Vu la procédure suivante :
La société Lib Industries a demandé au tribunal administratif de Nîmes de condamner l'État à lui verser la somme de 311 484,15 euros, en réparation des pertes d'exploitation subies entre novembre et décembre 2018 du fait des barrages routiers menés par des membres du mouvement dit des " gilets jaunes " à Nîmes, au niveau des deux ronds-points desservant la zone industrielle Saint-Césaire dans laquelle est implantée une usine qu'elle exploite. Par un jugement n° 1903059 du 30 septembre 2021, ce tribunal a rejeté sa demande.
Par un arrêt n° 21TL04565 du 7 mars 2023, la cour administrative d'appel de Toulouse a rejeté l'appel formé par la société Lib Industries contre ce jugement.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 9 mai et 26 juillet 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, la société Lib Industries demande au Conseil d'État :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;
3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de la route ;
- le code de la sécurité intérieure ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Cyrille Beaufils, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Maxime Boutron, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à Me Carbonnier, avocat de la société Lib Industries ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, dans le cadre du mouvement national dit des " gilets jaunes ", des barrages ont été installés à plusieurs reprises, entre le 20 novembre et le 19 décembre 2018, par des manifestants au niveau de deux ronds-points afin de bloquer, pour les poids-lourds, l'accès à la zone industrielle de Saint-Césaire à Nîmes dans laquelle sont situées une usine de la société Lib Industries ainsi qu'une plateforme logistique d'une enseigne de grande distribution. Alléguant de pertes d'exploitation subies du fait de ce blocage, la société Lib Industries a formé auprès de la préfète du Gard, le 27 mars 2019, une demande tendant à ce que l'Etat l'indemnise de ce préjudice, que celle-ci a rejetée par une lettre du 11 juillet 2019. La société Lib Industries a alors demandé au tribunal administratif de Nîmes de condamner l'État à lui verser la somme de 311 481,15 euros. Elle se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 7 mars 2023 de la cour administrative d'appel de Toulouse rejetant son appel contre le jugement du 30 septembre 2021 par lequel le tribunal administratif de Nîmes a rejeté cette demande.
2. Aux termes de l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure : " L'État est civilement responsable des dégâts et dommages résultant des crimes et délits commis, à force ouverte ou par violence, par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés, soit contre les personnes, soit contre les biens. (...) ".
3. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que les actions de blocage et de filtrage de la circulation en cause ont été menées par une dizaine à une quarantaine de manifestants, revêtus de gilets jaunes, qui ont mis en place des barrages, à l'aide de camions, de palettes et de pneus ou encore de divers objets, pour filtrer le passage, en interdisant l'accès aux poids-lourds transportant des marchandises ou en l'autorisant seulement pendant une tranche horaire restreinte. Il en ressort également que ces actions, qui se sont prolongées pendant près d'un mois malgré plusieurs interventions des forces de police, s'inscrivaient dans le cadre d'un mouvement national de contestation annoncé plusieurs semaines avant les faits, notamment sur des réseaux sociaux, et qui a conduit à la mise en place de nombreux barrages routiers sur l'ensemble du territoire. Il en ressort enfin que ces actions, qui avaient pour motif l'expression d'un mécontentement, n'avaient pas pour principal objet la réalisation des dommages causés à la société requérante et aux autres personnes affectées par ces blocages. Par suite, en estimant que les préjudices invoqués par la société Lib Industries ne pouvaient être regardés comme imputables à un attroupement ou à un rassemblement au sens des dispositions précitées de l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure, la cour a inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis.
4. Il résulte ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, que la société Lib Industries est fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque.
5. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à la société Lib Industries au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 7 mars 2023 de la cour administrative d'appel de Toulouse est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Toulouse.
Article 3 : L'Etat versera à la société Lib Industries la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société Lib Industries et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.