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10/04/2025 | FRANCE | N°494997

France | France, Conseil d'État, 7ème chambre, 10 avril 2025, 494997


Vu la procédure suivante :



Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés les 10 juin et 10 septembre 2024 et 28 février 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le syndicat SNUPFEN Solidaires, l'union syndicale de l'Office national des forêts CGT et le syndicat " Forêts Publiques " UNSA demandent au Conseil d'Etat :



1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'instruction n° INS-24-T-111 du 30 avril 2024 par laquelle la directrice générale de l'ONF a fixé les modalités de

mise en œuvre de la mission d'intérêt général " Défense de la forêt contre l'incendie " ...

Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés les 10 juin et 10 septembre 2024 et 28 février 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le syndicat SNUPFEN Solidaires, l'union syndicale de l'Office national des forêts CGT et le syndicat " Forêts Publiques " UNSA demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'instruction n° INS-24-T-111 du 30 avril 2024 par laquelle la directrice générale de l'ONF a fixé les modalités de mise en œuvre de la mission d'intérêt général " Défense de la forêt contre l'incendie " de l'Office national des forêts ;

2°) de mettre à la charge de l'Office national des forêts la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice.

Les syndicats requérants soutiennent que :

- les consultations du comité social et économique central et du comité social d'administration centrale n'ont pas été régulières dès lors que le point 3.1. du projet d'instruction a été modifié postérieurement aux avis rendus par ces instances ;

- les points 3.1. et 3.2. de l'instruction méconnaissent les articles 12 et 40 du code de procédure pénale et l'article L. 161-12 du code forestier en ce que le point 3.1. donne instruction aux personnels de l'ONF de ne pas verbaliser les propriétaires contrevenant à leurs obligations légales de débroussaillement et le point 3.2. fait obstacle au constat des infractions et à la transmission des procès-verbaux au procureur de la République ou au directeur régional de l'agriculture, de l'alimentation et des forêts ;

- en tant qu'ils prévoient que des missions dangereuses peuvent être menées par des agents intervenant seuls, les termes du point 3. de l'instruction, en particulier ses points 3.1. et 3.2., ainsi que le 2ème alinéa du point B1 de l'annexe 1, méconnaissent les obligations relatives à la préservation de la santé et à la sécurité des personnels placés sous l'autorité du directeur général de l'Office national des forêts résultant des articles L. 136-1 du code général de la fonction publique et L. 4121-1 du code du travail et sont entachés d'erreur manifeste d'appréciation ;

- le point B.1. de l'annexe 1 à l'instruction méconnaît les exigences du code de procédure pénale en ce qu'il prévoit le recueil de l'assentiment exprès des propriétaires en cas de pénétration dans les propriétés, alors que le code de procédure pénale ne prévoit une telle procédure que dans le cadre d'une enquête préliminaire, que les agents de l'Office national des forêts ne sont pas compétents pour mettre en œuvre ;

- la directrice générale de l'Office était incompétente pour instituer une phase de sensibilisation aux obligations légales de débroussaillement, qui relève de la seule compétence des maires et non du pouvoir d'organisation du chef de service.

Par deux mémoires en défense, enregistrés les 2 décembre 2024 et 13 mars 2025, l'Office national des forêts conclut au rejet de la requête. Il soutient qu'aucun des moyens soulevés n'est fondé.

La requête a été communiquée au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, qui n'a pas produit d'observations.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code forestier ;

- le code général de la fonction publique ;

- le code de procédure pénale ;

- le code du travail ;

- le décret n° 2020-1427 du 20 novembre 2020 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Alexandre Denieul, auditeur,

- les conclusions de M. Nicolas Labrune, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Thouvenin, Coudray, Grevy, avocat du syndicat SNUPFEN Solidaires, de l'union syndicale de l'Office national des forêts CGT et du syndicat Forêts Publiques UNSA ;

Considérant ce qui suit :

1. Le syndicat SNUPFEN Solidaires, l'union syndicale de l'Office national des forêts CGT et le syndicat " Forêts Publiques " UNSA demandent l'annulation pour excès de pouvoir de l'instruction n° INS-24-T-111 du 30 avril 2024 par laquelle la directrice générale de l'ONF a fixé les modalités de mise en œuvre, au sein de l'Office national des forêts, de la mission d'intérêt général " Défense de la forêt contre l'incendie ".

Sur le cadre juridique :

2. D'une part, aux termes de l'article L. 131-10 du code forestier : " On entend par débroussaillement pour l'application du présent titre les opérations de réduction des combustibles végétaux de toute nature dans le but de diminuer l'intensité et de limiter la propagation des incendies. Ces opérations assurent une rupture suffisante de la continuité du couvert végétal. Elles peuvent comprendre l'élagage des sujets maintenus et l'élimination des rémanents de coupes. / (...) Le représentant de l'Etat dans le département arrête les modalités de mise en œuvre du débroussaillement selon la nature des risques. (...) ". Aux termes de l'article L. 131-6 du même code : " Le représentant de l'Etat dans le département peut, indépendamment des pouvoirs du maire et de ceux qu'il tient lui-même du code général des collectivités territoriales (...) / 3° Edicter toute autre mesure de nature à assurer la prévention des incendies de forêt ou de surfaces agricoles et de végétation proches des massifs forestiers, à faciliter la lutte contre ces incendies et à en limiter les conséquences. " Aux termes de l'article L. 131-13 du même code : " Sous réserve des dispositions de l'article L. 134-11, en cas de superposition d'obligations de débroussailler sur une même parcelle, la mise en œuvre de l'obligation incombe au propriétaire de la parcelle dès lors qu'il y est lui-même soumis. (...) ".

3. D'autre part, aux termes de l'article L. 221-3 du même code : " Un contrat pluriannuel passé entre l'Etat et l'Office national des forêts détermine : / 1° Les orientations de gestion et les programmes d'actions de l'établissement public ainsi que les moyens de leur mise en œuvre ; / 2° Les obligations de service public procédant de la mise en œuvre du régime forestier ; / 3° Les missions d'intérêt général qui lui sont confiées par l'Etat, ainsi que l'évaluation des moyens nécessaires à leur accomplissement ; / 4° Les conditions dans lesquelles l'Office national des forêts contribue à la mise en œuvre, dans les bois et forêts soumis au régime forestier, des politiques publiques relatives à la gestion de la forêt et des milieux lorsqu'elle ne relève pas des missions définies au présent chapitre ; / 5° Les conditions dans lesquelles l'Office national des forêts apporte son expertise à l'Etat, aux collectivités territoriales, à leurs groupements et aux agences de l'eau dans l'évaluation et la gestion des risques naturels prévisibles, notamment en montagne. " Aux termes de l'article L. 161-4 du même code : " I.- Sont habilités à rechercher et constater les infractions forestières, outre les officiers et agents de police judiciaire : (...) / 2° Les agents publics en service à l'Office national des forêts (...), commissionnés à raison de leurs compétences en matière forestière et assermentés à cet effet ; / (...) ".

Sur le bien-fondé des moyens :

4. En premier lieu, aux termes de l'article L. 134-7 du code forestier : " Sans préjudice des dispositions de l'article L. 2212-1 du code général des collectivités territoriales, le maire assure le contrôle de l'exécution des obligations énoncées aux articles L. 134-5 et L. 134-6 ". Les obligations légales de débroussaillement énoncées à ces deux derniers articles sont celles s'appliquant aux bois et forêts classés à risque d'incendie et aux territoires réputés particulièrement exposés aux risques d'incendie au sens des articles L. 132-1 et L. 133-1 de ce code. Le contrôle des obligations légales de débroussaillement édictées en application des autres dispositions du code forestier, qui peut être précédé d'une phase de sensibilisation des propriétaires, incombe, en vertu des dispositions citées aux points 2 et 3, au représentant de l'Etat dans le département et à l'Office national des forêts. Par suite, les syndicats requérants ne sont pas fondés à soutenir que la directrice générale de cet office aurait excédé ses compétences en précisant les modalités d'organisation de patrouilles de sensibilisation conduites par les agents de l'Office en exécution de la mission d'intérêt général " défense de la forêt contre l'incendie " confiée à l'Office national des forêts.

5. En deuxième lieu, d'une part, aux termes de l'article L. 2311-1 du code du travail : " Les dispositions du présent titre sont applicables (...) : / 1° Aux établissements publics à caractère industriel et commercial ; (...) ". Aux termes du II de l'article L. 2312-8 du même code, relatif aux attributions du comité social et économique : " Le comité est informé et consulté sur les questions intéressant l'organisation, la gestion et la marche générale de l'entreprise, notamment sur : / (...) 3° les conditions d'emploi, de travail (...) ; / 4° (...) tout aménagement important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail ; (...) ". D'autre part, aux termes de l'article 48 du décret du 20 novembre 2020 relatif aux comités sociaux d'administration dans les administrations et les établissements publics de l'Etat, auquel renvoie la résolution n° 2022-11 du 16 mars 2022 du conseil d'administration de l'Office national des forêts : " Le comité social d'administration est consulté sur : / 1° Les projets de textes réglementaires relatifs au fonctionnement et à l'organisation des services (...) ". L'organisme dont une disposition législative ou réglementaire prévoit la consultation avant l'intervention d'une décision doit être mis à même d'exprimer son avis sur l'ensemble des questions soulevées par cette décision. Par suite, dans le cas où, après avoir recueilli son avis, l'autorité compétente pour prendre cette décision envisage d'apporter à son projet des modifications qui posent des questions nouvelles, elle doit le consulter à nouveau.

6. Si les termes de l'instruction signée le 30 avril 2024 diffèrent de ceux soumis au comité social et économique et au comité social d'administration de l'Office national des forêts en ce qu'à la fin de son point 3.2. relatif aux patrouilles de surveillance et de contrôle, il a été précisé que " dans les cas où le port d'arme de catégorie B est nécessaire, le binôme est constitué de deux fonctionnaires ", une telle précision, ajoutée à la suite de l'indication selon laquelle " la composition et le port d'équipement de protection (dont l'arme), sont décidés par le directeur d'agence sur la base d'une évaluation du risque fondée sur la nature du risque, le public, les lieux et les horaires ", ne soulève pas de question nouvelle par rapport à celles qui ont été soumises aux organismes consultés. Par suite, les syndicats requérants ne sont pas fondés à soutenir que l'instruction attaquée aurait été prise à la suite d'une procédure irrégulière.

7. En troisième lieu, l'article 12 du code de procédure pénale prévoit que les missions de police judiciaire sont accomplies sous la direction du procureur de la République. Le deuxième alinéa de l'article 40 du même code impose à tout fonctionnaire qui, dans l'exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d'un crime ou d'un délit, d'en informer sans délai le procureur de la République et de lui transmettre tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs. L'article L. 161-12 du code forestier prévoit que les agents habilités à constater les infractions forestières transmettent l'original du procès-verbal au procureur de la République lorsque l'infraction constatée est constitutive d'un délit, et au directeur régional de l'administration chargée des forêts lorsqu'elle est constitutive d'une contravention. Aux termes de l'article R. 161-7 du même code : " Les agents mentionnés aux articles R. 161-1 et R. 161-2 remettent à leurs supérieurs hiérarchiques les procès-verbaux de constatation des infractions forestières qu'ils établissent ".

8. En tant qu'ils portent sur les patrouilles de surveillance, d'information et de prévention de niveau 1, les termes de l'instruction attaquée, qui rappelle au demeurant également que " lorsqu'un agent non assermenté se retrouve en présence d'une infraction caractérisée (cas de patrouilles d'information et de prévention), il effectue une remontée d'information, selon l'organisation locale, à un personnel assermenté, à l'agent de coordination (cadre de permanence ou autorité hiérarchiques selon les départements) ou à la gendarmerie " n'ont ni pour objet ni pour effet de faire obstacle à ce que, lorsqu'ils constatent une infraction, les agents de l'Office national des forêts habilités à cette fin en dressent le procès-verbal et transmettent l'original de celui-ci, selon les cas, au procureur de la République ou au directeur régional de l'administration chargée des forêts, ainsi qu'à leur supérieur hiérarchique. Le moyen tiré de ce que les articles 3.1. et 3.2. de l'instruction en litige méconnaîtraient les dispositions citées au point précédent du code de procédure pénale et du code forestier doit donc être écarté.

9. En quatrième lieu, d'une part, aux termes de l'article L. 136-1 du code général de la fonction publique : " Des conditions d'hygiène et de sécurité de nature à préserver leur santé et leur intégrité physique sont assurées aux agents publics durant leur travail (...) ". D'autre part, aux termes de l'article L. 4121-1 du code du travail : " L'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. / Ces mesures comprennent : / (...) 3° La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés ".

10. Il résulte des termes de l'instruction contestée que les équipes composant les patrouilles de surveillance, d'information et de prévention de niveau 1 peuvent être composées d'une seule personne et que les patrouilles de surveillance et de contrôle de niveau 2, composées d'au moins deux personnes, peuvent ne comporter qu'un seul agent de droit public commissionné et assermenté. Il résulte également des termes de cette instruction que la composition des équipes est adaptée en fonction de l'évaluation circonstanciée du risque que comportent ces patrouilles et que, quelle que soit la configuration et en toute circonstance, la sécurité des personnels, qui ne doivent jamais se mettre en danger, est la priorité absolue et qu'au moindre doute sur leur sécurité, les agents doivent avant tout se retirer. Dans ces conditions, les syndicats requérants ne sont pas fondés à soutenir que la directrice générale de l'Office national des forêts aurait, par l'instruction attaquée, méconnu l'obligation de sécurité incombant à l'employeur en vertu des dispositions précitées du code général de la fonction publique et du code du travail.

11. En cinquième lieu, aux termes de l'article L. 135-1 du code forestier : " Les agents désignés à l'article L. 161-4 ainsi que les agents commissionnés à cet effet par le maire et assermentés ont accès aux propriétés privées, à l'exclusion des locaux à usage de domicile et de leurs dépendances bâties, aux seules fins de constater, le cas échéant, la nécessité de mettre en œuvre les pouvoirs d'exécution d'office prévus au présent titre. / En cas d'absence du propriétaire au moment du contrôle, une notification est laissée sur place ou envoyée par courrier recommandé avec demande d'avis de réception. Cette notification fixe un délai dans lequel un nouveau contrôle est effectué. Si le propriétaire n'est pas connu, la notification est affichée en mairie. / Le propriétaire peut refuser cet accès. Dans ce cas, l'accès peut être autorisé par l'autorité judiciaire dans les conditions mentionnées à l'article L. 206-1 du code rural et de la pêche maritime ".

12. Il résulte de ces dispositions du code forestier que, indépendamment de toute éventuelle procédure pénale, le propriétaire peut refuser l'accès à sa propriété aux agents chargés de constater la nécessité de mettre en œuvre les pouvoirs d'exécution d'office des obligations légales de débroussaillement et de maintien en l'état débroussaillé lui incombant. La circonstance que l'instruction attaquée préconise le recueil de l'assentiment exprès du propriétaire concerné n'est pas de nature à l'entacher d'illégalité.

13. Il résulte de ce qui précède que les syndicats requérants ne sont pas fondés à demander l'annulation de l'instruction qu'ils attaquent. Leur requête doit, par suite, être rejetée, y compris ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête du syndicat SNUPFEN Solidaires et autres est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée au syndicat SNUPFEN Solidaires, premier requérant nommé, et à l'Office national des forêts.

Copie en sera adressée à la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche.


Synthèse
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 494997
Date de la décision : 10/04/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 10 avr. 2025, n° 494997
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Alexandre Denieul
Rapporteur public ?: M. Nicolas Labrune
Avocat(s) : SARL THOUVENIN, COUDRAY, GREVY

Origine de la décision
Date de l'import : 12/04/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2025:494997.20250410
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