Vu la procédure suivante :
La société Oisimmo a demandé au tribunal administratif d'Amiens de prononcer la réduction des cotisations de taxe foncière sur les propriétés bâties auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2020 à 2022 dans les rôles de la commune de Thourotte (Oise). Par un jugement n° 2301755 du 16 mai 2024, le magistrat désigné de ce tribunal a rejeté sa demande.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 12 juillet et 8 octobre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Oisimmo demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- la loi n° 2017-1775 du 28 décembre 2017 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Olivier Saby, maître des requêtes,
- les conclusions de Mme Céline Guibé, rapporteure publique ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Melka-Prigent-Drusch, avocat de la société Oisimmo ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Oisimmo a demandé à l'administration fiscale la réduction des cotisations de taxe foncière sur les propriétés bâties auxquelles elle été assujettie au titre des années 2020 à 2022 à raison d'un local à usage d'hypermarché doté d'une galerie marchande et d'une station-service, situé sur la commune de Thourotte (Oise), au motif que le local-type retenu par l'administration comme terme de comparaison pour évaluer la valeur locative de son local n'était pas adapté. Après le rejet de cette réclamation, la société Oisimmo a porté le litige devant le tribunal administratif d'Amiens. Par un jugement du 16 mai 2024, le magistrat désigné de ce tribunal a rejeté sa demande. La société Oisimmo se pourvoit en cassation contre ce jugement. Eu égard aux moyens soulevés à l'appui de son pourvoi, elle doit être regardée comme en demandant l'annulation en tant seulement qu'il s'est prononcé sur les cotisations de taxe foncière sur les propriétés bâties dues au titre des années 2021 et 2022.
2. Aux termes du I de l'article 1518 A quinquies du code général des impôts, dans sa rédaction issue de la loi du 28 décembre 2017 de finances rectificative pour 2017 applicable au litige : " 1. En vue de l'établissement de la taxe foncière sur les propriétés bâties, de la cotisation foncière des entreprises, de la taxe d'habitation et de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères, la valeur locative des propriétés bâties est corrigée par un coefficient de neutralisation. / Ce coefficient est égal, pour chaque taxe et chaque collectivité territoriale, au rapport entre, d'une part, la somme des valeurs locatives non révisées au 1er janvier 2017 des propriétés bâties imposables au titre de cette année dans son ressort territorial, à l'exception de celles mentionnées au 2 du présent I, et, d'autre part, la somme des valeurs locatives révisées de ces propriétés à la date de référence du 1er janvier 2013. / Le coefficient de neutralisation déterminé pour chacune de ces taxes s'applique également pour l'établissement de leurs taxes annexes. / Les coefficients déterminés pour une commune s'appliquent aux bases imposées au profit des établissements publics de coopération intercommunale dont elle est membre (...) ". Aux termes du III de ce même article 1518 A quinquies : " Pour les impositions dues au titre des années 2017 à 2025 : / 1° Lorsque la différence entre la valeur locative non révisée au 1er janvier 2017 et la valeur locative résultant du I est positive, celle-ci est majorée d'un montant égal à la moitié de cette différence ; / 2° Lorsque la différence entre la valeur locative non révisée au 1er janvier 2017 et la valeur locative résultant du même I est négative, celle-ci est minorée d'un montant égal à la moitié de cette différence (...) ". Aux termes du IV de ce même article : " Pour la détermination des valeurs locatives non révisées au 1er janvier 2017 mentionnées aux I et III, il est fait application des dispositions prévues par le présent code, dans sa rédaction en vigueur le 31 décembre 2016 ". Enfin, aux termes du I de l'article 1518 E du même code : " (...) 2° Les impôts directs locaux établis au titre des années 2017 à 2025 sont majorés lorsque la différence entre la cotisation qui aurait été établie au titre de l'année 2017 sans application du A du XVI de l'article 34 de la loi n° 2010-1658 du 29 décembre 2010 précité, dans sa rédaction en vigueur le 31 décembre 2016, et la cotisation établie au titre de cette même année est positive. / Pour chaque impôt, la majoration est égale aux neuf dixièmes de la différence définie au premier alinéa du présent 2° pour les impositions établies au titre de l'année 2017, puis réduite chaque année d'un dixième de cette différence. / Cette majoration est supprimée à compter de l'année qui suit celle au cours de laquelle la propriété ou fraction de propriété est concernée par l'application du I de l'article 1406, sauf si le changement de consistance concerne moins de
10 % de la surface de la propriété ou fraction de propriété ". Il résulte de ces dispositions que la valeur locative non révisée au 1er janvier 2017 utilisée pour lisser les variations de cotisations d'impôts locaux résultant de la révision des valeurs locatives des locaux professionnels est déterminée conformément aux dispositions du code général des impôts dans sa rédaction en vigueur le 31 décembre 2016.
3. Aux termes de l'article 1498 du code général des impôts, dans sa rédaction en vigueur au 31 décembre 2016 applicable au litige : " La valeur locative de tous les biens autres que les locaux visés au I de l'article 1496 et que les établissements industriels visés à l'article 1499 est déterminée au moyen de l'une des méthodes indiquées ci-après : / 1° Pour les biens donnés en location à des conditions de prix normales, la valeur locative est celle qui ressort de cette location ; / 2º a. Pour les biens loués à des conditions de prix anormales ou occupés par leur propriétaire, occupés par un tiers à un autre titre que la location, vacants ou concédés à titre gratuit, la valeur locative est déterminée par comparaison. / Les termes de comparaison sont choisis dans la commune. Ils peuvent être choisis hors de la commune pour procéder à l'évaluation des immeubles d'un caractère particulier ou exceptionnel ; / b. La valeur locative des termes de comparaison est arrêtée : / Soit en partant du bail en cours à la date de référence de la révision lorsque l'immeuble type était loué normalement à cette date, / Soit, dans le cas contraire, par comparaison avec des immeubles similaires situés dans la commune ou dans une localité présentant, du point de vue économique, une situation analogue à celle de la commune en cause et qui faisaient l'objet à cette date de locations consenties à des conditions de prix normales ; / 3° A défaut de ces bases, la valeur locative est déterminée par voie d'appréciation directe ".
4. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, pour déterminer la valeur locative non révisée au 1er janvier 2017 du local à usage d'hypermarché dont la société Oisimmo était propriétaire sur le territoire de la commune de Thourotte, l'administration fiscale a mis en œuvre la méthode comparative prévue au 2° de l'article 1498 du code général des impôts et a retenu à cette fin, comme terme de comparaison, le local-type n° 38 du procès-verbal de la commune de Thourotte. À la suite de la contestation de la pertinence de ce local-type par la société Oisimmo devant le tribunal administratif d'Amiens, l'administration fiscale a proposé le local-type n° 191 du procès-verbal de la commune de Beauvais.
5. Il ressort des énonciations du jugement attaqué que le magistrat désigné du tribunal administratif d'Amiens a jugé que la société Oisimmo ne remettait pas en cause la pertinence du nouveau terme de comparaison proposé en cours d'instance par l'administration fiscale et constitué par le local-type n° 191 situé sur la commune de Beauvais, au motif qu'elle ne produisait aucun élément pertinent de nature à remettre en cause la valeur locative retenue au vu d'éléments précis apportés par l'administration relatifs aux caractéristiques respectives de l'immeuble à évaluer et du local-type proposé. En statuant ainsi alors que la société requérante avait contesté dans son mémoire en réplique la proposition de nouveau local-type par l'administration en relevant l'absence de production du procès-verbal correspondant, et que, par suite, le juge n'était pas en mesure, sans supplément d'instruction tendant à la production de ce procès-verbal, de vérifier la régularité de l'évaluation du nouveau local-type proposé, notamment dans l'hypothèse où celle-ci avait été effectuée, non pas à partir d'un bail en vigueur au
1er janvier 1970, mais par voie de comparaison, le magistrat désigné du tribunal administratif d'Amiens a méconnu son office et commis une erreur de droit.
6. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, que la société Oisimmo est fondée à demander l'annulation du jugement attaqué en tant qu'il a rejeté ses conclusions tendant à la réduction des cotisations de taxe foncière sur les propriétés bâties auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2021 et 2022.
7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à la société Oisimmo au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : Le jugement du tribunal administratif d'Amiens du 16 mai 2024 est annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions de la demande de la société Oisimmo tendant à la réduction des cotisations de taxe foncière sur les propriétés bâties auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2021 et 2022.
Article 2 : L'affaire est renvoyée, dans la mesure de la cassation décidée à l'article 1er, au tribunal administratif d'Amiens.
Article 3 : L'Etat versera la somme de 3 000 euros à la société Oisimmo au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société Oisimmo et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré à l'issue de la séance du 27 mars 2025 où siégeaient : Mme Anne Egerszegi, présidente de chambre, présidant ; M. Vincent Daumas, conseiller d'Etat et M. Olivier Saby, maître des requêtes-rapporteur.
Rendu le 6 mai 2025.
La présidente :
Signé : Mme Anne Egerszegi
Le rapporteur :
Signé : M. Olivier Saby
Le secrétaire :
Signé : M. Gilles Ho
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Pour la secrétaire du contentieux, par délégation :