Vu la procédure suivante :
M. B... A... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Melun d'ordonner, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension provisoire de l'exécution de l'arrêté de la préfète du Val-de-Marne du 3 janvier 2024 rejetant sa demande de renouvellement de titre de séjour, l'obligeant à quitter le territoire national dans un délai de trente jours et désignant le pays à destination duquel il est susceptible d'être éloigné. Par une ordonnance n° 2401641 du 14 mars 2024, la juge des référés du tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d'État les 29 mars et 12 avril 2024, M. A... demande au Conseil d'État :
1°) d'annuler cette ordonnance ;
2°) statuant en référé, de faire droit à sa demande ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que l'ordonnance attaquée est entachée :
- d'une erreur de droit et, à tout le moins, d'une dénaturation des pièces du dossier en ce qu'elle estime que le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 421-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile n'est pas de nature à faire naître un doute sérieux sur la légalité de l'arrêté contesté au seul motif qu'il s'est abstenu de produire ses déclarations de chiffre d'affaires au titre des années 2022 et 2023 ;
- d'une insuffisance de motivation et d'une erreur de droit en ce qu'elle retient que dès lors qu'il n'établirait pas la viabilité économique de son entreprise en produisant ses déclarations de chiffres d'affaires, aucun des autres moyens invoqués ne serait de nature à faire naître un doute sérieux sur la légalité de l'arrêté contesté.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Bruno Bachini, conseiller d'Etat,
- les conclusions de Mme Maïlys Lange, rapporteure publique ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Zribi et Texier, avocat de M. A... ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que M. A..., ressortissant camerounais entré en France le 13 août 2017 sous couvert d'un visa long séjour portant la mention " étudiant ", a bénéficié, en 2023, d'une carte de séjour temporaire portant la mention " entrepreneur/profession libérale ". Par un arrêté du 3 janvier 2024, la préfète du Val-de-Marne a rejeté sa demande de renouvellement de ce titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire national dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. Par une ordonnance du 14 mars 2024, contre laquelle M. A... se pourvoit en cassation, la juge des référés du tribunal administratif de Melun a refusé de faire droit à sa demande de suspension provisoire de l'exécution de cet arrêté.
2. D'une part, aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".
3. D'autre part, aux termes de l'article L. 421-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui exerce une activité non salariée, économiquement viable et dont il tire des moyens d'existence suffisants, dans le respect de la législation en vigueur, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " entrepreneur/profession libérale " d'une durée maximale d'un an ".
4. En se fondant, pour juger que le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 421-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile n'était pas de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de l'arrêté contesté, sur le seul motif tiré de ce que M. A... s'était abstenu de fournir à l'administration ses déclarations de chiffres d'affaires au titre des années 2022 et 2023 alors qu'aucune disposition ne subordonne la délivrance de la carte de séjour temporaire portant la mention " entrepreneur/profession libérale " à la production de ces documents, la juge des référés du tribunal administratif de Melun a commis une erreur de droit.
5. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, que M. A... est fondé à demander l'annulation de l'ordonnance qu'il attaque.
6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au titre de la procédure de référé et de statuer sur la demande de suspension en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.
7. En premier lieu, l'urgence justifie que soit prononcée la suspension d'un acte administratif lorsque l'exécution de celui-ci porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. Il appartient au juge des référés, saisi d'une demande de suspension d'une décision refusant la délivrance d'un titre de séjour, d'apprécier et de motiver l'urgence compte tenu de l'incidence immédiate du refus de titre de séjour sur la situation concrète de l'intéressé. Cette condition d'urgence sera, en principe, constatée dans le cas d'un refus de renouvellement du titre de séjour, comme dans le cas d'un retrait de celui-ci. Dans les autres cas, il appartient au requérant de justifier de circonstances particulières caractérisant la nécessité pour lui de bénéficier, à très bref délai, d'une mesure provisoire dans l'attente d'une décision juridictionnelle statuant sur la légalité de la décision litigieuse.
8. Il résulte de ce qui précède que M. A... justifie de l'urgence à suspendre l'exécution de l'arrêté de la préfète du Val-de-Marne du 3 janvier 2024 lui refusant le renouvellement de sa carte de séjour temporaire portant la mention " entrepreneur/profession libérale ".
9. En second lieu, il résulte des pièces produites par M. A..., parmi lesquelles figurent notamment, outre divers relevés de compte bancaire, le contrat de prestation de services d'un an conclu avec la société Taptap Send Belgium le 5 mars 2023 et les factures afférentes à ces prestations ainsi que son avis d'imposition établi au titre de l'année 2022, que le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation qu'aurait commise la préfète du Val-de-Marne en estimant qu'il ne justifiait pas exercer une activité non salariée économiquement viable et dont il tirerait des moyens d'existence suffisants au sens de l'article L. 421-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile est de nature, en l'état de l'instruction, à créer un doute sérieux sur la légalité de l'arrêté contesté.
10. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la demande, qu'il y a lieu de prononcer la suspension de l'arrêté contesté.
11. Il y a lieu d'enjoindre au préfet du Val-de-Marne de réexaminer la demande de renouvellement de titre de séjour de M. A... dans un délai de quinze jours à compter de la notification de la présente décision et de lui délivrer un récépissé l'autorisant à travailler dans le délai de quarante-huit heures à compter de cette même notification.
12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à M. A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : L'ordonnance de la juge des référés du tribunal administratif de Melun du 14 mars 2024 est annulée.
Article 2 : L'exécution de l'arrêté de la préfète du Val-de-Marne du 3 janvier 2024 est suspendue.
Article 3 : Il est enjoint au préfet du Val-de-Marne, d'une part, de réexaminer la demande de renouvellement de titre de séjour de M. A... dans un délai de quinze jours à compter de la notification de la présente décision, d'autre part, de lui délivrer un récépissé l'autorisant à travailler dans le délai de quarante-huit heures à compter de cette même notification.
Article 4 : L'Etat versera à M. A... la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée à M. B... A... et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.
Délibéré à l'issue de la séance du 3 avril 2025 où siégeaient : Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre, présidant ; M. Christophe Pourreau, conseiller d'Etat et M. Bruno Bachini, conseiller d'Etat-rapporteur.
Rendu le 5 mai 2025.
La présidente :
Signé : Mme Isabelle de Silva
Le rapporteur :
Signé : M. Bruno Bachini
La secrétaire :
Signé : Mme Magalie Café