auxquelles son frère fournissait des prestations de conseil juridique. M. D... a ainsi été conduit, au titre de sa mission de commissaire aux comptes, à se prononcer ou à porter une appréciation sur des prestations fournies par son frère, son beau-frère et sa nièce. Ces liens familiaux ont été de nature à compromettre l'exercice impartial par l'intéressé de sa mission de certification des comptes. La circonstance qu'il ait mentionné, à l'occasion d'une revue d'indépendance effectuée en 2017, certains de ces liens familiaux en indiquant qu'ils ne soulevaient pas de difficulté au regard de son obligation d'indépendance n'est pas, par elle-même, de nature à faire obstacle à la caractérisation du manquement. Eu égard à l'obligation d'indépendance et d'impartialité pesant sur tout commissaire aux comptes en vertu des dispositions rappelées au point 4, et compte tenu des liens personnels entre l'intéressé et des tiers intervenant auprès des entreprises pour lesquelles il avait accepté une mission de contrôle, M. D... n'est pas fondé à soutenir que la formation restreinte aurait méconnu les dispositions applicables ou porté une inexacte appréciation sur les faits de l'espèce en retenant un manquement de sa part à l'obligation d'exercice impartial de sa mission de certification des comptes.

Sur les certifications :

8. Aux termes de l'article L. 823-9 du code de commerce, dans sa version issue de l'ordonnance du 17 mars 2016 précitée : " Les commissaires aux comptes certifient, en justifiant de leurs appréciations, que les comptes annuels sont réguliers et sincères et donnent une image fidèle du résultat des opérations de l'exercice écoulé ainsi que de la situation financière et du patrimoine de la personne ou de l'entité à la fin de cet exercice. / Lorsqu'une personne ou une entité établit des comptes consolidés, les commissaires aux comptes certifient, en justifiant de leurs appréciations, que les comptes consolidés sont réguliers et sincères et donnent une image fidèle du patrimoine, de la situation financière ainsi que du résultat de l'ensemble constitué par les personnes et entités comprises dans la consolidation ". Aux termes de l'article L. 821-13 du même code, dans sa version issue de l'ordonnance du 17 mars 2016 précitée : " I.-Le commissaire aux comptes exerce sa mission conformément aux normes d'audit internationales adoptées par la Commission européenne dans les conditions définies par l'article 26 de la directive 2006/43/ CE du 17 mai 2006 concernant les contrôles légaux des comptes annuels et des comptes consolidés et modifiant les directives 78/660/ CEE et 83/349/ CEE du Conseil (...) ainsi que, le cas échéant, aux normes françaises venant compléter ces normes adoptées selon les conditions fixées au troisième alinéa du présent article. / En l'absence de norme d'audit internationale adoptée par la Commission, il se conforme aux normes adoptées par le Haut conseil du commissariat aux comptes et homologuées par arrêté du garde des sceaux, ministre de la justice / (...) III. Pour la certification des comptes des petites entreprises, au sens du 2 de l'article 3 de la directive 2013/34/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative aux états financiers annuels, aux états financiers consolidés et aux rapports y afférents de certaines formes d'entreprises, modifiant la directive 2006/43/ CE du Parlement européen et du Conseil et abrogeant les directives 78/660/ CEE et 83/349/ CEE du Conseil, le commissaire aux comptes applique les normes de manière proportionnée à la taille de la personne ou de l'entité et à la complexité de ses activités dans des conditions fixées par le Haut conseil". Enfin, aux termes de l'article R. 823-11 du même code, dans sa rédaction applicable au présent litige : " Les travaux du ou des commissaires aux comptes font l'objet d'un plan de mission et d'un programme de travail annuels, établis par écrit, qui tiennent compte de la forme juridique de la personne ou de l'entité contrôlée, de sa taille, de la nature de ses activités, du contrôle éventuellement exercé par l'autorité publique, de la complexité de la mission, de la méthodologie et des technologies spécifiques utilisées par le ou les commissaires aux comptes. "

9. En premier lieu, contrairement à ce que soutient le requérant, les dispositions de l'article R. 823-11 du code de commerce, si elles prévoient que le commissaire peut notamment prendre en compte dans ses travaux la taille de l'entreprise contrôlée, ne sauraient être interprétées comme l'autorisant à écarter des normes applicables au profit de normes moins contraignantes en raison de la taille ou des caractéristiques particulières de l'entité contrôlée. Ainsi, en écartant dans la décision attaquée, d'une part, les normes d'exercice professionnel 912 et 910, dont se prévalait M. D... pour justifier le caractère suffisant des contrôles effectués sur la société Garage du Beffroi, aux motifs non contestés que la première n'était pas encore entrée en vigueur à la date des faits et que la seconde n'était pas applicable à cette société, faute pour celle-ci de remplir les conditions de seuil prévues par les dispositions réglementaires applicables, et en retenant, d'autre part, qu'il aurait dû se référer aux normes d'exercice professionnel applicables au cas d'espèce, à savoir les normes 330, 330, 501, 530 et 700, le Haut conseil du commissariat aux comptes n'a pas méconnu ces dispositions.

10. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction et n'est pas contesté que le requérant n'a pas participé à l'inventaire physique du stock annuel de véhicules neufs de la société Garage du Beffroi au titre de l'année 2016, et qu'il s'est fondé, pour effectuer sa mission de contrôle sur ce point, et notamment s'assurer de l'absence d'anomalie significative, exclusivement sur les travaux de l'expert-comptable de cette société, auquel l'unissaient des liens familiaux. Si le requérant fait valoir que ces diligences étaient suffisantes au regard de la taille de la société en cause et de la connaissance longue et extensive de l'entité contrôlée par l'expert-comptable concerné, il résulte de l'instruction que le stock annuel de véhicules neufs représentait un poste comptable significatif, équivalant à 45 % des actifs de la société, et que le requérant n'a pas justifié de diligences d'audit suffisantes pour s'assurer de l'existence et de l'état physique du stock, alors qu'il résulte des normes d'exercice professionnel 330 et 501 applicables que lorsque les stocks sont, comme en l'espèce, significatifs, le commissaire aux comptes assiste à la prise d'inventaire physique afin de collecter des éléments suffisants et appropriés sur l'existence et l'état physique de ceux-ci. Enfin, contrairement à ce que soutient le requérant, la formation restreinte n'a pas procédé à un renversement de la charge de la preuve en considérant implicitement qu'il lui appartenait de rapporter la preuve du caractère suffisant de ses diligences, dès lors qu'une telle obligation découle des dispositions précitées de l'article L. 823-9 du code de commerce, en vertu desquelles il appartient au commissaire aux comptes de justifier de ses appréciations. Il suit de là que c'est à bon droit que le Haut conseil du commissariat aux comptes a estimé que M. D... avait mis en œuvre des diligences d'audit insuffisantes à l'occasion de la certification des comptes de l'exercice 2016 de la société Garage du Beffroi.

11. En troisième lieu, il résulte de l'instruction et n'est pas contesté que le requérant n'a effectué aucune diligence, s'agissant des dettes de la société Garage du Beffroi, à l'égard des fournisseurs au titre de l'année 2016, et s'est fondé exclusivement sur les travaux de l'expert-comptable de la société. S'il fait valoir qu'il pouvait s'appuyer sur ces seuls travaux, eu égard notamment à la petite taille de la société, il résulte de l'instruction que les dettes envers les fournisseurs représentaient un poste comptable significatif, équivalant à 43 % du passif du bilan, et qu'il lui appartenait ainsi d'effectuer des diligences d'audit sur ce point, conformément à la norme d'exercice professionnel 330, dans sa rédaction issue de l'annexe de l'arrêté du 14 janvier 2009 relatif à la partie Arrêtés du code de commerce, qui prévoit que si le commissaire aux comptes n'a pas obtenu d'éléments suffisants et appropriés pour confirmer un élément significatif au niveau des comptes, il s'efforce d'obtenir des éléments complémentaires. Il suit de là que c'est à bon droit que le Haut conseil du commissariat aux comptes a estimé que les diligences d'audit de M. D... étaient également insuffisantes sur ce point.

12. En quatrième lieu, il résulte de l'instruction que, s'agissant du stock de véhicules d'occasion de la société Garage du Beffroi, le requérant s'est borné à documenter, dans son dossier d'audit, des tests par sondage sur six véhicules, représentant un montant de 75 000 euros, sans donner d'élément sur la représentativité statistique d'un tel sondage, ni faire apparaître dans son dossier d'audit les éléments de nature à établir que les tests qu'il avait effectués lui permettaient de considérer que ce compte n'était affecté d'aucune anomalie significative. Si le requérant fait valoir que les diligences effectuées étaient suffisantes, compte tenu de la taille de la société et des travaux effectués par l'expert-comptable, il résulte de l'instruction que le stock de véhicules d'occasion comprenait 74 véhicules, pour un montant total de 627 000 euros, et représentait un poste comptable significatif, équivalant à 25 % des actifs de la société. Par suite, c'est à bon droit que la formation restreinte a estimé que les diligences d'audit de M. D... étaient insuffisantes.

13. Il résulte de ce qui précède que le requérant n'est pas fondé à soutenir que la formation restreinte a commis une erreur d'appréciation en estimant qu'il a manqué à ses obligations professionnelles en certifiant que les comptes de l'exercice 2016 de la société Garage du Beffroi étaient réguliers et sincères et donnaient une image fidèle du résultat des opérations de l'exercice ainsi que de la situation financière et du patrimoine de l'entité à la fin de l'exercice, alors qu'il ne justifiait pas avoir obtenu l'assurance élevée que ces comptes, pris dans leur ensemble, ne comportaient pas d'anomalies significatives, méconnaissant ainsi les dispositions des articles L. 823-9 et L. 821-13 du code de commerce ainsi que les normes d'exercice professionnel applicables.

Sur la proportionnalité de la sanction prononcée :

14. Aux termes de l'article L. 824-2 du code de commerce, dans sa version issue de l'ordonnance du 1er décembre 2016 : " I.- Les commissaires aux comptes sont passibles des sanctions suivantes : / 1° L'avertissement ; / 2° Le blâme ; / 3° L'interdiction d'exercer la fonction de commissaire aux comptes pour une durée n'excédant pas cinq ans ; / 4° La radiation de la liste ; / 5° Le retrait de l'honorariat. / II.- Les commissaires aux comptes peuvent également faire l'objet des sanctions suivantes : (...) / 3° Le paiement, à titre de sanction pécuniaire, d'une somme ne pouvant excéder : / a) Pour une personne physique, la somme de 250 000 euros (...) / III.- Les sanctions prévues au 3 du I et au 3° du II peuvent être assorties du sursis total ou partiel ". Aux termes de l'article L. 824-12 du même code, dans sa version issue de la même ordonnance du 1er décembre 2016 : " Les sanctions sont déterminées en tenant compte : / 1° De la gravité et de la durée de la faute ou du manquement reprochés ; / 2° De la qualité et du degré d'implication de la personne intéressée ; / 3° De la situation et de la capacité financière de la personne intéressée, au vu notamment de son patrimoine et, s'agissant d'une personne physique de ses revenus annuels, s'agissant d'une personne morale de son chiffre d'affaires total ; / 4° De l'importance soit des gains ou avantages obtenus, soit des pertes ou coûts évités par la personne intéressée, dans la mesure où ils peuvent être déterminés ; / 5° Du degré de coopération dont a fait preuve la personne intéressée dans le cadre de l'enquête ; / 6° Des manquements commis précédemment par la personne intéressée ; / 7° Lorsque la sanction est prononcée en raison de manquement aux dispositions des sections 3 à 6 du chapitre Ier du titre VI du livre V du code monétaire et financier, elle est en outre déterminée en tenant compte, le cas échéant, de l'importance du préjudice subi par les tiers ".

15. Il résulte de l'instruction, d'une part, que M. D... s'est placé, entre 2014 et 2021, dans une situation de conflit d'intérêts qui était de nature à compromettre l'exercice impartial de sa mission de certification des comptes des sociétés Garage Catteau, Garage du Beffroi et Autoleader, dès lors que son beau-frère, sa nièce et son frère avaient contribué à établir, directement ou indirectement, les comptes de ces sociétés et, d'autre part, que l'intéressé a manqué à ses obligations professionnelles en certifiant que les comptes de la société Garage du Beffroi au titre de l'année 2016 étaient réguliers et sincères et donnaient une image fidèle du résultat des opérations de l'exercice ainsi que de la situation financière et du patrimoine de l'entité, alors qu'il ne justifiait pas avoir obtenu l'assurance élevée que ces comptes, pris dans leur ensemble, ne comportaient pas d'anomalie significative. Au regard de la gravité des manquements reprochés, qui portent atteinte à ce qui constitue la mission d'intérêt général conférée par la loi aux commissaires aux comptes, de la durée de ces manquements et de leur caractère systématique, de l'implication directe de M. D..., qui a certifié, sans les diligences nécessaires, des comptes établis par ses proches, de la capacité financière de celui-ci et des gains obtenus en lien avec cette mission, qui s'élèvent à plus de 120 000 euros entre 2014 et 2021, et alors même que l'intéressé fait valoir qu'il a, au cours de la procédure, répondu aux questions qui lui ont été posées par le rapporteur général pendant l'enquête et qu'aucun manquement professionnel ne lui avait été reproché jusqu'alors, la présidente de la Haute autorité de l'audit est fondée à demander que la sanction pécuniaire prononcée par la formation restreinte soit aggravée et portée à 20 000 euros.

16. Il résulte de tout ce qui précède que, d'une part, la requête de M. D... doit être rejetée et que, d'autre part, il y a lieu de réformer la décision attaquée en portant à 20 000 euros le montant de la sanction pécuniaire infligée à M. D..., et de rejeter le surplus des conclusions du recours incident de la présidente de la Haute autorité de l'audit.

17. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. D... une somme de 3 000 euros à verser à la Haute autorité de l'audit au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les dispositions de cet article font, en revanche, obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge du Haut conseil du commissariat aux comptes, devenu Haute autorité de l'audit, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

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Article 1er : La requête de M. D... est rejetée.

Article 2 : La sanction pécuniaire prononcée à l'encontre de M. D... est portée à 20 000 euros et la décision de formation restreinte du Haut conseil du commissariat aux comptes du 25 mai 2023 est réformée en ce sens.

Article 3 : M. D... versera la somme de 3 000 euros à la Haute autorité de l'audit au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions du recours incident de la présidente de la Haute autorité de l'audit est rejeté.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. D... et à la Haute autorité de l'audit.

Délibéré à l'issue de la séance du 3 avril 2025 où siégeaient : Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre, présidant ; M. Christophe Pourreau, conseiller d'Etat et M. Bruno Bachini, conseiller d'Etat-rapporteur.

Rendu le 12 mai 2025.

La présidente :

Signé : Mme Isabelle de Silva

Le rapporteur :

Signé : M. Bruno Bachini

La secrétaire :

Signé : Mme Magalie Café


Synthèse
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 476302
Date de la décision : 12/05/2025
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 12 mai. 2025, n° 476302
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Bruno Bachini
Rapporteur public ?: Mme Maïlys Lange
Avocat(s) : SCP FOUSSARD, FROGER ; SCP MELKA-PRIGENT-DRUSCH

Origine de la décision
Date de l'import : 14/05/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2025:476302.20250512
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