Vu la procédure suivante :
Par une requête sommaire et un mémoire complémentaire enregistrés les 19 juin 2023 et 1er mars 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mmes A... F... et G... H... demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler, d'une part, la délibération du 7 avril 2023 de la commission scientifique de l'Institut d'études politiques (IEP) de Lyon, d'autre part, la délibération du 19 avril 2023 du conseil d'administration siégeant en formation restreinte de l'IEP de Lyon, ainsi que le courriel du 20 avril 2023 de la directrice de l'IEP les informant de l'interruption de la procédure de recrutement ;
2°) d'enjoindre à l'IEP de Lyon d'engager une nouvelle procédure de recrutement ;
3°) de mettre à la charge de l'IEP de Lyon la somme de 2 000 euros à verser à chacune d'elles au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'éducation ;
- le code général de la fonction publique ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le décret n° 84-431 du 6 juin 1984 ;
- le décret n° 89-902 du 18 décembre 1989 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Laurent Cabrera, conseiller d'Etat,
- les conclusions de M. Raphaël Chambon, assesseur ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, Rameix, avocat de l'Institut d'études politiques de Lyon ;
Considérant ce qui suit :
1. D'une part, aux termes de l'article 9-2 du décret du 6 juin 1984 fixant les dispositions statutaires communes applicables aux enseignants-chercheurs et portant statut particulier du corps des professeurs des universités et du corps des maîtres de conférences : " (...) le comité de sélection délibère sur les candidatures et, par un avis motivé unique portant sur l'ensemble des candidats, arrête la liste, classée par ordre de préférence, de ceux qu'il retient. (...) L'avis du comité de sélection est transmis au conseil académique ou à l'organe compétent pour exercer les attributions mentionnées au IV de l'article L. 712-6-1 du code de l'éducation. Au vu de l'avis motivé émis par le comité de sélection, le conseil académique ou l'organe compétent pour exercer les attributions mentionnées au IV de l'article L. 712-6-1 du code de l'éducation, siégeant en formation restreinte aux enseignants-chercheurs et personnels assimilés de rang au moins égal à celui postulé, propose le nom du candidat sélectionné ou, le cas échéant, une liste de candidats classés par ordre de préférence. Il ne peut proposer que les candidats retenus par le comité de sélection. En aucun cas, il ne peut modifier l'ordre de la liste de classement. (...) ". L'article 9-3 du même décret dispose que, par dérogation à la procédure de recrutement des enseignants-chercheurs prévue par son article 9-2 : " (...) le conseil académique ou l'organe compétent pour exercer les attributions mentionnées au IV de l'article L. 712-6-1, en formation restreinte, examine les candidatures à la mutation et au détachement des personnes qui remplissent les conditions prévues aux articles 60 et 62 de la loi du 11 janvier 1984 susvisée, sans examen par le comité de sélection. Si le conseil académique retient une candidature, il transmet le nom du candidat sélectionné au conseil d'administration. Lorsque l'examen de la candidature ainsi transmise conduit le conseil d'administration à émettre un avis favorable sur cette candidature, le nom du candidat retenu est communiqué au ministre chargé de l'enseignement supérieur. L'avis défavorable du conseil d'administration est motivé. / Lorsque la procédure prévue au premier alinéa n'a pas permis de communiquer un nom au ministre chargé de l'enseignement supérieur, les candidatures qui n'ont pas été retenues par le conseil académique ou qui ont fait l'objet d'un avis défavorable du conseil d'administration sont examinées avec les autres candidatures par le comité de sélection selon la procédure prévue à l'article 9-2 ".
2. D'autre part, le règlement intérieur de l'Institut d'études politiques (IEP) de Lyon, pris en application du décret du 18 décembre 1989 relatif aux instituts d'études politiques dotés d'un statut d'établissement public administratif, établissements-composantes ou associés à une université ou à une communauté d'universités et établissements, prévoit, en ses articles 22 et 24.3, que le conseil scientifique et le conseil d'administration en formation restreinte de l'établissement délibèrent sur les questions individuelles relatives au recrutement des enseignants-chercheurs. Il s'ensuit qu'il leur revient notamment de se prononcer, en lieu et place du comité académique et du conseil d'administration mentionnés aux dispositions citées au point précédent, sur la candidature d'un professeur des universités à la mutation.
3. Il ressort des pièces du dossier que l'IEP de Lyon a ouvert au recrutement, sous le n° 4090, un poste de professeur des universités en " sociologie politique de l'État, des institutions, de l'action publique ", à pourvoir à compter du 1er septembre 2023. Mme B..., professeure des universités en sociologie à l'université de Bourgogne, a présenté une candidature sur ce poste par voie de mutation pour rapprochement de conjoints en application des dispositions de l'article 9-3 du décret du 6 juin 1984. Par une délibération du 7 avril 2023, la commission scientifique de l'IEP de Lyon a rendu un avis favorable à la candidature de Mme B... et l'a transmise au conseil d'administration. Par une délibération du 19 avril 2023, le conseil d'administration siégeant en formation restreinte de l'IEP de Lyon s'est prononcé favorablement sur la candidature de Mme B.... Par un courriel du 20 avril 2023, la directrice de cet IEP a informé Mmes F... et H... de ce que le poste ouvert au recrutement avait été pourvu.
Sur les conclusions dirigées contre la délibération de la commission scientifique de l'IEP de Lyon :
4. En premier lieu, aucune disposition - et notamment pas celles figurant dans le décret du 18 décembre 1989 ou dans le règlement intérieur adopté par l'IEP de Lyon dont l'article 24.2 se borne à prévoir l'incompatibilité entre la qualité de président de la commission scientifique et celle de membre du conseil d'administration de l'établissement -, ni aucun principe ne font obstacle à ce que le rapporteur désigné par la commission scientifique pour examiner une candidature à la mutation participe, dès lors qu'il en est membre, aux délibérations de cette même commission, puis à celles du conseil d'administration. Par ailleurs, il ne ressort pas des pièces du dossier que M. C... D..., professeur en science politique et ancien directeur de l'IEP de Lyon, aurait des liens avec Mme B... justifiant qu'il s'abstienne de présenter un rapport sur sa candidature ou de délibérer sur celle-ci au sein du conseil scientifique puis du conseil d'administration. Par suite, le moyen tiré de ce que la délibération attaquée du conseil scientifique serait entachée d'irrégularité au motif que M. D... ne pouvait régulièrement y siéger ne peut qu'être écarté.
5. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que la fiche du poste en " sociologie politique de l'Etat, des institutions, de l'action publique " ouvert au recrutement à l'IEP de Lyon précise, d'une part, que les enseignements susceptibles d'être confiés à l'enseignant-chercheur recruté portent sur les politiques publiques, la sociologie politique ou encore la sociologie politique de l'international, à destination d'étudiants engagés dans un cursus pluridisciplinaire et, d'autre part, que les recherches attendues, appelées à comporter une " dimension empirique ", ont vocation à s'inscrire dans le cadre des travaux du pôle " action publique et/ou politisation et participation " du laboratoire interdisciplinaire de l'établissement. Il ressort en outre des pièces du dossier que les travaux récents de Mme B... sont consacrés aux relations entre l'évolution concrète de la pratique de certaines professions avec la réforme des institutions publiques et des politiques publiques et qu'elle dispense des enseignements consacrés à la sociologie, notamment de l'éducation et du travail, aux " méthodes d'enquêtes et pratique du terrain ", et aux politiques publiques éducatives. Par suite, la commission scientifique n'a pas commis d'erreur d'appréciation en retenant que le profil de Mme B... était en adéquation avec la fiche de poste.
6. En dernier lieu, dès lors qu'aucune disposition ne confie à la commission scientifique le soin d'apprécier si le candidat à une mutation remplit les conditions prévues aux articles 60 et 62 de la loi du 11 janvier 1984, qui figurent désormais respectivement aux articles L. 512-18 et suivants du code général de la fonction publique et à l'article L. 512-28 de ce code, relatifs aux " mutations prioritaires ", le moyen tiré de ce que sa délibération est entachée d'illégalité faute d'y avoir procédé ne peut qu'être écarté.
7. Il résulte de ce qui précède que Mmes F... et H... ne sont pas fondées à demander l'annulation de la délibération du 7 avril 2023 de la commission scientifique.
Sur les conclusions dirigées contre la délibération du conseil d'administration restreint du 19 avril 2023 :
8. En premier lieu, aux termes de l'article 22 du règlement intérieur de l'IEP de Lyon relatif au conseil d'administration en formation restreinte de l'établissement : " Les décisions sont prises à la majorité des membres présents ou représentés. La présidente ou le président ne prend pas part aux votes. / (...) ".
9. Il ressort des pièces du dossier que le conseil d'administration en formation restreinte s'est réuni le 7 avril 2023 pour examiner la candidature par voie de mutation de Mme B..., deux de ses cinq membres se prononçant en sa faveur, deux autres en sa défaveur, le dernier, qui avait donné un pouvoir à un autre membre, s'abstenant. Estimant qu'aucun avis n'avait pu être ainsi émis, faute de majorité, le conseil d'administration en formation restreinte s'est réuni une deuxième fois le 11 avril, et les votes étant à nouveau identiques, une troisième fois le 19 avril. Lors de cette dernière séance, il s'est prononcé, par trois voix contre deux, favorablement sur la candidature de Mme B... par voie de mutation.
10. Or, aucune disposition applicable ne prévoyant de règle particulière pour le cas où le conseil d'administration restreint de l'IEP de Lyon se diviserait en deux fractions égales sur la candidature d'un professeur des universités par la voie de la mutation, il doit être regardé, chaque fois qu'il y a égalité de voix, comme ne se prononçant pas favorablement sur la proposition qui lui est soumise. Il s'ensuit que le conseil d'administration en formation restreinte doit, en l'espèce, être regardé comme ayant pris une décision, dès sa première séance du 7 avril 2023, sur la candidature par voie de mutation de Mme B... et comme s'étant, à ce titre, défavorablement prononcé sur celle-ci. Les dispositions de l'article L. 243-3 du code des relations entre le public et l'administration ne faisaient toutefois pas obstacle à ce qu'il revienne sur sa position, en se prononçant à nouveau sur la demande de recrutement par voie de mutation dont il était saisi, le 11 avril 2023, puis le 19 avril 2023, aucun détournement de procédure n'étant par ailleurs allégué.
11. En deuxième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que les membres du conseil d'administration restreint n'auraient pu prendre connaissance des éléments de son dossier, ou qu'ils se seraient crus liés par l'avis de la commission scientifique sur sa candidature. Les requérantes ne sont donc pas fondées à soutenir que la procédure a été entachée d'irrégularité pour ces deux motifs.
12. En dernier lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que le conseil d'administration restreint n'aurait pas procédé à l'appréciation de l'adéquation de la candidature de Mme B... au profil du poste ouvert au recrutement. En estimant que sa candidature était, en l'espèce, en adéquation avec le profil de ce poste, le conseil d'administration n'a, eu égard à ce qui a été dit au point 5, pas davantage commis d'erreur d'appréciation. Ces derniers moyens doivent donc être également écartés.
13. Il résulte de ce qui vient d'être dit que les requérantes ne sont pas fondées à demander l'annulation de la délibération du 19 avril 2023 du conseil d'administration restreint.
Sur les conclusions dirigées contre le courriel du 20 avril 2023 :
14. Le courriel du 20 avril 2023 de la directrice de l'IEP de Lyon informant Mmes F... et H... de ce que le conseil d'administration restreint s'était prononcé favorablement sur la demande de mutation prioritaire de Mme B... ne peut être regardé comme une décision faisant grief dès lors qu'il est purement informatif. Il s'ensuit que l'IEP de Lyon est fondé à soutenir que la requête de Mmes F... et H... est irrecevable qu'en tant qu'elle demande l'annulation pour excès de pouvoir du courriel du 20 avril 2023.
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
15. Les conclusions aux fins d'injonction présentées par Mmes F... et H... ne peuvent qu'être rejetées par suite du rejet de leurs conclusions aux fins d'annulation des actes attaqués.
Sur les conclusions relatives aux frais de l'instance :
16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées par les requérantes à ce titre à l'encontre de l'IEP de Lyon qui, dans la présente instance, n'est pas la partie perdante. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge des requérantes une somme au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de Mmes F... et H... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de l'IEP de Lyon présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à Mmes A... F... et G... H... et à l'Institut d'études politiques de Lyon.
Copie en sera adressé à Mme E... B... et à la ministre d'Etat, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche.