Vu la procédure suivante :
M. B... a demandé à la Cour nationale du droit d'asile d'annuler la décision d'irrecevabilité du 17 novembre 2022 par laquelle le directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) a rejeté sa demande d'asile et de lui reconnaître la qualité de réfugié ou, à défaut, de lui accorder le bénéfice de la protection subsidiaire. Par une décision n° 23003886 du 24 octobre 2023, la Cour nationale du droit d'asile a fait droit à sa demande et lui a octroyé le bénéfice de la protection subsidiaire.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 23 décembre 2023 et 25 mars 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'OFPRA demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cette décision ;
2°) de renvoyer l'affaire à la Cour nationale du droit d'asile.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- les conventions de Genève du 12 août 1949 et leurs protocoles additionnels n°s I et II du 8 juin 1977 ;
- la convention de Genève du 28 juillet 1951 et le protocole signé à New York le 31 janvier 1967, relatifs au statut des réfugiés ;
- la convention portant statut de la Cour pénale internationale, adoptée à Rome le 17 juillet 1998 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Alexandra Bratos, maîtresse des requêtes,
- les conclusions de Mme Esther de Moustier, rapporteure publique ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis à la Cour nationale du droit d'asile que, par une décision du 17 novembre 2022, le directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) a rejeté la demande de M. A..., de nationalité soudanaise, tendant à ce que lui soit reconnue la qualité de réfugié ou, à défaut, accordé le bénéfice de la protection subsidiaire. L'OFPRA se pourvoit en cassation contre la décision du 24 octobre 2023 par laquelle la Cour nationale du droit d'asile a annulé cette décision et accordé le bénéfice de l'asile à M. A....
2. Aux termes de l'article 1er, A, 2 de la convention de Genève du 28 juillet 1951 et du protocole signé à New York le 31 janvier 1967, doit être considérée comme réfugiée toute personne qui " craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut, ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ". L'article 1er, F de la même convention stipule : " F. Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser : / a) qu'elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l'humanité, au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes ; / b) qu'elles ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d'accueil avant d'y être admises comme réfugiés ; / c) qu'elles se sont rendues coupables d'agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies ".
3. L'article L. 511-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose que : " Le statut de réfugié n'est pas accordé à une personne qui relève de l'une des clauses d'exclusion prévues aux sections D, E ou F de l'article 1er de la convention de Genève du 28 juillet 1951. / La même section F s'applique également aux personnes qui sont les instigatrices ou les complices des crimes ou des agissements mentionnés à ladite section ou qui y sont personnellement impliquées ".
4. L'exclusion du statut de réfugié prévue par les a), b) et c) du F de l'article 1er de la convention de Genève est subordonnée à l'existence de raisons sérieuses de penser qu'une part de responsabilité dans les crimes ou les agissements qu'il mentionne peut être imputée personnellement au demandeur d'asile. Il appartient à la Cour nationale du droit d'asile de rechercher si les éléments de fait résultant de l'instruction sont de nature à fonder de sérieuses raisons de penser que le demandeur a été personnellement impliqué dans de tels crimes ou agissements. Par ailleurs, au sens et pour l'application de ces stipulations et de l'article L. 511-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile cité au point 3, le complice est celui qui, sciemment, a, par ses agissements, contribué à la préparation ou à la réalisation du crime ou en a facilité la commission ou a assisté à son exécution sans chercher à aucun moment, eu égard à sa situation, à le prévenir ou à s'en dissocier.
5. La clause d'exclusion prévue au a) du F de l'article 1er de la convention de Genève vise en particulier, en application des instruments pertinents du droit international, les conventions de Genève du 12 août 1949 et leurs protocoles additionnels I et II de 1977 et l'article 8 de la convention portant statut de la Cour pénale internationale, au titre des crimes de guerre, notamment l'homicide volontaire et la torture de civils, le fait de priver intentionnellement un civil ou un prisonnier de guerre de son droit d'être jugé de manière juste et équitable, l'assassinat ou les mauvais traitements des prisonniers de guerre, ainsi que l'exécution d'otages.
6. Il ressort des pièces du dossier soumis au juges du fond que M. A... a travaillé pour le service de la sûreté et du renseignement soudanais (NISS) entre 2009 et 2012, au bureau politique, pour lequel il était chargé deux jours par semaine de collecter des renseignements sur des personnes et trois jours par semaine de la surveillance des entrées et des sorties d'un centre de détention. Selon ses propres déclarations devant l'OFPRA, il a contribué à l'arrestation de nombreuses personnes ciblées par les services secrets. Il ressort également des déclarations de M. A... qu'il avait connaissance du fonctionnement du centre de détention où il travaillait, au sein duquel les prisonniers étaient systématiquement torturés, ainsi que des méthodes de torture employées, et qu'il ne pouvait ignorer les conséquences de ses activités de collecte de renseignements sur les personnes ciblées. Par suite, en estimant qu'il n'y avait pas de raisons sérieuses de penser que M. A... se serait rendu coupable, comme auteur ou complice, à titre personnel, d'un des agissements visés au a) ou au b) du F de l'article 1er de la convention de Genève, la Cour nationale du droit d'asile a inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis.
7. Dès lors, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'autre moyen du pourvoi, l'OFPRA est fondé à demander l'annulation de la décision qu'il attaque.
D E C I D E :
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Article 1er : La décision du 24 octobre 2023 de la Cour nationale du droit d'asile est annulée.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la Cour nationale du droit d'asile.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et à M. B....
Délibéré à l'issue de la séance du 6 février 2025 où siégeaient : M. Bertrand Dacosta, président de chambre, présidant ; Mme Rozen Noguellou, conseillère d'Etat et Mme Alexandra Bratos, maîtresse des requêtes-rapporteure.
Rendu le 12 mars 2025.
Le président :
Signé : M. Bertrand Dacosta
La rapporteure :
Signé : Mme Alexandra Bratos
La secrétaire :
Signé : Mme Sylvie Leporcq