Vu la procédure suivante :
M. C... A... B... et Mme D... A... B... ont demandé au tribunal administratif de Melun de prononcer la réduction, à concurrence d'une diminution de leurs revenus de capitaux mobiliers de 170 500 euros pour l'année 2015 et de 687 057 euros pour l'année 2016, des cotisations primitives d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles ils ont été assujettis au titre de ces années. Par un jugement n° 1709453 du 8 juillet 2020, ce tribunal a rejeté leur demande.
Par un arrêt n° 20PA02599 du 23 décembre 2021, la cour administrative d'appel de Paris a annulé ce jugement et fait droit aux demandes de M. et Mme A... B....
Par une décision n° 461703 du 18 octobre 2022, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux a annulé cet arrêt et renvoyé l'affaire devant la cour administrative d'appel de Paris.
Par un arrêt n° 22PA04610 du 28 juin 2024, la cour administrative d'appel de Paris, statuant sur renvoi du Conseil d'Etat, a accueilli la demande de M. et Mme A... B... relative à l'année 2016, réformé dans cette mesure le jugement du 8 juillet 2020 et rejeté le surplus des conclusions de leur requête.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 13 août et 23 septembre 2024 et le 19 février 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler les articles 1er à 4 de cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond dans cette mesure, de rejeter l'appel formé par M. et Mme A... B....
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention signée le 10 octobre 1995 entre la République française et le Royaume d'Espagne en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Ophélie Champeaux, maîtresse des requêtes,
- les conclusions de M. Romain Victor, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL cabinet Briard, Bonichot et Associés, avocat de M. et Mme A... B... ;
Considérant ce qui suit :
1. Il résulte des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. et Mme A... B... ont, entre 2013 et 2017, conclu avec la société de droit espagnol Publiolimpia SL plusieurs contrats de prêt participatif. Au titre de la rémunération prévue par certains de ces contrats de prêts, conclus entre 2014 et 2016, ils ont perçu en 2016 des intérêts qu'ils ont déclarés dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers pour un montant de 692 069 euros. A la suite de l'ouverture d'une enquête pénale visant le gérant de la société Publiolimpia SL, portant sur une fraude d'ampleur consistant à utiliser les fonds prêtés par une partie des investisseurs pour rémunérer et rembourser les prêts consentis par d'autres, M. et Mme A... B... ont signalé le 22 août 2017, au moyen de la messagerie de leur espace particulier ouvert sur le site impots.gouv.fr, leur intention de recourir au dispositif de " correction en ligne " mis en place par l'administration, afin de ramener le montant des revenus de capitaux mobiliers qu'ils avaient initialement déclaré à la somme de 5 012 euros, ce qu'ils ont entrepris de faire le 21 novembre 2017. L'administration, qui a regardé la première de ces deux démarches, seule à avoir techniquement abouti, comme constitutive d'une réclamation, l'a rejetée. Le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique se pourvoit en cassation contre les articles 1er à 4 de l'arrêt du 28 juin 2024 par lesquels, statuant sur renvoi du Conseil d'Etat, statuant au contentieux après l'annulation d'un premier arrêt, la cour administrative d'appel de Paris a fait droit, au titre de l'année 2016, aux conclusions d'appel de M. et Mme A... B... tendant à la réduction des bases de leur impôt sur le revenu, dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers, à la somme de 5 012 euros.
2. Aux termes de l'article 170 du code général des impôts : " 1. En vue de l'établissement de l'impôt sur le revenu, toute personne imposable audit impôt est tenue de souscrire et de faire parvenir à l'administration une déclaration détaillée de ses revenus et bénéfices et de ses charges de famille (...) ". Aux termes de l'article L. 190 du livre des procédures fiscales : " Les réclamations relatives aux impôts, contributions, droits, taxes, redevances, soultes et pénalités de toute nature, établis ou recouvrés par les agents de l'administration, relèvent de la juridiction contentieuse lorsqu'elles tendent à obtenir soit la réparation d'erreurs commises dans l'assiette ou le calcul des impositions, soit le bénéfice d'un droit résultant d'une disposition législative ou réglementaire (...) ". Aux termes de l'article R. 190-1 du même livre : " Le contribuable qui désire contester tout ou partie d'un impôt qui le concerne doit d'abord adresser une réclamation au service territorial (...) de la direction générale des finances publiques (...) dont dépend le lieu de l'imposition (...) ". Une déclaration rectificative qui tend, par elle-même, à la réparation d'erreurs commises dans l'assiette ou le calcul des impositions ou au bénéfice d'un droit résultant d'une disposition législative ou réglementaire, constitue une réclamation contentieuse préalable au sens et pour l'application de ces dispositions lorsqu'elle a été déposée auprès de l'administration fiscale après l'expiration du délai de déclaration.
3. En jugeant que l'imposition des revenus perçus en 2016 par M. et Mme A... B... devait être établie sur la base des montants dont ils avaient demandé la correction le 22 août puis le 21 novembre 2017 et qu'il appartenait à l'administration, si elle entendait remettre en cause les bases ainsi corrigées, d'engager une procédure de rectification, alors que cette correction, dont il était constant qu'elle était intervenue postérieurement à l'expiration du délai de déclaration des revenus de l'année 2016, constituait une réclamation contentieuse, la cour a méconnu les dispositions citées au point 2, sans que puisse avoir d'incidence à cet égard la teneur du communiqué du ministre de l'action et des comptes publics du 21 juillet 2017 annonçant l'ouverture, du 1er août au 19 décembre 2017, d'un service de correction en ligne des erreurs constatées sur l'avis d'impôt sur les revenus 2016, lequel, ne comportant que des énonciations relatives à la procédure d'imposition, ne saurait contenir aucune interprétation de la loi fiscale opposable à l'administration sur le fondement du dernier alinéa de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales.
4. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, que le ministre est fondé à demander l'annulation des articles 1er à 4 de l'arrêt qu'il attaque.
5. Aux termes du second alinéa de l'article L. 821-2 du code de justice administrative : " Lorsque l'affaire fait l'objet d'un second pourvoi en cassation, le Conseil d'Etat statue définitivement sur cette affaire ". Le Conseil d'Etat étant saisi, en l'espèce, d'un second pourvoi en cassation, il lui incombe de régler l'affaire au fond dans la mesure de la cassation prononcée au point 4.
6. En premier lieu, il résulte de ce qui a été dit au point 3 que la correction en ligne, après l'expiration du délai de déclaration des revenus de l'année 2016, du montant des revenus de capitaux mobiliers déclaré par les requérants constituait une réclamation contentieuse, sans qu'ait d'incidence à cet égard le contenu du communiqué publié le 21 juillet 2017, relatif à la mise en place d'un service dit de " télécorrection ". Il en résulte, d'une part, que l'administration pouvait régulièrement établir l'imposition sur la base des revenus initialement déclarés sans engager une procédure de rectification et, d'autre part, qu'il incombe aux contribuables, en application des dispositions du dernier alinéa de l'article R. 194-1 du livre des procédures fiscales et contrairement à ce qu'ils soutiennent, d'établir le caractère exagéré des impositions en litige.
7. En deuxième lieu, d'une part, aux termes de l'article 4 A du code général des impôts : " Les personnes qui ont en France leur domicile fiscal sont passibles de l'impôt sur le revenu en raison de l'ensemble de leurs revenus ". Aux termes du 1 de l'article 4 B du même code : " Sont considérées comme ayant leur domicile fiscal en France au sens de l'article 4 A : / a) Les personnes qui ont en France leur foyer ou le lieu de leur séjour principal ; / b) Celles qui exercent en France une activité professionnelle, salariée ou non, à moins qu'ils ne justifient que cette activité y est exercée à titre accessoire ; / c) Celles qui ont en France le centre de leurs intérêts économiques ". Aux termes de l'article 124 du code général des impôts : " Sont considérés comme revenus au sens du présent article, lorsqu'ils ne figurent pas dans les recettes provenant de l'exercice d'une profession industrielle, commerciale, artisanale ou agricole, ou d'une exploitation minière, les intérêts, arrérages, primes de remboursement et tous autres produits : / 1° Des créances hypothécaires, privilégiées et chirographaires, à l'exclusion de celles représentées par des obligations, effets publics et autres titres d'emprunts négociables entrant dans les prévisions des articles 118 à 123 (...) ". Aux termes de l'article 125 du même code : " Le revenu est déterminé par le montant brut des intérêts, arrérages, primes de remboursement ou tous autres produits des valeurs désignées à l'article 124. / L'impôt est dû par le seul fait, soit du paiement des intérêts, de quelque manière qu'il soit effectué, soit de leur inscription au débit ou au crédit d'un compte ".
8. Il résulte de l'instruction, et n'est au demeurant pas contesté, que M. et Mme A... B... avaient leur foyer en France au cours de l'année 2016, de sorte qu'ils étaient domiciliés en France au sens et pour l'application des dispositions de l'article 4 B du code général des impôts. Il en résulte également que la somme de 692 069 euros qu'ils ont déclarée au titre de l'année 2016 dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers correspond à des intérêts qu'ils ont perçus en exécution de quatre contrats de prêt participatif distincts, conclus avec la société de droit espagnol Publiolimpia SL. L'administration fiscale a, par suite, regardé à bon droit ces revenus de source espagnole comme imposables entre leurs mains sur le fondement des dispositions citées au point 7, sans qu'ait d'incidence à cet égard la circonstance, au demeurant non établie, que le capital de ces prêts n'aurait pas fait l'objet d'un remboursement.
9. En troisième lieu, aux termes de l'article 4 de la convention franco-espagnole du 10 octobre 1995 : " 1. Au sens de la présente Convention, l'expression "résident d'un État contractant" désigne toute personne qui, en vertu de la législation de cet État, est assujettie à l'impôt en raison de son domicile, de sa résidence, de son siège de direction ou de tout autre critère (...) ". Aux termes de l'article 11 de cette convention : " 1. Les intérêts provenant d'un État contractant et payés à un résident de l'autre État contractant sont imposables dans cet autre État. / 2. Toutefois, ces intérêts sont aussi imposables dans l'État contractant d'où ils proviennent et selon la législation de cet État, mais si la personne qui reçoit les intérêts en est le bénéficiaire effectif, l'impôt ainsi établi ne peut excéder 10 pour cent du montant brut des intérêts (...). / 4. Le terme "intérêts" employé dans le présent article désigné les revenus des créances de toute nature, assorties ou non de garanties hypothécaires ou d'une clause de participation aux bénéfices du débiteur (...) ". Aux termes de l'article 24 de la même convention : " 1. En ce qui concerne la France, les doubles impositions sont évitées de la manière suivante : / a) Les revenus qui proviennent d'Espagne, et qui sont imposables ou ne sont imposables que dans cet Etat conformément aux dispositions de la présente Convention, sont pris en compte pour le calcul de l'impôt français lorsque leur bénéficiaire est un résident de France (...). Dans ce cas, l'impôt espagnol n'est pas déductible de ces revenus, mais le bénéficiaire a droit à un crédit d'impôt imputable sur l'impôt français. Ce crédit d'impôt est égal : / (...) pour les revenus visés (...) au paragraphe 2 de l'article 11 (...), au montant de l'impôt payé en Espagne (...) ".
10. M. et Mme A... B..., étant, comme il a été dit, fiscalement domiciliés en France au cours de l'année 2016 et n'alléguant pas être domiciliés en Espagne au regard du droit fiscal espagnol, ils étaient résidents de France pour l'application des stipulations de la convention fiscale franco-espagnole. En conséquence, en application de l'article 11 de cette convention, les intérêts qu'ils ont perçus de la société de droit espagnol Publiolimpia SL en rémunération des prêts participatifs qu'ils lui ont consentis étaient imposables en France comme en Espagne, l'imposition établie dans ce dernier Etat ne pouvant excéder 10 % du montant brut des revenus perçus. Si l'imposition effective de ces revenus par les autorités espagnoles ouvrait droit, en application de l'article 24, à un crédit d'impôt de même montant imputable sur l'impôt français, il ne résulte pas de l'instruction, et n'est d'ailleurs pas allégué par M. et Mme A... B..., que ceux-ci auraient effectivement été imposés sur ces revenus en Espagne. Par suite, les stipulations de la convention franco-espagnole ne sauraient faire obstacle à l'imposition en litige.
11. Il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme A... B... ne sont pas fondés à se plaindre de ce que, par le jugement qu'ils attaquent, le tribunal administratif a rejeté leur demande tendant à la réduction des impositions auxquelles ils ont été assujettis au titre de l'année 2016.
12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
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Article 1er : Les articles 1er à 4 de l'arrêt du 28 juin 2024 de la cour administrative de Paris sont annulés.
Article 2 : L'appel de M. et Mme A... B... est rejeté.
Article 3 : Les conclusions présentées par M. et Mme A... B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et à M. C... A... B... et Mme D... A... B....
Délibéré à l'issue de la séance du 26 mars 2025 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Stéphane Verclytte, M. Thomas Andrieu, présidents de chambre ; M. Jonathan Bosredon, Mme Emilie Bokdam-Tognetti, M. Philippe Ranquet, Mme Sylvie Pellissier, M. Pierre Boussaroque, conseillers d'Etat et Mme Ophélie Champeaux, maîtresse des requêtes-rapporteure.
Rendu le 9 mai 2025.
Le président :
Signé : M. Pierre Collin
La rapporteure :
Signé : Mme Ophélie Champeaux
La secrétaire :
Signé : Mme Magali Méaulle