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11/02/2025 | FRANCE | N°489681

France | France, Conseil d'État, 5ème - 6ème chambres réunies, 11 février 2025, 489681


Vu les procédures suivantes :



1° Sous le numéro 489681, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 27 novembre 2023 et le 29 août 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société La Française des jeux (LFDJ) demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir l'article 2.3 de la décision n° 2023-163 du 25 mai 2023 par laquelle l'Autorité nationale des jeux (ANJ) a approuvé sa stratégie promotionnelle concernant son activité sous droits exclusifs pour l'année 2023, ainsi que la décision n° 2023-200 du 21 sep

tembre 2023 en tant qu'elle n'a fait que partiellement droit à son recours gracie...

Vu les procédures suivantes :

1° Sous le numéro 489681, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 27 novembre 2023 et le 29 août 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société La Française des jeux (LFDJ) demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir l'article 2.3 de la décision n° 2023-163 du 25 mai 2023 par laquelle l'Autorité nationale des jeux (ANJ) a approuvé sa stratégie promotionnelle concernant son activité sous droits exclusifs pour l'année 2023, ainsi que la décision n° 2023-200 du 21 septembre 2023 en tant qu'elle n'a fait que partiellement droit à son recours gracieux contre cette décision.

2° Sous le numéro 489682, par une requête, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés le 27 novembre 2023 et les 5 août et 18 novembre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société LFDJ demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir les articles 2.1 et 2.2 de la décision n° 2023-166 du 22 juin 2023 par laquelle l'ANJ a autorisé l'exploitation en réseau physique de distribution du jeu de loterie sous droits exclusifs dénommé " Mission nature ", ainsi que la décision n° 2023-201 du 21 septembre 2023 par laquelle cette autorité n'a fait que partiellement droit à son recours gracieux contre la décision du 22 juin 2023.

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3° Sous le numéro 489683, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 27 novembre 2023 et le 5 août 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société LFDJ demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir les articles 3.1 et 3.2 de la décision n° 2023-158 du 25 mai 2023 par laquelle l'ANJ a autorisé l'exploitation en réseau physique de distribution du jeu de loterie sous droits exclusifs dénommé " Mission Patrimoine " ainsi que des tirages du Loto dédiés au patrimoine, ainsi que la décision n° 2023-198 du 21 septembre 2023 par laquelle cette autorité n'a fait que partiellement droit à son recours gracieux contre la décision du 22 juin 2023.

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Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- la Constitution ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel ;

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- le code de la sécurité intérieure ;

- la loi n° 2010-476 du 12 mai 2010 ;

- la loi n° 2017-1775 du 28 décembre 2017 ;

- la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 ;

- la loi n° 2022-1726 du 30 décembre 2022 ;

- l'ordonnance n° 2019-1015 du 2 octobre 2019 ;

- le décret n° 2020-1349 du 4 novembre 2020 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Ségolène Cavaliere, maîtresse des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Maxime Boutron, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Spinosi, avocat de la société La Française des jeux ;

Considérant ce qui suit :

1. Par une décision n° 2023-163 du 25 mai 2023, modifiée par une décision n° 2023-200 du 21 septembre 2023, l'Autorité nationale des jeux (ANJ) a approuvé sous plusieurs réserves la stratégie promotionnelle de la société La Française des jeux (LFDJ) pour son activité sous droits exclusifs pour l'année 2023, en application des dispositions du IV de l'article 34 de la loi du 12 mai 2010 relative à l'ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d'argent et de hasard en ligne. Par deux décisions du 25 mai 2023 et du 22 juin 2023, modifiées par des décisions du 21 septembre 2023, l'Autorité a autorisé sous différentes réserves l'exploitation en réseau physique de distribution des jeux de loterie sous droits exclusifs dits " Mission patrimoine " et " Mission nature ", en application des dispositions du V de l'article 34 de la loi du 12 mai 2010 relative à l'ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d'argent et de hasard en ligne.

2. Par trois requêtes qu'il y a lieu de joindre pour statuer par une seule décision, la société requérante demande l'annulation pour excès de pouvoir de l'article 2.3 de la décision du 25 mai 2023, concernant les communications commerciales relatives aux jeux " Mission patrimoine " et " Mission nature ", ainsi que la décision du 21 septembre 2023 en tant qu'elle ne fait que partiellement droit à son recours gracieux dirigé contre la décision du 25 mai 2023 et demandant le retrait de son article 2.3, et des articles 3.1 et 3.2 de la décision du 25 mai 2023 et 2.1 et 2.2 de la décision du 22 juin 2023, ainsi que des décisions du 21 septembre 2023 en tant qu'elles ne font que partiellement droit à son recours gracieux dirigé contre ces décisions et demandant le retrait de ces articles.

Sur le cadre juridique des litiges :

3. En premier lieu, aux termes de l'article 137 de la loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et à la transformation des entreprises : " I. - L'exploitation des jeux de loterie commercialisés en réseau physique de distribution et en ligne ainsi que des jeux de pronostics sportifs commercialisés en réseau physique de distribution est confiée pour une durée limitée à une personne morale unique faisant l'objet d'un contrôle étroit de l'Etat. / II. - La société La Française des jeux est désignée comme la personne morale unique mentionnée au I du présent article à compter de la publication de la présente loi (...) ". Aux termes de l'article 15 de l'ordonnance du 2 octobre 2019 réformant la régulation des jeux d'argent et de hasard, ces droits exclusifs ont été confiés à la société LFDJ pour une durée de 25 ans. Ces dispositions, qui réservent, pour plusieurs années, l'exploitation de certains jeux d'argent et de hasard à la société LFDJ sont de nature à restreindre, pour les opérateurs économiques ressortissants d'un autre Etat membre de l'Union européenne ou établis dans un tel Etat, la liberté de s'établir en France et la liberté d'y offrir des services pour l'exploitation de ces jeux. Elles apportent ainsi une restriction à la liberté d'établissement et à la liberté de prestation des services à l'intérieur de l'Union européenne. Toutefois, une telle atteinte peut être admise au titre des mesures dérogatoires prévues par le traité si elle est justifiée par des raisons impérieuses d'intérêt général, telles que les conséquences que les jeux d'argent et de hasard peuvent, au vu de la situation de l'Etat membre considéré, entraîner pour l'individu et la société au regard de leur impact psychologique et financier et de leurs répercussions sur l'ordre public. Même justifiée, l'entrave ne peut, ainsi que l'a dit pour droit la Cour de justice de l'Union européenne par son arrêt du 30 juin 2011, Zeturf Ltd (C-212/08), être acceptée que si les mesures restrictives adoptées ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs qui leur sont assignés, si elles sont propres à garantir leur réalisation et si elles sont mises en œuvre d'une manière cohérente et systématique par une politique qui, si elle peut impliquer l'offre d'une gamme de jeux étendue, une publicité d'une certaine envergure et le recours à de nouvelles techniques de distribution, n'est pas pour autant expansionniste. L'organisme titulaire de ces droits exclusifs doit être soumis à un contrôle étroit de l'Etat, conformément à ce que la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit par son arrêt du 15 septembre 2011, Jochen Dickinger et Franz Omer (C-347/09). La Cour de justice de l'Union européenne a également dit pour droit par ce même arrêt que la publicité éventuellement mise en œuvre par le titulaire de droits exclusifs doit demeurer mesurée et strictement limitée à ce qui est nécessaire pour canaliser les consommateurs vers les réseaux de jeu contrôlés et ne saurait viser à encourager la propension naturelle au jeu des consommateurs en stimulant leur participation active à celui-ci, notamment en banalisant le jeu ou en donnant une image positive liée au fait que les recettes récoltées sont affectées à des activités d'intérêt général ou encore en augmentant la force attractive du jeu au moyen de messages publicitaires accrocheurs faisant miroiter d'importants gains. La Cour relève qu'une distinction doit être opérée entre une politique commerciale restreinte, qui cherche seulement à capter ou à fidéliser le marché existant au profit de l'organisme bénéficiant d'un monopole, et une politique commerciale expansionniste, dont l'objectif est l'accroissement du marché global des activités de jeux.

4. En deuxième lieu, aux termes du I de l'article 34 de la loi du 12 mai 2010 relative à l'ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d'argent et de hasard en ligne : " L'Autorité nationale des jeux est une autorité administrative indépendante au sens de la loi n° 2017-55 du 20 janvier 2017 portant statut général des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes. / Elle veille au respect des objectifs de la politique des jeux définis à l'article L. 320-3 du code de la sécurité intérieure pour les jeux et paris sous droits exclusifs, les jeux et paris en ligne soumis à agrément et, à l'exception des objectifs mentionnés aux 2° et 3° du même article, pour les jeux des casinos et des clubs de jeu. / Elle exerce la surveillance des opérations des jeux d'argent et de hasard sous droits exclusifs, ainsi que des jeux ou paris en ligne et participe à la lutte contre les offres illégales de jeu et contre la fraude (...) ". Aux termes de l'article L. 320-3 du code de la sécurité intérieure : " La politique de l'Etat en matière de jeux d'argent et de hasard a pour objectif de limiter et d'encadrer l'offre et la consommation des jeux et d'en contrôler l'exploitation afin de : / 1° Prévenir le jeu excessif ou pathologique et protéger les mineurs ; / 2° Assurer l'intégrité, la fiabilité et la transparence des opérations de jeu ; / 3° Prévenir les activités frauduleuses ou criminelles ainsi que le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme ; / 4° Veiller à l'exploitation équilibrée des différents types de jeu afin d'éviter toute déstabilisation économique des filières concernées ". Aux termes de l'article L. 320-4 du même code : " Les opérateurs de jeux d'argent et de hasard définis à l'article L. 320-6 concourent aux objectifs mentionnés aux 1°, 2° et 3° de l'article L. 320-3. Leur offre de jeu contribue à canaliser la demande de jeux dans un circuit contrôlé par l'autorité publique et à prévenir le développement d'une offre illégale de jeux d'argent. "

5. En troisième lieu, aux termes du IV de l'article 34 de la loi du 12 mai 2010 visée ci-dessus : " Les opérateurs titulaires de droits exclusifs et les opérateurs de jeux ou de paris en ligne soumettent chaque année à l'approbation de l'Autorité nationale des jeux, dans des conditions fixées par décret, un document présentant leur stratégie promotionnelle sur tout support. L'Autorité peut, par une décision motivée, limiter les offres commerciales comportant une gratification financière des joueurs. / L'Autorité peut, par une décision motivée, prescrire à un opérateur le retrait de toute communication commerciale incitant, directement ou indirectement au jeu des mineurs ou des personnes interdites de jeu ou comportant une incitation excessive à la pratique du jeu. " Aux termes de l'article 7 du décret du 4 novembre 2020 relatif aux modalités de régulation de l'Autorité nationale des jeux : " La stratégie promotionnelle sur tout support contient notamment la description des différents médias et de tout autre vecteur utilisés pour la promotion de l'offre de jeu, une estimation des budgets alloués à chaque vecteur et leur évolution pendant l'année en cours, une description du type de clientèle visée, des différents jeux concernés et une évaluation de son impact au regard du premier objectif mentionné à l'article L. 320-3 du code de la sécurité intérieure. " Aux termes de l'article 8 du même décret : " L'Autorité nationale des jeux examine la stratégie promotionnelle des opérateurs au regard des objectifs mentionnés à l'article L. 320-3 du code de la sécurité intérieure (...) ". Aux termes de son article 9 : " La décision de l'Autorité (...) définit, le cas échéant, les conditions sous réserve desquelles la stratégie promotionnelle est approuvée ".

6. Enfin, aux termes du V de l'article 34 de la même loi du 12 mai 2010 : " L'exploitation de jeux sous droits exclusifs est soumise à une autorisation préalable de l'Autorité nationale des jeux. Cette autorisation porte sur un jeu ou sur un ensemble de jeux présentant des caractéristiques et conditions d'exploitation communes strictement définies/ L'Autorité définit le contenu des dossiers de demande individuelle d'autorisation des opérateurs et instruit ces demandes. Elle s'assure qu'elles respectent les objectifs mentionnés à l'article L. 320-3 du code de la sécurité intérieure et sont conformes au cadre législatif et réglementaire applicable ainsi qu'au programme des jeux et paris de l'année concernée tel qu'approuvé par elle, notamment s'agissant du taux de retour aux joueurs. (...) / Les décisions prises par l'Autorité dans le cadre du présent V (...) précisent, le cas échéant, les conditions sous réserve desquelles l'exploitation d'un jeu ou d'un ensemble de jeu est autorisée ". L'ANJ a précisé les modalités de dépôt et le contenu des dossiers en vue d'obtenir l'autorisation d'exploiter ces jeux dans sa décision du 8 septembre 2020.

Sur la légalité externe des décisions attaquées :

7. En premier lieu, il résulte des dispositions de l'article 34 de la loi du 12 mai 2010 et du décret du 4 novembre 2020 qui viennent d'être citées que l'Autorité nationale des jeux est compétente pour approuver la stratégie promotionnelle de la société LFDJ et pour autoriser l'exploitation d'un jeu ou d'un ensemble de jeux, le cas échéant en assortissant son approbation ou son autorisation de conditions, limitations ou restrictions, notamment pour encadrer le contenu ou les vecteurs et modalités de diffusion des communications commerciales concernant certaines catégories de jeux ou certains jeux déterminés.

8. En second lieu, aucune disposition législative ou réglementaire ne prévoit que les décisions prises par l'Autorité nationale des jeux en application du V de l'article 34 de la loi du 12 mai 2010 sont motivées. Il en va de même des décisions prises en application du IV de ce même article, en dehors des cas où l'Autorité limite les offres commerciales comportant une gratification financière des joueurs ou prescrit à un opérateur le retrait d'une communication commerciale. Le moyen pris de ce que les décisions attaquées, qui énoncent, au demeurant, les considérations de fait et de droit propres à les justifier, seraient insuffisamment motivées doit donc être écarté.

Sur la légalité interne des décisions attaquées :

9. Il appartient à l'Autorité nationale des jeux, pour se prononcer sur la stratégie promotionnelle qui lui est soumise, de rechercher si elle est appropriée à l'objectif de canaliser la demande de jeux vers l'offre légale tout en évitant les effets d'incitation au jeu excessif, en tenant compte des objectifs de cette stratégie et des moyens qu'elle met en œuvre, et en mettant ces éléments en regard avec l'évolution de l'offre de jeux et le risque de jeu excessif ou pathologique. Il lui appartient, en outre, pour se prononcer sur une demande d'autorisation d'exploiter un jeu ou un ensemble de jeux présentée par un opérateur titulaire de droits exclusifs, d'apprécier de la même manière et en tenant compte, le cas échéant, des conditions fixées dans sa décision d'approbation de la stratégie promotionnelle, la campagne promotionnelle prévue autour des jeux concernés et présentée dans le dossier de demande d'autorisation.

10. La décision d'approbation de la stratégie promotionnelle attaquée conditionne, par son point 2.3, l'approbation de la stratégie présentée par la société requérante pour 2023 à ce que la société se borne à la délivrance de messages purement informatifs s'abstenant d'établir un lien direct entre l'acte de jeu et une cause d'intérêt général dans ses communications commerciales relatives aux jeux " Mission patrimoine " et " Mission nature ". Elle conditionne également son approbation à ce que la société requérante limite la diffusion des communications commerciales relatives à ces jeux aux points de vente de son réseau physique de distribution, et, sous des conditions restrictives, à ses sites et applications mobiles.

11. L'affectation prévue par le législateur d'une fraction du produit de la fiscalité appliquée aux jeux " Mission nature " et " Mission patrimoine " respectivement à l'Office français de la biodiversité, conformément à l'article 115 de la loi du 30 décembre 2022 de finances pour 2023, et à la Fondation du patrimoine, conformément à l'article 90 de la loi du 28 décembre 2017 de finances rectificative pour 2017, n'a ni pour objet ni pour effet de soustraire ces jeux à la règlementation en matière de jeux d'argent et de hasard, qui, en application du chapitre Ier de la loi du 12 mai 2010, a pour objet de limiter et d'encadrer l'offre et la consommation des jeux et d'en contrôler l'exploitation afin, notamment, de prévenir le jeu excessif ou pathologique et de protéger les mineurs.

12. Conformément à ce qui a été dit au point 3, l'Autorité nationale des jeux a pu légalement interdire que la publicité relative aux jeux en cause fasse référence aux causes d'intérêt général auxquelles une partie de leur produit est affecté. Elle a pu, sans commettre d'erreur de droit, s'abstenir de rechercher si le financement d'activités d'intérêt général par ces jeux n'est qu'une conséquence bénéfique accessoire du monopole conféré à la société requérante et si ces campagnes affectent la cohérence globale de la politique de jeux d'argent et de hasard.

13. En outre, d'une part, l'offre de jeu proposée par les opérateurs de jeux titulaires de droits exclusifs doit, conformément à ce que prévoient les dispositions de l'article L. 320-4 du code de la sécurité intérieure, permettre de canaliser la demande de jeux d'argent et de hasard dans un circuit contrôlé et de prévenir le développement d'une offre illégale. Cette offre et la stratégie promotionnelle associée n'ont, en revanche, pas pour objectif de capter la demande orientée vers les jeux exploités légalement dans un cadre concurrentiel, qui relèvent d'un régime juridique distinct propre à assurer qu'ils répondent aux objectifs fixés par l'article L. 320-3 du code de la sécurité intérieure. D'autre part, il ressort des pièces du dossier que l'Autorité a tenu compte, dans ses décisions, de l'objectif de canalisation de la demande vers l'offre légale et a estimé, sans commettre d'erreur d'appréciation, que la stratégie promotionnelle soumise à son approbation par la société requérante pour son activité de jeux sous droits exclusifs pour l'année 2023 excédait ce qui est strictement nécessaire à cette fin et était de nature à inciter au jeu de manière excessive. A cet égard, elle a pu légalement retenir qu'il était prévu que les campagnes promotionnelles envisagées autour des jeux " Mission patrimoine " et " Mission nature " soient de grande ampleur et mobilisent un large éventail de vecteurs de communication et d'outils publicitaires afin de recruter un nombre important de nouveaux joueurs, alors que ces jeux présentent des caractéristiques susceptibles d'inciter à des pratiques de jeu excessif, tenant à leurs règles, au montant des mises et aux perspectives de gain, mais aussi au lien susceptible d'être établi avec des activités d'intérêt général. L'Autorité a pu légalement limiter, en conséquence, les canaux et vecteurs de communication susceptibles d'être utilisés en vue d'autoriser un effort promotionnel n'allant pas au-delà de ce que requiert la canalisation de la demande vers l'offre légale sans pour autant provoquer d'incitation au jeu ni autoriser la société LFDJ à pratiquer une politique expansionniste, contraire aux objectifs en vue desquels des droits exclusifs lui ont été conférés.

14. Dans ces conditions, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que les limitations figurant au point 2.3 de la décision approuvant sa stratégie promotionnelle pour 2023, pas plus que celles fixées aux articles 3.1 et 3.2 de la décision du 25 mai 2023 et 2.1 et 2.2 de la décision du 22 juin 2023 modifiées, qui se bornent à les rappeler et à les préciser, au vu des éléments soumis à l'Autorité dans le cadre de la demande d'autorisation d'exploiter les jeux " Mission nature " et " Mission patrimoine ", seraient disproportionnées au regard des objectifs fixés par l'article L. 320-3 du code de la sécurité intérieure. Il suit de là que la société requérante, qui ne peut utilement se prévaloir à l'encontre des décisions qu'elle attaque des stipulations des articles 56 à 62 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne relatives à la libre prestation de services, n'est pas fondée à soutenir que les restrictions en cause porteraient une atteinte excessive à la liberté du commerce et de l'industrie, à la liberté d'entreprendre, et au droit de propriété garanti tant par l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 que par l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

15. Il résulte de tout ce qui précède que la société LFDJ n'est pas fondée à demander l'annulation pour excès de pouvoir des décisions qu'elle attaque.

D E C I D E :

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Article 1er : Les requêtes de la société La Française des jeux sont rejetées.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société La Française des jeux et à l'Autorité nationale des jeux.

Copie en sera adressée au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Délibéré à l'issue de la séance du 15 janvier 2025 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre, M. Jean-Philippe Mochon, président de chambre ; M. Alain Seban, conseiller d'Etat, Mme Laurence Helmlinger, conseillère d'Etat ; M. Laurent Cabrera et M. Stéphane Hoynck, conseillers d'Etat ; M. Jean-Dominique Langlais, conseiller d'Etat et Mme Ségolène Cavaliere, maîtresse des requêtes en service extraordinaire-rapporteure.

Rendu le 11 février 2025.

Le président :

Signé : M. Jacques-Henri Stahl

La rapporteure :

Signé : Mme Ségolène Cavaliere

La secrétaire :

Signé : Mme Nathalie Pilet


Synthèse
Formation : 5ème - 6ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 489681
Date de la décision : 11/02/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 11 fév. 2025, n° 489681
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Ségolène Cavaliere
Rapporteur public ?: M. Maxime Boutron
Avocat(s) : SCP SPINOSI

Origine de la décision
Date de l'import : 16/02/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2025:489681.20250211
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