Vu la procédure suivante :
La société Sanef a demandé au tribunal administratif de Lille de condamner l'Etat à l'indemniser des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait d'attroupements le 12 septembre 2017 en lui versant une somme de 118 663,86 euros hors taxes. Par un jugement n° 1901292 du 5 février 2021, ce tribunal a rejeté sa demande.
Par un arrêt n° 21DA00568 du 15 décembre 2022, la cour administrative d'appel de Douai a rejeté l'appel formé par la société Sanef contre ce jugement.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 20 février et 22 mai 2023 et le 4 octobre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Sanef demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de la sécurité intérieure ;
- le code de la route ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Cyrille Beaufils, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Maxime Boutron, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à Me Carbonnier, avocat de la société Sanef ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Sanef a recherché, sur le fondement des dispositions de l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure, la réparation par l'Etat de dommages imputés à des actions de ralentissement, de filtrage et de blocage de la circulation conduites le 12 septembre 2017 sur l'autoroute A1 par des commerçants forains. La société requérante se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 15 décembre 2022 par lequel la cour administrative d'appel de Douai a rejeté l'appel qu'elle avait formé contre le jugement du tribunal administratif de Lille rejetant sa demande.
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2. Aux termes de l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure : " L'Etat est civilement responsable des dégâts et dommages résultant des crimes et délits commis, à force ouverte ou par violence, par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés, soit contre les personnes, soit contre les biens (...) ".
3. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l'action conduite le 12 septembre 2017 sur l'autoroute A1 par des commerçants forains a consisté en une succession d'" opérations escargot ", de blocages et de filtrages de la circulation au niveau des péages et qu'elle a réuni une centaine de manifestants ainsi que deux convois composés de poids-lourds, tracteurs et véhicules légers. Il en ressort également que cette action, dont l'organisation avait été signalée la veille à la société exploitante par les services de renseignement, s'est prolongée pendant plus de dix heures et s'est organisée de façon visible par le rassemblement des véhicules sur le parking d'une zone commerciale avant de cheminer à vitesse réduite vers la portion d'autoroute et les gares de péage affectées. Il en ressort enfin que ces actions, qui avaient pour motif l'expression d'une opposition à une réforme des conditions d'attribution des autorisations d'occuper le domaine public communal, n'avaient pas pour objet principal la réalisation des dommages causés à la société requérante et aux autres personnes affectées par ces blocages. Par suite, en estimant que les préjudices invoqués par la société Sanef ne pouvaient être regardés comme imputables à un attroupement ou à un rassemblement au sens des dispositions précitées de l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure, la cour a inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis.
4. Il résulte ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'autre moyen du pourvoi, que la société Sanef est fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque.
5. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à la société Sanef au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Douai du 15 décembre 2022 est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Douai.
Article 3 : L'Etat versera à la Sanef la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société Sanef et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.