Vu la procédure suivante :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite par laquelle la ministre de l'Europe et des affaires étrangères lui a refusé la consultation des archives de la police française de Shanghai contenues dans les articles 286 à 432 de l'inventaire 635 PO/A et B. Par un jugement n° 2222712 du 30 juin 2023, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 28 juillet et 27 octobre 2023 et le 27 novembre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à sa demande ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code du patrimoine ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Alexandra Poirson, auditrice,
- les conclusions de M. Frédéric Puigserver, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat de M. A... B... ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. B... a adressé, le 6 juillet 2022, au centre des archives diplomatiques de Nantes, qui dépend de la direction des archives relevant du ministère de l'Europe et des affaires étrangères et qui assure la gestion des archives des postes diplomatiques et des anciens protectorats, une demande de consultation des archives de la police française de Shanghai qui étaient conservées au consulat de France à Shanghai à la date de sa fermeture en juillet 1952, contenues dans les articles 286 à 432 de l'inventaire 635 PO/A et B conservés en salle 12 de ce centre. A la suite du refus opposé à sa demande, M. B... a saisi la commission d'accès aux documents administratifs qui, le 22 septembre 2022, a estimé que l'administration était dans l'incapacité matérielle temporaire de lui communiquer les documents sollicités du fait d'un risque important lié à la présence éventuelle d'amiante, de l'absence de support de substitution, et de la nécessité de diligenter des investigations pour lever le doute sur l'état de préservation des documents, tout en invitant l'intéressé à renouveler sa demande lorsque la situation aurait favorablement évolué. M. B... se pourvoit en cassation contre le jugement du 30 juin 2023 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de la décision implicite de rejet de la ministre née à la suite de cet avis et à ce qu'il lui soit enjoint de lui communiquer les documents demandés.
2. D'une part, aux termes de l'article L. 211-2 du code du patrimoine : " La conservation des archives est organisée dans l'intérêt public tant pour les besoins de la gestion et de la justification des droits des personnes physiques ou morales, publiques ou privées, que pour la documentation historique de la recherche ". L'article L. 211-4 du même code prévoit que : " Les archives publiques sont : / 1° Les documents qui procèdent de l'activité de l'Etat, (...) ". Aux termes de l'article L. 213-1 du même code : " Les archives publiques sont, sous réserve des dispositions de l'article L. 213-2, communicables de plein droit. / L'accès à ces archives s'exerce dans les conditions définies pour les documents administratifs à l'article L. 311-9 du code des relations entre le public et l'administration ". En vertu des dispositions de l'article L. 311-9 du code des relations entre le public et l'administration, l'accès aux documents administratifs s'exerce, au choix du demandeur et dans la limite des possibilités techniques de l'administration ainsi que sous les autres réserves précisées par ces dispositions, soit par consultation gratuite sur place, soit par la délivrance d'une copie aux frais du demandeur, soit par courrier électronique sans frais, soit enfin par publication des informations en ligne.
3. D'autre part, aux termes du 1er alinéa du I de l'article L. 212-4 du code du patrimoine : " Les archives publiques qui, à l'issue de la sélection prévue aux articles L. 212-2 et L. 212-3, sont destinées à être conservées sont versées dans un service public d'archives dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat. Ce décret détermine les cas où, par dérogation aux dispositions qui précèdent, l'administration des archives laisse le soin de la conservation des documents d'archives produits ou reçus par certaines administrations ou certains organismes aux services compétents de ces administrations ou organismes lorsqu'ils présentent des conditions satisfaisantes de conservation, de sécurité, de communication et d'accès des documents. Il fixe les conditions de la coopération entre l'administration des archives et ces administrations ou organismes ". En vertu des dispositions de l'article R. 212-1 du code du patrimoine, le service interministériel des archives de France de la direction générale des patrimoines et de l'architecture au ministère de la culture exerce toutes les attributions confiées à l'administration des archives par le code du patrimoine, à l'exception notamment de celles qui concernent les archives des ministères des affaires étrangères, et, en vertu de l'article R. 212-5 du même code, les services d'archives des affaires étrangères assurent en particulier la gestion des archives provenant des postes diplomatiques et consulaires et, ce titre, la conservation, la sélection, le classement, l'inventaire et la communication des documents conservés dans le dépôt central ou dans des dépôts annexes des archives.
4. Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de contrôler la régularité et le bien-fondé d'une décision de refus opposé à une demande de consultation ou de communication de documents d'archives conservés dans un service d'archives au sens des dispositions citées au point 3, notamment lorsque ces documents sont immédiatement communicables ou le sont devenus par l'écoulement du temps. Pour ce faire, par exception au principe selon lequel le juge de l'excès de pouvoir apprécie la légalité d'un acte administratif à la date de son édiction, il appartient au juge, eu égard à la nature des droits en cause et à la nécessité de prendre en compte l'écoulement du temps et l'évolution des circonstances de droit et de fait afin de conférer un effet pleinement utile à son intervention, de se placer à la date à laquelle il statue.
5. Lorsque l'administration en charge de la conservation des archives fait valoir que la communication des documents sollicités, en raison notamment des opérations matérielles qu'elle impliquerait, ferait peser sur elle une charge de travail disproportionnée au regard des moyens dont elle dispose pour exercer les missions de collecte, de conservation, de protection et de consultation qui lui sont assignées, il revient au juge de prendre en compte, pour déterminer si ce motif justifie un refus de communication, l'intérêt qui s'attache à cette communication pour le demandeur ainsi, le cas échéant, que pour le public.
6. Il ressort des énonciations du jugement attaqué qu'après avoir relevé, d'une part, que la manipulation des archives en question présentait un risque sanitaire pour les agents comme pour l'intéressé du fait de la présence, dans la salle de conservation et dans les boites contenant les fonds demandés, d'amiante en quantité supérieure au risque d'exposition autorisé par la réglementation et, d'autre part, qu'il n'existait pas de support de substitution permettant leur consultation sans procéder préalablement à ces manipulations, le tribunal administratif a jugé que le fait pour l'administration de faire bénéficier les agents d'une formation spécifique, d'élaborer un mode opératoire d'intervention et de mettre en place des moyens de protection individuels ou collectifs adaptés au niveau d'empoussièrement relevé afin de sortir les documents des cartons et, s'ils n'étaient pas dépoussiérés, d'en créer une version dématérialisée en vue de les communiquer sans risque de contamination pour le demandeur constituerait, dans les circonstances de l'espèce, une charge disproportionnée pour l'administration, justifiant le refus opposé à la demande.
7. En retenant, en premier lieu, l'existence d'une charge disproportionnée pesant sur l'administration au regard des moyens dont elle dispose alors, d'une part, que celle-ci, qui se bornait à opposer la présence d'amiante, ne contestait pas les indications précises et étayées dont se prévalait M. B... selon lesquelles, à la suite du rapport de mesure de l'empoussièrement en fibres d'amiante dans l'air, établi le 6 décembre 2018 par un contrôleur spécialisé, portant sur les deux salles d'archives 12 et 23 et deux fonds situés au centre des archives diplomatiques de Nantes, le ministère de l'Europe et des affaires étrangères avait entrepris des travaux de désamiantage au moyen d'un marché devant s'achever en septembre 2021 et alors, d'autre part, que cette administration ne fournissait aucun élément actualisé sur la situation, notamment, de la salle 12 dans laquelle sont conservés les fonds intéressant M. B..., le tribunal administratif a dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis.
8. En retenant, en second lieu, l'existence d'une charge de travail disproportionnée au regard des moyens dont l'administration chargée des archives diplomatiques dispose, sans prendre en compte, pour déterminer si ce motif pouvait justifier un refus de communication, l'intérêt qui s'attachait à la communication pour le demandeur ainsi que, le cas échéant, pour le public, du fonds documentaire concernant la police de Shanghai à l'époque de la concession française, alors que M. B... avait fait état d'un intérêt particulier notamment en tant que réalisateur de quatre documentaires sur l'histoire de Shanghai, le tribunal a en outre entaché sa décision d'une erreur de droit.
9. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de son pourvoi, que M. B... est fondé à demander l'annulation du jugement qu'il attaque.
10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à M. B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Paris du 30 juin 2023 est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée au tribunal administratif de Paris.
Article 3 : L'Etat versera la somme de 3 000 euros à M. B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. A... B... et au ministre de l'Europe et des affaires étrangères.