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07/05/2025 | FRANCE | N°489957

France | France, Conseil d'État, 9ème - 10ème chambres réunies, 07 mai 2025, 489957


Vu la procédure suivante :



La société Axa a demandé au tribunal administratif de Montreuil, au titre des exercices clos de 2011 à 2015, de rétablir ses déficits reportables et de prononcer la restitution des cotisations d'impôt sur les sociétés, de contribution exceptionnelle et de contribution sociale sur cet impôt correspondant à l'imposition de la quote-part de frais et charges afférente aux dividendes reçus de sa filiale suisse, la société Axa Versicherungen. Par un jugement n° 1911083 du 5 novembre 2020, ce tribunal a rejeté sa demande.
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Par un arrêt n° 21PA00260 du 6 octobre 2023, la cour administrati...

Vu la procédure suivante :

La société Axa a demandé au tribunal administratif de Montreuil, au titre des exercices clos de 2011 à 2015, de rétablir ses déficits reportables et de prononcer la restitution des cotisations d'impôt sur les sociétés, de contribution exceptionnelle et de contribution sociale sur cet impôt correspondant à l'imposition de la quote-part de frais et charges afférente aux dividendes reçus de sa filiale suisse, la société Axa Versicherungen. Par un jugement n° 1911083 du 5 novembre 2020, ce tribunal a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 21PA00260 du 6 octobre 2023, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par la société Axa contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 6 décembre 2023 et les 6 mars et 24 septembre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Axa demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel ;

- l'accord entre la Confédération suisse et la Communauté économique européenne concernant l'assurance directe autre que l'assurance sur la vie conclu le 10 octobre 1989 ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code monétaire et financier ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Olivier Saby, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Bastien Lignereux, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et associés, avocat de la société Axa ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 28 mars 2025, présentée par la société Axa ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Axa a demandé la reconstitution de ses déficits reportables et la restitution des cotisations d'impôt sur les sociétés et de contributions additionnelles à cet impôt qu'elle a acquittées au titre des exercices clos de 2011 à 2015, correspondant à l'inclusion dans l'assiette de ces impositions de la quote-part de frais et charges relative aux dividendes reçus de sa filiale de droit suisse, la société Axa Versicherungen. La société Axa se pourvoit en cassation contre l'arrêt du

6 octobre 2023 de la cour administrative d'appel de Paris qui a rejeté l'appel qu'elle avait formé contre le jugement du tribunal administratif de Montreuil du 5 novembre 2020 rejetant sa demande.

2. D'une part, aux termes de l'article 216 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable au litige : " I. Les produits nets des participations, ouvrant droit à l'application du régime des sociétés mères et visées à l'article 145, touchés au cours d'un exercice par une société mère, peuvent être retranchés du bénéfice net total de celle-ci, défalcation faite d'une quote-part de frais et charges. / La quote-part de frais et charges visée au premier alinéa est fixée uniformément à 5 % du produit total des participations, crédit d'impôt compris. / (...) ". En vertu de l'article 223 A du même code, une société peut se constituer

" seule redevable de l'impôt sur les sociétés dû sur l'ensemble des résultats du groupe formé par elle-même et les sociétés dont elle détient 95 % au moins du capital, de manière continue au cours de l'exercice, directement ou indirectement par l'intermédiaire de sociétés ou d'établissements stables membres du groupe (...) / Seules peuvent être membres du groupe les sociétés ou les établissements stables qui ont donné leur accord et dont les résultats sont soumis à l'impôt sur les sociétés dans les conditions de droit commun (...) ". Aux termes de l'article

223 B de ce code, dans sa rédaction applicable au litige : " Le résultat d'ensemble est déterminé par la société mère en faisant la somme algébrique des résultats de chacune des sociétés du groupe, déterminés dans les conditions de droit commun (...) / Le résultat d'ensemble est diminué de la quote-part de frais et charges afférente aux produits de participation perçus par une société du groupe d'une société membre du groupe depuis plus d'un exercice et aux produits de participation perçus par une société du groupe d'une société intermédiaire (...) pour lesquels la société mère apporte la preuve qu'ils proviennent de produits de participation versés par une société membre du groupe depuis plus d'un exercice et n'ayant pas déjà justifié des rectifications effectuées en application du présent alinéa ou du troisième alinéa. / (...) ".

3. D'autre part, aux termes de l'article 49 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " Dans le cadre des dispositions ci-après, les restrictions à la liberté d'établissement des ressortissants d'un État membre dans le territoire d'un autre État membre sont interdites. Cette interdiction s'étend également aux restrictions à la création d'agences, de succursales ou de filiales, par les ressortissants d'un État membre établis sur le territoire d'un État membre (...) ". Aux termes de l'article 54 du même traité : " Les sociétés constituées en conformité de la législation d'un État membre et ayant leur siège statutaire, leur administration centrale ou leur principal établissement à l'intérieur de l'Union sont assimilées, pour l'application des dispositions du présent chapitre, aux personnes physiques ressortissantes des États membres. / Par sociétés, on entend les sociétés de droit civil ou commercial, y compris les sociétés coopératives, et les autres personnes morales relevant du droit public ou privé, à l'exception des sociétés qui ne poursuivent pas de but lucratif ".

4. Dans son arrêt du 2 septembre 2015 Groupe Steria SCA (aff. C-386/14), la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que l'article 49 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à une législation d'un État membre relative à un régime d'intégration fiscale en vertu de laquelle une société-mère intégrante bénéficie de la neutralisation de la réintégration d'une quote-part de frais et charges forfaitairement fixée à 5 % du montant net des dividendes perçus par elle des sociétés résidentes parties à l'intégration, alors qu'une telle neutralisation lui est refusée, en vertu de cette législation, pour les dividendes qui lui sont distribués par ses filiales situées dans un autre État membre qui, si elles avaient été résidentes, y auraient été objectivement éligibles, sur option.

5. Il en résulte, sous l'empire des dispositions citées au point 2, qu'une société à la tête d'un groupe fiscalement intégré ne peut déduire de son résultat d'ensemble que la quote-part de frais et charges afférente aux produits de participation versés à une société du groupe par une autre société membre du groupe ou qui, établie dans un Etat-membre de l'Union européenne autre que la France, remplirait les conditions, autres que celle d'être soumise à l'impôt sur les sociétés en France, pour être membre de ce groupe.

6. En premier lieu, il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, notamment des points 96 à 99 de son arrêt du 13 novembre 2012 Test Claimants in the FII Group Litigation (aff. C-35/11), que lorsqu'est en cause la participation d'une société résidente d'un Etat membre dans une société établie dans un pays tiers, l'examen de l'objet de la législation nationale suffit pour apprécier si cette participation relève des stipulations de l'article 63 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne relatives à la libre circulation des capitaux. Ainsi, une législation nationale qui ne s'applique pas exclusivement aux situations dans lesquelles la société mère exerce une influence décisive sur la société établie dans le pays tiers doit être appréciée au regard de ces stipulations. Une société résidente d'un État membre peut alors, indépendamment de l'ampleur de la participation qu'elle détient dans la société distributrice de dividendes établie dans un pays tiers, se prévaloir de la liberté de circulation des capitaux afin de mettre en cause la légalité d'une telle réglementation. En revanche, lorsqu'il ressort de l'objet d'une législation nationale que celle-ci a seulement vocation à s'appliquer aux participations permettant d'exercer une influence certaine sur les décisions de la société établie dans le pays tiers et d'en déterminer les activités, les stipulations de l'article 63 du traité ne peuvent être utilement invoquées.

7. Eu égard au seuil de détention exigé pour en bénéficier, le régime d'intégration fiscale prévu aux articles 223 A et suivants du code général des impôts n'a vocation à s'appliquer qu'aux seules participations permettant à la société intégrante d'exercer une influence certaine sur les décisions de ses filiales membres du groupe. Contrairement à ce que soutient la société requérante, n'est pas de nature à remettre en cause l'objet et la vocation de cette législation, la circonstance que l'article 223 A prévoie que, par dérogation à la règle générale fixée par son premier alinéa, ce régime est également applicable aux groupes mutualistes et coopératifs lorsque la personne morale soumise à l'impôt sur les sociétés est un organe central ou une caisse départementale ou interdépartementale titulaire d'un agrément collectif délivré par l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution pour elle-même et pour les caisses locales qui la détiennent, pour lesquels la condition de détention ne peut, par hypothèse, être appliquée eu égard à l'architecture de ces groupes et à l'absence de capital.

8. Par suite, la société Axa ne peut utilement se prévaloir de ce que les dispositions du deuxième alinéa de l'article 223 B du code général des impôts, dans leur rédaction citée au point 2, seraient incompatibles avec le principe de libre circulation des capitaux garanti par l'article 63 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne en tant que la neutralisation de la quote-part de frais et charges qu'elles prévoient ne s'applique pas à raison des dividendes versées par une filiale établie dans un Etat tiers à l'Union européenne qui aurait été éligible à l'intégration si elle avait été résidente de France. Il y a lieu de substituer ce motif, dont l'examen n'implique l'appréciation d'aucune circonstance de fait et qui justifie sur ce point le dispositif de l'arrêt attaqué, à celui retenu par la cour pour écarter le moyen, soulevé devant elle, tiré de la méconnaissance de la libre circulation des capitaux. Il en résulte que les moyens du pourvoi dirigés contre ce motif sont inopérants et ne peuvent être qu'écartés.

9. En deuxième lieu, l'accord entre la Confédération suisse et la Communauté économique européenne concernant l'assurance directe autre que l'assurance sur la vie conclu le 10 octobre 1989 régit seulement, selon son article premier, les conditions " pour permettre aux agences et succursales relevant d'entreprises dont le siège social se trouve sur le territoire d'une partie contractante et qui désirent s'établir ou qui sont établies sur le territoire de l'autre partie contractante d'accéder à l'activité non salariée de l'assurance directe autre que l'assurance sur la vie ou d'exercer cette activité ". Eu égard à l'objet de cet accord, qui vise ainsi à déterminer les conditions d'exercice de l'activité d'assurance autre que l'assurance sur la vie par une agence ou une succursale d'une entreprise résidente, dans l'autre Etat contractant, aux fins de permettre la liberté d'établissement dans ce secteur d'activité, la cour n'a pas commis d'erreur de droit ni inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis en jugeant, par une décision suffisamment motivée sur ce point, que la société requérante ne pouvait se prévaloir de la méconnaissance de cet accord pour demander le bénéfice de la neutralisation de la quote-part de frais et charges afférente aux produits de participations distribués par sa filiale suisse au motif qu'en tout état de cause, cette société n'était ni une agence ni une succursale.

10. En troisième lieu, l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales stipule que : " Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. / Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes ". Aux termes de l'article 14 de cette convention : " La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation ". Une distinction entre des personnes placées dans une situation comparable est discriminatoire, au sens de ces stipulations, si elle n'est pas assortie de justifications objectives et raisonnables, c'est-à-dire si elle ne poursuit pas un but légitime ou s'il n'y a pas un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but poursuivi.

11. Il résulte des dispositions contestées citées au point 2, telles qu'elles doivent être mises en œuvre pour se conformer aux exigences du droit de l'Union européenne, une différence de traitement entre sociétés-mères intégrantes, au regard de la neutralisation de la quote-part de frais et charges, selon que les dividendes qu'elles perçoivent proviennent d'une filiale établie dans un État membre de l'Union européenne autre que la France qui aurait été éligible à l'intégration si elle avait été résidente de France, ou d'une filiale établie dans un État tiers à l'Union qui y aurait été éligible dans les mêmes conditions.

12. Toutefois, d'une part, le respect des exigences découlant du droit de l'Union européenne constitue un objectif d'intérêt public légitime de nature à justifier une différence de traitement entre des situations comparables, selon qu'elles sont ou non régies par ces règles. D'autre part, si la loi conduit à ce que seule la perception de dividendes en provenance d'une filiale établie dans un État membre de l'Union européenne autre que la France et qui aurait été éligible à l'intégration si elle avait été résidente de France ouvre droit à la neutralisation de la quote-part de frais et charges prévue à l'article 223 B du code général des impôts, à l'exclusion donc de ceux en provenance d'une filiale établie dans un Etat tiers qui y aurait été éligible dans les mêmes conditions, il n'en résulte pas une absence de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but poursuivi. Dans ces conditions, la différence de traitement en cause peut être regardée comme répondant à une justification objective et raisonnable. Elle ne constitue donc pas une discrimination contraire aux stipulations combinées de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 1er de son premier protocole additionnel.

13. Il y a lieu de substituer ce motif, dont l'examen n'implique l'appréciation d'aucune circonstance de fait et qui justifie sur ce point le dispositif de l'arrêt attaqué, à celui retenu par la cour pour écarter le moyen, soulevé devant elle, tiré de la méconnaissance de cette convention et de son protocole. Il en résulte que les moyens du pourvoi dirigés contre ce motif sont inopérants et ne peuvent qu'être écartés.

14. Il résulte de tout ce qui précède que le pourvoi de la société Axa doit être rejeté, y compris ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Le pourvoi de la société Axa est rejeté.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société Axa et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Délibéré à l'issue de la séance du 28 mars 2025 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta,

Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; M. Vincent Daumas, M. Nicolas Polge,

M. Olivier Yeznikian, Mme Rozen Noguellou, M. Didier Ribes, conseillers d'Etat et M. Olivier Saby, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 7 mai 2025.

Le président :

Signé : M. Pierre Collin

Le rapporteur :

Signé : M. Olivier Saby

La secrétaire :

Signé : Mme Fehmida Ghulam

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Pour la secrétaire du contentieux, par délégation :


Synthèse
Formation : 9ème - 10ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 489957
Date de la décision : 07/05/2025
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 07 mai. 2025, n° 489957
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Olivier Saby
Rapporteur public ?: M. Bastien Lignereux
Avocat(s) : SAS BOULLOCHE, COLIN, STOCLET ET ASSOCIÉS

Origine de la décision
Date de l'import : 09/05/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2025:489957.20250507
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