Vu la procédure suivante :
Le syndicat des copropriétaires du 28 boulevard de Bonne Nouvelle à Paris a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler pour excès de pouvoir, d'une part, la décision du 25 février 2022 par laquelle la Ville de Paris a refusé de lui communiquer la cartographie et l'expertise des trente-cinq sites identifiés au cours de l'été 2021 pouvant accueillir des espaces intégrés de prise en charge des usagers de crack, et, d'autre part, la décision par laquelle la ville de Paris a prévu de créer une salle d'accueil des usagers de crack sur un site situé devant l'immeuble de la copropriété, et d'enjoindre à la Ville de Paris de lui communiquer les documents sollicités. Par un jugement n° 2204940 du 15 juin 2023, le tribunal administratif de Paris a annulé la décision du 25 février 2022, a enjoint à la Ville de Paris de communiquer les documents sollicités dans le délai d'un mois et a rejeté les conclusions d'annulation de la décision de création d'une salle d'accueil.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés les 14 août 2023, 14 novembre 2023 et 6 mars 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Ville de Paris demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler les articles 1er à 3 de ce jugement ;
2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter la demande du syndicat des copropriétaires relative à la communication des documents sollicités ;
3°) de mettre à la charge de ce syndicat des copropriétaires la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'action sociale et des familles ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de la santé publique ;
- la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 ;
- la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016;
- le décret n° 67-223 du 17 mars 1967 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Isabelle Lemesle, conseillère d'Etat,
- les conclusions de M. Frédéric Puigserver, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat de la Ville De Paris et à la SCP Guérin - Gougeon, avocat de la société Copropriete du 28 boulevard de bonne nouvelle administration pierre immobilier ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par une lettre du 30 août 2021 dont la teneur a été rendue publique le même jour, la maire de Paris a informé le Premier ministre qu'après avoir expertisé au cours de l'été près de trente-cinq lieux afin d'identifier des bâtiments pouvant accueillir des espaces intégrés de prise en charge des toxicomanes, la Ville de Paris avait identifié quatre sites adaptés à cette fin, dont deux d'entre eux situés dans le quartier des Grands Boulevards en limite du 10ème arrondissement, l'un d'entre eux " devant être opérationnel avant la fin de l'année ". Par une lettre du 17 septembre 2021 adressée aux riverains et également rendue publique le même jour, le maire du 10ème arrondissement a notamment annoncé que, dans l'arrondissement, un site proche de la station Bonne-Nouvelle avait été identifié pour " accueillir un dispositif médical et social de prise en charge des usagers de crack déjà présents dans le quartier ". Par un courrier du 27 octobre 2021, le syndicat des copropriétaires du 28 boulevard de Bonne Nouvelle a demandé à la maire de Paris la communication de la cartographie et de l'expertise des trente-cinq sites évoqués dans la lettre de la maire de Paris au Premier ministre. En l'absence de réponse, le syndicat des copropriétaires a saisi la Commission d'accès aux documents administratifs qui, par un avis du 27 janvier 2022, a émis un avis favorable à la communication des documents demandés, sous réserve qu'ils n'aient pas un caractère préparatoire. Par décision du 25 février 2022, la Ville de Paris en a refusé la communication au motif que leur caractère préparatoire s'opposait à leur communication, en application de l'article L. 311-5 du code des relations entre le public et l'administration. La Ville de Paris se pourvoit en cassation contre le jugement du 15 juin 2023 du tribunal administratif de Paris en tant que, faisant partiellement droit aux conclusions de la demande du syndicat des copropriétaires du 28 boulevard de Bonne Nouvelle, il a annulé pour excès de pouvoir ce refus de communication et enjoint à la maire de Paris de communiquer au syndicat les documents mentionnés.
2. En premier lieu, aux termes de l'article 14 de la loi du 10 juillet 1965, dans sa rédaction applicable au litige : " La collectivité des copropriétaires est constituée en un syndicat qui a la personnalité civile ". Aux termes de l'article 55 du décret du 17 mars 1967, dans sa rédaction applicable au litige : " Le syndic ne peut agir en justice au nom du syndicat sans y avoir été autorisé par une décision de l'assemblée générale. / Seuls les copropriétaires peuvent se prévaloir de l'absence d'autorisation du syndic à agir en justice. " Il résulte de l'ensemble de ces dispositions que la Ville de Paris ne peut, en tout état de cause, utilement soutenir que le jugement attaqué serait irrégulier faute d'avoir soulevé d'office les moyens tirés de ce que la copropriété requérante aurait été dépourvue de la personnalité morale et de ce que le syndic de la copropriété requérante n'aurait pas été habilité par l'assemblée générale des copropriétaires à saisir le tribunal administratif.
3. En deuxième lieu, si le juge administratif a la faculté d'ordonner avant dire droit la production devant lui, par les administrations compétentes, des documents dont le refus de communication constitue l'objet même du litige, sans que la partie à laquelle ce refus a été opposé ait le droit d'en prendre connaissance au cours de l'instance, il ne commet d'irrégularité en s'abstenant de le faire que si l'état de l'instruction ne lui permet pas de déterminer, au regard des contestations des parties, le caractère légalement communicable de ces documents, ou d'apprécier les modalités de cette communication.
4. Pour juger, contrairement à ce que la Ville de Paris soutenait devant lui, que la cartographie et l'expertise des trente-cinq sites identifiés au cours de l'été 2021 par la commune comme pouvant accueillir des espaces intégrés de prise en charge des usagers de crack, ne présentaient pas un caractère préparatoire et constituaient dès lors des documents communicables, le tribunal administratif s'est prononcé sans user de la faculté consistant à se faire communiquer préalablement ces documents pour lui permettre de déterminer, au regard des contestations des parties, leur caractère légalement communicable ou d'apprécier les modalités de cette communication. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond, en particulier des termes mêmes du courrier du 30 août 2021 de la maire de Paris, rappelés au point 1, qu'en procédant ainsi, le tribunal administratif n'a pas, dans les circonstances de l'espèce, méconnu son office.
5. En troisième lieu, il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi d'un recours dirigé contre une décision de refus de communication de documents administratifs sur le fondement des articles L. 311-1 et L. 311-2 du code des relations entre le public et l'administration, de se placer, pour apprécier la légalité de ce refus, à la date à laquelle il statue. Pour porter son appréciation sur les documents dont la communication constituait l'objet du litige et retenir qu'ils ne présentaient pas de caractère préparatoire, le tribunal administratif a indiqué à tort se placer à la date de la décision attaquée portant refus de communication. Toutefois, il aurait nécessairement retenu la même solution s'il avait indiqué s'être placé, comme il devait le faire, à la date de sa décision dès lors que les documents en cause ne pouvaient acquérir à une telle date un caractère préparatoire qu'ils n'avaient pas ou n'avaient plus.
6. En se fondant, enfin, sur les termes du courrier de la maire de Paris du 30 août 2021 rappelés au point 1 pour en déduire que le processus de localisation de ces sites et l'expertise de chacun d'eux étaient achevés et que ces documents ne présentaient pas, ainsi qu'il a été dit, un caractère préparatoire, le tribunal administratif de Paris, qui n'a pas méconnu la différence entre caractère préparatoire et achevé d'un document et n'a pas davantage méconnu la portée de ses propres constatations, a porté sur les pièces du dossier qui lui était soumis une appréciation souveraine exempte de dénaturation. Par suite, les moyens tirés de ce que le jugement attaqué serait, pour ces motifs, entaché d'erreur de droit, doivent être écartés.
7. Il résulte de tout ce qui précède que le pourvoi de la Ville de Paris doit être rejeté, y compris ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
8. Il y a lieu de mettre à la charge de la Ville de Paris la somme de 3 000 euros à verser au syndicat des copropriétaires du 28 boulevard de Bonne Nouvelle au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de la Ville de Paris est rejeté.
Article 2 : La Ville de Paris versera au syndicat des copropriétaires du 28 boulevard de Bonne Nouvelle la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la Ville de Paris et au syndicat des copropriétaires du 28 boulevard de Bonne Nouvelle.
Délibéré à l'issue de la séance du 20 février 2025 où siégeaient : M. Bertrand Dacosta, président de chambre, présidant ; M. Olivier Yeznikian, conseiller d'Etat et Mme Isabelle Lemesle, conseillère d'Etat-rapporteure.
Rendu le 10 avril 2025.
Le président :
Signé : M. Bertrand Dacosta
La rapporteure :
Signé : Mme Isabelle Lemesle
La secrétaire :
Signé : Mme Marie-Léandre Monnerville