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13/03/2025 | FRANCE | N°474164

France | France, Conseil d'État, 9ème - 10ème chambres réunies, 13 mars 2025, 474164


Vu la procédure suivante :



La société Klépierre Alpes a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer, au titre de son exercice clos en 2016, la réduction, à concurrence de la somme de 766 945 euros, de son résultat fiscal exonéré en application des dispositions du II de l'article 208 C du code général des impôts et, par voie de conséquence, celle de l'obligation de distribution correspondante. Par un jugement n° 1911885 du 22 décembre 2020, ce tribunal a rejeté sa demande.



Par un arrêt n° 21PA01146 du 1

7 mars 2023, la cour administrative d'appel de Paris, saisie de l'appel formé par la socié...

Vu la procédure suivante :

La société Klépierre Alpes a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer, au titre de son exercice clos en 2016, la réduction, à concurrence de la somme de 766 945 euros, de son résultat fiscal exonéré en application des dispositions du II de l'article 208 C du code général des impôts et, par voie de conséquence, celle de l'obligation de distribution correspondante. Par un jugement n° 1911885 du 22 décembre 2020, ce tribunal a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 21PA01146 du 17 mars 2023, la cour administrative d'appel de Paris, saisie de l'appel formé par la société Klépierre Alpes contre ce jugement, a réduit son résultat fiscal exonéré au titre de l'exercice clos en 2016, pour l'application de l'article 208 C du code général des impôts, à hauteur de 766 945 euros.

Par un pourvoi et un mémoire en réplique, enregistrés les 15 mai 2023 et 11 janvier 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique demande au Conseil d'Etat d'annuler cet arrêt.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Lionel Ferreira, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Bastien Lignereux, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Célice, Texidor, Perier, avocat de la société Klépierre Alpes ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Klépierre Alpes, qui a opté pour le régime d'exonération d'impôt sur les sociétés institué par les dispositions de l'article 208 C du code général des impôts en faveur des sociétés d'investissements immobiliers cotées, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité à l'issue de laquelle l'administration fiscale a, notamment, réintégré dans son résultat fiscal exonéré de l'exercice clos en 2016 la somme de 766 945 euros, en application des dispositions du I de l'article 212 bis du code général des impôts. Par un jugement du 22 décembre 2020, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté la demande de la société Klépierre Alpes tendant à la réduction de son résultat fiscal exonéré au titre de l'exercice clos en 2016, à concurrence de la somme réintégrée par l'administration fiscale. Le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 17 mars 2023 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a fait droit à cette demande.

2. D'une part, aux termes du premier alinéa de l'article L. 190 du livre des procédures fiscales : " Les réclamations relatives aux impôts, contributions, droits, taxes, redevances, soultes et pénalités de toute nature, établis ou recouvrés par les agents de l'administration, relèvent de la juridiction contentieuse lorsqu'elles tendent à obtenir (...) la réparation d'erreurs commises dans l'assiette ou le calcul des impositions (...) ". Le juge de l'impôt, juge de plein contentieux, ne peut être saisi, sur le fondement de ces dispositions, que d'une demande tendant à la décharge ou la réduction d'une imposition mise en recouvrement.

3. D'autre part, en vertu de l'article 208 C du code général des impôts, dans sa rédaction applicable au litige : " I. - Les sociétés d'investissements immobiliers cotées s'entendent des sociétés par actions cotées sur un marché réglementé (...), dont le capital social n'est pas inférieur à 15 millions d'euros, qui ont pour objet principal l'acquisition ou la construction d'immeubles en vue de la location, ou la détention directe ou indirecte de participations dans des personnes visées à l'article 8 et aux 1, 2 et 3 de l'article 206 dont l'objet social est identique. / (...) / II. - Les sociétés d'investissements immobiliers cotées visées au I (...) peuvent opter pour l'exonération d'impôt sur les sociétés pour la fraction de leur bénéfice provenant de la location des immeubles, de la sous-location des immeubles pris en crédit-bail ou dont la jouissance a été conférée à titre temporaire par l'Etat, une collectivité territoriale ou un de leurs établissements publics et des plus-values sur la cession à des personnes non liées au sens du 12 de l'article 39 d'immeubles, de droits réels énumérés au sixième alinéa, de droits afférents à un contrat de crédit-bail portant sur un immeuble et de participations dans des personnes visées à l'article 8 ou dans des filiales soumises au présent régime. / Les bénéfices exonérés provenant des opérations de location des immeubles et de la sous-location des immeubles pris en crédit-bail ou dont la jouissance a été conférée à titre temporaire par l'Etat, une collectivité territoriale ou un de leurs établissements publics sont obligatoirement distribués à hauteur de 95 % avant la fin de l'exercice qui suit celui de leur réalisation. / Les bénéfices exonérés provenant de la cession des immeubles, de droits réels énumérés au sixième alinéa, des droits afférents à un contrat de crédit-bail portant sur un immeuble et des participations dans des personnes visées à l'article 8 ou dans des filiales soumises au présent régime sont obligatoirement distribués à hauteur de 70 % avant la fin du deuxième exercice qui suit celui de leur réalisation. / (...) ".

4. Ainsi qu'il a été dit au point 1, la société Klépierre Alpes, qui a opté pour le régime d'exonération des sociétés d'investissements immobiliers cotées prévu par les dispositions du II de l'article 208 C du code général des impôts cité au point 3, a contesté la décision prise par l'administration fiscale de réintégrer la somme de 766 945 euros dans son résultat fiscal exonéré au titre de l'exercice clos en 2016, d'où découlait l'obligation, prévue par ces mêmes dispositions, de distribuer une fraction de la somme correspondante à ses actionnaires. Une telle demande, qui ne tend pas à la décharge ou la réduction d'une imposition mise en recouvrement, ne peut être soumise au juge de l'impôt sur le fondement des dispositions du premier alinéa de l'article L. 190 du livre des procédures fiscales citées au point 2, et aucune autre disposition ne permet au juge administratif d'y statuer en qualité de juge de plein contentieux. Par suite, la demande de la société Klépierre Alpes ne pouvait être regardée, eu égard à son objet, que comme tendant à l'annulation, pour excès de pouvoir, de la décision prise par l'administration fiscale.

5. Il résulte des termes mêmes de son arrêt que la cour administrative d'appel a estimé qu'elle était saisie d'un recours de plein contentieux, alors qu'ainsi qu'il vient d'être dit, la société Klépierre Alpes devait être regardée comme ayant formé un recours pour excès de pouvoir. La cour administrative d'appel s'étant ainsi méprise sur l'étendue de ses pouvoirs et ayant méconnu son office son arrêt doit, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur le moyen du pourvoi, être annulé.

6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

7. D'une part, aux termes du II de l'article 212 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable au litige : " II. - 1. Lorsque le montant des intérêts servis par une entreprise à l'ensemble des entreprises liées directement ou indirectement au sens du 12 de l'article 39 et déductibles conformément au I excède simultanément au titre d'un même exercice les trois limites suivantes : / a) Le produit correspondant au montant desdits intérêts multiplié par le rapport existant entre une fois et demie le montant des capitaux propres, apprécié au choix de l'entreprise à l'ouverture ou à la clôture de l'exercice et le montant moyen des sommes laissées ou mises à disposition par l'ensemble des entreprises liées directement ou indirectement au sens du 12 de l'article 39 au cours de l'exercice, / b) 25 % du résultat courant avant impôts préalablement majoré desdits intérêts, des amortissements pris en compte pour la détermination de ce même résultat et de la quote-part de loyers de crédit-bail prise en compte pour la détermination du prix de cession du bien à l'issue du contrat, / c) Le montant des intérêts servis à cette entreprise par des entreprises liées directement ou indirectement au sens du 12 de l'article 39, / la fraction des intérêts excédant la plus élevée de ces limites ne peut être déduite au titre de cet exercice, sauf si cette fraction est inférieure à 150 000 €. / Toutefois, cette fraction d'intérêts non déductible immédiatement peut être déduite au titre de l'exercice suivant à concurrence de la différence calculée au titre de cet exercice entre la limite mentionnée au b et le montant des intérêts admis en déduction en vertu du I. Le solde non imputé à la clôture de cet exercice est déductible au titre des exercices postérieurs dans le respect des mêmes conditions sous déduction d'une décote de 5 % appliquée à l'ouverture de chacun de ces exercices. / (...) ".

8. D'autre part, aux termes de l'article 212 bis du code général des impôts, dans sa rédaction applicable au litige : " I. - Les charges financières nettes afférentes aux sommes laissées ou mises à disposition d'une entreprise non membre d'un groupe, au sens de l'article 223 A ou de l'article 223 A bis, sont réintégrées au résultat pour une fraction égale à 25 % de leur montant. / II. - Le I ne s'applique pas lorsque le montant total des charges financières nettes de l'entreprise est inférieur à trois millions d'euros. / III. - Pour l'application des I et II, le montant des charges financières nettes est entendu comme le total des charges financières venant rémunérer des sommes laissées ou mises à disposition de l'entreprise, diminué du total des produits financiers venant rémunérer des sommes laissées ou mises à disposition par l'entreprise. / (...) / IV. - Pour l'application du I, le montant des charges financières est diminué des fractions des charges financières non admises en déduction en application du IX de l'article 209 et de l'article 212. / (...) ".

9. Il résulte de la combinaison des dispositions citées aux points 7 et 8 que, si les intérêts dont la déductibilité a été différée en application du dernier alinéa du c du 1 du II de l'article 212 du code général des impôts doivent faire l'objet de la réintégration partielle au résultat fiscal prévue par le I de l'article 212 bis du même code au titre de l'exercice où ils deviennent, le cas échéant, fiscalement déductibles, ces mêmes intérêts doivent, en revanche, pour apprécier le franchissement du seuil d'application de cette réintégration fixé au II du même article, être pris en compte au titre du seul exercice de leur comptabilisation.

10. Il ressort des pièces du dossier que, pour estimer que le montant des charges financières nettes de la société Klépierre Alpes au titre de l'exercice clos en 2016 s'élevait à 3 067 781 euros, ce dont il résultait qu'il dépassait le seuil fixé par le II de l'article 212 bis du code général des impôts et, par suite, qu'il y avait lieu de procéder à la réintégration au résultat de cet exercice d'une somme de 766 945 euros correspondant à une fraction de 25 % du montant de ces charges, l'administration fiscale a tenu compte d'un montant de 1 868 514 euros, correspondant à des intérêts dont la déduction avait été différée à l'exercice clos en 2016 en application du 1 du II de l'article 212 du code général des impôts. Il résulte cependant de ce qui a été dit au point 9 que ces intérêts devaient être pris en compte, pour apprécier le franchissement de ce seuil, au titre du seul exercice de leur comptabilisation, et non au titre de l'exercice où ils sont devenus fiscalement déductibles. Par suite, la société Klépierre Alpes est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision de réintégrer la somme de 766 945 euros au résultat de son exercice clos en 2016.

11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat, pour l'ensemble de la procédure, la somme de 6 000 euros à verser à la société Klépierre Alpes au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'arrêt du 17 mars 2023 de la cour administrative d'appel de Paris et le jugement du 22 décembre 2020 du tribunal administratif de Montreuil sont annulés.

Article 2 : La décision de l'administration fiscale de réintégrer la somme de 766 945 euros au résultat fiscal exonéré de la société Klépierre Alpes au titre de l'exercice clos en 2016 est annulée.

Article 3 : L'Etat versa la somme de 6 000 euros à la société Klépierre Alpes au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la ministre chargée des comptes publics et à la société Klépierre Alpes.

Délibéré à l'issue de la séance du 17 février 2025 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta,

Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; M. Olivier Yeznikian, M. Vincent Daumas,

Mme Rozen Noguellou, M. Nicolas Polge, M. Didier Ribes, conseillers d'Etat et M. Lionel Ferreira, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 13 mars 2025.

Le président :

Signé : M. Pierre Collin

Le rapporteur :

Signé : M. Lionel Ferreira

La secrétaire :

Signé : Mme Nathalie Planchette

La République mande et ordonne à la ministre chargée des comptes publics en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Pour la secrétaire du contentieux, par délégation :


Synthèse
Formation : 9ème - 10ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 474164
Date de la décision : 13/03/2025
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 13 mar. 2025, n° 474164
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Lionel Ferreira
Rapporteur public ?: M. Bastien Lignereux
Avocat(s) : SCP CELICE, TEXIDOR, PERIER

Origine de la décision
Date de l'import : 15/03/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2025:474164.20250313
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