Vu la procédure suivante :
Mme C... B... a demandé au tribunal administratif de la Guyane d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 11 décembre 2020 du préfet de la Guyane instaurant des servitudes de maîtrise de l'urbanisation, en tant que celui-ci inclut la parcelle sur laquelle est située son habitation dans la zone de servitude " SUP 1 ", ainsi que la décision implicite rejetant son recours gracieux contre cet arrêté.
Par un jugement n° 2100717 du 18 juillet 2022, le tribunal administratif de la Guyane a rejeté sa demande.
Par un arrêt n° 22BX02371 du 23 mai 2023, la cour administrative d'appel de Bordeaux a annulé le jugement du 18 juillet 2022 du tribunal administratif de la Guyane et rejeté la demande présentée par Mme B... devant ce tribunal, ainsi que le surplus de ses conclusions d'appel.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 21 août et 21 novembre 2023 et le 3 septembre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme B... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à ses conclusions de première instance et d'appel ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'environnement ;
- le code de l'urbanisme :
- le code de justice administrative.
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Stéphanie Vera, maîtresse des requêtes,
- les conclusions de Mme Maïlys Lange, rapporteure publique ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Gury et Maître, avocat de Mme B... et à la SCP Foussard, Froger, avocat de la société EDF Production Electrique Insulaire ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l'article 7 du décret du 30 mars 2017 relatif à la programmation pluriannuelle de l'énergie de la Guyane énonce les objectifs concernant la production d'électricité à partir de bioliquides ou d'énergies fossiles et la sécurisation de l'alimentation électrique en Guyane, parmi lesquels figure, notamment, aux termes de son 1°, le remplacement des capacités installées de la centrale thermique de Dégrad-des-Cannes par une nouvelle centrale thermique. Le principe de l'installation de cette nouvelle centrale thermique sur le territoire de la commune de Matoury a été arrêté par une délibération de la collectivité territoriale de Guyane du 10 février 2017 et son exploitation par la société EDF Production Electrique Insulaire SAS (EDF-PEI) a été autorisée par un arrêté du ministre en charge de l'énergie le 13 juin 2017. Par un arrêté 30 novembre 2020, le préfet a déclaré d'utilité publique le projet de canalisation de transport d'hydrocarbures entre le port de Dégrad-des-Cannes et la centrale électrique du Larivot et, par un arrêté du 5 décembre 2020, a autorisé la construction et l'exploitation de cette canalisation. Mme B... a adressé le 4 février 2021 un recours gracieux au préfet de la Guyane dirigé contre son arrêté du 11 décembre 2020 instaurant des servitudes d'utilité publique relatives à la maîtrise de l'urbanisation le long du tracé de la canalisation de transport d'hydrocarbures, qui a été implicitement rejeté. Par un jugement du 18 juillet 2022, le tribunal administratif de la Guyane a rejeté la demande de Mme B... tendant à l'annulation de l'arrêté du 11 décembre 2020, ainsi que de la décision implicite rejetant son recours gracieux dirigé contre cet arrêté. Par un arrêt du 23 mai 2023, contre lequel Mme B... se pourvoit en cassation, la cour administrative d'appel de Bordeaux a annulé le jugement du 18 juillet 2022 et rejeté la demande présentée par Mme B... devant le tribunal administratif de la Guyane ainsi que le surplus de ses conclusions d'appel.
2. En application de l'article L. 555-1 du code de l'environnement, " Sont soumises à autorisation la construction et l'exploitation de celles des canalisations de transport mentionnées au 1° de l'article L. 554-5 qui présentent des risques ou inconvénients notables pour les intérêts mentionnés au même article. Un décret en Conseil d'Etat fixe les caractéristiques des canalisations concernées. (...) ". Aux termes de l'article L. 555-16 du code de l'environnement : " Lorsqu'une canalisation de transport en service est susceptible de créer des risques, notamment d'incendie, d'explosion ou d'émanation de produits toxiques, menaçant gravement la santé ou la sécurité des personnes, les dispositions suivantes sont applicables. / Dans le respect des dispositions prévues aux articles L. 101-2 et L. 132-1 du code de l'urbanisme ainsi que des dispositions des schémas de cohérence territoriale, des plans locaux d'urbanisme et des documents d'urbanisme en tenant lieu, l'autorité compétente en matière d'urbanisme peut interdire l'ouverture ou l'extension à proximité de la canalisation de tout type d'urbanisation. / La construction ou l'extension de certains établissements recevant du public ou d'immeubles de grande hauteur sont interdites ou subordonnées à la mise en place de mesures particulières de protection par le maître d'ouvrage du projet en relation avec le titulaire de l'autorisation. / Un décret en Conseil d'Etat précise les catégories de canalisations et la nature des constructions et aménagements concernées par ces dispositions, les critères de détermination des périmètres à l'intérieur desquels elles s'appliquent, ainsi que les modalités de mise en œuvre des mesures particulières de protection prévues à l'alinéa précédent en cas de désaccord entre le maître d'ouvrage du projet et le titulaire de l'autorisation. / Dans des conditions fixées par le décret mentionné au précédent alinéa, et en raison des risques présentés par la canalisation, le titulaire de l'autorisation prend en compte l'évolution de l'urbanisation à proximité de celle-ci et met en place, en cas de besoin, des mesures compensatoires destinées à diminuer ces risques ". Aux termes de l'article R. 555-30 du même code : " Le préfet de chaque département concerné institue par arrêté : / (...) / b) En application du troisième alinéa de l'article L. 555-16, après avis de la commission départementale compétente en matière d'environnement et de risques sanitaires et technologiques, des servitudes d'utilité publiques : / - subordonnant, dans les zones d'effets létaux en cas de phénomène dangereux de référence majorant au sens de l'article R. 555-10-1, la délivrance d'un permis de construire relatif à un établissement recevant du public susceptible de recevoir plus de 100 personnes ou à un immeuble de grande hauteur et son ouverture à la fourniture d'une analyse de compatibilité ayant reçu l'avis favorable du transporteur ou, en cas d'avis défavorable du transporteur, l'avis favorable du préfet rendu au vu de l'expertise mentionnée au III de l'article R. 555-31 ; (...) ".
3. En premier lieu, en jugeant que les dispositions de l'article L. 555-16 du code de l'environnement portant sur les servitudes d'utilité publique relatives à la maîtrise de l'urbanisation n'étaient pas applicables aux seules canalisations de transport se trouvant en service à la date à laquelle les servitudes sont instaurées, mais également aux canalisations dont la mise en service est projetée par le titulaire de l'autorisation de construire et d'exploiter une canalisation mentionnée à l'article L. 555-1 du code de l'environnement, dès lors qu'elle est susceptible de générer, lors de sa mise en service, des risques menaçant gravement la santé et la sécurité des personnes, la cour administrative d'appel de Bordeaux n'a pas commis d'erreur de droit.
4. En second lieu, l'illégalité d'un acte administratif, qu'il soit ou non réglementaire, ne peut être utilement invoquée par voie d'exception à l'appui de conclusions dirigées contre une décision administrative ultérieure que si cette dernière décision a été prise pour l'application du premier acte ou s'il en constitue la base légale. S'agissant d'un acte non réglementaire, l'exception d'illégalité n'est en outre recevable que si l'acte n'est pas devenu définitif à la date à laquelle elle est invoquée, sauf dans le cas où l'acte et la décision ultérieure constituant les éléments d'une même opération complexe, l'illégalité dont l'acte serait entaché peut être invoquée en dépit du caractère définitif de cet acte.
5. Ainsi que l'a relevé le juge d'appel, l'arrêté du 30 novembre 2020 déclarant d'utilité publique le projet de canalisation de transport d'hydrocarbures entre le port de Dégrad-des-Cannes et la centrale électrique de Larivot et celui du 5 décembre 2020 autorisant la construction et l'exploitation de cette canalisation, qui ne présentent pas un caractère réglementaire, ont été respectivement publiés les 2 et 9 décembre 2020. Ils étaient donc devenus définitifs à l'égard des tiers le 6 novembre 2021, date à laquelle Mme B... a, pour la première fois, excipé de leur illégalité devant le tribunal administratif. En jugeant qu'ils ne formaient pas avec la décision attaquée une opération complexe et en déduisant que Mme B... n'était, par suite, pas recevable à en invoquer l'illégalité par voie d'exception à cette date, la cour administrative d'appel n'a pas commis d'erreur de droit.
6. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque.
7. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise, à ce titre, à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce et au titre des mêmes dispositions, de mettre à la charge de Mme B... la somme de 1 500 euros à verser à la société EDF PEI.
D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de Mme B... est rejeté.
Article 2 : Mme B... versera la somme de 1 500 euros à la société EDF Production Electrique Insulaire au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à Mme A... B..., à la société EDF Production Electrique Insulaire et à la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche.
Délibéré à l'issue de la séance du 19 février 2025 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, M. Jean-Philippe Mochon, présidents de chambre ; M. Alain Seban, Mme Laurence Helmlinger, M. Cyril Roger-Lacan, M. Stéphane Hoynck, M. Bruno Bachini, conseillers d'Etat et Mme Stéphanie Vera, maîtresse des requêtes-rapporteure.
Rendu le 25 mars 2025.
Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
La rapporteure :
Signé : Mme Stéphanie Vera
La secrétaire :
Signé : Mme Marie-Adeline Allain