Vu la procédure suivante :
L'association Coordination des associations et des particuliers pour la liberté de conscience a demandé au tribunal administratif de Paris, d'une part, d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite par laquelle la ministre de la culture a rejeté sa demande de communication de l'analyse complète réalisée par la direction centrale des renseignements généraux (DCRG), telle qu'elle a été transmise à la commission d'enquête parlementaire sur les sectes en vue de l'élaboration du rapport parlementaire n° 2468 enregistré à la présidence de l'Assemblée nationale le 22 décembre 1995, de la liste complète des sectes et de l'ensemble des documents administratifs transmis par la DCRG à la commission, ainsi que de l'ensemble des documents préparatoires à ce rapport et, d'autre part, d'enjoindre à la ministre de la culture de procéder à la communication demandée, dans un délai de deux mois.
Par un jugement n°2212366 du 2 février 2024, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 2 avril 2024, 2 juillet 2024 et 7 février 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Coordination des associations et des particuliers pour la liberté de conscience demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à sa demande ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 ;
- le code des relations du public avec l'administration ;
- le code du patrimoine ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Isabelle Lemesle, conseillère d'Etat,
- les conclusions de M. Frédéric Puigserver, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, au Cabinet Rousseau, Tapie, avocat de l'association Coordination des associations
Vu la note en délibéré, enregistrée le 11 février 2025, présentée par l'association Coordination des associations et des particuliers pour la liberté de conscience ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par un courrier du 14 janvier 2022, l'association Coordination des associations et des particuliers (CAP) pour la liberté de conscience a demandé au ministre de l'intérieur et des outre-mer de lui communiquer l'analyse complète réalisée par la direction centrale des renseignements généraux (DCRG), la liste complète des sectes et l'ensemble des documents administratifs transmis à la commission d'enquête sur les sectes en vue de l'élaboration du rapport parlementaire n° 2468 enregistré à la présidence de l'Assemblée nationale le 22 décembre 1995, ainsi que l'ensemble des documents préparatoires à ce rapport de la DCRG. Par un courrier du 6 avril 2022, le ministre de l'intérieur et des outre-mer a indiqué à l'association que les documents sollicités ayant été archivés, sa demande avait été transmise à la ministre de la culture et l'a invitée à prendre l'attache du service interministériel des archives de France du ministère de la culture, seul gestionnaire de l'accès à cette documentation, conformément au code du patrimoine. La Commission d'accès aux documents administratifs, saisie par l'association d'un refus implicite du ministre de l'intérieur et des outre-mer, a rappelé, dans l'avis qu'elle a rendu, qu'en application de l'article L. 231-1 du code du patrimoine, les documents qui, avant leur dépôt aux archives publiques, étaient librement communicables, le demeurent après ce dépôt, ainsi que les modalités de dépôt et d'accès aux archives publiques. Par un jugement du 2 février 2024 contre lequel l'association CAP pour la liberté de conscience se pourvoit en cassation, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision implicite née le 14 mai 2022 par laquelle la ministre de la culture n'a pas fait droit à sa demande de communication.
Sur le cadre juridique :
2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 300-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Le droit de toute personne à l'information est précisé et garanti par les dispositions des titres Ier, III et IV du présent livre en ce qui concerne la liberté d'accès aux documents administratifs ". Selon l'article L. 300-2 du même code : " Sont considérés comme documents administratifs, au sens des titres Ier, III et IV du présent livre, quels que soient leur date, leur lieu de conservation, leur forme et leur support, les documents produits ou reçus, dans le cadre de leur mission de service public, par l'Etat, les collectivités territoriales ainsi que par les autres personnes de droit public ou les personnes de droit privé chargées d'une telle mission. Constituent de tels documents notamment les dossiers, rapports, études, comptes rendus, procès-verbaux, statistiques, instructions, circulaires, notes et réponses ministérielles, correspondances, avis, prévisions, codes sources et décisions. / Les actes et documents produits ou reçus par les assemblées parlementaires sont régis par l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires ". L'article L. 311-1 de ce code prévoit : " Sous réserve des dispositions des articles L. 311-5 et L. 311-6, les administrations mentionnées à l'article L. 300-2 sont tenues (...) de communiquer les documents administratifs qu'elles détiennent aux personnes qui en font la demande, dans les conditions prévues par le présent livre ". Selon le 5e alinéa de l'article L. 311-2 du même code : Le dépôt aux archives publiques des documents administratifs communicables aux termes du présent chapitre ne fait pas obstacle au droit à communication à tout moment desdits documents ".
3. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 311-8 du code des relations entre le public et l'administration : " Les documents administratifs non communicables au sens du présent chapitre deviennent communicables au terme des délais et dans les conditions fixés par les articles L. 213-1 et L. 213-2 du code du patrimoine. Avant l'expiration de ces délais et par dérogation aux dispositions du présent article, la consultation de ces documents peut être autorisée dans les conditions prévues par l'article L. 213-3 du même code (...) ". L'article L. 211-4 du code du patrimoine dispose : " Les archives publiques sont : / 1° Les documents qui procèdent de l'activité de l'Etat, des collectivités territoriales, des établissements publics et des autres personnes morales de droit public. Les actes et documents des assemblées parlementaires sont régis par l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires ; / (...) ". Selon l'article L. 213-1 de ce code: " Les archives publiques sont, sous réserve des dispositions de l'article L. 213-2, communicables de plein droit (...) ". En vertu du I de l'article L. 213-2 du même code, par dérogation aux dispositions de l'article L. 213-1, les archives publiques sont communicables de plein droit à l'expiration, selon les catégories de documents et dans les conditions précisées par ces dispositions, d'un délai de vingt-cinq ans, de cinquante ans, de soixante-quinze ans ou de cent ans. Aux termes du II de ce même article : " Ne peuvent être consultées les archives publiques dont la communication est susceptible d'entraîner la diffusion d'informations permettant de concevoir, fabriquer, utiliser ou localiser des armes nucléaires, radiologiques, biologiques, chimiques ou toutes autres armes ayant des effets directs ou indirects de destruction d'un niveau analogue ". Le III de cet article prévoit les modalités dans lesquelles la mesure de classification mentionnée à l'article 413-9 du code pénal prend fin. En outre, en vertu du premier alinéa du I de l'article L. 213-3 du code du patrimoine, l'autorisation de consultation de documents d'archives publiques avant l'expiration des délais fixés au I de l'article L. 213-2 peut être accordée aux personnes qui en font la demande dans la mesure où l'intérêt qui s'attache à la consultation de ces documents ne conduit pas à porter une atteinte excessive aux intérêts que la loi a entendu protéger. En vertu du II de cet article, l'administration des archives peut également, après accord de l'autorité dont émanent les documents, décider l'ouverture anticipée de fonds ou parties de fonds d'archives publiques. Et aux termes du III de cet article : " L'article 226-13 du code pénal n'est pas applicable aux procédures d'ouverture anticipée des archives publiques prévues aux I et II du présent article ".
4. En troisième lieu, selon le dernier alinéa du IV de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires : " Sera punie des peines prévues à l'article 226-13 du code pénal toute personne qui, dans un délai de vingt-cinq ans, sous réserve des délais plus longs prévus à l'article L. 213-2 du code du patrimoine, divulguera ou publiera une information relative aux travaux non publics d'une commission d'enquête, sauf si le rapport publié à la fin des travaux de la commission a fait état de cette information ". L'article 7 bis de cette ordonnance dispose que : " Chaque assemblée parlementaire est propriétaire de ses archives et responsable de leur conservation et de leur mise en valeur. Elle détermine les conditions dans lesquelles ses archives sont collectées, conservées, classées et communiquées ".
5. Il résulte de l'ensemble de ces dispositions, en premier lieu, que les demandes de communication de documents adressées aux assemblées parlementaires sont exclusivement régies par l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires. En second lieu, s'agissant des demandes de communication adressées aux personnes mentionnées au premier alinéa de l'article L. 300-2 du code des relations entre le public et l'administration cité au point 2, ne constituent pas des documents administratifs au sens de ces dispositions mais, en vertu du second alinéa du même article, sont des documents parlementaires régis exclusivement par les dispositions de cette ordonnance, d'une part, les documents produits par ces assemblées, qu'ils se rattachent à leur mission constitutionnelle ou constituent, pour elles, des actes d'administration et, d'autre part, les documents reçus par ces assemblées après avoir été, à leur demande, notamment pour les besoins d'une commission d'enquête ou des services administratifs des assemblées, produits spécialement par ces personnes dans le cadre de leur mission de service public. Il en va de même pour tous les documents qui ne sont pas dissociables de ceux spécialement élaborés pour les assemblées parlementaires.
6. En revanche, les autres documents produits ou reçus, dans le cadre de leur mission de service public, par les personnes morales mentionnées au premier alinéa de l'article L. 300-2 du code des relations entre le public avec l'administration précité, ne perdent pas, du seul fait qu'ils se trouvent également détenus par une assemblée parlementaire, en-dehors des hypothèses mentionnées au point précédent, leur caractère de documents administratifs communicables par ces personnes, dans les conditions de droit commun résultant du régime d'accès aux documents administratifs défini par le code des relations entre le public et l'administration ou, par l'autorité responsable du service des archives qui les conserve, après leur dépôt, selon le régime de communication des archives publiques défini au code du patrimoine.
Sur le pourvoi :
7. Pour rejeter la demande de l'association CAP pour la liberté de conscience, tendant à contester le refus opposé par la ministre de la culture à sa demande de communication des documents mentionnés au point 1, déposés par le ministère de l'intérieur aux Archives nationales, le tribunal administratif a retenu que l'association ne pouvait utilement se prévaloir de ce que les documents en cause étaient librement communicables en application des dispositions du code des relations entre le public et l'administration, dès lors qu'ils avaient été archivés, qu'ils relevaient désormais des dispositions de l'article L. 213-3 du code du patrimoine et qu'au surplus elle n'établissait ni même n'alléguait avoir effectué une demande d'accès anticipé dérogatoire en application de ces dispositions. En statuant ainsi, alors qu'en principe un document qui, avant son dépôt aux archives publiques est librement communicable, le demeure après ce dépôt, en vertu 5e alinéa L. 311-2 du code des relations entre le public et l'administration cité au point 2, le tribunal administratif a entaché son jugement d'erreur de droit. Il s'ensuit que l'association CAP pour la liberté de conscience est fondée à en demander l'annulation.
8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.
9. Il ressort des pièces du dossier que, le 4 juillet 2022, la cheffe du service interministériel des archives de France a transmis à l'association requérante une liste de dossiers conservés aux Archives nationales susceptibles de répondre à sa demande de communication, tout en précisant qu'ils n'étaient pas librement communicables dans la mesure où leur contenu portait atteinte à un ou plusieurs secrets protégés au titre de l'article L. 213-2 du code du patrimoine et l'invitant, le cas échéant, à faire une demande de communication anticipée sur le fondement de l'article L. 213-3 du même code. L'association n'a pas donné suite à cette invitation.
10. Pour établir que la décision attaquée était légale, la ministre de la culture invoque, dans son mémoire en défense devant le tribunal administratif, un autre motif tiré de ce qu'il ne pouvait être procédé à la communication demandée dès lors qu'elle portait sur des actes parlementaires soumis à l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires.
11. L'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée, est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative, il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.
12. Il ressort des pièces du dossier que le rapport établi par la DCRG, mentionné au point 1, dont la communication a été demandée par l'association requérante, a été spécialement élaboré à la demande de la commission d'enquête sur les sectes à laquelle il a été transmis et que les autres pièces sollicitées, à savoir l'ensemble des documents réalisés par la DCRG, une liste complète des sectes et l'ensemble des documents préparatoires au rapport de la DCRG, n'en sont pas dissociables. Il s'ensuit que ces documents reçus par l'Assemblée nationale ne présentent pas, en l'espèce, le caractère de documents administratifs au sens du premier alinéa de l'article L. 300-2 du code des relations entre le public et l'administration mais celui de documents parlementaires au sens du second alinéa du même article. Dès lors, leur communication est régie exclusivement par les dispositions de l'ordonnance du 17 novembre 1958. Il en résulte qu'il y a lieu de procéder à la substitution de motif demandée.
13. Il suit de là que l'association CAP pour la liberté de conscience n'est pas fondée à demander l'annulation de la décision qu'elle attaque.
14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance.
D E C I D E :
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Article 1er : Le jugement du 18 janvier 2024 du tribunal administratif de Paris est annulé.
Article 2 : La demande de l'association CAP pour la liberté de conscience est rejetée.
Article 3 : Les conclusions de l'association CAP pour la liberté de conscience au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à l'association Coordination des associations et des particuliers pour la liberté de conscience, au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et à la ministre de la culture.
Délibéré à l'issue de la séance du 10 février 2025 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; M. Olivier Yeznikian, M. Nicolas Polge, M. Vincent Daumas, conseillers d'Etat, M. Philippe Baschschmidt, maître des requêtes, M. Jérôme Goldenberg, conseiller d'Etat en service extraordinaire et Mme Isabelle Lemesle, conseillère d'Etat-rapporteure.
Rendu le 7 mars 2025.
Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
La rapporteure :
Signé : Mme Isabelle Lemesle
La secrétaire :
Signé : Mme Sylvie Leporcq