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14/02/2025 | FRANCE | N°494875

France | France, Conseil d'État, 5ème chambre, 14 février 2025, 494875


Vu la procédure suivante :



Mme B... A... a demandé au juge des référés du tribunal administratif d'Orléans de suspendre, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, l'exécution de la décision du 26 février 2024 par laquelle le département du Loir-et-Cher a déclaré mettre fin à sa prise en charge et à celle de ses enfants au titre de l'hébergement d'urgence à compter du 1er avril 2024, et d'enjoindre au département du Loir-et-Cher de poursuivre cette prise en charge. Par une ordonnance n° 2401260 du 17 avril 2024, le j

uge des référés a rejeté sa demande.



Par un pourvoi sommair...

Vu la procédure suivante :

Mme B... A... a demandé au juge des référés du tribunal administratif d'Orléans de suspendre, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, l'exécution de la décision du 26 février 2024 par laquelle le département du Loir-et-Cher a déclaré mettre fin à sa prise en charge et à celle de ses enfants au titre de l'hébergement d'urgence à compter du 1er avril 2024, et d'enjoindre au département du Loir-et-Cher de poursuivre cette prise en charge. Par une ordonnance n° 2401260 du 17 avril 2024, le juge des référés a rejeté sa demande.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés les 5 et 20 juin 2024 et le 8 janvier 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme A... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) statuant en référé, de faire droit à sa demande ;

3°) de mettre à la charge du département du Loir-et-Cher la somme de 2 000 euros à verser à la SCP Celice, Texidor, Périer, son avocat, au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de l'action sociale et des familles ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Jean-Dominique Langlais, conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Florian Roussel, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de Mme A... et de la Cimade et à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat du département du Loir-et-Cher.

Considérant ce qui suit :

Sur l'intervention de la Cimade :

1. La Cimade justifie d'un intérêt suffisant à l'annulation de l'arrêt attaqué. Ainsi, son intervention est recevable.

Sur le pourvoi de Mme A... :

2. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".

3. Aux termes de l'article L. 222-5 du code de l'action sociale et des familles : " Sont pris en charge par le service de l'aide sociale à l'enfance sur décision du président du conseil départemental : / (...) 4° Les femmes enceintes et les mères isolées avec leurs enfants de moins de trois ans qui ont besoin d'un soutien matériel et psychologique, notamment parce qu'elles sont sans domicile (...) ".

4. Lorsqu'il statue sur un recours dirigé contre une décision refusant une prise en charge par le service de l'aide sociale à l'enfance, il appartient au juge administratif, eu égard tant à la finalité de son intervention qu'à sa qualité de juge de plein contentieux, non de se prononcer sur les éventuels vices propres de la décision attaquée, mais d'examiner la situation de l'intéressé, en tenant compte de l'ensemble des circonstances de fait qui résultent de l'instruction et, notamment, du dossier qui lui est communiqué en application de l'article R. 772-8 du code de justice administrative. Au vu de ces éléments, il lui appartient d'annuler, s'il y a lieu, cette décision en accueillant lui-même la demande de l'intéressé s'il apparaît, à la date à laquelle il statue, eu égard à la marge d'appréciation dont dispose le président du conseil départemental dans leur mise en œuvre, qu'un défaut de prise en charge conduirait à une méconnaissance des dispositions du code de l'action sociale et des familles relatives à la protection de l'enfance et en renvoyant l'intéressé devant l'administration afin qu'elle précise les modalités de cette prise en charge sur la base des motifs de son jugement. Saisi d'une demande de suspension de l'exécution d'une telle décision, il appartient, ainsi, au juge des référés de rechercher si, à la date à laquelle il se prononce, ces éléments font apparaître, en dépit de cette marge d'appréciation, un doute sérieux quant à la légalité d'un défaut de prise en charge.

5. Mme A... se pourvoit en cassation contre l'ordonnance du 12 avril 2024 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif d'Orléans a refusé de suspendre, sur le fondement des dispositions citées ci-dessus de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, l'exécution de la décision du 26 février 2024 par laquelle le département du Loir-et-Cher, a, au motif qu'elle ne présentait pas la qualité de mère isolée pour l'application des dispositions citées ci-dessus du 4° de l'article L. 222-5 du code de l'action sociale et des familles, mis fin à sa prise en charge et à celle de ses enfants au titre de l'hébergement d'urgence à compter du 1er avril 2024.

6. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que Mme A..., qui est dépourvue de domicile ainsi que d'emploi et de tout lien avec sa famille en Côte-d'Ivoire, a vu son hébergement pris en charge à partir de mars 2022 par le département du Loir-et-Cher au titre de l'aide sociale à l'enfance en qualité de mère isolée d'enfant de moins de trois ans. Elle vit avec ses trois enfants nés respectivement, pour le premier en Allemagne en 2019 d'un père avec lequel elle ne conserve aucune relation et, pour les deux autres en France en 2021 et 2024 du même père, qui les a reconnus mais qui vit en région parisienne, à 160 kilomètres de distance, et avec lequel elle n'a jamais entretenu de vie commune. Si la décision mettant fin à cette prise en charge par l'aide sociale à l'enfance dont elle a demandé au juge des référés de suspendre l'exécution se fonde, au motif qu'est né en 2024 un enfant du même père que l'enfant né en 2021, sur ce que sa situation de mère isolée ne serait pas avérée, cette situation de mère isolée ressort toutefois des pièces du dossier soumis au juge des référés, eu égard, d'une part, aux termes du jugement du tribunal aux affaires familiales de Blois du 1er juin 2023 qui, en fixant une pension alimentaire de 120 euros par mois, a fixé à seulement 4 heures par mois le droit de visite du père de son enfant alors que Mme A... demandait l'autorité parentale exclusive sur son fils en raison de l'absence totale d'implication du père, qui n'était ni présent ni représenté à la procédure, dans l'éducation de son enfant et, d'autre part, aux termes de la note sociale du 26 février 2024, qui relève que le père n'exerce ce droit de visite que de manière occasionnelle. Il en résulte qu'en estimant que le moyen tiré de ce que le département du Loir-et-Cher aurait méconnu les dispositions du 4° de l'article L. 222-5 du code de l'action sociale et des familles en déniant à l'intéressée la qualité de mère isolée et en mettant fin, pour ce motif, à sa prise en charge et à celle de ses enfants n'était pas de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de la décision dont la suspension était demandée, le juge des référés a dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis.

7. Il y a lieu, par suite, d'annuler son ordonnance et, dans les circonstances de l'espèce, de statuer sur la demande de suspension en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

Sur les conclusions aux fins de suspension :

8. Eu égard à l'absence de ressources matérielles de Mme A..., à sa situation d'isolement social et à la circonstance, non contestée, qu'il ne lui pas été possible d'obtenir d'autre modalité d'hébergement pour elle et ses jeunes enfants, la condition d'urgence posée par les dispositions de l'article L. 521-1 du code de justice administrative doit être regardée comme remplie.

9. Il résulte de ce qui est dit au point 5 de la présente décision que le moyen tiré que le département du Loir-et-Cher a méconnu les dispositions du 4° de l'article L. 222-5 du code de l'action sociale et des familles en déniant à l'intéressée la qualité de mère isolée et en mettant fin, pour ce motif, à sa prise en charge et à celle de ses enfants est, en l'état de l'instruction, de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée.

10. Il y a lieu, par suite, de suspendre l'exécution de la décision en litige.

Sur les conclusions aux fins d'injonction :

11. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. "

12. La suspension prononcée au point 8 de la présente décision implique nécessairement que le département du Loir-et-Cher assure la prise en charge de Mme A... et de ses enfants par le service de l'aide sociale à l'enfance jusqu'à ce qu'il soit statué au fond sur la légalité de la décision du 26 février 2024, sans qu'il y ait lieu de prévoir que cette prise en charge se fasse dans l'établissement hôtelier désigné par Mme A.... Il est enjoint au département de reprendre cette prise en charge dans un délai de 15 jours à compter de la notification de la présente décision.

13. Mme A... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de Mme A..., renonce à percevoir la somme correspondante à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge du département du Loir-et-Cher la somme de 2 000 euros à verser à la SCP Célice, Texidor, Périer. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font en revanche obstacle à ce que la somme demandée par le département du Loir-et-Cher soit mise à la charge de Mme A..., qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'intervention de la Cimade est admise.

Article 2 : L'ordonnance du 12 avril 2024 du juge des référés du tribunal administratif d'Orléans est annulée.

Article 3 : L'exécution de la décision du 26 février 2024 par laquelle le département du Loir-et-Cher a déclaré mettre fin à la prise en charge de Mme A... et de ses enfants au titre de l'hébergement d'urgence à compter du 1er avril 2024 est suspendue.

Article 4 : Il est enjoint au département du Loir-et-Cher de reprendre la prise en charge de Mme A... et de ses enfants par le service de l'aide sociale à l'enfance dans un délai de 15 jours à compter de la notification de la présente décision et jusqu'à ce qu'il soit statué au fond sur la légalité de la décision du 26 février 2024.

Article 5 : Le département du Loir-et-Cher versera la somme de 2 000 euros à la SCP Célice, Texidor, Périer en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que cette société renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.

Article 6 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 7 : La présente décision sera notifiée à Mme B... A..., au département du Loir-et-Cher et à l'association Comité Inter-Mouvements Auprès des Evacués.

Délibéré à l'issue de la séance du 14 janvier 2025 où siégeaient : M. Jean-Philippe Mochon, président de chambre, présidant ; M. Alain Seban, conseiller d'Etat et M. Jean-Dominique Langlais, conseiller d'Etat-rapporteur.

Rendu le 14 février 2025.

Le président :

Signé : M. Jean-Philippe Mochon

Le rapporteur :

Signé : M. Jean-Dominique Langlais

La secrétaire :

Signé : Mme Nathalie Pilet


Synthèse
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 494875
Date de la décision : 14/02/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 14 fév. 2025, n° 494875
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Jean-Dominique Langlais
Rapporteur public ?: M. Florian Roussel
Avocat(s) : SCP WAQUET, FARGE, HAZAN, FELIERS ; SCP CELICE, TEXIDOR, PERIER

Origine de la décision
Date de l'import : 16/02/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2025:494875.20250214
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