Vu la procédure suivante :
Le Syndicat national des pilotes de ligne France Air Line Pilots Association (SNPL France ALPA) a demandé à la cour administrative d'appel de Paris d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 8 novembre 2021 de la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion fixant la liste des organisations syndicales reconnues représentatives dans le périmètre de négociation du secteur aérien. Par un arrêt n° 22PA00038 du 13 avril 2023, la cour administrative d'appel a rejeté sa requête.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés les 13 juin et 11 septembre 2023 et le 15 mars 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le SNPL France ALPA demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à sa requête ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code des transports ;
- le code du travail ;
- la loi n° 2009-1503 du 8 décembre 2009 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Aurélien Gloux-Saliou, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Jean-François de Montgolfier, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat du SNPL France ALPA ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par un arrêté du 8 novembre 2021, la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion a arrêté la liste des organisations syndicales représentatives ainsi que leur poids respectif dans le périmètre de négociation du secteur aérien, défini comme " constitué des entreprises et salariés relevant du champ d'application de la convention collective nationale du transport aérien - personnel au sol (IDCC n° 275) tel qu'issu de l'arrêté du 23 janvier 2019 portant fusion et élargissement de champs conventionnels, des entreprises et salariés relevant du champ d'application de la convention collective nationale - personnel navigant technique exploitant d'hélicoptère (IDCC n° 1944), des personnels navigants techniques et commerciaux des compagnies aériennes, ainsi que des salariés des exploitants d'aéroports ". Par un arrêt du 13 avril 2023, contre lequel le Syndicat national des pilotes de ligne France Air Line Pilots Association (SNPL France ALPA) se pourvoit en cassation, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté sa requête tendant à l'annulation de cet arrêté.
2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 2121-1 du code du travail : " La représentativité des organisations syndicales est déterminée d'après les critères cumulatifs suivants : / 1° Le respect des valeurs républicaines ; / 2° L'indépendance ; / 3° La transparence financière ; / 4° Une ancienneté minimale de deux ans dans le champ professionnel et géographique couvrant le niveau de négociation. Cette ancienneté s'apprécie à compter de la date de dépôt légal des statuts ; / 5° L'audience établie selon les niveaux de négation conformément aux articles L. 2122-1, L. 2122-5, L. 2122-6 et L. 2122-9 ; / 6° L'influence, prioritairement caractérisée par l'acticité et l'expérience ; / 7° Les effectifs d'adhérents et les cotisations. " Aux termes de l'article L. 2122-5 du même code : " Dans les branches professionnelles, sont représentatives les organisations syndicales qui : / 1° Satisfont aux critères de l'article L. 2121-1 ; / 2° Disposent d'une implantation territoriale équilibrée au sein de la branche ; / 3° Ont recueilli au moins 8 % des suffrages exprimés résultant de l'addition au niveau de la branche, d'une part, des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections des titulaires aux comités sociaux et économiques, quel que soit le nombre de votants, et, d'autre part, des suffrages exprimés au scrutin concernant les entreprises de moins de onze salariés dans les conditions prévues aux articles L. 2122-10-1 et suivants. La mesure de l'audience s'effectue tous les quatre ans. "
3. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 2121-2 du code du travail : " S'il y a lieu de déterminer la représentativité d'un syndicat ou d'une organisation professionnelle autre que ceux affiliés à l'une des organisations représentatives au niveau national, l'autorité administrative diligente une enquête. / L'organisation intéressée fournit les éléments d'appréciation dont elle dispose. "
4. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 6524-2 du code des transports, créé par la loi du 8 décembre 2009 relative à l'organisation et à la régulation des transports ferroviaires et portant diverses dispositions relatives aux transports : " Par dérogation aux articles L. 2314-11 et L. 2316-5 du code du travail, dans les entreprises de transport et de travail aériens, lorsque le nombre de personnels navigants techniques est au moins égal à vingt-cinq au moment de la mise en place ou du renouvellement du comité social et économique, cette catégorie constitue un collège spécial (...) ". Aux termes de l'article L. 6524-3 du même code, créé par la même loi : " Dans les entreprises de transport et de travail aériens ou leurs établissements, lorsqu'un collège électoral spécifique est créé pour le personnel navigant technique, est représentative à l'égard des personnels relevant de ce collège l'organisation syndicale qui satisfait aux critères prévus à l'article L. 2121-1 du code du travail et qui a recueilli au moins 10 % des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections des titulaires au comité social et économique d'entreprise de ce collège, quel que soit le nombre de votants. / Dans les branches qui couvrent les activités de transport et de travail aériens, sont représentatives à l'égard du personnel navigant technique les organisations syndicales qui remplissent les conditions prévues à l'article L. 2122-5 du code du travail dans les collèges électoraux de personnels navigants techniques. "
5. Il résulte des dispositions citées aux points 2 et 3 que, sans préjudice de l'application des règles d'appréciation de la représentativité des organisations syndicales propres aux accords interbranches ou aux accords de fusion de branches, le ministre chargé du travail est compétent pour, s'il y a lieu, arrêter, sous le contrôle du juge administratif, la liste des organisations syndicales représentatives et leurs audiences respectives dans un périmètre utile pour une négociation en cours ou à venir, y compris lorsque celui-ci ne correspond pas à une " branche professionnelle " au sens de l'article L. 2122-11 du code du travail. Lorsqu'un tel périmètre couvre les " activités de transport et de travail aériens ", il résulte des dispositions citées au point 4, telles qu'éclairées par les travaux parlementaires ayant précédé leur adoption, que cet arrêté doit aussi mentionner, au sein de la liste des organisations syndicales représentatives, celles qui satisfont aux conditions mentionnées à l'article L. 6524-3 du code des transports et préciser leur audience pour la négociation des accords collectifs.
6. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que, pour écarter le moyen, qui, compte tenu de ce qui est dit au point précédent, n'était pas inopérant, soulevé par le SNPL France ALPA et tiré de ce que l'arrêté litigieux est illégal en ce qu'il ne prend pas en compte la représentativité d'organisations syndicales catégorielles satisfaisant aux conditions prévues à l'article L. 6524-3 du code des transports, la cour administrative d'appel a jugé que les dispositions de cet article n'imposent pas la constitution d'un collège électoral spécifique au personnel navigant technique, au sein duquel procéder à une telle mesure de représentativité. En statuant ainsi, alors que l'article L. 6524-2 du code des transports prévoit qu'un tel collège doit être constitué dans les entreprises de transport et de travail aériens lorsque le nombre de personnels navigants techniques est au moins égal à vingt-cinq au moment de la mise en place ou du renouvellement du comité social et économique, la cour a entaché son arrêt d'erreur de droit.
7. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de son pourvoi, le SNPL France ALPA est fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque.
8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.
9. Il résulte de ce qui a été dit au point 5 qu'au regard du périmètre retenu par l'arrêté attaqué, qui inclut les " activités de transport et de travail aériens ", la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion devait mesurer la représentativité des organisations syndicales à l'égard du personnel navigant technique et, pour autant que certaines d'entre elles satisfissent aux conditions prévues à l'article L. 6524-3 du code des transports, en tenir compte dans son arrêté. Il est constant que tel n'a pas été le cas. Par suite, en édictant l'arrêté attaqué, la ministre a méconnu l'article L. 6524-3 du code des transports.
10. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de sa requête, le SNPL France ALPA est fondé à demander l'annulation de l'arrêté du 8 novembre 2021 de la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion fixant la liste des organisations syndicales reconnues représentatives dans le périmètre de négociation du secteur aérien. Aucun accord n'ayant, en tout état de cause, été conclu dans ce périmètre, il n'y a pas lieu de différer les effets de l'annulation ni de réputer définitifs les effets passés de l'arrêté annulé.
11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme globale de 3 000 euros à verser au SNPL France ALPA en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, au titre des sommes exposées à ce titre en première instance et en cassation.
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 13 avril 2023 de la cour administrative d'appel de Paris est annulé.
Article 2 : L'arrêté du 8 novembre 2021 de la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion fixant la liste des organisations syndicales reconnues représentatives dans le périmètre de négociation du secteur aérien est annulé.
Article 3 : L'Etat versera une somme de 3 000 euros au SNPL France ALPA au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée au Syndicat national des pilotes de ligne France Air Line Pilots Association, à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles, à la Confédération général du travail - Force ouvrière, à la Confédération française démocratique du travail, à la Confédération générale du travail, à l'Union nationale des syndicats autonomes et à la Confédération française de l'encadrement - Confédération générale des cadres.