Vu la procédure suivante :
Par une requête, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés le 27 novembre 2023 et les 29 septembre et 18 novembre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société La Française des jeux demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir les articles 2.1, 2.3, 2.4 et 2.5 ainsi que le point 23 de la décision n° 2023-165 du 22 juin 2023 de l'Autorité nationale des jeux (ANJ) portant approbation de son programme de jeux et paris pour l'année 2024.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel ;
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de la sécurité intérieure ;
- la loi n° 2010-476 du 12 mai 2010 ;
- la loi n° 2019-476 du 22 mai 2019 ;
- l'ordonnance n° 2019-1015 du 2 octobre 2019 ;
- le décret n° 2019-1060 du 17 octobre 2019 ;
- le décret n° 2019-1061 du 17 octobre 2019 ;
- l'arrêté du 9 avril 2021 du ministre des solidarités et de la santé définissant le cadre de référence pour la prévention du jeu excessif ou pathologique et la protection des mineurs ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Ségolène Cavaliere, maîtresse des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Maxime Boutron, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Spinosi, avocat de la société La Française des jeux ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 20 janvier 2025, présentée par la société La Française des jeux ;
Considérant ce qui suit :
1. Par une décision du 22 juin 2023, l'Autorité nationale des jeux (ANJ) a approuvé sous conditions le programme de jeux et paris de la société La Française des jeux (LFDJ) pour l'année 2024, en application des dispositions du III de l'article 34 de la loi du 12 mai 2010 relative à l'ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d'argent et de hasard en ligne. Par un courrier du 28 août 2023, la société LFDJ a formé un recours gracieux contre cette décision auprès de l'ANJ, implicitement rejeté le 28 octobre 2023. La société LFDJ demande l'annulation pour excès de pouvoir des articles 2.1, 2.3, 2.4 et 2.5 de la décision du 22 juin 2023, qui fixent des conditions relatives respectivement à l'offre numérique, à la gamme des jeux de grattage en réseau physique de distribution et à leur déclinaison en ligne, aux jeux instantanés disponibles exclusivement en ligne dits " Exclu Web " et aux paris sportifs en réseau physique de distribution, ainsi que du point 23 de cette décision relatif à la promotion des jeux exploités dans le cadre du partenariat conclu entre la société requérante et le comité d'organisation des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024.
2. En premier lieu, aux termes de l'article 137 de la loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et à la transformation des entreprises : " I. - L'exploitation des jeux de loterie commercialisés en réseau physique de distribution et en ligne ainsi que des jeux de pronostics sportifs commercialisés en réseau physique de distribution est confiée pour une durée limitée à une personne morale unique faisant l'objet d'un contrôle étroit de l'Etat. / II. - La société La Française des jeux est désignée comme la personne morale unique mentionnée au I du présent article à compter de la publication de la présente loi. (...) " Aux termes de l'article 15 de l'ordonnance du 2 octobre 2019 réformant la régulation des jeux d'argent et de hasard, ces droits exclusifs ont été confiés à la société LFDJ pour une durée de 25 ans. Ces dispositions, qui réservent, pour plusieurs années, l'exploitation de certains jeux d'argent et de hasard à la société LFDJ sont de nature à restreindre, pour les opérateurs économiques ressortissants d'un autre Etat membre de l'Union européenne ou établis dans un tel Etat, la liberté de s'établir en France et la liberté d'y offrir des services pour l'exploitation de ces jeux. Elles apportent ainsi une restriction à la liberté d'établissement et à la liberté de prestation des services à l'intérieur de l'Union européenne. Toutefois, une telle atteinte peut être admise au titre des mesures dérogatoires prévues par le traité si elle est justifiée par des raisons impérieuses d'intérêt général, telles que les conséquences que les jeux d'argent et de hasard peuvent, au vu de la situation de l'Etat membre considéré, entraîner pour l'individu et la société au regard de leur impact psychologique et financier et de leurs répercussions sur l'ordre public. Même justifiée, l'entrave ne peut, ainsi que l'a dit pour droit la Cour de justice de l'Union européenne par son arrêt du 30 juin 2011, Zeturf Ltd (C-212/08), être acceptée que si les mesures restrictives adoptées ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs qui leur sont assignés, si elles sont propres à garantir leur réalisation et si elles sont mises en œuvre d'une manière cohérente et systématique par une politique qui, si elle peut impliquer l'offre d'une gamme de jeux étendue, une publicité d'une certaine envergure et le recours à de nouvelles techniques de distribution, n'est pas pour autant expansionniste. L'organisme titulaire de ces droits exclusifs doit être soumis à un contrôle étroit de l'Etat, conformément à ce que la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit par son arrêt du 15 septembre 2011, Jochen Dickinger et Franz Omer (C-347/09).
3. En deuxième lieu, aux termes du I de l'article 34 de la loi du 12 mai 2010 relative à l'ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d'argent et de hasard en ligne : " L'Autorité nationale des jeux est une autorité administrative indépendante au sens de la loi n° 2017-55 du 20 janvier 2017 portant statut général des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes. / Elle veille au respect des objectifs de la politique des jeux définis à l'article L. 320-3 du code de la sécurité intérieure pour les jeux et paris sous droits exclusifs, les jeux et paris en ligne soumis à agrément et, à l'exception des objectifs mentionnés aux 2° et 3° du même article, pour les jeux des casinos et des clubs de jeu. / Elle exerce la surveillance des opérations des jeux d'argent et de hasard sous droits exclusifs, ainsi que des jeux ou paris en ligne et participe à la lutte contre les offres illégales de jeu et contre la fraude (...) ". Aux termes de l'article L. 320-3 du code de la sécurité intérieure : " La politique de l'Etat en matière de jeux d'argent et de hasard a pour objectif de limiter et d'encadrer l'offre et la consommation des jeux et d'en contrôler l'exploitation afin de : / 1° Prévenir le jeu excessif ou pathologique et protéger les mineurs ; / 2° Assurer l'intégrité, la fiabilité et la transparence des opérations de jeu ; / 3° Prévenir les activités frauduleuses ou criminelles ainsi que le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme ; / 4° Veiller à l'exploitation équilibrée des différents types de jeu afin d'éviter toute déstabilisation économique des filières concernées. " Aux termes de l'article L. 320-4 du même code : " Les opérateurs de jeux d'argent et de hasard définis à l'article L. 320-6 concourent aux objectifs mentionnés aux 1°, 2° et 3° de l'article L. 320-3. Leur offre de jeu contribue à canaliser la demande de jeux dans un circuit contrôlé par l'autorité publique et à prévenir le développement d'une offre illégale de jeux d'argent. "
4. Enfin, aux termes du III de l'article 34 de la loi du 12 mai 2010 : " Les opérateurs titulaires de droits exclusifs soumettent chaque année à l'approbation de l'Autorité nationale des jeux, dans des conditions fixées par décret, leur programme des jeux et paris et rendent compte, à cette occasion, de l'exécution du programme de l'année précédente. Ce programme contient la description de l'ensemble des nouveaux jeux et paris qu'ils envisagent d'exploiter lors de l'année concernée et les modalités de poursuite de l'exploitation des jeux existants. " Aux termes de l'article 1er du décret du 17 octobre 2019 relatif à l'encadrement de l'offre de jeux de La Française des jeux et du Pari mutuel urbain : " (...) Le programme des jeux contient : / - la description des nouveaux jeux envisagés (...) et une évaluation de leur impact au regard des objectifs mentionnés à l'article L. 320-4 du code de la sécurité intérieure ; (...) / Le collège de l'Autorité nationale des jeux se prononce, après avoir entendu les opérateurs titulaires de droits exclusifs sur leur programme des jeux, avant le 30 novembre suivant la transmission de ce dernier. Cette approbation précise, le cas échéant, les conditions de mise en œuvre du programme des jeux ". Aux termes de l'article 5.2 du cahier des charges conclu entre l'Etat et la société LFDJ approuvé par le décret du 17 octobre 2019 relatif aux modalités d'application du contrôle étroit de l'Etat sur la société LFDJ : " Afin de contribuer à la maîtrise de la consommation de jeux d'argent et de hasard, FDJ limite la part de son chiffre d'affaires ou de ses mises résultant de ses joueurs ayant les pratiques les plus intensives, dans des conditions définies par le ministre chargé du budget. (...) ".
Sur la légalité externe de la décision attaquée :
En ce qui concerne la compétence de l'Autorité nationale des jeux pour édicter certaines des prescriptions contestées :
5. D'une part, en vertu du III de l'article 34 de la loi du 12 mai 2010, les programmes des jeux et paris des opérateurs titulaires de droits exclusifs sont soumis à l'approbation de l'Autorité nationale des jeux dans des conditions fixées par décret. Il appartient dès lors à l'Autorité, lorsque de tels programmes lui sont soumis, d'apprécier s'il y a lieu de les approuver, le cas échéant, ainsi que l'a d'ailleurs expressément prévu le décret du 17 octobre 2019, en assortissant son approbation de conditions de mise en œuvre, lesquelles peuvent se traduire par des restrictions ou limitations valant pour certaines catégories de jeux ou pour certains jeux déterminés.
6. D'autre part, la fixation, par une décision du 23 mai 2023 du ministre du budget, prise en application des dispositions de l'article 5.2 du cahier des charges conclu entre l'Etat et la société LFDJ approuvé par le décret du 17 octobre 2019, de règles limitant la part du chiffre d'affaires de la société LFDJ et des mises provenant des joueurs ayant les pratiques de jeu les plus intensives, ne fait pas obstacle à ce que l'Autorité nationale des jeux, pour sa part, lorsqu'elle exerce la compétence qu'elle tient du III de l'article 34 de la loi du 12 mai 2010 et approuve le programme de jeux et paris de la société LFDJ, fixe des conditions supplémentaires, applicables aux jeux proposés pour une année donnée, afin de limiter la part du produit brut des jeux ou celle des mises faites par des joueurs considérés comme problématiques ou de faire évoluer certains jeux pour limiter la part ou le nombre de ces joueurs, dans le but de répondre aux objectifs fixés à l'article L. 320-3 du code de la sécurité intérieure.
7. Enfin, la société requérante, qui ne saurait invoquer utilement les dispositions de l'article 8 du décret n° 2019-1061 du 17 octobre 2019 relatif à l'encadrement de l'offre de jeux de La Française des jeux et du Pari mutuel urbain, lesquelles ne sont pas applicables à l'approbation du programme annuel de jeux et paris mais uniquement aux décisions d'autorisation de nouveaux jeux, n'est pas fondée à soutenir que l'ANJ n'aurait pas été compétente pour assortir sa décision des conditions fixées aux points 2.3 et 2.4 portant respectivement sur les jeux de grattage et les jeux instantanés proposés exclusivement en ligne dits " Exclu Web ".
En ce qui concerne la motivation de la décision attaquée :
8. Aucune disposition législative ou réglementaire ne prévoit que les décisions prises par l'ANJ en application du III de l'article 34 de la loi du 12 mai 2010, cité ci-dessus, sont motivées. Le moyen pris de ce que la décision attaquée, qui énonce, au demeurant, les considérations de fait et de droit propres à la justifier, serait insuffisamment motivée ne peut donc qu'être écarté.
En ce qui concerne le caractère contradictoire de la procédure et le respect des droits de la défense :
9. Lorsqu'elle se prononce sur le programme de jeux et paris d'un opérateur titulaire de droits exclusifs, l'ANJ, qui ne prononce pas une sanction, statue sur une demande qui lui est présentée par cet opérateur et, alors même qu'elle se prononce sur la base de normes de droit et à l'issue d'une procédure organisée, ne tranche pas une contestation sur des droits et obligations de caractère civil. Dès lors, sa décision n'entre, en tout état de cause, pas dans le champ des stipulations du paragraphe 1 de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dont la méconnaissance ne peut utilement être invoquée.
10. Aux termes de l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Exception faite des cas où il est statué sur une demande, les décisions individuelles qui doivent être motivées en application de l'article L. 211-2, ainsi que les décisions qui, bien que non mentionnées à cet article, sont prises en considération de la personne, sont soumises au respect d'une procédure contradictoire préalable. " Ainsi qu'il a été dit au point 8, la décision attaquée n'avait pas à être motivée. Elle n'est, d'autre part, pas au nombre des décisions prises en considération de la personne et ne constitue pas une sanction, ainsi qu'il a été dit au point précédent. Il ne résulte ni des dispositions citées ci-dessus, ni du principe général des droits de la défense, qu'elle aurait dû être précédée d'une procédure contradictoire.
11. Au demeurant, il ressort des visas de la décision attaquée que le collège de l'ANJ a entendu la société LFDJ sur son programme de jeux avant de rendre sa décision, conformément aux dispositions de l'article 1er du décret du 17 octobre 2019 citées au point 4.
Sur la légalité interne de la décision attaquée :
En ce qui concerne la méthode, les critères et le périmètre retenus par l'ANJ pour apprécier le programme de jeux sous droits exclusifs qui lui était soumis :
12. Pour considérer qu'il y avait lieu d'assortir la décision d'approbation du programme de jeux sous droits exclusifs présenté par la société requérante pour 2024 des conditions qu'elles a fixées, l'ANJ a d'abord retenu l'existence d'un risque d'intensification des pratiques de jeux, qu'elle a pu regarder, sans commettre ni erreur de droit ni erreur d'appréciation, comme suffisamment établi en considération de la combinaison de l'augmentation du montant total des mises et de la stabilité du bassin de joueurs. Elle a également tenu compte des éléments qui lui étaient soumis relatifs à l'état de l'offre illégale. A cet égard, le périmètre du monopole conféré à la société LFDJ étant limité à certains jeux dont le législateur a estimé qu'ils présentent des risques particulièrement élevés en termes d'ordre et de santé publics, justifiant la canalisation de la demande dans un cadre étroitement contrôlé, le bilan de l'offre de jeux proposée au regard des objectifs poursuivis n'a pas à être établi compte tenu de l'évolution du reste de l'offre légale, qui fait l'objet d'une régulation propre, ou de l'offre illégale d'autres jeux, mais uniquement de l'offre illégale sur les marchés sur lesquels la société requérante intervient. Il était loisible à l'ANJ de se fonder, à méthodologie constante, sur l'outil d'évaluation des pratiques de jeu développé par la société LFDJ, dénommé " Playscan ", qui évalue pour chaque joueur le risque de pratiques de jeu excessif. L'Autorité a enfin tenu compte, s'agissant de certains jeux, du taux de prévalence du jeu excessif en se référant à la part de joueurs dits " à Playscan rouge ", et pour l'un d'entre eux, à la part de joueurs dits " problématiques ", catégorie qui comprend à la fois les joueurs à risque et les joueurs excessifs selon un autre outil de mesure, dénommé " indice canadien de jeu excessif " (ICJE), et qui a été définie en l'espèce par référence aux joueurs dits " à Playscan jaune " et " rouge ", afin de viser des joueurs vulnérables dans l'objectif de prévenir le jeu excessif et pathologique. Il ne ressort pas de l'ensemble des éléments versés au dossier que l'ANJ, en retenant ces différents partis, aurait, sur les points contestés, entaché sa décision d'erreur de droit, d'erreur matérielle ou d'erreur appréciation.
En ce qui concerne les moyens tirés du caractère disproportionné de certaines des conditions fixées par la décision du 22 juin 2023 :
S'agissant de l'interdiction des paris sportifs en réseau physique " sur mesure " et des paris sportifs " à la mi-temps " :
13. La décision contestée, par certaines des restrictions qu'elle retient, interdit l'exploitation de nouveaux types de paris sportifs en points de vente, dénommés " paris sur mesure ", permettant de parier simultanément sur différents aspects d'un même événement sportif, et " paris à la mi-temps ", ouvrant la possibilité de parier pendant la mi-temps d'une rencontre sportive sur la suite de celle-ci. D'une part, dans le contexte d'une offre de paris sportifs en réseau physique déjà développée et présentant un risque important en termes de jeu excessif et pathologique, la société requérante n'apporte aucun élément de nature à établir que l'exploitation des nouveaux paris que la décision attaquée a refusé d'approuver, dont les caractéristiques sont susceptibles d'inciter à des pratiques de jeu excessif, serait nécessaire pour canaliser la demande vers l'offre légale. D'autre part, les droits exclusifs conférés à la société LFDJ n'étant pas destinés à canaliser la demande orientée vers le reste de l'offre légale, la circonstance que ces types de paris soient autorisés dans le secteur des paris en ligne ouverts à la concurrence est inopérante. Il ne ressort pas des pièces du dossier, au vu de ces éléments et contrairement à ce qui est soutenu par la société requérante, qu'en imposant de telles restrictions plutôt que d'autoriser ces paris à titre expérimental, l'ANJ aurait entaché sa décision d'une erreur d'appréciation.
S'agissant de l'offre numérique :
14. L'ANJ a assorti son approbation de la double condition, fixée à l'article 2.1 de la décision attaquée, que, d'une part, la société LFDJ limite la part du produit brut des jeux généré en ligne par les joueurs dont le statut " Playscan " est jaune ou rouge et diminue substantiellement cette part pour certains autres jeux à méthodologie constante de l'outil " Playscan " et, d'autre part, elle retire ou fasse évoluer d'ici la fin de l'année 2024 les jeux instantanés en ligne dont le produit brut des jeux est généré à 20 % et plus par les joueurs dits à statut " Playscan " rouge. Si la société requérante soutient que ces deux conditions ne seraient pas adaptées, nécessaires et proportionnées, il ressort des pièces du dossier que la première condition vise à prévenir les comportements de jeu excessif en tenant compte du risque d'évolution de certains joueurs vers des pratiques à risque, dans un contexte de dynamisme de l'offre de jeux en ligne de la société requérante. A cet égard, il est justifié de prendre en compte non seulement les joueurs relevant du statut " Playscan " rouge, qui présentent un risque particulièrement élevé de jeu excessif ou pathologique, mais également les joueurs dont le statut est jaune, qui présentent une vulnérabilité, même relativement faible, et qu'il est raisonnable de chercher à préserver d'une évolution vers des pratiques de jeu comportant un niveau de risque plus élevé. Il ressort également des pièces du dossier que la seconde condition, qui tend à limiter le nombre de jeux présentant, au regard de leurs caractéristiques et de celles des joueurs qui les consomment, les risques les plus forts en termes d'incitation au jeu, répond à l'objectif de prévention du jeu excessif et pathologique. Il ne ressort pas des éléments versés au dossier qu'un autre taux, plus élevé que celui de 20% fixé par la décision attaquée, aurait été mieux adapté.
S'agissant de l'offre de jeux de grattage :
15. L'article 2.3 de la décision attaquée fixe plusieurs conditions relatives à l'offre de jeux de grattage, qui consistent en une stabilisation du nombre de jeux dont la mise unitaire est fixée à cinq euros et plus, commercialisés en réseau physique exclusivement ou en réseau physique et en ligne à un niveau équivalent à celui de 2023, en une limitation à trois lancements ou relances de jeux précédemment autorisés dont la mise unitaire est fixée à cinq euros et en une obligation de remplacer tout jeu à cinq euros retiré par un jeu présentant une mise égale ou inférieure à deux euros. S'il ressort des pièces du dossier que la part des joueurs dits problématiques dans le bassin de joueurs des jeux de loterie est plus faible que les autres catégories de jeux, il en ressort également qu'environ un tiers des joueurs excessifs sont adeptes de ces jeux. Enfin, les conditions fixées portent uniquement sur le segment des jeux de grattage dont la mise est égale ou supérieure à cinq euros, dont il ressort des pièces du dossier qu'ils comportent davantage de risque en termes de jeu excessif ou pathologique que les autres segments de jeux de grattage et présentent des signes d'intensification des pratiques de jeu tels que l'augmentation de la mise moyenne, qui est notablement supérieure aux mises moyennes des autres gammes de jeux, et l'accroissement du produit, alors que le bassin de joueurs demeure stable, ce qui traduit une pratique plus intensive des joueurs habituels de ces jeux. Dans ces conditions, les limitations imposées par l'ANJ en ce qui concerne ces jeux, dont, au surplus, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'elles seraient de nature à réduire le chiffre d'affaires de la société LFDJ sur ce marché, ne sont pas disproportionnées par rapport aux objectifs poursuivis.
S'agissant de l'offre de jeux instantanés commercialisés exclusivement en ligne :
16. L'article 2.4 de la décision contestée conditionne l'approbation du programme de jeux et paris de la société requérante à un encadrement de l'offre de jeux instantanés commercialisés exclusivement en ligne, dits " Exclu Web ", par la stabilisation du nombre de jeux à deux, trois et cinq euros au niveau de 2023, à la limitation à douze nouveaux jeux et relances pour l'année 2024, comme en 2023, et à l'interdiction de commercialiser des jeux dont la mise est variable ou qui comportent un bonus virtuel pour les jeux dont la mise est supérieure ou égale à cinq euros. Ces mesures, qui visent à stabiliser l'offre de jeux, interviennent dans un contexte de forte augmentation des mises et du bassin de joueurs de la gamme des jeux instantanés en ligne et alors que des indicateurs signalent l'existence de pratiques intensives de jeu. Il ne ressort pas des pièces du dossier, au regard de l'argumentation de la société requérante, que les conditions imposées seraient disproportionnées par rapport aux objectifs qu'elles poursuivent.
S'agissant de la condition énoncée au point 23 de la décision attaquée :
17. La décision attaquée énonce au point 23 que : " le collège de l'Autorité souhaite tout particulièrement attirer l'attention de la société LA FRANÇAISE DES JEUX sur le fait que le partenariat qu'elle a conclu avec le Comité d'organisation des Jeux olympiques et paralympiques d'été 2024, prévoyant notamment le reversement d'1% des mises à cet organisme, ne doit pas la conduire à promouvoir une offre de jeu établissant un lien direct entre l'acte de jeu et le fait qu'il contribue au financement de l'organisation des jeux olympiques et paralympiques d'été de 2024 ou au soutien du mouvement sportif français ". Par son arrêt du 15 septembre 2011, Jochen Dickinger et Franz Omer, la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que la publicité éventuellement mise en œuvre par le titulaire de droits exclusifs doit demeurer mesurée et strictement limitée à ce qui est nécessaire pour canaliser les consommateurs vers les réseaux de jeu contrôlés et ne saurait viser à encourager la propension naturelle au jeu des consommateurs en stimulant leur participation active à celui-ci, notamment en donnant du jeu une image positive liée au fait que les recettes récoltées sont affectées à des activités d'intérêt général. Dans ce cadre, l'ANJ a pu légalement interdire à la société LFDJ de se prévaloir, pour promouvoir son offre de jeux, de son soutien au financement des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 ou du mouvement sportif français, une telle prescription n'étant nullement disproportionnée au regard des objectifs poursuivis.
18. Il résulte de ce qui a été dit aux points 11 à 17 que la société requérante n'est pas fondée à soutenir que les conditions fixées aux articles 2.1, 2.3, 2.4 et 2.5 et au point 23 de la décision du 22 juin 2023, examinées individuellement, seraient disproportionnées au regard des objectifs fixés à l'article L. 320-3 du code de la sécurité intérieure.
En ce qui concerne les moyens tirés du caractère disproportionné des conditions examinées dans leur ensemble :
19. Il résulte de ce qui a dit aux points 11 à 17 que chacune des conditions assortissant la décision de l'ANJ qui sont contestées par la société requérante, et qui portent sur des catégories ou segments de jeux présentant des risques d'incitation au jeu excessif et dont l'offre est déjà développée ou en croissance, est, au vu des pièces versées au dossier, adaptée, nécessaire et proportionnée au regard des objectifs fixés à l'article L. 320-3 du code de la sécurité intérieure. En outre, il ressort des pièces du dossier que l'ANJ a fixé ces conditions ainsi que l'ensemble de celles qui assortissent la décision en litige dans un contexte de croissance générale de l'activité de la société LFDJ, au regard notamment du chiffre d'affaires produit en 2023 par ses activités de loterie qui s'est élevé à 1,9 milliard d'euros, en légère hausse par rapport à 2022 et de son bassin de joueurs, passé de vingt-quatre à vingt-sept millions de joueurs entre 2019 et 2023. Si la part du chiffre d'affaires des jeux de loterie produite par des joueurs pouvant être considérés comme problématiques est inférieure à la moyenne constatée sur l'ensemble des segments de jeux, la proportion et le nombre de ces joueurs en valeur absolue se maintiennent à des niveaux élevés. Au regard de ces éléments, les conditions fixées par l'ANJ, appréciées dans leur ensemble, répondent à l'objectif de maintenir l'offre de jeux sous droits exclusifs à un niveau strictement nécessaire pour canaliser la demande vers l'offre légale, sans inciter au jeu ni méconnaître les objectifs fixés par l'article L. 320-3 du code de la sécurité intérieure, sans pour autant autoriser la société LFDJ à pratiquer une politique expansionniste, qui serait par elle-même contraire aux objectifs en vue desquels des droits exclusifs lui ont été conférés, non plus que contraindre son développement au-delà de ce qui est nécessaire afin d'atteindre ces objectifs dans le but de favoriser l'offre légale concurrente. Par suite, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que les conditions fixées par la décision du 22 juin 2023 seraient disproportionnées au regard de ces objectifs. La société LFDJ, qui ne peut utilement invoquer à l'encontre de la décision attaquée les stipulations des articles 56 à 62 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne relatives à la libre prestation de services, n'est, par suite, pas fondée à soutenir que les restrictions apportées à son exploitation porteraient une atteinte excessive à la liberté du commerce et de l'industrie, à la liberté d'entreprendre et au droit de propriété garanti tant par l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 que par l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
20. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les fins de non-recevoir opposées par l'ANJ, la société La Française des jeux n'est pas fondée à demander l'annulation pour excès de pouvoir des dispositions de la décision qu'elle attaque.
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de la société La Française des jeux est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société La Française des jeux et à l'Autorité nationale des jeux.
Copie en sera adressée au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré à l'issue de la séance du 15 janvier 2025 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre, M. Jean-Philippe Mochon, président de chambre ; M. Alain Seban, conseiller d'Etat, Mme Laurence Helmlinger, conseillère d'Etat ; M. Laurent Cabrera et M. Stéphane Hoynck, conseillers d'Etat ; M. Jean-Dominique Langlais, conseiller d'Etat et Mme Ségolène Cavaliere, maîtresse des requêtes en service extraordinaire-rapporteure.
Rendu le 11 février 2025.
Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl
La rapporteure :
Signé : Mme Ségolène Cavaliere
La secrétaire :
Signé : Mme Nathalie Pilet