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24/03/2025 | FRANCE | N°499221

France | France, Conseil d'État, 7ème chambre, 24 mars 2025, 499221


Vu la procédure suivante :



La société Paul Boyé Technologies a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Paris, sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, d'une part, d'enjoindre au pouvoir adjudicateur de lui permettre d'accéder aux échantillons qu'elle a remis dans le cadre de son offre relative au lot n° 15 " fourniture de tenues de service et d'intervention " du marché public de fournitures d'effets d'accessoires d'habillement, d'articles de passementerie, de décorations et de drapeaux pour la brigade d

es sapeurs-pompiers de Paris (BSPP), et, d'autre part, d'annuler la proc...

Vu la procédure suivante :

La société Paul Boyé Technologies a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Paris, sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, d'une part, d'enjoindre au pouvoir adjudicateur de lui permettre d'accéder aux échantillons qu'elle a remis dans le cadre de son offre relative au lot n° 15 " fourniture de tenues de service et d'intervention " du marché public de fournitures d'effets d'accessoires d'habillement, d'articles de passementerie, de décorations et de drapeaux pour la brigade des sapeurs-pompiers de Paris (BSPP), et, d'autre part, d'annuler la procédure de passation du lot n° 15 de ce marché ainsi que la décision de rejet de son offre pour ce lot.

Par une ordonnance no 2427901 du 12 novembre 2024, la juge des référés du tribunal administratif de Paris a, d'une part, annulé la décision de rejet de l'offre de la société Paul Boyé Technologies, d'autre part, annulé au stade de la remise des offres la procédure de passation du marché public de fournitures d'effets, d'accessoires d'habillement, d'articles de passementerie, de décorations et de drapeaux pour la brigade des sapeurs-pompiers de Paris, et, enfin, enjoint au préfet de police, s'il entendait poursuivre la passation du marché, de reprendre la procédure au stade de la remise des offres en laissant aux candidats un délai suffisant pour présenter des échantillons conformes au cahier des clauses techniques particulières modifié.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés les 27 novembre, 13 décembre 2024 et 14 février 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le préfet de police, agissant au nom de la Ville de Paris, demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) statuant en référé, de rejeter la demande de la société Paul Boyé Technologies ;

3°) de mettre à la charge de la société Paul Boyé Technologies une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la commande publique ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. François-Xavier Bréchot, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Marc Pichon de Vendeuil, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Meier-Bourdeau, Lecuyer et associés, avocat du préfet de Police et à la SCP Bauer-Violas - Feschotte-Desbois - Sebagh, avocat de la société Paul Boyé Technologies ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que, par un avis de marché publié au Bulletin officiel des annonces de marchés publics le 12 février 2024 et au Journal officiel de l'Union européenne le 10 février 2024, le préfet de police de Paris, agissant au nom de la Ville de Paris a lancé une procédure d'appel d'offres ouvert pour la passation d'un marché public, comportant dix-sept lots, ayant pour objet la fourniture d'effets d'accessoires d'habillement, d'articles de passementerie, de décorations et de drapeaux pour la brigade de sapeurs-pompiers de Paris. La société Paul Boyé Technologies a présenté une offre pour le lot no 15 du marché, portant sur la fourniture de tenues de service et d'intervention. Cette offre a été rejetée comme irrégulière par une décision du 10 octobre 2024. Par une ordonnance du 12 novembre 2024, contre laquelle le préfet de police se pourvoit en cassation, le juge des référés du tribunal administratif de Paris, à la demande de la société Paul Boyé Technologies, a, d'une part, annulé la décision de rejet de son offre, d'autre part, annulé au stade de la remise des offres la procédure de passation du marché et, enfin, enjoint au préfet de police, s'il entendait poursuivre cette passation, de reprendre la procédure au stade de la remise des offres.

2. En premier lieu, le moyen tiré de ce que la minute de l'ordonnance attaquée ne comporterait pas les mentions prescrites par les dispositions de l'article R. 741 7 du code de justice administrative manque en fait.

3. En deuxième lieu, aux termes de l'article R. 742-2 du code de justice administrative, applicable en matière de référé en vertu de l'article R. 522-11 du même code : " Les ordonnances mentionnent le nom des parties, l'analyse des conclusions ainsi que les visas des dispositions législatives ou réglementaires dont elles font application. / (...) ". Il résulte de ces dispositions que, si une ordonnance de référé doit en principe, outre le nom des parties et les dispositions législatives et réglementaires dont elle fait application, porter mention de l'ensemble des mémoires produits avant la clôture de l'instruction, l'omission du visa d'un tel mémoire n'est pas, par elle-même, de nature à l'entacher d'irrégularité lorsque celui-ci ne comporte pas de conclusions nouvelles.

4. D'une part, contrairement à ce que soutient le préfet de police, l'ordonnance attaquée vise son mémoire enregistré le 8 novembre 2024 au greffe du tribunal et produit avant la clôture de l'instruction. D'autre part, il résulte de ce qui a été dit au point 3 que le préfet de police ne peut utilement soutenir que cette ordonnance a omis d'analyser ce mémoire, qui ne comportait pas de conclusions nouvelles. Par suite, l'ordonnance attaquée ne méconnaît pas les dispositions de l'article R. 742-2 du code de justice administrative.

5. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 551-1 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, la délégation d'un service public (...) / (...) / Le juge est saisi avant la conclusion du contrat ". Selon le I de l'article L. 551-2 du même code : " Le juge peut ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre l'exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat, sauf s'il estime, en considération de l'ensemble des intérêts susceptibles d'être lésés et notamment de l'intérêt public, que les conséquences négatives de ces mesures pourraient l'emporter sur leurs avantages. / Il peut, en outre, annuler les décisions qui se rapportent à la passation du contrat et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations ". Aux termes de l'article L. 551-10 du même code : " Les personnes habilitées à engager les recours prévus aux articles L. 551-1 et L. 551-5 sont celles qui ont un intérêt à conclure le contrat (...) et qui sont susceptibles d'être lésées par le manquement invoqué, ainsi que le représentant de l'Etat dans le cas où le contrat doit être conclu par une collectivité territoriale, un groupement de collectivités territoriales ou un établissement public local. / (...) ".

6. Aux termes de l'article R. 2151-1 du code de la commande publique : " L'acheteur fixe les délais de réception des offres en tenant compte de la complexité du marché et du temps nécessaire aux opérateurs économiques pour préparer leur offre. " Selon l'article R. 2151-2 du même code : " Les délais de réception des offres présentées dans le cadre d'une procédure formalisée ne peuvent être inférieurs aux délais minimaux propres à chaque procédure, définis au chapitre Ier du titre VI. " Aux termes de l'article R. 2151-4 du même code : " Le délai de réception des offres est prolongé dans les cas suivants : / (...) / 2° Lorsque des modifications importantes sont apportées aux documents de la consultation. / La durée de la prolongation est proportionnée à l'importance (...) des modifications apportées. "

7. Il ressort des énonciations de l'ordonnance attaquée que pour juger que le préfet de police de Paris avait manqué à ses obligations de mise en concurrence en ne reportant pas le délai de remise des offres après avoir modifié le règlement de la consultation, la juge des référés a estimé que cette modification, qui portait sur une des caractéristiques des échantillons de pantalons à remettre par les candidats, devait " être regardée comme une modification substantielle des conditions de la consultation ". Si le préfet de police soutient que la juge des référés a commis une erreur de droit en qualifiant la modification de substantielle alors que les dispositions de l'article R. 2151-4 du code de la commande publique citées au point précédent imposent la prolongation du délai de remise des offres en présence de modifications importantes, cette erreur est restée sans incidence sur la caractérisation du manquement, une modification substantielle étant nécessairement importante et imposant, par là-même, à l'acheteur de prolonger le délai de remise des offres.

8. En quatrième lieu, c'est par une appréciation souveraine exempte de dénaturation que la juge des référés du tribunal administratif de Paris a estimé qu'en ne reportant pas une nouvelle fois le délai de remise des offres, fixé au 23 avril 2024, pour tenir compte de la modification apportée, le 3 avril précédent, au cahier des clauses techniques particulières, le préfet de police n'avait pas laissé aux soumissionnaires un délai suffisant pour leur permettre d'adapter ou de reprendre leurs échantillons de pantalons, alors même que le pouvoir adjudicateur avait, le 12 avril 2024, offert aux candidats la faculté de remettre des échantillons conformes aux prescriptions du cahier des clauses techniques particulières dans sa version antérieure à la modification du 3 avril concernant les poches des pantalons, en y joignant deux échantillons de tissus intégrant la proposition de nouvelles poches conformes au cahier modifié.

9. En cinquième lieu, la juge des référés du tribunal administratif de Paris n'a pas dénaturé les écritures du préfet de police en estimant que celui-ci ne contestait pas sérieusement que d'autres candidats avaient également fait part des difficultés relatives à la modification du cahier des clauses techniques particulières du lot n° 15 du marché.

10. En sixième lieu, en vertu des dispositions, citées au point 5, de l'article L. 551-10 du code de justice administrative, les personnes habilitées à engager le recours prévu à l'article L. 551-1 en cas de manquement du pouvoir adjudicateur à ses obligations de publicité et de mise en concurrence sont celles qui ont un intérêt à conclure le contrat et qui sont susceptibles d'être lésées par le manquement invoqué. Il appartient dès lors au juge du référé précontractuel de rechercher si l'entreprise qui le saisit se prévaut de manquements qui, eu égard à leur portée et au stade de la procédure auquel ils se rapportent, sont susceptibles de l'avoir lésée ou risquent de la léser, fût-ce de façon indirecte en avantageant une entreprise concurrente. Cependant, il ne lui appartient pas de rechercher à ce titre si le manquement invoqué a été susceptible de léser davantage le requérant que les autres candidats.

11. Il ressort des énonciations de l'ordonnance attaquée que la juge des référés du tribunal administratif de Paris a estimé que le pouvoir adjudicateur, en ne reportant pas une nouvelle fois le délai de remise des offres pour tenir compte de la modification du cahier des clauses techniques particulières du lot n° 15 concernant les poches des pantalons d'intervention, n'avait pas laissé aux candidats un délai suffisant, compte tenu de la nature et de la portée de cette modification d'ordre technique, pour leur permettre d'adapter leur offre par la reprise et par la réalisation du contrôle qualité de l'ensemble des échantillons, qui devaient par ailleurs répondre aux nombreuses autres caractéristiques attendues. En estimant que ce manquement avait directement lésé les intérêts de la société Paul Boyé Technologies au motif qu'elle avait été contrainte de reprendre et de contrôler ses échantillons dans des délais trop courts, la juge des référés n'a pas inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis, alors même que ce vice était susceptible de léser tous les candidats dans les mêmes conditions et que le pouvoir adjudicateur a, le 12 avril 2024, offert aux soumissionnaires la faculté de remettre des échantillons conformes au cahier des clauses techniques particulières dans sa version antérieure à la modification du 3 avril précédent, en y joignant deux échantillons de tissus intégrant la proposition de nouvelles poches conformes au cahier modifié.

12. Toutefois, en dernier lieu, en annulant, au stade de la remise des offres, la procédure de passation du marché public de fournitures d'effets, d'accessoires d'habillement, d'articles de passementerie, de décorations et de drapeaux pour la brigade des sapeurs-pompiers de Paris, alors qu'il ne lui était demandé d'annuler que la procédure de passation du seul lot n° 15, la juge des référés du tribunal administratif de Paris a commis une erreur de droit.

13. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de police est seulement fondé à demander l'annulation de l'ordonnance qu'il attaque en tant que celle-ci a prononcé l'annulation, au stade de la remise des offres, du marché public de fournitures d'effets, d'accessoires d'habillement, d'articles de passementerie, de décorations et de drapeaux pour la brigade des sapeurs-pompiers de Paris, sans limiter cette annulation, au stade de la remise des offres, au seul lot n° 15 de ce marché.

14. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat, partie perdante pour l'essentiel, la somme de 3 000 euros à verser à la société Paul Boyé Technologies au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les dispositions de ce même article font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de cette société, qui n'est pas la partie perdante pour l'essentiel, sur son fondement.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'ordonnance du 12 novembre 2024 de la juge des référés du tribunal administratif de Paris est annulée en tant qu'elle a prononcé l'annulation, au stade de la remise des offres, du marché public de fournitures d'effets, d'accessoires d'habillement, d'articles de passementerie, de décorations et de drapeaux pour la brigade des sapeurs-pompiers de Paris, sans limiter cette annulation, au stade de la remise des offres, au seul lot n° 15 de ce marché.

Article 2 : Le surplus des conclusions du préfet de police est rejeté.

Article 3 : L'Etat versera à la société Paul Boyé Technologies une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée au préfet de police et à la société Paul Boyé Technologies.


Synthèse
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 499221
Date de la décision : 24/03/2025
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 24 mar. 2025, n° 499221
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. François-Xavier Bréchot
Rapporteur public ?: M. Marc Pichon de Vendeuil
Avocat(s) : SCP BAUER-VIOLAS - FESCHOTTE-DESBOIS - SEBAGH ; SARL MEIER-BOURDEAU, LECUYER ET ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2025:499221.20250324
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