Vu la procédure suivante :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Nîmes d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 7 mai 2021 par laquelle le préfet de la Loire-Atlantique a refusé, lors de l'échange de son permis de conduire suisse contre un permis de conduire français, de lui délivrer un permis de catégorie A, ainsi que la décision de rejet de son recours gracieux contre cette décision. Par un jugement n° 2202187 du 4 avril 2023, le tribunal administratif a rejeté sa demande.
Par une ordonnance n° 23TL01302 du 4 juillet 2023, enregistrée le même jour au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le président de la cour administrative d'appel de Toulouse a transmis au Conseil d'Etat, en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, le pourvoi, enregistré au greffe de cette cour le 2 juin 2023, présenté par M. B....
Par ce pourvoi, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés le 21 septembre 2023 et le 10 juillet 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à sa demande de première instance ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de la route ;
- le décret n° 2016-723 du 31 mai 2016 ;
- l'arrêté du 12 janvier 2012 fixant les conditions de reconnaissance et d'échange des permis de conduire délivrés par les Etats n'appartenant ni à l'Union européenne, ni à l'Espace économique européen, modifié notamment par l'arrêté du 9 avril 2019 ;
- l'arrêté du 8 novembre 2012 relatif à la formation requise pour l'obtention de la catégorie A du permis de conduire par les titulaires de la catégorie A2 depuis au moins deux ans ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Amel Hafid, maîtresse des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Maxime Boutron, rapporteur public.
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Le Guerer, Bouniol-Brochier, Lassalle-Byhet, avocat de M. B....
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. B..., titulaire depuis le 15 mars 1988 d'un permis de conduire suisse comportant notamment la mention de la catégorie A, permettant de conduire des motocyclettes et tricycles à moteur sans limitation de puissance, a sollicité, le 27 novembre 2020, l'échange de ce dernier contre un permis de conduire français. Après avoir reçu, le 7 mai 2021, un courriel du service instructeur l'informant que sa demande avait été acceptée, il a reçu un permis de conduire français ne comportant, s'agissant des motocyclettes et tricycles à moteur, que les mentions des catégories A1, correspondant aux engins d'une cylindrée inférieure à 125 cm3 et A2, correspondant aux motocyclettes de puissance intermédiaire. Le 17 juin 2021, M. B... a formé un recours gracieux en demandant que lui soit délivré un permis de conduire de catégorie A. Ce recours gracieux a été rejeté par courriel du 29 juin 2021, qui lui indiquait la nécessité de suivre une formation complémentaire de sept heures afin d'obtenir satisfaction. Par courrier du 13 juillet 2021, M. B... a réitéré sa demande, qui a été une nouvelle fois rejetée par courriel du 20 aout 2021. Il se pourvoit en cassation contre le jugement du 4 avril 2023 par lequel le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande tendant, à titre principal, à l'annulation de la décision par laquelle le préfet de Loire-Atlantique a refusé de lui délivrer un permis de catégorie A et à ce qu'il lui soit enjoint de lui délivrer ce permis et, à titre subsidiaire, de condamner l'Etat à lui verser une somme de 600 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis.
Sur le pourvoi :
2. Aux termes du premier alinéa de l'article D. 221-3 du code de la route : " Les examens du permis de conduire susvisés comportent une épreuve théorique et une épreuve pratique qui se déroulent dans les conditions et selon les modalités fixées par arrêté du ministre chargé de la sécurité routière. " Depuis l'intervention du décret du 31 mai 2016 modifiant les conditions d'obtention des catégories A et BE du permis de conduire, le second alinéa du même article dispose que : " Par exception aux dispositions de ce premier alinéa : l'épreuve pratique de la catégorie A est remplacée par le suivi d'une formation dispensée par un établissement ou une association agréés au titre de l'article L. 213-1 ou L. 213-7 pour les titulaires de la catégorie A2 depuis deux ans au moins. " Par un arrêté du 8 novembre 2012, le ministre chargé de la sécurité routière, auquel l'article R. 221-6 du code de la route confie le soin de fixer les modalités de cette formation, en a fixé la durée à sept heures et a précisé son programme, composé d'une séance théorique et de deux séances pratiques.
3. Par ailleurs, l'article R. 222-3 du code de la route dispose, s'agissant du titulaire d'un permis délivré par un Etat n'étant, comme la Suisse, ni membre de l'Union européenne, ni partie à l'accord sur l'Espace économique européen, que l'intéressé peut, jusqu'à l'expiration d'un délai d'un an après l'acquisition de la résidence normale en France, demander à ce que son permis soit reconnu et échangé contre un permis français, " sans que son titulaire soit tenu de subir les examens prévus au premier alinéa de l'article D. 221-3 ". Enfin, l'arrêté du 12 janvier 2012 fixant les conditions de reconnaissance et d'échange des permis de conduire délivrés par les Etats n'appartenant ni à l'Union européenne, ni à l'Espace économique européen, pris pour l'application des dispositions de l'article R. 222-3 du code de la route, dispose que " tout permis de conduire délivré régulièrement au nom d'un Etat n'appartenant ni à l'Union européenne, ni à l'Espace économique européen est reconnu comme valable en France et peut être échangé contre un permis français de la (ou des) catégorie(s) équivalente(s) " sous réserve que son titulaire respecte plusieurs conditions dont, notamment, l'âge minimal fixé par l'article R. 221-5 du code de la route suivant la catégorie de permis concernée.
4. Il résulte de l'ensemble des dispositions citées aux points 2 et 3 que, pour bénéficier de l'échange de son permis contre un permis français de catégorie A, le titulaire d'un permis de conduire délivré par un Etat n'étant ni membre de l'Union européenne, ni partie à l'accord sur l'Espace économique européen, respectant les conditions prévues par l'arrêté du 12 janvier 2012 mentionné au point 3, doit être âgé d'au moins vingt ans et titulaire d'un permis étranger permettant de conduire des véhicules d'une catégorie au moins équivalente à A2 depuis au moins deux ans. En revanche, au titre de l'exemption des épreuves prévues à l'article R. 222-3 du code de la route, il peut demander dans les conditions prévues à cet article à bénéficier de l'échange de son permis sans avoir à suivre la formation complémentaire prévue par l'article D. 221-3 du même code. Par suite, en jugeant que l'administration avait à bon droit refusé de délivrer à M. B... un permis de conduire de catégorie A au motif qu'il n'avait pas suivi cette formation, alors qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que ce dernier détenait un permis de conduire suisse équivalent à la catégorie A, laquelle est au moins équivalente à A2, depuis plus de deux ans et avait plus de vingt ans à la date de sa demande, le tribunal administratif a commis une erreur de droit. Sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, M. B... est donc fondé à demander l'annulation du jugement qu'il attaque.
Sur le règlement au fond :
5 Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond, sur le fondement de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.
En ce qui concerne la fin de non-recevoir soulevée par le ministre de l'intérieur et des outre-mer :
6. Il résulte de l'instruction que, par une décision du 29 juin 2021, l'administration a opposé un refus au recours gracieux formé par M. B... contre la décision qui, tout en lui délivrant un permis de conduire de catégorie " A2 " en échange de son permis de conduire suisse, a refusé de lui accorder un permis de catégorie " A ". Toutefois, cette décision de rejet de son recours gracieux n'a pas fait l'objet d'un accusé de réception et, compte tenu de ses échanges avec l'administration, M. B... ne peut être regardé comme en ayant eu connaissance que, au plus tôt, le 13 juillet 2021, comme cela ressort des termes du courrier qu'il a adressé à cette date au centre d'expertise et de ressources des titres " échanges de permis étrangers ". Par ailleurs, cette décision ne comportant pas les mentions des voies et délais de recours, le délai de deux mois fixé par l'article R. 421-1 du code de justice administrative ne lui était pas opposable. Par suite, la requête par laquelle M. B... a demandé, le 13 juillet 2022, au tribunal administratif d'annuler la décision refusant de lui délivrer un permis de catégorie A n'a pas été présentée au-delà du délai raisonnable dont il disposait pour saisir le juge. Ainsi, la fin de non-recevoir opposée par le ministre de l'intérieur et des outre-mer, tirée de la tardiveté du recours formé par M. B... devant le tribunal administratif, doit être écartée.
En ce qui concerne les conclusions aux fins d'annulation du refus de délivrance du permis A et aux fins d'injonction :
7. Il résulte de ce qui a été dit au point 4 que le moyen tiré de ce que le préfet de Loire-Atlantique ne pouvait refuser de délivrer un permis de conduire de catégorie A à M. B... en échange de son permis de conduire suisse au motif qu'il n'avait pas suivi la formation complémentaire prévue à l'article D. 221-3 pour les titulaires d'un permis de catégorie A2 doit être accueilli.
8. Il résulte de ce qui précède que la décision du 7 mai 2021 par laquelle le préfet de Loire-Atlantique a refusé de délivrer à M. B... un permis de conduire français de catégorie A doit être annulée. En revanche, l'état de l'instruction ne permettant pas de déterminer s'il existe d'autres motifs de refuser de délivrer à M. B... un permis de catégorie A, il y a seulement lieu d'enjoindre au préfet de Loire-Atlantique de réexaminer sa demande dans un délai d'un mois sans qu'il y ait lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.
En ce qui concerne les conclusions aux fins d'indemnisation :
9. Il ne résulte pas de l'instruction que M. B... aurait exposé des frais en conséquence du refus de l'administration de lui délivrer un permis A. En particulier, le fait qu'il aurait engagé des dépenses pour réaliser la formation demandée par l'administration n'est corroboré par aucune pièce du dossier. Il ne résulte pas davantage de l'instruction qu'il aurait subi en conséquence de cette décision un préjudice moral. Par suite, ses conclusions indemnitaires ne peuvent, en tout état de cause, qu'être rejetées.
En ce qui concerne les frais d'instance :
10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à M. B... d'une somme de 4 000 euros au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens au titre de l'ensemble de la procédure ;
D E C I D E :
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Article 1er : Le jugement du 4 avril 2023 du tribunal administratif de Nîmes est annulé.
Article 2 : La décision du 7 mai 2021 du préfet de Loire-Atlantique est annulée.
Article 3 : Il est enjoint au préfet de Loire-Atlantique de réexaminer la demande de M. B..., dans le délai d'un mois suivant la notification de la présente décision.
Article 4 : Le surplus des conclusions de M. B... est rejeté.
Article 5 : L'Etat versera à M. B... une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 6 : La présente décision sera notifiée à M. A... B... et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.
Délibéré à l'issue de la séance du 24 mars 2025 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre ; M. Jean-Philippe Mochon, président de chambre ; Mme Sophie-Caroline de Margerie, M. Alain Seban, Mme Laurence Helmlinger, M. Christophe Pourreau, M. Stéphane Hoynck, conseillers d'Etat et Mme Amel Hafid, maîtresse des requêtes en service extraordinaire-rapporteure.
Rendu le 14 avril 2025.
Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
La rapporteure :
Signé : Mme Amel Hafid
Le secrétaire :
Signé : M. Bernard Longieras