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07/02/2025 | FRANCE | N°495671

France | France, Conseil d'État, 2ème chambre, 07 février 2025, 495671


Vu la procédure suivante :



Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 3 juillet, 5 août 2024 et 10 janvier 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... B... demande au Conseil d'Etat :



1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 17 mai 2024 par lequel le Premier ministre a accordé son extradition aux autorités suisses ;



2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à la SAS Boulloche, Colin, Sto

clet et associés, son avocat, au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 ...

Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 3 juillet, 5 août 2024 et 10 janvier 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... B... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 17 mai 2024 par lequel le Premier ministre a accordé son extradition aux autorités suisses ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et associés, son avocat, au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention européenne d'extradition du 13 décembre 1957 et son 4ème protocole additionnel du 20 septembre 2012 ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Paul Bernard, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Dorothée Pradines, rapporteure publique,

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et associés ;

Considérant ce qui suit :

1. Par le décret attaqué, le Premier ministre a accordé aux autorités suisses l'extradition de M. B..., de nationalité afghane, au titre d'un mandat d'arrêt du 15 février 2023 émis par le département fédéral de justice et de police du canton d'Argovie, pris pour l'exécution d'un jugement du tribunal pénal de district de Brugg du 2 novembre 2021 et condamnant M. B... à, notamment, une peine d'emprisonnement de sept ans en répression de faits qualifiés de contrainte sexuelle, actes d'ordre sexuel avec des enfants, échanges de messages à caractère pornographique avec des enfants, achat et détention d'une arme sans autorisation. Ce jugement décide également de l'expulsion de M. B... du territoire suisse pour une durée de dix ans et lui interdit d'exercer toute activité impliquant des contacts réguliers avec des enfants pendant dix ans.

2. En premier lieu, il ressort des mentions de l'ampliation du décret attaqué, certifiée conforme par la secrétaire générale du gouvernement, que ce décret a été signé par le Premier ministre et contresigné par le garde des sceaux, ministre de la justice. Cette ampliation fait foi de ce que le décret a été signé par ces deux autorités.

3. En deuxième lieu, l'article 12 de la convention européenne d'extradition dans sa rédaction issue du quatrième protocole additionnel de la convention, ratifié par la France et par la Suisse, exige la transmission par l'Etat requérant d'" une copie soit d'une décision de condamnation exécutoire, soit d'un mandat d'arrêt ou de tout autre acte ayant la même force, délivré dans les formes prescrites par la loi de la Partie requérante ". Il ressort des pièces du dossier que ce dernier contient la copie certifiée conforme à l'original du jugement de condamnation et du mandat d'arrêt pris à l'encontre de M. B..., ainsi qu'une traduction littérale de ces deux actes. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 12 de la convention européenne d'extradition n'est pas fondé.

4. En troisième lieu, selon le paragraphe 2 de l'article 3 de la convention européenne d'extradition du 13 décembre 1957, l'extradition n'est pas accordée " si la Partie requise a des raisons sérieuses de croire que la demande d'extradition motivée par une infraction de droit commun a été présentée aux fins de poursuivre ou de punir un individu pour des considérations de race, de religion, de nationalité ou d'opinions politiques ou que la situation de cet individu risque d'être aggravée pour l'une ou l'autre de ces raisons ". M. B..., s'il fait valoir qu'en raison de la mesure d'expulsion prononcée par le jugement qui l'a condamné, l'exécution du décret attaqué l'expose à des risques en raison de la situation politique en Afghanistan, son pays de naissance vers lequel il serait renvoyé, et de la nature des infractions pour lesquelles il a été condamné, ne peut utilement se prévaloir de ces stipulations faute d'établir, ni même de soutenir que son extradition serait motivée par des considérations de race, de religion, de nationalité ou d'opinions politiques ou l'exposerait en Suisse à une aggravation de sa situation pour ces raisons. Par suite, le moyen tiré la méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne d'extradition doit être écarté.

5. En quatrième lieu, l'article 3 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales stipule que " nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Les autorités suisses, sollicitées par les autorités françaises, ont précisé que, dans les conditions actuelles, les reconduites non volontaires vers l'Afghanistan sont suspendues et que, si elles étaient à nouveau autorisées, M. B... aurait la faculté de demander le report de l'exécution de l'expulsion, en vertu de l'article 66 du code pénal suisse. La demande d'un tel report donnera lieu à un réexamen complet de sa situation par l'administration au regard des risques auxquels il dit être exposé, sous le contrôle du juge administratif suisse, au regard des règles impératives de droit international qui s'opposeraient à son expulsion vers l'Afghanistan, en particulier des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Les éléments transmis par les autorités suisses apportent un niveau d'information suffisant sur l'absence d'automaticité de l'exécution de la mesure d'expulsion à laquelle M. B... a été condamné. Par suite, sans qu'ait d'incidence la circonstance que la demande d'information aux autorités suisses n'est pas intervenue avant la signature du décret, le moyen tiré de ce que le décret attaqué méconnaîtrait les stipulations précitées, notamment en ce que les informations transmises par les autorités suisses ne permettraient pas de s'assurer que M. B... bénéficiera d'une protection équivalente à celle du statut de réfugié ou de bénéficiaire de la protection subsidiaire, ne peut, en tout état de cause, qu'être écarté.

6. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à demander l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 17 mai 2024 accordant son extradition aux autorités suisses. Ses conclusions présentées au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ne peuvent, en conséquence, qu'être rejetées.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. A... B... et au ministre d'Etat, garde des sceaux, ministre de la justice.

Délibéré à l'issue de la séance du 23 janvier 2025 où siégeaient : M. Nicolas Boulouis, président de chambre, présidant ; Mme Anne Courrèges, conseillère d'Etat et M. Paul Bernard, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 7 février 2025.

Le président :

Signé : M. Nicolas Boulouis

Le rapporteur :

Signé : M. Paul Bernard

La secrétaire :

Signé : Mme Sandrine Mendy


Synthèse
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 495671
Date de la décision : 07/02/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 07 fév. 2025, n° 495671
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Paul Bernard
Rapporteur public ?: Mme Dorothée Pradines
Avocat(s) : SAS BOULLOCHE, COLIN, STOCLET ET ASSOCIÉS

Origine de la décision
Date de l'import : 09/02/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2025:495671.20250207
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