Vu la procédure suivante :
Par une requête, enregistrée le 18 janvier 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... A... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 31 août 2022 par lequel le Président de la République a procédé à son élévation au premier grade de l'ordre judiciaire en tant qu'il fixe au 1er septembre 2022 son avancement, ainsi que la décision implicite née le 19 novembre 2023 ayant rejeté son recours gracieux ;
2°) d'enjoindre à l'administration, sur le fondement des dispositions de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, de présenter à la signature du Président de la République un décret modificatif fixant rétroactivement au 1er janvier 2022 son avancement, dans un délai de trois semaines à compter de la décision à intervenir ou, à défaut, sur le fondement des dispositions de l'article L. 911-2 du même code, de lui enjoindre de réexaminer sa situation, dans le même délai ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule ;
- l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 ;
- le décret n° 93-21 du 7 janvier 1993 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Stéphanie Vera, maîtresse des requêtes,
- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Delamarre, Jéhannin, avocat de M. A... ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 2 avril 2025, présentée par M. A... ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier que M. B... A..., après avoir exercé comme avocat et comme juriste en entreprise pendant un peu plus de six ans, a intégré la magistrature au second grade de la hiérarchie judiciaire et a été installé dans ses fonctions au 1er septembre 2016. Placé en position de détachement dans le corps des administrateurs civils au 1er septembre 2020 pour une durée de trois ans, il a été inscrit au tableau d'avancement du 30 août 2021 et, par un décret du Président de la République du 31 août 2022, pris sur avis du Conseil supérieur de la magistrature rendu le 2 mars 2022, a été élevé au premier grade de l'ordre judiciaire à compter du 1er septembre 2022. Contestant cette date d'effet, M. A... demande au Conseil d'Etat l'annulation du décret du 31 août 2022 en tant qu'il fixe son avancement au 1er septembre 2022, et de la décision implicite née le 19 novembre 2023 du silence gardé sur sa demande tendant à la modification de ce décret pour que la date de son avancement soit fixée rétroactivement au 1er janvier 2022. Il demande également au Conseil d'Etat d'enjoindre à l'administration de modifier le décret attaqué en ce sens ou, à défaut, de lui enjoindre de procéder au réexamen de sa demande.
2. Aux termes de l'article 2 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 modifiée portant loi organique relative au statut de la magistrature, " la hiérarchie du corps judiciaire comprend deux grades. L'accès du second au premier grade est subordonné à l'inscription à un tableau d'avancement. (...) ", et aux termes de l'article 34 de cette ordonnance, " il est institué une commission chargée de dresser et d'arrêter le tableau d'avancement. (...) ". Aux termes du deuxième alinéa de l'article 28 de cette ordonnance : " Les décrets portant promotion de grade (...) sont pris par le Président de la République sur proposition du garde des sceaux, ministre de la justice, après avis conforme de la formation compétente du Conseil supérieur de la magistrature pour ce qui concerne les magistrats du siège (...) ". Aux termes des deux derniers alinéas de l'article 26 de cette même ordonnance : " Les années d'activité professionnelle accomplies par les magistrats recrutés par les voies du deuxième et du troisième concours d'accès à l'Ecole nationale de la magistrature ainsi que par ceux recrutés au titre de l'article 18-1 de la présente ordonnance sont prises en compte pour leur classement indiciaire dans leur grade et pour leur avancement. (...) / Un décret en Conseil d'Etat détermine les conditions d'application du présent article ". Aux termes de l'article 15 du décret du 7 janvier 1993 modifié pris pour l'application de cette ordonnance : " Peuvent seuls accéder aux fonctions du premier grade les magistrats du second grade justifiant de sept années d'ancienneté dont cinq ans de services effectifs en position d'activité ou de détachement depuis leur installation dans leurs premières fonctions judiciaires et inscrits au tableau d'avancement ". Quant aux modalités de calcul des durées requises, l'article 14 de ce décret prévoit que : " La durée des services pris en compte pour l'ancienneté est majorée du temps passé en vue de satisfaire aux obligations du service national ". Aux termes de l'article 17-4 de ce même décret : " Pour l'accès au premier grade des magistrats recrutés au second grade de la hiérarchie judiciaire par les voies du deuxième et du troisième concours d'accès à l'Ecole nationale de la magistrature et au titre des articles 18-1 et 22 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 précitée, la fraction d'activité professionnelle antérieure, déterminée dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 17-2, est assimilée aux services effectifs exigés par l'article 15, à raison de la moitié de sa durée pour la fraction comprise entre quatre et huit ans ". L'article 17-2 de ce décret, qui détermine, pour les magistrats ainsi recrutés, la fraction des années d'activité professionnelle antérieure retenue pour leur classement indiciaire lors de leur nomination, dispose, en son deuxième alinéa, que : " Les années d'activité professionnelle accomplies en qualité de fonctionnaire de catégorie A, d'agent public d'un niveau équivalent à la catégorie A, de cadre au sens de la convention collective dont relevait l'intéressé, d'avocat, d'avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation (...) sont retenues à raison de la moitié de leur durée pour la fraction comprise entre cinq et douze ans et des trois quarts au-delà de douze ans. (...) ".
3. Il résulte de ces dispositions que les conditions posées par l'article 15 du décret du 7 janvier 1993 pour l'accès aux fonctions du premier grade de la hiérarchie judicaire, en termes d'ancienneté et de durée de services effectifs dans les fonctions judiciaires, sont cumulatives. Si l'article 26 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 précitée prévoit la prise en compte, pour l'avancement dans la hiérarchie judiciaire, de l'activité professionnelle antérieure au recrutement dans le corps judiciaire, il renvoie à un décret en Conseil d'Etat la détermination des conditions d'application de ce principe. L'article 17-4 du décret du 7 janvier 1993 précité détermine les conditions dans lesquelles l'activité professionnelle antérieurement exercée par les magistrats concernés est prise en compte pour leur avancement au premier grade. La durée d'activité ainsi reprise diffère de celle qui est retenue au titre du classement indiciaire de ces magistrats lors de leur nomination. Il ne ressort d'aucune autre disposition du décret du 7 janvier 1993, ni d'aucun autre texte, que des modalités spécifiques de prise en compte de l'activité professionnelle antérieure devraient être appliquées à l'appréciation de la condition d'ancienneté prévue pour l'accès au premier grade de la hiérarchie judicaire.
4. En premier lieu, en retenant que M. A..., en application des dispositions de l'article 17-4 du décret du 7 janvier 1993, ne bénéficiait d'aucune reprise d'ancienneté assimilable à des services effectifs pour l'accès au premier grade et que, compte tenu de sa date d'installation dans ses premières fonctions judiciaires, au 1er septembre 2016, et de la majoration d'ancienneté d'une année dont il bénéficie au titre du service national, il ne justifiait des conditions de sept ans d'ancienneté dont cinq ans de services effectifs, résultant des dispositions de l'article 15 de ce décret, qu'au 1er septembre 2022, l'administration a fait une exacte application des dispositions rappelées au point 2. Par suite, le moyen tiré de l'erreur de droit dont serait entaché le décret attaqué doit être écarté. Il en va de même, en tout état de cause, du moyen tiré de ce qu'auraient été méconnus les principes de séparation des pouvoirs et d'indépendance de la magistrature, sans que puisse être utilement invoquée la circonstance que la commission d'avancement se serait exprimée, dans son rapport annuel d'activité 2020-2021, en faveur de modalités d'appréciation différentes pour arrêter le tableau d'avancement, en application de l'article 34 de l'ordonnance précitée.
5. En second lieu, la promotion au premier grade ne constitue pas un droit pour les magistrats qui remplissent les conditions légales pour l'obtenir. Si le requérant fait valoir que certains magistrats inscrits au tableau d'avancement du 30 août 2021 auraient bénéficié d'un avancement au 1er janvier 2022, il ne saurait se déduire de cette seule circonstance que le décret attaqué serait contraire au principe d'égalité de traitement des magistrats en tant qu'il prévoit un avancement de M. A... au 1er septembre 2022, alors d'ailleurs qu'il n'est pas établi que, par leur voie d'intégration dans le corps judiciaire, la nature ou la durée de leur éventuelle activité professionnelle antérieure, les intéressés auraient été placés dans une situation identique à la sienne. Par suite, le requérant n'est pas fondé à soutenir que le décret attaqué aurait été pris en méconnaissance du principe d'égalité de traitement des magistrats.
6. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur la recevabilité de sa requête, que M. A... n'est pas fondé à demander l'annulation partielle du décret attaqué en tant qu'il fixe au 1er septembre 2022 son avancement au premier grade. Ses conclusions à fin d'injonction et celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent, par voie de conséquence, être également rejetées.
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. B... A... et au ministre d'Etat, garde des sceaux, ministre de la justice.
Délibéré à l'issue de la séance du 27 mars 2025 où siégeaient : Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre, présidant ; M. Christophe Pourreau, conseiller d'Etat et Mme Stéphanie Vera, maîtresse des requêtes-rapporteure.
Rendu le 2 mai 2025.
La présidente :
Signé : Mme Isabelle de Silva
La rapporteure :
Signé : Mme Stéphanie Vera
La secrétaire :
Signé : Mme Angélique Rajaonarivelo