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06/05/2025 | FRANCE | N°490126

France | France, Conseil d'État, 5ème - 6ème chambres réunies, 06 mai 2025, 490126


Vu la procédure suivante :



Mme C... A... a demandé au tribunal administratif de Montreuil de condamner l'Etat à lui verser une somme de 58 000 euros assortie des intérêts au taux légal à compter de la date de réception de sa demande préalable et à actualiser, en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis, ainsi que sa famille, en raison de la carence des services de l'Etat à assurer son relogement. Par un jugement n° 2210835 du 18 octobre 2023, le tribunal administratif a rejeté sa demande.



Par un pourvoi sommai

re et un mémoire complémentaire et deux mémoires, enregistrés les 13 décembre 2023, le...

Vu la procédure suivante :

Mme C... A... a demandé au tribunal administratif de Montreuil de condamner l'Etat à lui verser une somme de 58 000 euros assortie des intérêts au taux légal à compter de la date de réception de sa demande préalable et à actualiser, en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis, ainsi que sa famille, en raison de la carence des services de l'Etat à assurer son relogement. Par un jugement n° 2210835 du 18 octobre 2023, le tribunal administratif a rejeté sa demande.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire et deux mémoires, enregistrés les 13 décembre 2023, le 12 mars 2024, le 4 octobre 2024 et le 27 mars 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme A... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à sa demande de première instance ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la construction et de l'habitation ;

- le code général des impôts ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Bastien Brillet, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Florian Roussel, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Boré, Salve de Bruneton, Mégret, avocat de Mme A... ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que, par une décision du 3 juillet 2019, la commission de médiation de la Seine Saint-Denis a déclaré Mme A... prioritaire et devant être relogée en urgence, en application des dispositions de l'article L. 441-2-3 du code de la construction et de l'habitation, aux motifs, d'une part, que son logement était en situation de suroccupation et, d'autre part, que sa demande de logement social n'avait pas reçu de réponse dans le délai règlementaire. Par une ordonnance du 1er février 2021, le premier vice-président du tribunal administratif de Montreuil, saisi par Mme A... sur le fondement des dispositions du I de l'article L. 441-2-3-1 du même code, a enjoint au préfet de la Seine-Saint-Denis d'assurer son relogement. Mme A... a ensuite demandé au tribunal administratif de Montreuil de condamner l'Etat à réparer les préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de son absence de relogement. Par un jugement du 18 octobre 2023, le tribunal administratif a rejeté sa demande.

Sur le cadre juridique :

2. D'une part, aux termes du II de l'article L. 441-2-3 du code de la construction et de l'habitation : " (...) la commission de médiation désigne les demandeurs qu'elle reconnaît prioritaires et auxquels un logement doit être attribué en urgence. Elle détermine pour chaque demandeur, en tenant compte de ses besoins et de ses capacités, les caractéristiques de ce logement (... ". Aux termes de l'article L. 442-12 du code de la construction et de l'habitation : " Sont considérées comme personnes vivant au foyer au titre des articles L. 441-1, et L. 441-4 ; / (...) - les personnes réputées à charge au sens des articles 194, 196, 196 A bis et 196 B du code général des impôts ; - les enfants qui font l'objet d'un droit de visite et d'hébergement ". En vertu des dispositions combinées de l'article 196 B et du 3 de l'article 6 du code général des impôts, peuvent être rattachés au foyer fiscal " toute personne majeure âgée de moins de vingt et un ans, ou de moins de vingt-cinq ans lorsqu'elle poursuit ses études, ou, quel que soit son âge, lorsqu'elle effectue son service militaire ou est atteinte d'une infirmité ", dont elle faisait partie avant sa majorité ou qui l'a recueillie après qu'elle soit devenue orpheline de père et de mère.

3. Pour définir les besoins du demandeur d'un logement en application de ces dispositions du code de la construction et de l'habitation, la commission de médiation doit apprécier la composition de son foyer en tenant compte de l'ensemble des personnes visées par l'article L. 442-12 de ce code, au nombre desquelles figure toute personne majeure âgée de moins de vingt et un ans, ou de moins de vingt-cinq ans lorsqu'elle poursuit ses études, ou, quel que soit son âge, lorsqu'elle effectue son service militaire ou est atteinte d'une infirmité, dès lors qu'il est établi qu'elle vit effectivement au foyer ou, s'agissant des enfants, qu'ils font l'objet d'un droit de visite ou d'hébergement. Est à cet égard sans incidence la circonstance que, pour l'application des dispositions du code général des impôts relatives à l'imposition sur le revenu, cette personne soit ou non effectivement rattachée au foyer fiscal dont elle faisait partie jusqu'à sa vingt-et-unième ou vingt-cinquième année.

4. D'autre part, lorsqu'une personne a été reconnue comme prioritaire et devant être logée ou relogée en urgence par une commission de médiation en application des dispositions de l'article L. 441-2-3 du code de la construction et de l'habitation, la carence de l'Etat à exécuter cette décision dans le délai imparti engage sa responsabilité à l'égard du seul demandeur, au titre des troubles dans les conditions d'existence résultant du maintien de la situation qui a motivé la décision de la commission, que l'intéressé ait ou non fait usage du recours en injonction contre l'Etat prévu par l'article L. 441-2-3-1 de ce code. Ces troubles doivent être appréciés en fonction des conditions de logement qui ont perduré du fait de la carence de l'Etat, de la durée de cette carence et du nombre de personnes composant le foyer du demandeur pendant la période de responsabilité de l'Etat.

5. Eu égard à la nature de son office, il n'appartient pas au juge saisi d'une demande tendant à la réparation du préjudice né pour le demandeur de l'absence de relogement de remettre en cause l'appréciation portée sur la situation du demandeur par la décision de la commission départementale de médiation, qui est créatrice de droits. Il lui appartient en revanche, pour déterminer l'étendue du droit à réparation, de tenir compte de la composition effective du foyer au cours de la période de responsabilité, en faisant application, s'agissant en particulier des personnes âgées de moins de vingt-et-un an ou de moins de vingt-cinq si elles poursuivent leurs études, des principes énoncés au point 3 ci-dessus.

Sur le pourvoi :

6. Il ressort des énonciations du jugement attaqué que, pour rejeter la demande d'indemnisation de Mme A..., le tribunal, à qui il appartenait de rechercher si la situation de suroccupation du logement qui avait motivé la décision de la commission de médiation s'était maintenue postérieurement au 3 janvier 2020, date à laquelle le délai laissé à l'Etat pour exécuter cette décision était arrivé à son terme, a retenu qu'il ne résultait pas de l'instruction que le logement de Mme A... était demeuré suroccupé, dès lors qu'il ressortait de ses avis d'imposition sur les revenus de 2020, 2021 et 2022 qu'elle avait pour ces trois années déclaré respectivement deux enfants à charge, puis un, puis aucun, s'abstenant ainsi de demander le rattachement à son foyer fiscal de chacun de ses enfants après leur majorité.

7. D'une part, en déduisant des avis d'imposition de Mme A... la disparition de la situation de suroccupation et d'inadaptation du logement retenue par la commission de médiation alors qu'il lui appartenait, pour caractériser la situation de l'espèce, de tenir compte des conditions de logement auxquelles avait été exposée l'intéressée au cours de la période en cause et de la composition effective du foyer en application des règles énoncées au point 5, le tribunal administratif a commis une erreur de droit.

8. D'autre part, si le tribunal administratif était fondé, pour déterminer la composition du foyer au titre de laquelle était ouvert le droit à relogement, qui est de nature à constituer un indice du maintien de la situation de suroccupation, à ne prendre en compte, que les enfants âgés de moins de 21 ans restés au domicile du demandeur ainsi que, en cas de poursuite d'études ceux de moins de 25 ans, il a en revanche commis une erreur de droit en subordonnant la prise en compte de ces enfants à leur rattachement effectif au foyer fiscal du demandeur.

8. Il résulte de ce qui précède que Mme A... est fondée à demander l'annulation du jugement qu'elle attaque.

Sur le règlement du litige :

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

10. Il résulte des termes de la décision du 3 juillet 2019 de la commission de médiation de la Seine-Saint-Denis que celle-ci a reconnu Mme A... comme prioritaire et devant être logée d'urgence au motif, notamment, que son logement était en situation de suroccupation. Il résulte de l'instruction que, contrairement à ce que soutient le ministre en défense, la situation de suroccupation et d'inadaptation du logement qui a motivé la décision de la commission de médiation s'est maintenue depuis le 3 janvier 2020, Mme A... n'ayant pas été relogée et ayant continué à vivre dans son logement avec ses trois enfants aujourd'hui majeurs jusqu'en janvier 2024 et depuis cette date encore avec deux d'entre eux, dont un au surplus reconnu comme atteint d'un handicap.

11. Eu égard aux conditions de logement qui ont perduré du fait de la carence de l'Etat, de la durée de cette carence et du nombre de personnes composant le foyer de Mme A..., à la suite, non seulement du départ de sa fille aînée de son foyer en janvier 2024, mais également de la fin des études, en octobre 2024, de sa fille la plus jeune, désormais âgée de 21 ans, et de la situation de handicap de son troisième enfant, il sera fait une juste appréciation des troubles résultant de cette situation en mettant à la charge de l'Etat le versement à la requérante d'une indemnité de 5 000 euros, tous intérêts compris à la date de la présente décision.

Sur les frais d'instance :

12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros à verser à Mme A..., sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, au titre des frais exposés en première instance et devant le Conseil d'Etat.

D E C I D E :

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Article 1er : Le jugement n° 2210835 du 18 octobre 2023 du tribunal administratif de Montreuil est annulé.

Article 2 : L'Etat versera à Mme A... une indemnité de 5 000 euros, tous intérêts compris à la date de la présente décision.

Article 3 : Le surplus des conclusions présentées par Mme A... devant le tribunal administratif est rejeté.

Article 4 : L'Etat versera à Mme A... une somme de 4 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à Mme C... A... et au ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation.


Synthèse
Formation : 5ème - 6ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 490126
Date de la décision : 06/05/2025
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 06 mai. 2025, n° 490126
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Bastien Brillet
Rapporteur public ?: M. Florian Roussel
Avocat(s) : SCP BORE, SALVE DE BRUNETON, MEGRET

Origine de la décision
Date de l'import : 09/05/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2025:490126.20250506
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