Vu la procédure suivante :
Par une requête, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 28 avril 2023, 28 juillet 2023 et 15 mai 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Coordination rurale Union nationale et l'Association des producteurs d'œufs de Haute-Loire demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêté du ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire du 27 février 2023 relatif à la lutte contre les infections à Salmonella dans les troupeaux de l'espèce Gallus gallus en filière ponte d'œufs de consommation et dans les troupeaux de reproducteurs de l'espèce Gallus gallus ou Meleagris gallopavo ;
2°) à titre subsidiaire, pour le cas où le règlement (CE) n° 2160/2003 du Parlement européen et du Conseil du 17 novembre 2003 devrait être interprété comme interdisant aux Etats membres de permettre la réalisation de tests de confirmation avant abattage en ce qui concerne les poules de reproduction et les futures pondeuses, de demander, à titre préjudiciel, à la Cour de justice de l'Union européenne si ce règlement est, dans cette mesure, proportionné à l'objectif sanitaire poursuivi, au regard de la liberté d'entreprise garantie par l'article 16 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, et de la nécessaire prise en compte du bien-être animal imposée par l'article 13 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le règlement (CE) n° 2160/2003 du Parlement européen et du Conseil du 17 novembre 2023 ;
- le règlement (UE) n° 200/2010 de la Commission du 10 mars 2010 ;
- le règlement (UE) n° 517/2011 de la Commission du 25 mai 2011 ;
- le règlement (UE) n° 1190/2012 de la Commission du 12 décembre 2012 ;
- le code rural et de la pêche maritime ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Géraud Sajust de Bergues, conseiller d'Etat,
- les conclusions de M. Thomas Pez-Lavergne, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Poupet et Kacenelenbogen, avocat de la Coordination rurale Union nationale et de l'Association des producteurs d'oeufs de Haute-Loire ;
Considérant ce qui suit :
1. La Coordination rurale Union nationale et l'Association des producteurs d'œufs de Haute-Loire doivent être regardées comme demandant l'annulation de l'arrêté du ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire du 27 février 2023 relatif à la lutte contre les infections à Salmonella dans les troupeaux de l'espèce Gallus gallus en filière ponte d'œufs de consommation et dans les troupeaux de reproducteurs de l'espèce Gallus gallus ou Meleagris gallopavo, en tant que celui-ci porte sur les troupeaux de reproducteurs de l'espèce Gallus gallus.
2. En premier lieu, aux termes de l'article 1er du règlement (CE) n° 2160/2003 du Parlement européen et du Conseil du 17 novembre 2003 sur le contrôle des salmonelles et d'autres agents zoonotiques spécifiques présents dans la chaîne alimentaire : " 1. L'objectif du présent règlement est de faire en sorte que soient prises des mesures adaptées et efficaces pour détecter et contrôler les salmonelles et d'autres agents zoonotiques à tous les stades pertinents de la production, de la transformation et de la distribution, en particulier au niveau de la production primaire, y compris dans l'alimentation animale, de manière à réduire leur prévalence et le risque qu'ils représentent pour la santé publique. / (...) / 3. Le présent règlement ne s'applique pas à la production primaire : / a) aux fins de l'utilisation privée, ou / b) à l'origine de l'approvisionnement direct, par le producteur, du consommateur final ou du commerce de détail local fournissant directement le consommateur final, en petites quantités de produits primaires (...) "
3. Les requérantes soutiennent qu'en n'excluant de son champ d'application que les élevages familiaux dont les produits sont destinés à la consommation domestique privée, l'arrêté attaqué soumet les petits élevages répondant à la définition donnée au paragraphe 3 de l'article 1er du règlement (CE) n° 2160/2003 du Parlement européen et du Conseil du 17 novembre 2023 à des exigences disproportionnées. Toutefois, si le règlement en cause ne s'applique pas à certaines catégories d'élevage, il n'interdit pas aux Etats membres de soumettre ces catégories d'élevage à des obligations similaires à celles définies sur le fondement du règlement, pour des motifs tenant à la protection de la santé publique. En l'espèce, en estimant que l'application de l'arrêté attaqué y compris aux petits élevages se justifie par l'objectif de limiter les risques de contamination des consommateurs qui achètent leurs œufs sur les marchés ou auprès de commerçants locaux approvisionnés directement chez les producteurs, le ministre de l'agriculture et de l'alimentation n'a pas commis d'erreur d'appréciation.
4. En deuxième lieu, les requérantes soutiennent que l'arrêté attaqué méconnaît également le principe de proportionnalité en fixant à 250, niveau qu'elles estiment trop bas, le nombre de têtes dans les cheptels de reproducteurs de l'espèce Gallus gallus à partir duquel ils sont soumis au dépistage régulier des salmonelles. Il ressort toutefois des pièces du dossier que ce seuil, qui correspond d'ailleurs à celui à partir duquel les cheptels entrent dans la base d'échantillonnage pour détecter la présence de salmonelles prévue au point 1 de l'annexe du règlement (UE) n° 200/2010 de la Commission du 10 mars 2010, portant application du règlement (CE) n° 2160/2003 du Parlement européen et du Conseil du 17 novembre 2023, est fixé en considération de données objectives et non arbitrairement. La seule circonstance que d'autres Etats membres ont fixé le même seuil à un niveau plus élevé n'est pas, en tant que telle, suffisante pour établir que les dispositions contestées ne seraient pas nécessaires ni proportionnées au risque qu'elles visent à prévenir.
5. En troisième lieu, aux termes de l'article 14 de l'arrêté attaqué : " Tout résultat d'analyse d'un laboratoire agréé ou reconnu portant sur des prélèvements effectués dans un lieu d'élevage à l'exception du parcours d'un troupeau de volailles y compris sur des volailles vivantes ou mortes, identifiant la présence d'une salmonelle du groupe 1 établit une infection salmonellique du troupeau. / (...) / S'il existe un doute sérieux de contamination du prélèvement lors de sa réalisation, de son transport ou de son analyse, le troupeau dans lequel une salmonelle du groupe 1 a été détectée peut-être placé sous arrêté de mise sous surveillance. / (...) ". Il résulte de ces dispositions que, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, l'arrêté attaqué, s'il a supprimé le recours systématique aux analyses de confirmation, a maintenu la possibilité de réaliser de telles analyses en cas de doute sérieux concernant la contamination des prélèvements et ce, tant s'agissant des poules pondeuses que des poules de reproduction et des futures pondeuses.
6. Par suite, à supposer même que le règlement (CE) n° 2160/2003 du Parlement européen et du Conseil du 17 novembre 2023 ne prévoie pas la possibilité d'analyses de confirmation pour les poules de reproduction et les futures pondeuses, le moyen soulevé par les requérantes par voie d'exception et tiré de l'invalidité du règlement dans cette mesure est inopérant à l'encontre de l'arrêté attaqué.
7. En quatrième lieu, dans son arrêt du 19 octobre 2023, L. VOF (C-591/22), la Cour de justice de l'Union européenne a jugé que la situation d'une exploitation de cheptels reproducteurs de Gallus gallus qui a fait l'objet de tests par un échantillonnage de routine dont les résultats ont révélé la présence de salmonelles peut être considérée comme relevant de la notion de " cas exceptionnels où l'autorité compétente a des raisons de mettre en doute les résultats des tests ", au sens du point 2.2.2.2, sous c), de l'annexe du règlement (UE) n° 200/2010, lorsque l'autorité compétente constate la survenance d'événements ou d'incidents compromettant la réalisation correcte des processus d'échantillonnage et d'analyse des échantillons ou estime, eu égard au niveau d'excellence atteint par l'ensemble des conditions de l'exploitation et compte tenu des caractéristiques épidémiologiques des salmonelles, qu'il existe un risque sérieux que de tels événements ou de tels incidents soient survenus. Au point 40 de cet arrêt, la Cour de justice a relevé que, compte tenu de l'interprétation stricte qu'il convient de donner au point 2.2.2.2, sous c), de l'annexe du règlement (UE) nº 200/2010 de la Commission du 10 mars 2010, il y a lieu de considérer que les circonstances pouvant conduire l'autorité compétente à soupçonner l'inexactitude des résultats positifs des tests et, par voie de conséquence, la survenance, lors des processus d'échantillonnage et d'analyse des échantillons, d'événements ou d'incidents compromettant la réalisation correcte de ces processus sont liées à un niveau d'excellence dans l'ensemble des conditions de l'exploitation concernée, lequel, eu égard notamment aux caractéristiques épidémiologiques des salmonelles, fait apparaître la situation de ladite exploitation comme étant incompatible ou très difficilement compatible avec lesdits résultats, de telle sorte que la survenance de ces événements ou de ces incidents se présente comme étant fortement probable.
8. Il résulte de l'interprétation du point 2.2.2.2, sous c), de l'annexe du règlement (UE) nº 200/2010 de la Commission du 10 mars 2010 donnée par la Cour de justice dans son arrêt du 19 octobre 2023 que, quand elle n'a pas elle-même constaté la survenance d'évènements ou d'incidents de nature à remettre en cause la fiabilité des tests et leur analyse, l'autorité compétente n'est en droit d'estimer qu'il existe un doute sérieux sur cette fiabilité qu'en présence d'une exploitation ayant atteint un certain niveau d'excellence dans la prévention des salmonelles. En prévoyant que s'il existe un doute sérieux de contamination du prélèvement lors de sa réalisation, de son transport ou de son analyse, le troupeau dans lequel une salmonelle du groupe 1 a été détectée peut être placé sous arrêté de mise en surveillance, l'article 14 de l'arrêté attaqué, qui n'exclut pas la prise en considération du niveau d'excellence de l'exploitation dans la prévention des salmonelles pour apprécier l'existence de ce doute sérieux, ne méconnaît pas les dispositions du règlement telles qu'interprétées par la Cour de justice.
9. En cinquième lieu, aux termes de l'article 7 de l'arrêté attaqué : " Seuls les vaccins disposant d'une autorisation de mise sur le marché peuvent être utilisés. / La vaccination contre les infections par salmonelles des volailles de reproduction est autorisée uniquement au stade multiplication. / La vaccination avec des vaccins vivants est autorisée sous condition du respect des prescriptions de fonctionnement et d'aménagement de la charte sanitaire par les établissements de futurs reproducteurs, les établissements de futures pondeuses d'œufs de consommation et les établissements de ponte de destination. / Les élevages de poules pondeuses d'œufs de consommation ne disposant pas de la charte sanitaire pourront être destinataires d'animaux vaccinés avec des vaccins vivants si une inspection officielle réalisée par la direction départementale chargé de la protection des populations montre qu'ils respectent les obligations de fonctionnement et de d'aménagement prévues par l'arrêté du 29 septembre 2021 susvisé ".
10. D'une part, il résulte de ces dispositions que, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, le recours aux vaccins autres que les vaccins vivants est autorisé pour tous les élevages de volailles.
11. D'autre part, il ressort des pièces du dossier, notamment d'un avis de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments du 4 février 2008, que le risque d'excrétion de salmonelles consécutif à la vaccination avec des vaccins vivants après l'inoculation entraîne un risque réel de contamination de l'homme et de propagation de la bactérie aux élevages voisins et justifie que seuls les élevages satisfaisant à un haut niveau de biosécurité puissent vacciner leurs élevages avec de tels vaccins. Par suite, les requérantes ne sont pas fondées à soutenir que les dispositions de l'article 7 de l'arrêté attaqué, en n'autorisant la vaccination avec des vaccins vivants que sous les conditions qu'elles énumèrent, méconnaîtraient les principes de proportionnalité et d'égalité. La circonstance que le respect de la charte sanitaire mentionnée par ces dispositions soit en outre une condition pour l'indemnisation des éleveurs en cas d'abattage de leurs troupeaux en raison de la découverte de salmonelles, ce qui rendrait l'indemnisation plus difficile pour les petits élevages, est sans lien avec l'arrêté attaqué, qui n'a pas pour objet la définition des conditions d'indemnisation, et ne saurait par suite être utilement invoquée à son encontre. Par ailleurs, comme il a été indiqué au point 4, la seule circonstance que d'autres Etats membres ont choisi un système de protection différent de celui en litige n'est pas, en tant que telle, suffisante pour établir que ce dernier ne serait pas nécessaire ni proportionné au risque qu'il vise à prévenir.
12. En dernier lieu, il ressort des pièces du dossier, notamment de l'avis de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments précédemment mentionné et d'un avis de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail du 6 janvier 2017 que, si la vaccination contre la salmonellose aviaire présente de nombreux intérêts dans le cadre de la lutte contre les infections salmonelliques, dans la mesure où elle permet de réduire le taux de contamination sur une exploitation, de limiter l'aggravation d'une infection au sein d'un troupeau positif et de réduire le nombre de cas humains de salmonellose, elle n'a pas vocation à éliminer la maladie, ni à empêcher la contamination des volailles par les salmonelles. Dans ces conditions, le moyen des requérantes tiré de ce que l'arrêté attaqué méconnaîtrait le principe de proportionnalité en ce qu'il ne tire aucune conséquence de la vaccination des poules pondeuses et des poules de reproduction en termes de fréquence du dépistage obligatoire ou de réalisation de tests de confirmation doit être écarté.
13. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il y ait lieu, en l'absence de pertinence de la question de validité du droit de l'Union européenne soulevée par les requérantes, d'interroger la Cour de justice de l'Union européenne à titre préjudiciel, que la requête de la Coordination rurale Union nationale et de l'Association des producteurs d'œufs de Haute-Loire doit être rejetée, y compris ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de la Coordination rurale Union nationale et de l'Association des producteurs d'œufs de Haute-Loire est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la Coordination rurale Union nationale, à l'Association des producteurs d'œufs de Haute-Loire et à la ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire.
Délibéré à l'issue de la séance du 10 avril 2025 où siégeaient : Mme Sylvie Pellissier, conseillère d'Etat, présidant ; M. Philippe Ranquet, conseiller d'Etat et M. Géraud Sajust de Bergues, conseiller d'Etat-rapporteur.
Rendu le 30 avril 2025.
La présidente :
Signé : Mme Sylvie Pellissier
Le rapporteur :
Signé : M. Géraud Sajust de Bergues
La secrétaire :
Signé : Mme Nathalie Martinez-Casanova