Vu la procédure suivante :
Mme B... A..., à l'appui de sa demande tendant à l'annulation de la décision du 10 juin 2024 par laquelle le directeur du centre hospitalier universitaire de Caen lui a refusé la poursuite de son parcours de procréation médicalement assistée et notamment l'implantation des embryons qui y sont conservés, a produit un mémoire enregistré le 24 septembre 2024 au greffe du tribunal administratif de Caen, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, par lequel elle soulève une question prioritaire de constitutionnalité.
Par une ordonnance n° 2401738 du 8 novembre 2024, enregistrée le 6 décembre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le président de la 1ère chambre du tribunal administratif de Caen, avant qu'il soit statué sur la demande de Mme A..., a décidé, par application des dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d'Etat la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du 1° du quatrième alinéa de l'article L. 2141-2 du code de la santé publique.
Dans la question prioritaire de constitutionnalité transmise et dans un mémoire enregistré le 6 janvier 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme A... soutient que les dispositions du 1° du quatrième alinéa de l'article L. 2141-2 du code de la santé publique, applicables au litige, méconnaissent les articles 2 et 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 et le dixième alinéa du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code de la santé publique ;
- la loi n° 2021-1017 du 2 août 2021 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Isabelle Tison, conseillère d'Etat,
- les conclusions de M. Mathieu Le Coq, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Poupet, Kacenelenbogen, avocat de Mme A... ;
Considérant ce qui suit :
1. Il résulte des dispositions de l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel que, lorsqu'une juridiction relevant du Conseil d'Etat a transmis à ce dernier, en application de l'article 23-2 de cette même ordonnance, la question de la conformité à la Constitution d'une disposition législative, le Conseil constitutionnel est saisi de cette question de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.
2. Mme A... soutient que le 1° du quatrième alinéa de l'article L. 2141-2 du code de la santé publique méconnaît les articles 2 et 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 et le dixième alinéa du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946.
3. Aux termes de l'article L. 2141-2 du code de la santé publique, dans sa rédaction issue de l'article 1er de la loi du 2 août 2021 relative à la bioéthique : " L'assistance médicale à la procréation est destinée à répondre à un projet parental. Tout couple formé d'un homme et d'une femme ou de deux femmes ou toute femme non mariée ont accès à l'assistance médicale à la procréation après les entretiens particuliers des demandeurs avec les membres de l'équipe médicale clinicobiologique pluridisciplinaire effectués selon les modalités prévues à l'article L. 2141-10. / Cet accès ne peut faire l'objet d'aucune différence de traitement, notamment au regard du statut matrimonial ou de l'orientation sexuelle des demandeurs. / Les deux membres du couple ou la femme non mariée doivent consentir préalablement à l'insémination artificielle ou au transfert des embryons. / Lorsqu'il s'agit d'un couple, font obstacle à l'insémination ou au transfert des embryons : / 1° Le décès d'un des membres du couple (...) ".
4. Si, avant l'entrée en vigueur de la loi du 2 août 2021, l'assistance médicale à la procréation avait pour objet de remédier à l'infertilité d'un couple ou d'éviter la transmission à l'enfant ou à un membre du couple d'une maladie d'une particulière gravité, il résulte des dispositions précitées issues de cette loi qu'elle est désormais destinée à répondre à un projet parental et que, lorsque ce projet parental est celui d'un couple, les deux membres du couple doivent consentir préalablement à l'insémination artificielle ou au transfert des embryons. Il en résulte également qu'en cas de décès d'un membre du couple, le projet parental disparaît et il ne peut être procédé à l'insémination artificielle ou au transfert des embryons conçus in vitro dans le cadre et selon les objectifs d'une assistance médicale à la procréation destinée à répondre à ce projet parental.
5. D'une part, l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen dispose que : " Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'Homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l'oppression. ", la liberté proclamée à cet article impliquant le droit au respect de la vie privée. D'autre part, le dixième alinéa du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 dispose que : " La Nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement " et garantit le droit de mener une vie familiale normale.
6. En édictant, au 1° du quatrième alinéa de l'article L. 2141-2 du code de la santé publique, l'interdiction, pour la femme d'un couple dont le conjoint est décédé, de poursuivre, par transfert des embryons du couple, le projet parental du couple que l'assistance médicale à la procréation était destinée à mettre en œuvre, le législateur a entendu tenir compte de ce qu'au regard de l'objet, rappelé au point 4, désormais conféré à l'assistance médicale à la procréation, la situation d'une femme, membre d'un couple ayant conçu en commun un projet parental, dont la poursuite est subordonnée au maintien de ce projet, du consentement des deux membres du couple et de leurs liens de couple, interrompu par le décès du conjoint, destiné à devenir parent de l'enfant, est différente de celle d'une femme non mariée qui a conçu seule, dès l'origine, un projet parental à l'issue duquel l'enfant n'aura qu'une filiation maternelle. Il ne peut en tout état de cause être regardé comme ayant, ce faisant, dans l'exercice de sa compétence, méconnu le droit au respect de la vie privée garanti par l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ou le droit à une vie familiale normale garanti par le dixième alinéa du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946.
7. Enfin, le grief tiré de la méconnaissance par les dispositions contestées du principe d'égalité devant la loi résultant de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen n'a pas été soumis au tribunal administratif par la question prioritaire de constitutionnalité transmise en l'espèce et ne peut être présenté pour la première fois devant le Conseil d'État, saisi, en application de l'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958, d'une ordonnance de transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité tirée de la méconnaissance d'autres dispositions ou principes constitutionnels.
8. Il résulte de tout ce qui précède que la question de constitutionnalité soulevée par Mme A..., qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux. Il n'y a, par suite, pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.
D E C I D E :
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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité transmise par le tribunal administratif de Caen.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à Mme B... A... et à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles.
Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel, au Premier ministre, au centre hospitalier universitaire de Caen ainsi qu'au tribunal administratif de Caen.
Délibéré à l'issue de la séance du 6 février 2025 où siégeaient : M. Jean Luc Nevache, conseiller d'Etat, présidant ; M. Edouard Geffray, conseiller d'Etat et Mme Isabelle Tison, conseillère d'Etat-rapporteure.
Rendu le 25 février 2025.
Le président :
Signé : M. Jean-Luc Nevache
La rapporteure :
Signé : Mme Isabelle Tison
La secrétaire :
Signé : Mme Paule Troly