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11/03/2025 | FRANCE | N°499892

France | France, Conseil d'État, 10ème - 9ème chambres réunies, 11 mars 2025, 499892


Vu la procédure suivante :



La Cimade Service œcuménique d'entraide (Cimade) et l'Association nationale d'assistance aux frontières pour les étrangers (ANAFE), à l'appui de leur demande présentée devant le tribunal administratif de Melun tendant, dans le dernier état de leurs écritures, à l'annulation des décisions du 20 décembre 2022 et du 19 août 2024 par lesquelles le directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) a fixé la liste des locaux agréés destinés à recevoir des demandeurs d'asile, demandeur

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Vu la procédure suivante :

La Cimade Service œcuménique d'entraide (Cimade) et l'Association nationale d'assistance aux frontières pour les étrangers (ANAFE), à l'appui de leur demande présentée devant le tribunal administratif de Melun tendant, dans le dernier état de leurs écritures, à l'annulation des décisions du 20 décembre 2022 et du 19 août 2024 par lesquelles le directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) a fixé la liste des locaux agréés destinés à recevoir des demandeurs d'asile, demandeurs du statut d'apatride, réfugiés ou bénéficiaires de la protection subsidiaire entendus dans le cadre d'un entretien personnel mené par l'OFPRA par un moyen de communication audiovisuelle, ont produit un mémoire, enregistré le 6 décembre 2024 au greffe de ce tribunal, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, par lequel ils soulèvent une question prioritaire de constitutionnalité.

Par une ordonnance n° 2302832 QPC du 19 décembre 2024, enregistrée le 19 décembre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le président de la huitième chambre du tribunal administratif de Melun, avant qu'il soit statué sur la requête de la Cimade et l'ANAFE, a décidé, par application des dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d'Etat la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution, d'une part, du premier alinéa de l'article L. 531- 21 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2020-1733 du 16 décembre 2020 et toujours en vigueur, d'autre part, des mots : " , ainsi que les cas et les conditions dans lesquels il peut se dérouler par un moyen de communication audiovisuelle pour des raisons tenant à l'éloignement géographique ou à la situation particulière du demandeur " figurant au second alinéa de ce même article L. 531-21 dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 16 décembre 2020 et antérieure à la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024, et, enfin, des mots : " , ainsi que les conditions dans lesquelles il peut se dérouler par un moyen de communication audiovisuelle pour des raisons tenant à l'éloignement géographique ou à la situation particulière du demandeur ou dans les cas prévus aux 1° et 2° de l'article L. 531-32 " figurant au second alinéa du même article L. 531-21 dans sa rédaction résultant de la loi du 26 janvier 2024.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 ;

- l'ordonnance n° 2020-1733 du 16 décembre 2020 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Emmanuel Weicheldinger, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Esther de Moustier, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de la Cimade et l'ANAFE ;

1. Il résulte des dispositions de l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel que, lorsqu'une juridiction relevant du Conseil d'Etat a transmis à ce dernier, en application de l'article 23-2 de cette même ordonnance, la question de la conformité à la Constitution d'une disposition législative, le Conseil constitutionnel est saisi de cette question de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

2. Aux termes du quatrième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, auquel renvoie le Préambule de la Constitution de 1958 : " Tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d'asile sur les territoires de la République ". La confidentialité des éléments d'information relatifs aux personnes sollicitant l'asile en France est une garantie essentielle du droit d'asile, principe de valeur constitutionnelle qui implique notamment que les demandeurs d'asile bénéficient d'une protection particulière.

3. Le premier alinéa de l'article L. 531-21 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 16 décembre 2020 portant partie législative du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que : " Les modalités d'organisation de l'entretien sont définies par le directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ". Dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 16 décembre 2020 et antérieure à l'entrée en vigueur de la loi du 26 janvier 2024 pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration, le second alinéa du même article renvoyait à un décret en Conseil d'Etat la fixation de certaines modalités de l'entretien personnel du demandeur d'asile prévu à l'article L. 531-12 du même code " , ainsi que les cas et les conditions dans lesquels il peut se dérouler par un moyen de communication audiovisuelle pour des raisons tenant à l'éloignement géographique ou à la situation particulière du demandeur ". Depuis l'entrée en vigueur de la loi du 26 janvier 2024, ces dispositions du second alinéa de l'article L. 531-21 ont été remplacées par les dispositions suivantes : " , ainsi que les conditions dans lesquelles il peut se dérouler par un moyen de communication audiovisuelle pour des raisons tenant à l'éloignement géographique ou à la situation particulière du demandeur ou dans les cas prévus aux 1° et 2° de l'article L. 531-32 ".

4. A l'appui de la question prioritaire de constitutionnalité qu'elles soulèvent, la Cimade et l'ANAFE soutiennent que les dispositions citées au point 3 privent de garanties légales l'exigence constitutionnelle du droit d'asile en ce qu'elles permettent que, dans certains cas, l'entretien personnel avec le demandeur d'asile puisse se dérouler par un moyen de communication audiovisuelle sans préciser que tant le local destiné à recevoir les demandeurs d'asile entendus selon cette modalité que le moyen de communication audiovisuelle auquel il est recouru doivent garantir la confidentialité de l'audition du demandeur d'asile et de sa transmission.

5. En premier lieu, aux termes du premier alinéa de l'article L. 121-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'Office français de protection des réfugiés et apatrides assure, en liaison avec les autorités administratives compétentes, le respect des garanties fondamentales offertes par le droit national, l'exécution des conventions, accords ou arrangements internationaux intéressant la protection des réfugiés sur le territoire de la République, et notamment la protection prévue par la convention de Genève du 28 juillet 1951 et par le protocole de New York du 31 janvier 1967 relatifs au statut des réfugiés ".

6. En second lieu, les articles L. 531-12 à L. 531-20 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile encadrent certaines modalités de réalisation de l'entretien personnel des demandeurs d'asile. Ainsi, selon l'article L. 531-12 de ce code, le demandeur est convoqué par tout moyen garantissant la confidentialité et la réception personnelle de cette convocation. De plus, en vertu de l'article L. 531-14 du même code, chaque demandeur majeur est entendu individuellement, hors la présence des membres de sa famille, un entretien complémentaire en présence des membres de la famille pouvant néanmoins être organisé par l'Office s'il l'estime nécessaire à l'examen approprié de la demande. Par ailleurs, en application de l'article L. 531-15 de ce code, le demandeur peut se présenter à l'entretien accompagné soit d'un avocat, soit d'un représentant d'une association habilitée par l'OFPRA, le troisième alinéa de l'article L. 531-16 du même code précisant que ce représentant ne peut divulguer le contenu de l'entretien, sans préjudice des nécessités tenant aux besoins d'une action contentieuse. Par ailleurs, lorsque, dans les cas précisés par décret en Conseil d'Etat, l'entretien a fait l'objet d'un enregistrement sonore, le demandeur d'asile peut, en vertu de l'article L. 531-20 de ce code, après la notification de la décision négative de l'Office sur sa demande et pour les besoins de l'exercice d'un recours contre cette décision, avoir accès à cet enregistrement dans des conditions sécurisées définies par arrêté du ministre chargé de l'asile. Le second alinéa du même article punit d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende le fait, pour toute personne, de diffuser cet enregistrement.

7. Il résulte, d'une part, des dispositions du premier alinéa de l'article L. 121-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que l'OFPRA assure, en liaison avec les autorités administratives compétentes, le respect des garanties fondamentales offertes par le droit national, au nombre desquelles figure la confidentialité des éléments d'information relatifs aux personnes sollicitant l'asile en France, quelles que soient les modalités d'organisation de l'entretien personnel dont elles bénéficient. Il ressort, d'autre part, des dispositions mentionnées au point 6, qui s'appliquent également lorsque l'entretien personnel se déroule par un moyen de communication audiovisuelle, que le législateur a prévu différentes garanties afin d'assurer la confidentialité des éléments d'information communiqués par le demandeur d'asile à l'Office au cours de l'entretien personnel.

8. Dans ces conditions, alors qu'il appartient en toute hypothèse à l'OFPRA de veiller à la garantie tenant à la confidentialité des éléments d'information relatifs aux demandeurs d'asile, la Cimade et l'ANAFE ne sont pas fondées à soutenir que les dispositions législatives qu'elles contestent, lesquelles se bornent à renvoyer au directeur général de l'OFPRA le soin de fixer les modalités d'organisation de l'entretien avec le demandeur d'asile, y compris lorsque celui-ci a lieu par un moyen de communication audiovisuelle, et à un décret en Conseil d'Etat le soin de déterminer les cas et les conditions dans lesquels cet entretien peut se dérouler par un tel moyen de communication, priveraient de garanties légales l'exigence constitutionnelle en cause, faute de rappeler que le local et le moyen de communication auquel il est recouru doivent garantir la confidentialité de l'entretien et de sa transmission.

9. Il résulte de ce qui précède que la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par les requérantes, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux. Par suite, il n'y a pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité transmise par le tribunal administratif de Melun.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la Cimade, à l'ANAFE et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel, au Premier ministre et au tribunal administratif de Melun.


Synthèse
Formation : 10ème - 9ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 499892
Date de la décision : 11/03/2025
Type de recours : Autres

Publications
Proposition de citation : CE, 11 mar. 2025, n° 499892
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Emmanuel Weicheldinger
Rapporteur public ?: Mme Esther de Moustier
Avocat(s) : SCP ROCHETEAU, UZAN-SARANO & GOULET

Origine de la décision
Date de l'import : 13/03/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2025:499892.20250311
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